Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • IFPEN
  • biocarburant
  • carbone
  • résilience
  • technologie
  • électricité

La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mardi 14 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d'information)

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Nous accueillerons monsieur Pierre-Franck Chevet, président de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), ancien président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Monsieur le président, nous serons heureux de vous entendre à la fois sur la question de la résilience de la France en matière d'énergies fossiles, sur les perspectives de l'après-pétrole, et sur la façon dont la transition énergétique pourrait être mise à profit afin d'améliorer notre résilience.

Vous avez par ailleurs été président de l'ASN de 2012 à 2018, et à ce titre l'un des principaux artisans de la mise en place des mesures de sûreté post-Fukushima. Nous aurons donc quelques questions à vous poser sur votre appréciation de l'évolution de la sûreté nucléaire en France et dans le monde.

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

La recherche française dans le domaine des énergies bas carbone est au top mondial. Le fait de maîtriser les technologies nouvelles et même d'être leader mondial contribue à la résilience d'une nation. Imaginez la crise que nous vivons encore aujourd'hui il y a quinze ans, avec les réseaux dont nous disposions à l'époque : le choc aurait été terrible. Les capacités de communication n'étaient pas les mêmes. Nous avons finalement été en mesure de maintenir une activité économique, certes avec difficulté, mais en  limitant les dégâts. Je peux en témoigner, y compris au niveau de l'IFPEN que je préside.

Lorsque j'affirme que la France est leader mondial en matière de recherche dans les technologies bas carbone, je me réfère à une étude internationale menée sous l'égide de l'Agence européenne des brevets et de l'Agence internationale de l'énergie, publiée en avril dernier. Dans le top 10 des acteurs majeurs mondiaux qui déposent des brevets dans le domaine, vous trouvez trois organismes français. Le premier mondial en termes de dépôt de brevets, élément qui caractérise la maîtrise de l'innovation est le Commissarait à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L'IFPEN est quatrième et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) septième. C'est un atout qu'il faut absolument avoir en tête.

L'IFPEN est un établissement public de recherche né après la Seconde Guerre mondiale pour accompagner le développer de l'industrie pétrolière et parapétrolière française. Ce fut globalement une réussite, la majeure partie des grands acteurs tels que TotalEnergies ou Technip ayant prospéré. De nombreuses innovations dans le domaine des hydrocarbures mises en œuvre de par le monde sont issues de technologies développées par l'IFPEN.

Nous avons engagé une mutation depuis les années 2000, en nous orientant à marche forcée vers le domaine des énergies vertes. Plus des deux tiers de l'activité est aujourd'hui consacrée à la transition énergétique et écologique, le dernier tiers étant dédié aux hydrocarbures. Je précise que ces 30 % d'activité dans le domaine des hydrocarbures ne sont pas financés par la manne publique et sont par ailleurs rentables. L'argent gagné grâce aux contrats et programmes de recherche pour les industriels est réinjecté dans le développement des énergies vertes. Bref, c'est une forme de taxe carbone : l'énergie grise permet de financer le développement de l'énergie verte.

L'IFPEN accompagne les innovations jusqu'à leur développement industriel, et même parfois au-delà. Les filiales qui ont été créées ont toutes très bien réussi économiquement et sont l'ADN de la maison. Le brevet est l'un des critères essentiels de notre activité, et il a vocation à connaître un déploiement industriel, si possible au bénéfice de l'industrie française.

Une autre caractéristique de l'IFPEN est que la dotation annuelle de l'État n'est que de 40 %. Le reste est constitué de financements industriels ou publics. À cet égard, l'IFPEN essaie de contribuer le plus efficacement possible aux récents plans de relance qui ont été déployés.

Enfin, l'IFPEN est un centre de formation pour les ingénieurs souhaitant se spécialiser dans le domaine de l'énergie. La dernière promotion était composée de 300 jeunes ingénieurs issus d'une cinquantaine de pays des cinq continents. L'IFPEN est une référence internationale dans le domaine de l'énergie.

J'en viens aux questions de résilience et de transition énergétique. Pour réduire la dépendance au pétrole, il faut impérativement développer les technologies d'énergies renouvelables (EnR) et travailler à d'autres technologies comme les biocarburants, les produits biosourcés. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixent les objectifs. L'idée est que notre développement technologique doit autant que possible contribuer au développement d'entreprises et d'emplois français. Le dispositif de soutien à la recherche et à l'innovation, notamment au travers des plans de relance et des dispositions européennes, a été accéléré. Toutefois, le dispositif de soutien public mériterait d'être renforcé pour que les projets de recherche atteignent la phase de déploiement industriel.

La transition énergétique est souvent associée à la question du changement climatique, mais il faut la penser dans toutes ses dimensions, à commencer, on l'oublie souvent, par ses enjeux sociétaux. Dès les premiers développements en termes de recherche, il faut penser aux problèmes d'acceptabilité des technologies – pour les éoliennes, par exemple –, mais également au coût des solutions qui seront déployées. Il faut également penser « environnement » au sens large. La question de la pollution de l'air est tout aussi importante que celle du C02. Dans le cas des automobiles, nous sommes passés en cinq ans de la doxa initiale selon laquelle le diesel consommait moins d'énergie et était la bonne solution en termes de C02 à un critère de santé, et la question de la pollution de l'air est devenue primordiale. On a considéré d'abord que les véhicules à essence étaient la bonne réponse, puis nous avons basculé dans le monde de l'électrique.

De ce point de vue, l'analyse des cycles de vie est primordiale. Lorsque l'on réalise le bilan global d'un véhicule électrique par rapport à un véhicule thermique, le second consomme 120 à 140 grammes de C02 par kilomètre, alors que le premier nourri en électricité sur la base du mix européen moyen, consomme environ 80 grammes de C02 par kilomètre. Ce chiffre tombe en deçà de 50 sur la base du mix français.

L'IFPEN devra s'attacher le plus tôt possible à examiner l'ensemble des critères qui concourent à la politique environnementale, le C02 n'étant pas l'unique sujet.

La troisième dimension de la transition énergétique est géopolitique. Les matériaux critiques seront utilisés de plus en plus massivement pour accompagner la transition énergétique et écologique. Ces questions devront être traitées très en amont pour des raisons de souveraineté. Aurons-nous accès, à terme, à suffisamment de lithium ou de cuivre ? Comment s'organiser ? Nous travaillons d'arrache-pied à la question du recyclage. Peut-on recycler certains matériaux sur notre territoire de manière à accéder à la ressource dont nous avons besoin ?

Par ailleurs, les projections montrent que le monde d'avant, celui des hydrocarbures n'est pas derrière nous. Depuis cinq ans, la courbe des investissements en matière d'hydrocarbures se chiffre à 500 milliards de dollars par an à l'échelle de la planète. La courbe des investissements dans le domaine des énergies renouvelables a dépassé pour la première fois en 2020 celle du pétrole.

Les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie annoncent un niveau de dépendance aux hydrocarbures qui reste élevé à horizon 2040. Si l'on veut résoudre le problème, il faut également s'occuper des usages du pétrole, afin de les décarboner au maximum. Je pense notamment à l'industrie, où les solutions de type captage et stockage de carbone ou réutilisation du carbone émis par les procédés industriels doivent être étudiées.

Enfin, sur les sujets de transition énergétique et écologique, il faut de plus en plus penser au niveau européen. En termes de déploiement des énergies renouvelables, les pays européens ont tous des ambitions fortes, mais le problème de leur intermittence doit nous pousser à réfléchir ensemble au développement des interconnexions. Nous devons aussi considérer l'éventualité du stockage local et le développement de ressources décentralisées. La transition énergétique est un sujet qui suppose de marier une vision des très grands réseaux et une vision locale. Il conviendra de trouver des solutions à ces deux échelles.

Si je devais résumer, l'IFPEN est une référence mondiale sur deux sujets importants : d'une part les biocarburants, notamment les déchets agricoles et les résidus agricoles, qui sont plus bénéfiques et acceptables ; d'autre part le captage, le stockage et l'utilisation du carbone.

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Notre résilience repose sur la capacité de notre écosystème industriel à développer les technologies nécessaires. Vous avez bien fait de rappeler que trois des principaux acteurs sur dix étaient français, je l'ignorais. Nous avons tendance à considérer que les Asiatiques, notamment les Chinois, nous ont totalement devancés en matière d'EnR, à tel point que, parfois, il faudrait faire du transfert technologique inversé si nous voulions redévelopper certaines filières.

Pour quelle raison s'est creusé un tel écart entre la recherche technologique, où nous restons très en pointe, et le développement industriel ? Est-ce une question de coûts de production ou d'écosystème financier ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Les aides devraient davantage accompagner les mises au point industrielles ou quasi industrielles. Prenons l'exemple du captage ou stockage du carbone, technologie qui sera disponible pour un déploiement massif à échéance de trois ans. Actuellement, pour se développer, elle ne bénéficie que des crédits carbone générés par le système européen d'échange de quotas, qui valorise le carbone à une cinquantaine d'euros la tonne de C02. Si les procédés sont à moins de 50 euros, vous avez intérêt à les mettre en œuvre et il n'est nul besoin d'intervenir. Or, pour des technologies telles que le captage et le stockage de carbone, nous n'avons pas terminé l'ensemble des déploiements, et nous nous situons à environ 200 euros par tonne. Aucun industriel ne franchira seul la phase d'essais de mise au point finale s'il n'y a pas d'encouragement public. Il n'y a pas de raison de le faire si d'autres utilisent ensuite la technologie toute faite. Un accompagnement public est nécessaire.

Pour l'instant, le décalage entre le coût du carbone de marché et le coût de ces technologies est encore trop important. Il n'existe aucune incitation particulière de la puissance publique.

Je reviens à la question de savoir où nous en sommes. Cela dépend des énergies. Nous ne sommes pas en retard sur toutes. Sur les hydrocarbures, les entreprises françaises sont plutôt leaders mondiaux et se répartissent le fruit du travail mené historiquement sur ces sujets. Dans le domaine des énergies renouvelables, nous sommes globalement en retard s'agissant de l'éolien et du photovoltaïque. Les Chinois ont un marché interne qui leur permet de rentabiliser leurs investissements beaucoup plus rapidement. Il n'existe aucun fabricant français de turbine et de mât d'éolienne.

En revanche, les industriels français ont des perspectives dans l'éolien offshore flottant. Les développements électriques de l'éolien seront tout à fait considérables. Mais le territoire français n'est pas infini et les projets offshore posés au droit des côtes se heurtent à quelques questionnements. La nouvelle frontière en cours d'exploration est l'éolien flottant, qui permet de s'éloigner des côtes et d'éviter les conflits d'usage – pêche, tourisme, nautisme. La technologie est en train de monter en puissance. Le projet est notamment porté par EDF en Méditerranée. C'est probablement un moyen pour la France de revenir dans la course sur ce segment d'avenir, compte tenu des contraintes d'espace évoquées.

La France doit également se lancer dans le domaine des biocarburants avec la ressource qui est à sa disposition, à savoir les résidus de production agricole. L'IFPEN, en tant qu'organisme de référence, dispose d'un vrai savoir-faire. Le monde agricole peut tout à fait s'organiser – et s'organise déjà – pour collecter les déchets de première génération permettant de fabriquer des biocarburants. À terme, il conviendra de développer la deuxième génération, conformément à la nouvelle directive européenne sur le sujet. Les nouvelles technologies sont disponible, elles attendent simplement d'être déployées et prises en main.

Pour le moment, alors même que les procédés existent et sont validés, il n'existe aucun projet en France de construction d'une raffinerie de biocarburant de seconde génération. En termes de résilience, la ressource est sur le territoire et il est tout à fait imaginable de construire les usines qui produiront les carburants bios. C'est une opportunité à saisir.

Enfin, la France a des atouts pour développer la production d'hydrogène. Ce qu'elle sait faire en termes de production nucléaire relève de décisions éminemment politiques. L'hydrogène est l'un des moyens de stocker l'excédent d'électricité. Il permettrait d'assurer une stabilité globale des réseaux, complètant le renforcement des interconnexions aux frontières électriques.

L'hydrogène peut également servir à fabriquer des carburants de synthèse qui s'apparentent à des biocarburants. Il peut également être utilisé directement dans les véhicules. Deux types de technologies sont tout à fait à notre portée : la pile à combustible et le moteur alimenté à 100 % par de l'hydrogène. Des essais sont en cours, car cette technologie est beaucoup plus accessible et capable de faire l'objet de rétrofit. Le gain environnemental serait beaucoup plus rapide et moins onéreux que celui de la pile à combustible, ce qui nous renvoie à la question de l'acceptabilité des coûts des solutions pour la transition énergétique.

La situation est relativement contrastée. Sur certains sujets, nous avons un peu perdu la main. Le travail sur la prochaine génération de batteries qui, avec les giga factories, devrait nous permettre de rattraper notre retard.

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J'habite dans le Var, un département soumis à de fréquentes coupures d'électricité liées à des problématiques climatiques – inondations et incendies. Les moyens de résilience pour pallier le manque d'alimentation en électricité sont de gros groupes électrogènes qui tournent avec du carburant. Avons-nous des stocks stratégiques de carburant pour les alimenter pour une durée donnée, au-delà de l'échelle d'un seul département ? À mon sens, il s'agit d'un premier élément de résilience.

Deuxièmement, dans les querelles actuelles sur les biocarburants, en quoi la pression sur les terres agricoles peut-elle représenter un frein au développement des biocarburants  ?

Enfin, de votre point de vue, les slops peuvent-ils être une vraie alternative ? Je pense notamment à la société Ecoslops, qui récupère et retraite des déchets industriels ou maritimes pour fabriquer du carburant. Devons-nous en augmenter les capacités de traitement ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Concernant le stockage d'hydrocarbures pour faire fonctionner des générateurs d'électricité sur une longue période, je ne suis pas nécessairement la bonne personne pour vous répondre. L'hydrogène est une autre réponse et permet de fabriquer de l'électricité. Il est également possible de stocker l'air comprimé qui, en se détendant, est transformé en électricité.

Les conflits d'usage agricole sont un vrai sujet. Le déploiement de la deuxième génération sera certainement le moyen de développer une filière que l'on maîtrise. Nous sommes plutôt précurseurs en la matière.

Pour rappel, le premier procédé a été vendu à la Croatie. Il existe donc une usine en construction en Croatie, alors que la France peine à déployer cette technologie.

Certains déchets industriels peuvent sans doute se retransformer. Et la bioressource maritime est un sujet que nous sommes en train d'étudier à nouveau avec le CEA. Les premières analyses laissent apparaître un coût énergétique relativement élevé pour parvenir à assécher la ressource afin qu'elle soit utilisable et concentrée. Nous estimons que ce coût est rédhibitoire, mais nous allons revoir nos calculs avec le CEA. En effet, les procédés de fabrication des carburants ne doivent pas consommer plus d'énergie qu'ils n'en produisent.

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L'objectif de la mission est notamment d'évaluer les chocs qui pourraient perturber notre approvisionnement énergétique. Vous avez aiguisé ma curiosité sur la captation carbone. Si j'ai bien compris, d'ici deux ou trois ans, une technologie permettra de capter du carbone pour un coût de 200 euros par tonne. Pourriez-vous nous en expliquer le fonctionnement ? Nécessite-t-elle de l'énergie ? Quel est le coût d'investissement ?

