Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 17h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN :

La recherche française dans le domaine des énergies bas carbone est au top mondial. Le fait de maîtriser les technologies nouvelles et même d'être leader mondial contribue à la résilience d'une nation. Imaginez la crise que nous vivons encore aujourd'hui il y a quinze ans, avec les réseaux dont nous disposions à l'époque : le choc aurait été terrible. Les capacités de communication n'étaient pas les mêmes. Nous avons finalement été en mesure de maintenir une activité économique, certes avec difficulté, mais en  limitant les dégâts. Je peux en témoigner, y compris au niveau de l'IFPEN que je préside.

Lorsque j'affirme que la France est leader mondial en matière de recherche dans les technologies bas carbone, je me réfère à une étude internationale menée sous l'égide de l'Agence européenne des brevets et de l'Agence internationale de l'énergie, publiée en avril dernier. Dans le top 10 des acteurs majeurs mondiaux qui déposent des brevets dans le domaine, vous trouvez trois organismes français. Le premier mondial en termes de dépôt de brevets, élément qui caractérise la maîtrise de l'innovation est le Commissarait à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L'IFPEN est quatrième et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) septième. C'est un atout qu'il faut absolument avoir en tête.

L'IFPEN est un établissement public de recherche né après la Seconde Guerre mondiale pour accompagner le développer de l'industrie pétrolière et parapétrolière française. Ce fut globalement une réussite, la majeure partie des grands acteurs tels que TotalEnergies ou Technip ayant prospéré. De nombreuses innovations dans le domaine des hydrocarbures mises en œuvre de par le monde sont issues de technologies développées par l'IFPEN.

Nous avons engagé une mutation depuis les années 2000, en nous orientant à marche forcée vers le domaine des énergies vertes. Plus des deux tiers de l'activité est aujourd'hui consacrée à la transition énergétique et écologique, le dernier tiers étant dédié aux hydrocarbures. Je précise que ces 30 % d'activité dans le domaine des hydrocarbures ne sont pas financés par la manne publique et sont par ailleurs rentables. L'argent gagné grâce aux contrats et programmes de recherche pour les industriels est réinjecté dans le développement des énergies vertes. Bref, c'est une forme de taxe carbone : l'énergie grise permet de financer le développement de l'énergie verte.

L'IFPEN accompagne les innovations jusqu'à leur développement industriel, et même parfois au-delà. Les filiales qui ont été créées ont toutes très bien réussi économiquement et sont l'ADN de la maison. Le brevet est l'un des critères essentiels de notre activité, et il a vocation à connaître un déploiement industriel, si possible au bénéfice de l'industrie française.

Une autre caractéristique de l'IFPEN est que la dotation annuelle de l'État n'est que de 40 %. Le reste est constitué de financements industriels ou publics. À cet égard, l'IFPEN essaie de contribuer le plus efficacement possible aux récents plans de relance qui ont été déployés.

Enfin, l'IFPEN est un centre de formation pour les ingénieurs souhaitant se spécialiser dans le domaine de l'énergie. La dernière promotion était composée de 300 jeunes ingénieurs issus d'une cinquantaine de pays des cinq continents. L'IFPEN est une référence internationale dans le domaine de l'énergie.

J'en viens aux questions de résilience et de transition énergétique. Pour réduire la dépendance au pétrole, il faut impérativement développer les technologies d'énergies renouvelables (EnR) et travailler à d'autres technologies comme les biocarburants, les produits biosourcés. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixent les objectifs. L'idée est que notre développement technologique doit autant que possible contribuer au développement d'entreprises et d'emplois français. Le dispositif de soutien à la recherche et à l'innovation, notamment au travers des plans de relance et des dispositions européennes, a été accéléré. Toutefois, le dispositif de soutien public mériterait d'être renforcé pour que les projets de recherche atteignent la phase de déploiement industriel.

La transition énergétique est souvent associée à la question du changement climatique, mais il faut la penser dans toutes ses dimensions, à commencer, on l'oublie souvent, par ses enjeux sociétaux. Dès les premiers développements en termes de recherche, il faut penser aux problèmes d'acceptabilité des technologies – pour les éoliennes, par exemple –, mais également au coût des solutions qui seront déployées. Il faut également penser « environnement » au sens large. La question de la pollution de l'air est tout aussi importante que celle du C02. Dans le cas des automobiles, nous sommes passés en cinq ans de la doxa initiale selon laquelle le diesel consommait moins d'énergie et était la bonne solution en termes de C02 à un critère de santé, et la question de la pollution de l'air est devenue primordiale. On a considéré d'abord que les véhicules à essence étaient la bonne réponse, puis nous avons basculé dans le monde de l'électrique.

De ce point de vue, l'analyse des cycles de vie est primordiale. Lorsque l'on réalise le bilan global d'un véhicule électrique par rapport à un véhicule thermique, le second consomme 120 à 140 grammes de C02 par kilomètre, alors que le premier nourri en électricité sur la base du mix européen moyen, consomme environ 80 grammes de C02 par kilomètre. Ce chiffre tombe en deçà de 50 sur la base du mix français.

L'IFPEN devra s'attacher le plus tôt possible à examiner l'ensemble des critères qui concourent à la politique environnementale, le C02 n'étant pas l'unique sujet.

La troisième dimension de la transition énergétique est géopolitique. Les matériaux critiques seront utilisés de plus en plus massivement pour accompagner la transition énergétique et écologique. Ces questions devront être traitées très en amont pour des raisons de souveraineté. Aurons-nous accès, à terme, à suffisamment de lithium ou de cuivre ? Comment s'organiser ? Nous travaillons d'arrache-pied à la question du recyclage. Peut-on recycler certains matériaux sur notre territoire de manière à accéder à la ressource dont nous avons besoin ?

Par ailleurs, les projections montrent que le monde d'avant, celui des hydrocarbures n'est pas derrière nous. Depuis cinq ans, la courbe des investissements en matière d'hydrocarbures se chiffre à 500 milliards de dollars par an à l'échelle de la planète. La courbe des investissements dans le domaine des énergies renouvelables a dépassé pour la première fois en 2020 celle du pétrole.

Les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie annoncent un niveau de dépendance aux hydrocarbures qui reste élevé à horizon 2040. Si l'on veut résoudre le problème, il faut également s'occuper des usages du pétrole, afin de les décarboner au maximum. Je pense notamment à l'industrie, où les solutions de type captage et stockage de carbone ou réutilisation du carbone émis par les procédés industriels doivent être étudiées.

Enfin, sur les sujets de transition énergétique et écologique, il faut de plus en plus penser au niveau européen. En termes de déploiement des énergies renouvelables, les pays européens ont tous des ambitions fortes, mais le problème de leur intermittence doit nous pousser à réfléchir ensemble au développement des interconnexions. Nous devons aussi considérer l'éventualité du stockage local et le développement de ressources décentralisées. La transition énergétique est un sujet qui suppose de marier une vision des très grands réseaux et une vision locale. Il conviendra de trouver des solutions à ces deux échelles.

Si je devais résumer, l'IFPEN est une référence mondiale sur deux sujets importants : d'une part les biocarburants, notamment les déchets agricoles et les résidus agricoles, qui sont plus bénéfiques et acceptables ; d'autre part le captage, le stockage et l'utilisation du carbone.

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