Les risques qui pèsent sur l'approvisionnement en eau revêtent une importance stratégique croissante. Or il est difficile de tenir compte suffisamment tôt d'un certain nombre de risques qui peuvent sembler évanescents mais qui, lorsqu'ils se matérialisent, imposent une adaptation rapide.
Dans le domaine hydrologique, nous disposons de nombreuses données qui montrent que la situation évolue plus rapidement et dans un sens plus défavorable que ce qui était envisagé par nos précédents modèles.
Depuis cette année, le projet de modélisation « Explore2 » est déployé dans la continuité du projet « Explore 2070 », mis en œuvre à partir de 2010. Ces différents modèles montrent que les précipitations évoluent de manière significative. Il n'en résulte pas une diminution de la ressource en eau en métropole, mais plutôt un changement de sa répartition, qui se traduit en particulier par la variation des étiages.
La traduction météorologique de ces changements est que nous devrions connaître des précipitations plus importantes en hiver, entraînant des inondations plus fréquentes, et des étés plus secs augmentant l'amplitude des étiages. Une réduction moyenne des débits d'environ 20 % est prévue.
Il en résulte des risques pour l'approvisionnement en eau potable et l'assainissement, tant au regard de la qualité de la ressource en eau que de sa quantité. En effet, la réduction du débit des cours d'eau s'accompagne, pour un apport de polluants inchangé, une concentration plus grande de ces derniers. Les besoins d'assainissement seront donc accrus.
Les risques quantitatifs, portant sur l'abondance de la ressource en eau, sont étayés par des chiffres qui peuvent effrayer : à la fin du siècle, dans un scénario optimiste, nous connaîtrions un doublement du nombre de jours marqués par des vagues de chaleur. Dans un scénario tendanciel, ce nombre serait multiplié par dix.
De telles vagues de chaleur, plus fréquentes et plus longues, se traduiront par une hausse de la consommation et de l'évaporation, qui aura notamment un impact sur les cultures. Les débits devraient diminuer nettement, avec une chute de 20 à 40 % de l'étiage pour certains cours d'eau à l'horizon 2050.
En prévision d'une telle évolution, nous devons réfléchir à une meilleure répartition et au stockage de l'eau. Si les barrages viennent spontanément à l'esprit lorsqu'il est question de retenues d'eau, il ne faut pas oublier que le meilleur et le plus important stockage est réalisé dans le sol. La constitution de réserves souterraines peut être obtenue en favorisant l'infiltration à la source, la protection des zones humides et le maintien de surfaces perméables.
En somme, il s'agit de se départir d'une certaine conception de la ville comme un ensemble bétonné, à l'intérieur duquel l'eau circule dans des canalisations pour être envoyée le plus vite possible en aval où elle est réintégrée au cycle de la consommation. Il faut au contraire s'attacher à retenir l'eau en disposant une végétation, des zones de stockage, des sols perméables assortis de systèmes permettant de restituer cette ressource quand le besoin s'en fait sentir.
L'organisation de la gestion quantitative de la ressource en eau, qui repose en particulier sur les agences de l'eau et les comités de bassins, est globalement satisfaisante en France. Ces structures regroupent dans des instances communes l'ensemble des acteurs concernés par cette problématique. Elles collectent des données et produisent des études qui contribuent notamment à l'élaboration des plans d'adaptation au changement climatique. Une grande partie des actions prévues sur la base de ces plans et de différentes études doivent encore être mises en œuvre.
Les risques qualitatifs représentent également un enjeu. Le changement climatique n'est pas le seul facteur à prendre en compte : la densité de population et l'impact du modèle agricole français actuel, qui n'a pas encore atteint le nécessaire équilibre entre les intrants et les besoins des cultures, sont d'autres sujets de préoccupation.
Pour ces différentes raisons, la qualité des eaux en France se dégrade au regard de leur concentration en produits phytosanitaires et en nitrates. Il en découle une augmentation de la surface des zones identifiées comme vulnérables par les plans nationaux tendant à réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole. Ces pollutions ont aussi un impact non négligeable sur les services de l'eau et de l'assainissement, à partir du moment où les seuils réglementaires de qualité sont atteints.
S'agissant de la résilience nationale pour ce qui concerne la ressource en eau, trois points méritent une réflexion soutenue et attentive, notamment du Parlement.
Le premier point porte sur la structuration des services de l'eau et de l'assainissement. Nous avons en effet besoin de services disposant de la taille critique requise leur permettant d'investir au niveau attendu pour relever les défis à venir en termes d'acheminement, d'assainissement et de traitement des interconnexions.
La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 a prévu le transfert à l'échelon intercommunal la compétence en matière d'assainissement. Ce sujet figure régulièrement dans le débat public, et il en est encore question dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification de l'action publique locale (« 3DS ») qui sera prochainement discuté au Parlement.
Ce point représente pour nous un sujet d'inquiétude. En effet, si nous ne sommes pas capables de transférer cette compétence à l'échelon intercommunal, nous allons rencontrer divers problèmes qui s'ajouteront à ceux auxquels nous sommes déjà confrontés, en l'absence des moyens humains, matériels et financiers qui nous permettraient de répondre dans les meilleures conditions aux enjeux d'interconnexion et de traitement de nouvelles molécules.
La qualité de l'eau se dégrade, de sorte que nous constatons la présence de molécules dont les concentrations n'étaient pas mesurées il y a encore cinq ans. Le métolachlore est un bon exemple : nous dépassons actuellement les seuils réglementaires de concentrations dans plusieurs masses d'eau. Ces nouvelles formes de pollution imposeront à l'avenir des investissements supplémentaires pour les prévenir et les traiter.
Le deuxième point dont je voudrais souligner l'importance peut être énoncé sous la forme d'une question : comment protéger la ressource en eau située dans les zones de captage de telle sorte que nous ne soyons pas contraints de la traiter avant son acheminement et sa consommation ?
Ce sujet concerne à la fois le volume et la qualité de l'eau. En effet, l'application d'un drainage excessif dans les périmètres de captage entraîne une accélération des flux, que favorise également l'érosion des sols nus, dépourvus des obstacles naturels de la végétation. Il en résulte aussi bien des problèmes de volumes d'eau et d'étiage qu'une diminution de la qualité de l'eau en présence de pesticides et de nitrates.
Il est parfois difficile d'investir de façon conséquente dans des actions de préservation de la ressource en eau qui ne prennent pas la forme d'ouvrages ni de constructions tangibles. C'est toutefois indispensable si nous voulons éviter de consacrer des ressources encore plus importantes au traitement des eaux en aval.
Le troisième point concerne les défis que nous devons relever en termes d'acquisition de nouvelles connaissances, de modélisation des évolutions à venir et d'anticipation des réponses de l'environnement aux actions que nous pourrons entreprendre. Compte tenu des ressources dont disposent les collectivités territoriales et des pressions sur la tarification du traitement et de l'acheminent de l'eau – la « tyrannie du prix de l'eau » –, le coût de cette expertise doit être par ailleurs modéré. Cette acquisition de connaissances est également nécessaire à la mise en œuvre des futures innovations technologiques qui devront favoriser le traitement de la ressource en eau, le bon fonctionnement des hydrosystèmes, le pilotage des réseaux et l'aménagement du territoire.
Si nous ne traitons pas les trois volets que je viens de présenter, nous connaîtrons à nouveau les problèmes subis actuellement par certaines collectivités confrontées brutalement à des tensions, voire à des ruptures brutales de leur alimentation en eau. L'an dernier, en France métropolitaine, ces restrictions et ces coupures ont concerné soixante-quinze collectivités et ont exigé des norias de camions et la mise en œuvre d'interconnexions sous forme de tuyaux souples installés en urgence pour éviter les ruptures. Dans les outre-mer, la situation est encore plus difficile, notamment en Guadeloupe, à Mayotte et en Guyane.
Pour conclure, nous avons devant nous de véritables enjeux stratégiques. Je suis persuadé que nous avons les moyens d'agir et la technicité, les services, les compétences et les opérateurs publics pour y faire face. Il s'agit d'une obligation à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober.