La résilience d'un système dépend d'abord de sa diversité, mais également de son adaptabilité. En matière gazière, la problématique de sécurité des approvisionnements est ancienne et bien connue. Elle fait l'objet de textes nationaux et de directives européennes fixant des obligations portant à la fois sur la capacité à disposer de volumes de gaz permettant de faire face à la consommation, mais également sur la capacité à les acheminer.
De tout temps, les règles imposées aux opérateurs gaziers ont visé à permettre de faire face à un hiver extrêmement froid, ou encore à permettre aux pays importateurs de se passer de leur principale source d'approvisionnement en gaz, que l'origine de l'absence de cette source soit un défaut technique ou une difficulté d'approvisionnement en amont. Cette règle a historiquement été mise en place par Gaz de France lorsque celle-ci bénéficiait d'un monopole d'importation. Elle a par la suite fait l'objet de directives européennes et de textes réglementaires à l'échelle nationale afin de l'imposer à tous les fournisseurs une fois le marché ouvert. Il faut prouver son aptitude à faire face à ces deux types de contrainte, condition nécessaire pour vendre du gaz en France à des clients particuliers.
Le système français a par conséquent été très diversifié. La France a d'ailleurs été le premier pays en Europe à détenir des terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié (GNL), ce qui lui procure une très grande liberté pour s'approvisionner partout dans le monde. L'existence de ces quatre terminaux méthaniers permet de s'assurer qu'à tout moment, il est possible physiquement d'acheminer du gaz, puisque nous avons un grand nombre de redondances dans le système, sous réserve toutefois des conditions de prix.
Le stockage est le deuxième élément fort permettant d'assurer la sécurité d'approvisionnement. Des stockages ont été développés historiquement par Gaz de France, par Elf devenu Total ainsi que par TIGF devenu Teréga. Ils représentent aujourd'hui 128 térawatts-heure, soit un volume énergétique considérable mobilisable à tout moment, évitant ainsi des difficultés lors des pointes de consommation de gaz. Je rappelle à cette occasion qu'en France, les pointes des consommations de gaz sont plus d'une fois et demie supérieure aux pointes de consommation électrique sans que cela pose de difficulté pour le système ou le mette sous tension, justement grâce à l'existence de ces stockages.
Ceux-ci couvrent plus du quart de la consommation française. Ils sont un élément clé permettant de faire face à des aléas climatiques ou à des ruptures d'approvisionnement. Nous avons pu le constater lors de la grande crise de l'hiver 2009-2010, où ont coïncidé un hiver froid et la rupture totale du transit de gaz russe à travers l'Ukraine. Même si le prix du gaz a alors augmenté, l'Europe de l'Ouest n'a pas eu à souffrir d'interruption. Nous avions là la démonstration de la résilience du système mis en place.
L'AIE m'avait demandé d'intervenir au cours d'un atelier d'échanges postcrise avec de nombreux pays. J'étais alors en charge de l'approvisionnement en gaz du groupe. J'avais précisé que nous n'imaginions pas ce scénario de rupture complète d'approvisionnement, mais qu'au demeurant nous étions prêts, les obligations réglementaires nous obligeant à prévoir un mode de fonctionnement en cas de rupture complète du transit de gaz russe à travers l'Ukraine.
Ce dispositif existe, est en place et a été complété puisque, en 2018, le Gouvernement a souhaité instaurer en France une nouvelle régulation des stockages permettant de s'assurer qu'il existe un intérêt pour tous les fournisseurs à réserver ces capacités de stockage. En effet, si chaque fournisseur respectait ces obligations, nous observions cependant qu'il y avait des « clients orphelins ». Chaque fournisseur a l'obligation de s'assurer qu'il peut livrer ses clients, mais si un client n'a pas encore engagé un contrat de gaz pour l'hiver qui suit, un problème de décalage peut apparaître, sachant que c'est évidemment en été que l'on de stocke pour l'hiver suivant. La nouvelle réglementation incite par conséquent les fournisseurs à réserver de facto la totalité des capacités de stockage en France en leur permettant, par un système d'enchères, de réserver au prix qu'ils considèrent comme pertinent pour eux et en garantissant le revenu à travers une réglementation confiée au régulateur de l'énergie. Ce système montre son efficacité puisqu'en France, nous observons un taux de remplissage des stockages de 85 %, là où la moyenne européenne est à 67 %.
Je ne peux que féliciter le Gouvernement et le régulateur d'avoir mis en place ce système qui consolide et garantit dans la durée l'utilisation de ces stockages utilisés par tous les opérateurs, la contrainte du prix économique du stockage ayant été levée par ce système d'actualisation du coût.
Même si les consommations de gaz sont en baisse régulière en France, nous savons que ce thème suscitera des questions en France et en Europe. Au regard de la diminution des consommations, convient-il de réduire cette infrastructure, qui existe, en fermant des stockages, ou faut-il trouver au contraire un moyen de financer cette infrastructure en vue d'augmenter davantage la sécurité d'approvisionnement, dans un contexte où le gaz reste très utilisé pour produire de l'électricité de manière récurrente, notamment dans les périodes où certaines énergies renouvelables ne produisent pas ? Nous parviendrions ainsi à avoir cette approche intégrée – le sector coupling – entre le système gazier et le système électrique, pour assurer la résilience de l'ensemble du système énergétique qui sera une clé de la sécurité d'approvisionnement énergétique du futur en Europe.
Les débats à venir doivent intégrer cette capacité du système gazier à assurer la sécurité non seulement de l'approvisionnement des consommateurs directs de gaz, mais également du système électrique. En France, celui-ci est le troisième secteur de consommation de gaz après le secteur résidentiel et celui de l'industrie. De surcroît, c'est également le domaine dans lequel nous ne relevons aucune diminution de la consommation de gaz, avec d'extrêmes variations d'une année à l'autre. Ces dix dernières années en effet, autant la consommation dans les secteurs résidentiels, de l'industrie et tertiaire était globalement stable, voire en légère réduction, autant la variation pour la production d'électricité est allée du simple au double.
Il nous faudra répondre à cette volatilité des besoins de gaz pour l'électricité. L'infrastructure mise en place permet d'agir en ce sens sous réserve de trouver la mutualisation du financement permettant de garantir sa pérennité. C'est bien le cas au travers de cette nouvelle réglementation en France. La question se posera également à l'échelle européenne.