J'ai réalisé un calcul de tête et j'aimerais que vous me disiez s'il est totalement saugrenu. Chaque Français génère onze tonnes de carbone par an. En multipliant onze tonnes par deux cents, j'obtiens 2 200 euros. Avec ces 2 200 euros par Français, peut-on capter le carbone que nous émettons globalement ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Je parlais des procédés industriels. Les chiffres que vous évoquez englobent l'ensemble des émissions. De mémoire, sur notre sol, les Français génèrent plutôt de l'ordre de six tonnes de carbone par an, et non onze tonnes. Pour absorber nos propres émissions, l'ordre de grandeur est effectivement celui que vous indiquez.

À ce stade, pour décarboner l'industrie, ArcelorMittal et TotalEnergies ont lancé à Dunkerque un projet de démonstrateur industriel appliqué à une aciérie, qui est l'un des très gros émetteurs de carbone. Le procédé de captage est efficace et le projet est en bonne voie. Les premiers résultats montrent que nous pourrions dépasser 95 % de captage de C02.

Nous parlons de coût intégré, c'est-à-dire non pas simplement le captage, mais l'énergie nécessaire pour faire fonctionner le procédé, le transport et le stockage. À terme, l'idée est de stocker le C02 dans un ancien gisement offshore en Norvège. Cette idée de retour aux sources n'est pas irrationnelle.

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Ce carbone est ensuite transformé à l'état solide. Ce serait une autre piste pour décarboner les activités humaines. Plutôt que d'utiliser les technologies nativement décarbonées, nous pourrions continuer à utiliser du pétrole en captant le carbone généré par l'émission de moteurs ou l'industrie.

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Cette technologie est applicable à l'industrie lourde : les aciéries et raffineries, y compris les bioraffineries, peuvent bénéficier de ce genre de procédé. Pour l'instant, ce n'est pas le cas des émission de moteurs.

S'agissant de la petite mobilité – les petits véhicules, dont les automobiles –, l'énergie électrique va s'imposer. L'idée est de concevoir des batteries et des systèmes de pilotage capables de supporter de très grandes puissances de charge. Nous allons solliciter le réseau électrique très fortement. Cela suppose des puissances de l'ordre de 100 kilowatts, voire plus, ce qui est absolument considérable. Notre réseau doit s'adapter à ce genre de besoin, notamment pour les trajets longue distance.

Dès qu'il s'agit de plus gros moyens de transport – camions, bateaux –, les solutions de type hydrogène ou biocarburant sont envisagées. Mais, clairement, nous n'imaginons pas placer un dispositif de captage du carbone au sortir d'un pot d'échappement.

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Je suppose que de telles technologies ne permettent pas de capter le carbone qui est dans l'air...

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Nous sommes en train d'étudier la question, car cela pourrait être un moyen complémentaire. Le procédé n'est pas impossible, mais il est très onéreux tant le carbone est dilué dans le milieu ambiant.

Par ailleurs, ce carbone est un bien commun. Nous ne pouvons pas l'attribuer à quiconque. Aucun industriel ne financera le captage au plus près de ses émissions. C'est la collectivité qui devra prendre en charge directement ce genre d'outil.

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Quel est le risque énergétique le plus important pour notre pays dans les trente ou quarante prochaines années ? Craignez-vous la rupture d'approvisionnement en pétrole ? Craignez-vous davantage le blackout électrique ? Ou bien, êtes-vous serein quant à la sécurité énergétique globale de la France  ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

En général, lorsque l'on annonce que l'on est serein, il se produit une catastrophe. Je pense que la priorité pour assurer la résilience et la robustesse de notre approvisionnement en énergies est la diversification : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pour le pétrole ou pour le gaz, il faut acheter à plusieurs pays. L'arrivée du gaz naturel liquéfié (GNL) apporte une diversification et une forme de robustesse. Le marché est compliqué, mais un bateau qui transporte du GNL peut aller là où on l'appelle, ce qui n'est pas le cas d'un gazoduc.

La diversification, ce sont également différentes EnR qui viennent compléter le mix électrique. Elles contribuent aux éléments de robustesse globale. L'interconnexion des pays et l'organisation des solidarités sont également des moyens de diversification.

Tous ces éléments sont partie intégrante de la philosophie française en matière d'énergie. Ils s'appliquent déjà aux hydrocarbures. Il convient de faire plus d'énergies renouvelables. Quelle doit être la part du nucléaire ? Ce n'est pas notre sujet, mais cela va également dans le sens de la diversification. Fabriquer du biocarburant est aussi une forme de diversification et de moindre dépendance au carbone. La France a des atouts. Si certaines de nos compétences techniques et industrielles accusent un léger retard, notre ressource agricole est tout à fait importante.

Notre façade maritime exceptionnelle est également un atout pour développer des énergies.

Bref, je ne suis pas particulièrement inquiet. Nous devons continuer à travailler, comme nous l'avons fait jusqu'à présent.

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L'IFPEN a-t-elle des relations avec les autorités en charge de la défense nationale et de la sécurité intérieure ? Êtes-vous opérateurs à leur profit dans le cadre de l'élaboration des plans de résilience ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

Le ministère de la défense et le ministère de la transition écologique nous consultent très régulièrement sur l'évolution des marchés des hydrocarbures, car nous disposons de compétences. En revanche, nous ne participons pas à l'élaboration des plans de résilience.

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Vous avez eu à suivre le drame de Fukushima. Quelle est votre réflexion d'ensemble de la sûreté nucléaire en France où le risque de séisme et de tsunami est moindre qu'au japon ?

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Pierre-Franck Chevet, président de l'IFPEN

La question pourrait être posée à mon successeur à la présidence de l'ASN, Bernard Doroszczuk. Mais mon mandat a été effectivement marqué par le post-Fukushima.

Le premier point qui m'a frappé c'est qu'il a été dit que c'était un problème japonais., tout comme Tchernobyl aurait été un problème soviétique. C'est effectivement un tsunami qui est la cause de l'accident, et ce n'est pas le risque majeur en France. Les réacteurs ne sont pas identiques. Les exploitants japonais beaucoup plus morcelés, n'ont pas la stature d'EDF. En conclusion, c'était un accident japonais.

Ce genre de discours m'a plutôt choqué. Nous avons pris le sujet à bras-le-corps. Le Japon a subi un accident majeur. La France pourrait en subir un autre. Dans une telle situation – un cœur qui n'est plus refroidi –, nous devons savoir agir.

Le raisonnement a été relativement basique : que faut-il pour refroidir le cœur lorsque l'on a perdu les sources de refroidissement ? ll faut pouvoir remettre de l'eau. Pour remettre de l'eau il faut accéder à une ressource en eau à l'extérieur, indépendant des ressources habituelles. Typiquement, un puits prépositionné dans la nappe phréatique ainsi que des pompes. Pour que ces pompes fonctionnent, il faut de l'électricité. Or, nous savons qu'en cas d'accident, nous n'avons en général plus d'électricité. Nous devons donc disposer de très gros générateurs qui fonctionnent aux hydrocarbures. Enfin, l'ensemble doit être protégé de tout. Les trois maillons que j'ai sommairement décrits, doivent pouvoir fonctionner en toute circonstance. Si ces installations disparaissent avec l'accident initial, elles ne servent à rien. C'est pourquoi l'ensemble doit être protégé par un bunker et sécurisé contre les agressions externes, malveillantes ou non. Tel est, à grands traits, le principe. Nous avons dû ensuite entrer dans le détail à grand renfort d'études. Il ne s'agissait pas de faire implanter de pseudo-améliorations de sûreté. Croire que l'on peut compter sur un back-up alors que celui-ci n'est pas efficace est nuisible à la sécurité.

Ce travail a pris du temps. Nous avons fait en sorte que ces modifications soient bien conçues et implémentées de manière rigoureuse, afin d'éviter toute fausse réponse. Mais j'ai quitté mes fonctions en novembre 2018, et ne puis vous donner davantage d'information sur la suite du déploiement.

La réunion se termine à dix-huit heures quarante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, Mme Laurence Gayte, Mme Sereine Mauborgne, Mme Nathalie Porte

Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle