Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

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  • approvisionnement
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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 15 septembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures trente

(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)

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L'approvisionnement en eau comporte des enjeux économiques, climatiques, écologiques, sanitaires et géopolitiques pour notre avenir. Nous avons tous besoin d'eau pour vivre. La résilience nationale est donc conditionnée, notamment, par l'accès de nos concitoyens à la ressource en eau.

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Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique

Les risques qui pèsent sur l'approvisionnement en eau revêtent une importance stratégique croissante. Or il est difficile de tenir compte suffisamment tôt d'un certain nombre de risques qui peuvent sembler évanescents mais qui, lorsqu'ils se matérialisent, imposent une adaptation rapide.

Dans le domaine hydrologique, nous disposons de nombreuses données qui montrent que la situation évolue plus rapidement et dans un sens plus défavorable que ce qui était envisagé par nos précédents modèles.

Depuis cette année, le projet de modélisation « Explore2 » est déployé dans la continuité du projet « Explore 2070 », mis en œuvre à partir de 2010. Ces différents modèles montrent que les précipitations évoluent de manière significative. Il n'en résulte pas une diminution de la ressource en eau en métropole, mais plutôt un changement de sa répartition, qui se traduit en particulier par la variation des étiages.

La traduction météorologique de ces changements est que nous devrions connaître des précipitations plus importantes en hiver, entraînant des inondations plus fréquentes, et des étés plus secs augmentant l'amplitude des étiages. Une réduction moyenne des débits d'environ 20 % est prévue.

Il en résulte des risques pour l'approvisionnement en eau potable et l'assainissement, tant au regard de la qualité de la ressource en eau que de sa quantité. En effet, la réduction du débit des cours d'eau s'accompagne, pour un apport de polluants inchangé, une concentration plus grande de ces derniers. Les besoins d'assainissement seront donc accrus.

Les risques quantitatifs, portant sur l'abondance de la ressource en eau, sont étayés par des chiffres qui peuvent effrayer : à la fin du siècle, dans un scénario optimiste, nous connaîtrions un doublement du nombre de jours marqués par des vagues de chaleur. Dans un scénario tendanciel, ce nombre serait multiplié par dix.

De telles vagues de chaleur, plus fréquentes et plus longues, se traduiront par une hausse de la consommation et de l'évaporation, qui aura notamment un impact sur les cultures. Les débits devraient diminuer nettement, avec une chute de 20 à 40 % de l'étiage pour certains cours d'eau à l'horizon 2050.

En prévision d'une telle évolution, nous devons réfléchir à une meilleure répartition et au stockage de l'eau. Si les barrages viennent spontanément à l'esprit lorsqu'il est question de retenues d'eau, il ne faut pas oublier que le meilleur et le plus important stockage est réalisé dans le sol. La constitution de réserves souterraines peut être obtenue en favorisant l'infiltration à la source, la protection des zones humides et le maintien de surfaces perméables.

En somme, il s'agit de se départir d'une certaine conception de la ville comme un ensemble bétonné, à l'intérieur duquel l'eau circule dans des canalisations pour être envoyée le plus vite possible en aval où elle est réintégrée au cycle de la consommation. Il faut au contraire s'attacher à retenir l'eau en disposant une végétation, des zones de stockage, des sols perméables assortis de systèmes permettant de restituer cette ressource quand le besoin s'en fait sentir.

L'organisation de la gestion quantitative de la ressource en eau, qui repose en particulier sur les agences de l'eau et les comités de bassins, est globalement satisfaisante en France. Ces structures regroupent dans des instances communes l'ensemble des acteurs concernés par cette problématique. Elles collectent des données et produisent des études qui contribuent notamment à l'élaboration des plans d'adaptation au changement climatique. Une grande partie des actions prévues sur la base de ces plans et de différentes études doivent encore être mises en œuvre.

Les risques qualitatifs représentent également un enjeu. Le changement climatique n'est pas le seul facteur à prendre en compte : la densité de population et l'impact du modèle agricole français actuel, qui n'a pas encore atteint le nécessaire équilibre entre les intrants et les besoins des cultures, sont d'autres sujets de préoccupation.

Pour ces différentes raisons, la qualité des eaux en France se dégrade au regard de leur concentration en produits phytosanitaires et en nitrates. Il en découle une augmentation de la surface des zones identifiées comme vulnérables par les plans nationaux tendant à réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole. Ces pollutions ont aussi un impact non négligeable sur les services de l'eau et de l'assainissement, à partir du moment où les seuils réglementaires de qualité sont atteints.

S'agissant de la résilience nationale pour ce qui concerne la ressource en eau, trois points méritent une réflexion soutenue et attentive, notamment du Parlement.

Le premier point porte sur la structuration des services de l'eau et de l'assainissement. Nous avons en effet besoin de services disposant de la taille critique requise leur permettant d'investir au niveau attendu pour relever les défis à venir en termes d'acheminement, d'assainissement et de traitement des interconnexions.

