Intervention de Gurvan Le Bras

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 14h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Gurvan Le Bras, directeur adjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (ministère de l'Europe et des affaires étrangères) :

Ces questionnements sont à la lisière de problématiques intérieures et extérieures, et donc à la limite de l'expertise que je peux apporter.

L'impact de la notion de résilience à l'échelle internationale renvoie à la question du niveau d'ambition. Dans la période post-covid-19 qui s'ouvre, si l'on se limite à essayer d'organiser la résilience – constater les points de vulnérabilités et essayer d'y remédier –, cela signifie que l'on ne se prépare pas à prévenir un choc futur. On ne part pas du principe qu'une intelligence collective permettrait d'anticiper : on reste simplement dans le registre de la résistance et de l'adaptation au choc.

Cet enjeu est très présent dans de nombreuses discussions avec les institutions européennes, où la résilience est souvent, je l'ai dit, le plus petit dénominateur commun. Lorsqu'on parle de résilience, on ne parle pas d'économie stratégique, de souveraineté européenne ou de définition des priorités politiques. La résilience peut aussi faire obstacle à une hiérarchisation des menaces qui pèsent sur l'Europe.

La résilience est très présente dans l' Integrity Review, le document stratégique de l'autorité britannique destiné à préparer son positionnement sur la scène internationale dans l'après-Brexit. À la lecture du document, il est difficile d'évaluer le degré d'ambition se dégageant de cette vision pour la réorganisation du système mondial, y compris la place du Royaume-Uni dans le monde. Mon interprétation est que le document est extrêmement défensif. Sans vouloir m'attirer d'ennuis avec l'ambassadeur du Royaume-Uni, je crois que l'exercice est contraint par un arrière-plan très défensif dans lequel les liens avec l'Union européenne et les États-Unis sont remis en cause.

La résilience est une sorte de contrat social minimal à l'échelle internationale et un agenda très minimaliste pour les organisations internationales. Selon moi, cet outil ne permet pas de porter l'intégralité des ambitions que l'on peut avoir lorsque, comme la France, on essaie d'organiser le passage à une véritable souveraineté des Européens face aux différents défis à relever.

S'agissant de la puissance, nous pouvons citer des exemples d'État, qui se caractérisent par une capacité à conserver un contrat social très fort, à maintenir le cap d'une direction nationale autonome, alors qu'ils pèsent peu sur la scène internationale et sont soumis à de fortes contraintes extérieures. Mais, selon le triangle d'incompatibilité de Mundell, un pays démocratique ne peut pas à la fois maîtriser ses taux de change, disposer d'une autonomie monétaire et assurer la libre circulation des capitaux.

Nous avons également des exemples de pays extrêmement perméables à la pression extérieure, secoués par les chocs et les tensions, mais qui savent en faire une véritable force.

J'ignore où pourraient être placés les États-Unis après les événements du Capitole du 6 janvier 2021. De toute évidence, leur situation intérieure est caractérisée par une très forte déstabilisation des institutions démocratiques, et l'existence d'une menace sur ces institutions. Pour autant, l'un des traits du soft power américain depuis des décennies est sa capacité à transformer les sources d'agitation intérieure et les questionnements fondamentaux en influence à l'extérieur. Après l'affaire George Floyd, les mouvements citoyens et sociaux ayant organisé la contestation black lives matter ont fait florès dans d'autres pays du monde et suscité l'exemplarité.

Ainsi, il est possible d'être menacé dans sa cohésion nationale tout en conservant une influence extérieure.

S'agissant des pays nordiques, sans remettre en cause l'idée que ces pays sont fortement résilients, le débat se présente de manière assez différente lorsque l'on aborde avec eux leur perception de l'avenir de la garantie américaine de sécurité. Le chemin qui les mène de la résilience à l'indépendance ou à l'autonomie n'est pas encore évident. L'une des raisons pour lesquelles les pays européens ont intérêt, selon moi, à avoir un niveau d'ambition allant au-delà des questions de résilience, est la nécessité d'aller vers une autonomie. Nous devons être en mesure de réaliser notre propre évaluation, d'anticiper le choc et de décider nous-mêmes des moyens à mettre en œuvre pour y remédier.

Je vous rejoins sur le fait que l'exposition aux flux affaiblit la résilience de nos sociétés. Pour autant, l'une des principales raisons de la fortune du terme « résilience » dans les enceintes internationales est qu'il vient structurer l'analyse et les efforts réalisés pour lutter contre les menaces pesant sur les systèmes démocratiques – désinformation, ingérences démocratiques, cybercriminalité – dans le cadre plus large d'une sorte de compétition des modèles.

Cette compétition existe depuis longtemps, mais elle s'est structurée depuis la Guerre froide. Elle a de plus en plus recourt aux stratégies de nuisance. Le modèle n'est pas hybride, puisque nous ne sommes pas encore dans le registre guerrier, mais relève d'une modalité d'action allant plus loin que l'influence. Le sharp power – la nuisance – désigne la mobilisation par des États de moyens couverts, plutôt conventionnels, mais dans un objectif de pure nuisance et de « sape » du moral et des institutions.

Il est logique que ces entreprises tentent de s'appuyer sur les clivages ou failles de nos sociétés ouvertes et cherchent à en tirer parti ou à les exacerber. Cela ne signifie pas que nos sociétés soient devenues ipso facto plus fragiles ou moins résilientes. En réalité, elles le sont peut-être davantage, car confrontées à un environnement de plus en plus instable avec des menaces physiques individuelles ou collectives croissantes, des doutes et la confrontation à une hostilité assumée. Ces entreprises de nuisance sont exercées contre nous visiblement sans crainte de représailles. Nos dissuasions ne semblent plus aussi opérantes, en deçà de celle que vous rappeliez et qui reste importante. Pour autant, la dissuasion n'est pas uniquement nucléaire.

En cela, le diagnostic est sans doute plus nuancé.

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