La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 a prévu le transfert à l'échelon intercommunal la compétence en matière d'assainissement. Ce sujet figure régulièrement dans le débat public, et il en est encore question dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification de l'action publique locale (« 3DS ») qui sera prochainement discuté au Parlement.

Ce point représente pour nous un sujet d'inquiétude. En effet, si nous ne sommes pas capables de transférer cette compétence à l'échelon intercommunal, nous allons rencontrer divers problèmes qui s'ajouteront à ceux auxquels nous sommes déjà confrontés, en l'absence des moyens humains, matériels et financiers qui nous permettraient de répondre dans les meilleures conditions aux enjeux d'interconnexion et de traitement de nouvelles molécules.

La qualité de l'eau se dégrade, de sorte que nous constatons la présence de molécules dont les concentrations n'étaient pas mesurées il y a encore cinq ans. Le métolachlore est un bon exemple : nous dépassons actuellement les seuils réglementaires de concentrations dans plusieurs masses d'eau. Ces nouvelles formes de pollution imposeront à l'avenir des investissements supplémentaires pour les prévenir et les traiter.

Le deuxième point dont je voudrais souligner l'importance peut être énoncé sous la forme d'une question : comment protéger la ressource en eau située dans les zones de captage de telle sorte que nous ne soyons pas contraints de la traiter avant son acheminement et sa consommation ?

Ce sujet concerne à la fois le volume et la qualité de l'eau. En effet, l'application d'un drainage excessif dans les périmètres de captage entraîne une accélération des flux, que favorise également l'érosion des sols nus, dépourvus des obstacles naturels de la végétation. Il en résulte aussi bien des problèmes de volumes d'eau et d'étiage qu'une diminution de la qualité de l'eau en présence de pesticides et de nitrates.

Il est parfois difficile d'investir de façon conséquente dans des actions de préservation de la ressource en eau qui ne prennent pas la forme d'ouvrages ni de constructions tangibles. C'est toutefois indispensable si nous voulons éviter de consacrer des ressources encore plus importantes au traitement des eaux en aval.

Le troisième point concerne les défis que nous devons relever en termes d'acquisition de nouvelles connaissances, de modélisation des évolutions à venir et d'anticipation des réponses de l'environnement aux actions que nous pourrons entreprendre. Compte tenu des ressources dont disposent les collectivités territoriales et des pressions sur la tarification du traitement et de l'acheminent de l'eau – la « tyrannie du prix de l'eau » –, le coût de cette expertise doit être par ailleurs modéré. Cette acquisition de connaissances est également nécessaire à la mise en œuvre des futures innovations technologiques qui devront favoriser le traitement de la ressource en eau, le bon fonctionnement des hydrosystèmes, le pilotage des réseaux et l'aménagement du territoire.

Si nous ne traitons pas les trois volets que je viens de présenter, nous connaîtrons à nouveau les problèmes subis actuellement par certaines collectivités confrontées brutalement à des tensions, voire à des ruptures brutales de leur alimentation en eau. L'an dernier, en France métropolitaine, ces restrictions et ces coupures ont concerné soixante-quinze collectivités et ont exigé des norias de camions et la mise en œuvre d'interconnexions sous forme de tuyaux souples installés en urgence pour éviter les ruptures. Dans les outre-mer, la situation est encore plus difficile, notamment en Guadeloupe, à Mayotte et en Guyane.

Pour conclure, nous avons devant nous de véritables enjeux stratégiques. Je suis persuadé que nous avons les moyens d'agir et la technicité, les services, les compétences et les opérateurs publics pour y faire face. Il s'agit d'une obligation à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober.

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Michèle Rousseau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

S'agissant de l'état des eaux souterraines, selon les indicateurs quantitatifs mis en œuvre en application la directive-cadre sur l'eau, la situation s'est améliorée en 2019, par rapport au bilan précédent. Cependant, chaque année, des arrêtés « sécheresse » sont pris et cet état de fait récurrent témoigne de problèmes structurels en termes de quantité d'eau disponible au cours de l'été.

S'agissant des indicateurs qualitatifs, la situation est hétérogène : elle s'améliore pour les concentrations de nitrates et elle se dégrade pour celles de pesticides. Les agences régionales de santé (ARS) observent régulièrement de nombreuses fermetures de captages qui, dans 40 % des cas, sont liées à la dégradation de la qualité de l'eau.

Le BRGM s'efforce d'améliorer les prévisions saisonnières sur l'état des nappes souterraines. Selon les caractéristiques du sous-sol, il est capable de prévoir le niveau de la nappe dans les trois ou six mois à venir.

Nous cherchons par ailleurs à améliorer notre compréhension des nappes souterraines et de leurs interactions avec les eaux superficielles, ainsi qu'avec les eaux marines afin d'éviter les intrusions d'eau saline.

En cas d'intrusion d'eau saline du fait d'un pompage trop important, la situation peut être irréversible, car le sel marin est stocké dans le sous-sol et il n'est pas possible de l'en extraire.

Sur le long terme, le BRGM participe aux travaux menés pour estimer la baisse de la recharge en eau en raison de la modification du climat. Les modèles du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), couplés avec les modèles hydrogéologiques, anticipent une baisse de la recharge d'eau de 10 à 25 %. Cette diminution est plus accentuée dans certaines zones, avec notamment une baisse de 20 à 30 % dans une grande partie du bassin de la Loire et de 30 à 50 % dans le bassin du sud-ouest.

Le BRGM participe également aux études sur la recharge artificielle des nappes qui pourrait s'opérer par des méthodes faiblement intrusives ou « douces » (infiltration en zone humide, forages). Ces techniques devraient faire partie des mesures d'adaptation au changement climatique.

S'agissant de la qualité de l'eau, nous faisons face à un très grand nombre de polluants chimiques et nous connaissons seulement une partie d'entre eux. Une coopération très étroite doit s'établir entre l'administration centrale représentée par M. Olivier Thibault et l'opérateur du BRGM pour cibler les molécules dont la mesure devrait être améliorée. Il nous faut aussi nous saisir de la question des polluants émergents, qui commence à peine à être traitée.

Pour conclure, la situation relative aux eaux souterraines n'est pas dramatique en France comme elle peut l'être en Australie ou en Californie. En effet, nous ne subissons pas de coupures de l'approvisionnement en eau et les nappes phréatiques sont encore chargées. Nous devons entreprendre des travaux qui nous permettront de maintenir cette situation dans les prochaines décennies.

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Régis Taisne, chef du département « Cycle de l'eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

La FNCCR est une association de collectivités territoriales spécialisée dans les services publics locaux en réseau, en charge notamment des services d'eau et d'assainissement. Nous travaillons également beaucoup sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI).

Il existe une prise de conscience générale, au sein de la société, au sujet du dérèglement climatique et de ses conséquences, que partagent aussi les collectivités. Certains événements contribuent à cette prise de conscience. Ainsi, dans le Massif central, l'Allier a toujours représenté un véritable « château d'eau » depuis des siècles, voire des millénaires. Or, nous avons observé ces dernières années plusieurs ruptures de l'alimentation en eau. Il n'y a cependant pas eu d'interruption du service, car des solutions palliatives ont été mises en place en installant des tuyaux en catastrophe et en alimentant certains châteaux d'eau par camions.

Dans le Pas-de-Calais, des châteaux d'eau ont été également alimentés par camions, ce qui n'était jamais arrivé.

Il est important d'objectiver ces constats et ces perspectives sur la base de prélèvements et de modèles. Mme Michèle Rousseau et M. Olivier Thibault ont évoqué les enjeux d'une amélioration de nos connaissances et de leur diffusion aussi bien auprès des experts et des collectivités que de l'ensemble des usagers.

Le deuxième point que je souhaite souligner porte sur le dépassement de la vague conscience des problèmes que chacun peut avoir, au profit de l'action et de la recherche active de solutions.

Ces solutions reposent sur la réduction des consommations d'eau, la modification des pratiques agricoles et le renoncement au caractère imperméable des villes. Ces changements exigent des solutions techniques passant par de nouvelles infrastructures, ainsi que la déconstruction de certaines de structures existantes, ou « désinfrastructure ». Il faut aussi, plus globalement, susciter la conscience de l'urgence et l'envie d'agir chez les différentes parties prenantes.

Le troisième point porte sur les questions de gouvernance. Il est clair qu'il existe des enjeux de taille critique. Cela a été observé à l'occasion de la tempête Alex qui a sévi dans la région niçoise il y a près d'un an. La métropole niçoise a été en capacité, avec sa régie Eau d'Azur, de mobiliser des hélicoptères dans les heures qui ont suivi la tempête et de mettre à disposition 70 000 bouteilles d'eau le premier soir dans les villages. Les équipes chargées de la voierie et des travaux publics ont été par ailleurs mobilisées. Trois semaines plus tard, toutes les maisons qui avaient été épargnées par la tempête étaient réalimentées en eau et deux mois plus tard, l'assainissement était rétabli avec des ouvrages temporaires.

Il est certain que les petites collectivités confrontées à des situations de même nature ne disposent pas des capacités d'ingénierie, de maîtrise d'ouvrage ni des moyens financiers requis pour anticiper ce type de phénomène climatique et répondre à l'urgence.

Ce constat met en lumière les enjeux de la solidarité territoriale, que la FNCCR a pour mission de promouvoir Il ne s'agit pas seulement de flux financiers, mais aussi par exemple du partage des capacités en termes de maîtrise d'ouvrage.

Le dernier point que je souhaite mettre en avant porte sur la nécessité de protéger la ressource par la reconquête de la qualité de l'eau. Au-delà des catastrophes naturelles, il existe des pollutions diffuses pour lesquelles des progrès doivent être réalisés. En effet, la solution ne pourra pas résulter uniquement du traitement des eaux. Il existe de nouvelles molécules et nous ne pouvons pas continuer à être toujours en retard par rapport à l'apparition d'un nouveau polluant, d'où la nécessité de travailler sur la qualité de la ressource.

Cela exige de revoir les modèles agricoles, l'usage des produits phytosanitaires et les autorisations de mise sur le marché. Certaines pollutions sont cependant autant de legs durables de l'histoire, impliquant des molécules persistantes, à l'image du chlordécone qui continuera de polluer les nappes phréatiques de Martinique et de Guadeloupe durant plusieurs centaines d'années, alors même que ce pesticide n'est plus utilisé.

Bien que le traitement des eaux soit nécessaire, nous ne devons pas y consacrer l'ensemble de nos ressources, car il représente une forme d'échec témoignant d'une protection insuffisante de la ressource.

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Jean-Luc Ventura, président de l'Union des industries et entreprises de l'eau (UIE)

Il faut rappeler que les actions menées en matière d''eau potable et d''assainissement ont permis de résoudre des problèmes de santé publique.

En France, l'eau représente des dizaines de milliards de mètres cubes. Pour les usagers, la consommation s'élève à 4 milliards d'euros facturés. Cependant, il faut y ajouter les consommations du secteur de l'industrie, particulièrement celui de l'énergie, ainsi que l'activité d'irrigation agricole, même si celle-ci est moins prégnante que dans d'autres pays. Cette consommation liée à l'activité d'irrigation agricole reste significative et supérieure à la consommation des usagers. Enfin, les précipitations représentent des centaines de milliards de mètres cubes d'eau qui tombent chaque année sur notre pays.

Il s'agit de volumes considérables, d'autant plus difficiles à appréhender pour les non-spécialistes qu'en France, les deux tiers de nos ressources sont souterraines. Elles ne sont donc pas visibles. Il en est de même pour les infrastructures, souvent enterrées. Les canalisations d'eau potable représentent un million de kilomètres dans notre pays. De plus, la valeur actualisée de ce patrimoine, qui s'établit à près de 300 milliards d'euros, est mal connue. Ce montant très élevé correspond au coût qui serait requis s'il était nécessaire de reconstruire ces réseaux, les systèmes de pompages, de captage et de traitement.

Réfléchir aux perspectives de long terme est indispensable, car il faut du temps pour mobiliser les ressources financières et les compétences adaptées. Cela représente un véritable enjeu pour nous, les professionnels, afin de savoir à quelle vitesse nous devons nous adapter à la politique nationale. Ainsi, que signifie le fait de vouloir renforcer la résilience des infrastructures ? Comment cela se traduit-il en termes économiques et comment pouvons-nous nous y préparer ?

Il serait important pour nous de disposer de cette visibilité. Or, nous n'en bénéficions pas. Les réflexions actuelles portent sur le court terme et nous ne disposons pas de cette planification à long terme qui nous permettrait de nous y préparer en termes de gestion des compétences : plusieurs milliers d'ingénieurs-conseils, de poseurs de canalisations ou d'ingénieurs sont en effet nécessaires pour construire des usines et faire fonctionner un réseau. Ces missions sont d'une complexité incroyable et l'expérience de ces professionnels est extraordinaire. Cependant, actuellement, nous perdons ces compétences.

Il est urgent de réfléchir à nouveau sur ces perspectives de long terme. Nous avons lancé ce chantier, mais il nous manque la visibilité sur les évolutions à conduire au niveau national.

La France dispose d'un système décentralisé d'acheminement et de traitement de l'eau, avec des compétences dévolues au bloc communal. Or, les problématiques de résilience vont devenir de plus en plus complexes à traiter. Les coûts engendrés par la tempête Alex l'an dernier s'élèvent à plusieurs centaines de millions d'euros. Si les collectivités n'avaient pas bénéficié d'une aide intercommunale dotée des capacités financières et organisationnelles requises pour traiter cette crise, la situation aurait été dramatique. Bien entendu, l'armée aurait pu être mobilisée, mais l'échelon intercommunal représente une bonne solution pour traiter les sujets de crise.

S'agissant du dérèglement climatique et de ses premières conséquences, une augmentation d'un degré de la température induit 7 % d'humidité supplémentaire dans l'air, donc une intensification des précipitations. Ainsi, les pluviométries les plus intenses ont été recensées au cours de ces dernières décennies. De plus, les phénomènes orageux ne s'observent plus seulement au mois d'août, de sorte que la période d'exposition aux risques suscités par les orages s'allonge, avec une intensification de ces phénomènes. Les conséquences peuvent être très brutales, entraînant la destruction d'infrastructures.

Les phénomènes de long terme engendrent des impacts également de longue durée. C'est le cas de la diminution des glaciers et de la couche de neige dans les montagnes, qui réduit la quantité d'eau douce dans les cours d'eau. Les réserves naturelles d'eau ne se régénèrent plus. Ces évolutions imposent d'adapter les infrastructures de traitement, car la salinité et les débits se modifient.

Par ailleurs, après les incendies, qui se multiplient désormais, une sorte de lessivage des sols et des matières organiques s'opère à des échelles de plusieurs centaines d'hectares au total. Cela conduit à un changement de la qualité de l'eau pouvant engendrer des dysfonctionnements dans les usines de traitement. Pour faire face aux incendies, les pompiers sont aussi contraints de solliciter le réseau d'eau potable, ce qui met les infrastructures à l'épreuve, avec des niveaux de consommation atypiques et des phénomènes associés – tels que « l'eau rouge » dans les canalisations dans le massif des Maures – qui résultent des survitesses, ainsi qu'une pression mécanique – effets de « coups de bélier » comportant un risque de casse.

Indépendamment du dérèglement climatique, le vieillissement des infrastructures lié à un renouvellement insuffisant est reconnu par tous, notamment par la direction de l'eau et par M. Sébastien Lecornu, ministre, lors des Assises de l'eau.

L'érosion des terres agricoles représente aussi une source de modification de la qualité de l'eau, car elle favorise le lessivage des matières organiques et il faut alors augmenter les consommations de réactifs – qui sont des coagulants – dans les usines de traitement.

Les solutions doivent être multiples : sensibilisation des consommateurs et limitation des intrants et des molécules, car ceux-ci contaminent les sols pour des décennies, voire des siècles. Ainsi, bien que l'atrazine soit interdite depuis plus de dix ans, des métabolites sont encore observées. La concentration de l'atrazine dans l'eau, rapportée aux quantités épandues, témoigne du fait que nous sommes loin d'avoir purgé ce polluant.

Aussi, la solution ne se traduira pas seulement par la construction d'installations de traitement et l'apport de palliatifs aux problèmes rencontrés. Cependant, nous aurons besoin de ces capacités de traitement pour compenser l'effet durable des erreurs passées, de notre politique industrielle, minière et agricole, laissant des traces dans notre sous-sol et l'eau potable, qui vont se faire sentir sous l'effet du stress hydrique.

De plus en plus de captages d'eau sont abandonnés, car ils sont considérés comme non conformes. Un autre point de captage est alors recherché, alors que des investissements permettraient de réhabiliter l'emplacement initial et d'accroître ainsi notre résilience en préservant la ressource en eau.

Enfin, pour déployer une politique de l'eau sur le long terme, et au regard des coûts induits, il n'est pas opportun de réduire les budgets alloués aux agences de l'eau et de baisser le prix de l'eau pour les collectivités.

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J'ai été par le passé président d'un syndicat des eaux comptant 80 communes et 2 200 kilomètres de réseau et notre sujet prioritaire concernait les collectes sauvages d'eau effectuées par des professionnels du BTP. En effet, cette pratique dégradait fortement nos indices linéaires de pertes ou nos taux de rendement du réseau, et nous étions alors réprimandés par les agences de l'eau.

Voici quelques questionnements auxquels vous êtes invités à répondre : comment notre pays peut-il continuer à fonctionner et à accéder à l'eau dans des conditions extrêmes ? Comment faire en sorte de ne pas développer notre vulnérabilité face aux menaces ou risques, notamment le risque terroriste ?

Contrairement aux hydrocarbures et à l'électricité, pour lesquels nous restons largement dépendants de l'étranger, l'organisation déconcentrée de la politique de l'eau en France nous protège d'un risque systémique qui pourrait bloquer l'approvisionnement dans notre pays.

Quelles sont les situations critiques qui pourraient entraîner des ruptures d'approvisionnement en eau ? Nous savons notamment que nous ne pouvons pas disposer d'eau sans électricité.

De quelle manière les industriels de l'eau et les adhérents de la FNCCR se protègent-ils du risque lié aux cyberattaques ?

Est-ce qu'une analyse est menée au niveau national sur le maintien d'une filière industrielle autonome en matière d'équipements requis pour la gestion de l'eau en France, notamment en matière de tuyaux ou de conduites ? En effet, certains concurrents asiatiques proposent des équipements à bas prix, mais il n'est pas certain que ces tuyaux aient une durée de vie identique à celle de nos conduites en fonte française. Nous pourrons aussi échanger sur la structure institutionnelle du secteur de l'eau.

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Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique

S'agissant de la résilience du système actuel, la crise sanitaire liée au covid-19 nous a permis de constater la solidité du système et du plan de continuité du service et de cerner les éventuelles fragilités à venir, qui ne sont pas forcément celles envisagées intuitivement. Cette situation de crise est donc source de nombreux enseignements.

Ainsi, l'accès à la ressource en eau, qui représente un sujet d'inquiétude pour tous, est en réalité structurellement solide, alors que certaines modalités mineures de la gestion de l'eau peuvent en revanche être bloquantes. Lors du premier confinement, nous avions mis en place du jour au lendemain une cellule de crise avec les opérateurs d'importance vitale (OIV), afin de nous assurer que la disponibilité de l'eau serait assurée. Or, nous avons consacré beaucoup de temps au sujet de l'accès aux réactifs. Nous fonctionnons en effet en flux tendus, de telle sorte que les réactifs sont commandés au moment où le besoin se fait sentir, notamment compte tenu de la dangerosité éventuelle du stockage de chlore. Aussi, en cas de rupture de la chaîne d'approvisionnement, des problèmes peuvent survenir.

Une nouvelle directive européenne sur l'eau potable a été adoptée fin 2020, qui tend à répondre à ces problématiques. Nous serons conduits à adapter la réglementation nationale, notamment pour le plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) et la manière de construire les périmètres de captage. Deux visions s'opposent en effet, qui correspondent aux notions de risque accidentel, défini par le code de la santé publique, et du risque chronique, qui relève du code de l'environnement. Nous ne disposons pas à l'heure actuelle d'une vision globale prenant en compte la résilience de l'approvisionnement en eau en présence de contraintes externes.

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Jean-Luc Ventura, président de l'Union des industries et entreprises de l'eau (UIE)

Avec la crise sanitaire liée au covid-19, de très belles actions ont été menées par les OIV afin d'assurer la continuité du service et j'appuie totalement l'idée d'opérer un retour d'expérience, mais cela doit être réalisé sur toute la chaîne de valeur, pour évaluer sa résilience.

En effet, s'agissant de la capacité à fournir des équipements et des pièces de rechange, nous ne sommes pas passés loin de la rupture d'approvisionnement. Le 15 mars 2020, tout s'est arrêté brutalement pour les commandes et les usines de production. Nous avons alors fonctionné sur la base de stocks qui n'avaient pas été prévus pour faire face à une telle crise, alors même que les dépôts étaient fermés.

Par ailleurs, les usines de production de canalisations et de matériels n'ont pas été considérées comme prioritaires pour l'approvisionnement en masques et en équipements de protection ni pour la reprise d'activité. Aussi, notre situation était précaire à tel point que la seule possibilité dont nous disposions pour remettre les usines en fonctionnement consistait à demander aux collaborateurs de venir travailler sans équipement de protection, alors que nous ne savions pas du tout ce qui nous arrivait à ce moment-là.

De plus, certaines entreprises avaient décidé d'arrêter de payer leurs fournisseurs. Aussi, nous nous sommes heurtés à des dysfonctionnements majeurs, qui ont été signalés au médiateur des entreprises et au ministère de l'économie. Cela aurait pu avoir de graves conséquences, notamment en cas d'incident climatique sévère. Nous n'aurions pas pu résister très longtemps, alors que nous étions dans une situation d'arrêt total de toute la chaîne d'approvisionnement logistique et que les frontières étaient fermées. Il faut aussi rappeler que les salariés étaient réticents à venir travailler dans les usines, par crainte du covid-19.

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Vous avez raison d'évoquer ce qui s'est passé lors la crise sanitaire, car notre mission a notamment pour but d'étudier les conséquences d'un risque à la probabilité très faible mais dont l'impact pourrait être très important.

Je ne sais pas si les réseaux d'eau sont considérés comme des éléments vitaux, mais ils peuvent influer sur la résilience nationale car ils induisent une certaine vulnérabilité par rapport au risque terroriste ou aux conflits majeurs, comme en témoigne l'expérience des bombardements. Je suis persuadé que s'agissant des réseaux d'eau, la France d'aujourd'hui est moins résiliente que celle de 1914, par exemple.

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Régis Taisne, chef du département « Cycle de l'eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Il faut distinguer ce qui relève de l'accident, d'origine malveillante ou fortuite, de situations structurelles, telles que les sécheresses répétées ou la pollution des nappes, ayant des conséquences néfastes pour les services.

J'estime que la capacité à prévenir les risques et à trouver des solutions palliatives progresse rapidement. Lors de la tempête Xynthia, des difficultés sont survenues dans l'approvisionnement en eau car aucune communication physique, électronique ou électrique n'était possible. Aujourd'hui, même s'il existe un effet de taille critique difficile à prendre en compte et que tous les sites ne sont pas encore équipés de tels dispositifs, la mise à disposition de groupes électrogènes et de moyens mobiles pour pallier les situations de crise se développe.

Il en est de même pour la capacité à établir des priorités dans la gestion de crise affectant la ressource en eau. Nous avons ainsi pris conscience du fait que dans de telles situations, l'assainissement est tout aussi important, sinon davantage, que la disponibilité de la ressource en eau. Un grand nombre de réseaux de collecte fonctionnent avec des moyens de pompage. Sans ces pompages, les eaux usées ne sont pas évacuées et elles débordent. La problématique du traitement des eaux usées survient alors, sachant qu'elles s'écoulent directement dans le milieu naturel en polluant les rivières, les lacs ou le littoral, avec des conséquences néfastes.

La priorité, en cas de crise, est de rétablir l'eau dans les villes, même si elle n'est pas potable. En effet, si nous pouvons distribuer de l'eau en bouteilles, il faut compter 50 à 100 litres d'eau par jour et par personne pour que les habitants puissent continuer à vivre et évacuer les eaux usées. En l'absence d'évacuation des eaux usées, il devient nécessaire de demander aux habitants de quitter leur ville. Ces problématiques sont désormais bien intégrées, grâce aux différents retours d'expérience dont nous avons bénéficié.

S'agissant des risques cyber, il est certain que plus les services recourent aux nouvelles technologies, plus grande est leur vulnérabilité. Néanmoins, au sein des OIV, des procédures et des exercices sont mis en place. Cela permet, y compris au sein des installations les plus complexes, que les personnels en charge de faire fonctionner ces ouvrages travaillent en mode dégradé, sans disposer de l'ensemble des informations et des automatismes habituels. Ils peuvent alors assurer le service de base.

Les systèmes d'urgence permettent de bénéficier d'une redondance d'équipements pour l'électricité, les moyens de communication et les commandes. Les agents sont formés pour faire face à l'indisponibilité d'un moyen de communication ou d'une source d'énergie, en installant un groupe électrogène notamment.

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Je note l'importance de l'assainissement et l'hypothèse d'un fonctionnement dégradé, en rétablissant a minima la circulation de l'eau et, lorsque celle-ci n'est pas potable, le recours à un approvisionnement temporaire en bouteilles d'eau.

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Régis Taisne, chef du département « Cycle de l'eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Ces éléments correspondent également au retour d'expérience des tremblements de terre au Japon, à Kobe notamment, qui montre que rétablir une circulation d'eau permet aussi de faire face aux incendies qui peuvent se déclarer au même moment.

Nous avons évoqué la question des canalisations et des usines et c'est un point que nos adhérents ne nous avaient pas signalé. À l'occasion de l'échouage d'un porte-container dans le canal de Suez il y a quelques mois, nous nous sommes aperçus qu'une grande partie des charbons actifs utilisés pour le traitement de l'eau proviennent de Chine, d'Australie et de Nouvelle-Zélande et que le flux tendu, bien qu'il présente un intérêt économique et en termes de sécurité, constitue aussi une source de vulnérabilité. Si le canal de Suez avait été bloqué pendant trois semaines, par exemple, nous aurions pu faire face à des difficultés pour traiter l'eau.

Ces constats incitent à réfléchir à la relocalisation de certaines productions ou à la constitution de stocks stratégiques de réactifs et de matériels sensibles, lorsque ceux-ci ne sont pas fabriqués sur le continent européen ou en France.

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Les sujets que nous évoquons renvoient à la souveraineté énergétique et alimentaire de la France. Dans le champ des politiques de défense, la direction générale de l'armement (DGA) veille à ce que nous soyons en mesure de produire tous les composants critiques en France. En matière d'eau, j'ignore s'il existe un pilotage national pour vérifier que nous sommes autonomes ou que nous disposons des stocks stratégiques requis pour les éléments critiques.

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Michèle Rousseau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Pour les eaux souterraines, il existe des réserves stratégiques. En Île-de-France, il s'agit de la nappe de l'Albien, qui est très profonde et de bonne qualité. De ce point de vue, le sujet a été a priori traité.

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Jean-Luc Ventura, président de l'Union des industries et entreprises de l'eau (UIE)

D'un point de vue industriel, l'épisode du canal de Suez a été marquant, de même que la crise du covid-19. Nous faisons toujours face à une crise : les usines automobiles sont à l'arrêt et c'est toute la chaîne de fabrication française, en particulier pour le matériel électronique, qui est sous tension. Tous les délais de fabrication ont été multipliés par deux. Les stocks tendent à s'épuiser et notre économie continue de fonctionner en mode dégradé. Les prix de certaines matières premières ont rapidement doublé. Des quotas sont instaurés pour certains systèmes de distribution et certains équipements.

Cette crise est liée à la reprise économique qui n'a pas été anticipée et au fait que la souveraineté à l'échelle de la France et de l'Europe n'est pas effective en matière d'approvisionnements. Si une deuxième crise survenait, serions-nous prêts ? À ce jour, la réponse serait négative. Nous ne serions pas prêts à résister à des crises multiples.

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Michèle Rousseau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Je signale que les réserves souterraines se caractérisent par une meilleure qualité que les eaux superficielles. Cela représente une certaine forme de protection. Nous pourrions ainsi utiliser cette ressource dans le cas où les usines de traitement d'eau rencontreraient des difficultés. Une réflexion pourrait être conduite au sujet du recours aux eaux souterraines en cas de crise. Il faudrait pour cela mettre en place des captages, qui existent déjà dans le cas de la nappe de l'Albien.

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Régis Taisne, chef du département « Cycle de l'eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Sauf exception, lorsqu'un service d'eau potable a le choix entre une ressource en surface et une ressource souterraine, il préfère généralement cette dernière, précisément parce qu'elle est plus simple à traiter. Lorsqu'un service d'eau potable est exclusivement dépendant d'eaux de surface, cela s'explique par le fait qu'il a difficilement accès à des réserves d'eau souterraines.

Paris et l'Île-de-France ne pourraient pas être durablement alimentés en eau par la nappe de l'Albien. En effet, le débit ne serait pas suffisant. En revanche, pour répondre à des besoins ponctuels en eau potable, en complément des captages effectués à partir de la Seine ou de la Marne, dont les eaux restent très dégradées, nous pouvons mettre à profit les réserves d'eau souterraines. Nous répondrions à tout le moins aux besoins de consommation courante les plus essentiels, à des fins alimentaires en particulier.

Je souligne qu'il existe dans certains schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) des zones stratégiques de réserve d'eau à des fins de production d'eau potable. De plus, la loi « climat et résilience » qui vient d'être adoptée, sanctuarise et généralise d'ici les prochains SDAGE l'obligation d'identifier les réserves stratégiques d'eau potable. Il faudra mettre en œuvre des mesures de protection qui passent par l'interdiction d'usages concurrents de ces ressources qui doivent être dédiées à la seule production d'eau potable.

Toutefois, les enjeux de pilotage de ces politiques restent à traiter, dans des territoires comptant de nombreuses collectivités, au regard notamment du coût de ces mesures.

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Est-ce que cette identification des réserves stratégiques pour l'eau potable concernerait les accès d'urgence ou un schéma prévisionnel de baisse de l'accès à l'eau ?

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Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique

Il s'agit bien d'une vision stratégique de long terme. La loi « climat et résilience » prévoit la préservation de réserves stratégiques mobilisables pour faire face à la dégradation éventuelle des ressources.

Dans le cadre du SDAGE, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) identifient les nappes stratégiques actuelles, afin de les sanctuariser et de s'assurer du maintien de leur bon équilibre.

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Monsieur Thibault, vous avez abordé la question de la structuration des services publics d'eau et d'assainissement. À ce sujet, je pense qu'il faut disposer d'une taille critique et que nous pouvons inciter les communes à trouver les périmètres les plus adaptés. En effet, les communautés de communes ne correspondent pas toujours aux bassins de rivières.

En tant que président d'un syndicat des eaux, je préférais disposer de représentants d'élus municipaux assurant le lien avec leur commune et disposant de plus de temps que les représentants de communautés de commune déjà fortement sollicités par des réunions, pour veiller à ne pas éloigner davantage le service du citoyen. Néanmoins, j'entends bien les arguments en termes de taille critique et de capacité d'ingénierie. Il me semble que nous pouvons constituer des ensembles importants, sans nécessairement imposer le périmètre communautaire.

Pour rationaliser la gestion de la ressource en eau, la concentration du captage semble être privilégiée, alors même qu'il existe des masses d'eau, accessibles par gravitation, disséminées sur le territoire. Cependant, cette solution est exclue du fait de la complexité de la gestion de points de captage multiples. La résilience devrait pourtant conduire à ne pas négliger ces accès à l'eau situés dans les territoires et à ne pas centraliser la recherche d'eau à plus grande distance des lieux de consommation.

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Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique

Nous ne sommes pas dogmatiques sur la question du périmètre requis afin de disposer d'une taille critique. La communauté de communes devrait disposer de cette compétence lorsqu'elle possède une telle taille critique. La loi NOTRe a déjà été modifiée à trois reprises et elle permet aujourd'hui ce type de situations.

On considère généralement qu'un élu placé à la direction d'un syndicat ou d'une commune a réussi sa mission dans le domaine de l'eau dans la mesure où il est parvenu à en réduire le prix applicable à l'usager. En réalité, même si cette idée n'est pas bien acceptée, il s'avère qu'un prix très faible témoigne d'un mauvais service. En effet, cela traduit le fait que le patrimoine, composé d'infrastructures, n'est pas entretenu et que l'approvisionnement est souvent peu diversifié.

Or, pour être résilient aujourd'hui, il est nécessaire d'entretenir le patrimoine, ce qui induit des coûts car les réseaux sont vieillissants, datant bien souvent de l'après-guerre. Leur rénovation exige d'importants investissements. L'idée d'un optimum à trouver entre la recherche de fuites, les réparations et un bon entretien du réseau est compliquée à faire admettre.

Lorsqu'une petite structure dispose de la compétence en eau, elle aura tendance à privilégier un seul point de captage. Dans une telle configuration, la situation devient vite compliquée lorsqu'un problème affecte le fonctionnement de cette unique source d'approvisionnement. Cela a été le cas par exemple dans l'Ain, après la pollution accidentelle d'un point de captage d'eau par des effluents agricoles. Il n'y avait alors aucune solution pour la commune. Celle-ci bénéficiait d'un prix de l'eau très efficient au regard de ses coûts et n'avait jamais conçu de solutions de secours, à l'échelle de l'intercommunalité notamment.

Le fait d'avoir la taille critique et de disposer de solutions alternatives est très important, même si ce constat est difficile à porter et à valoriser pour les élus. Il faut qu'il y ait un service qui évalue l'état du patrimoine et qui puisse l'entretenir, avec une capacité d'investissement suffisante et des solutions alternatives si besoin. Lorsqu'il existe des périmètres de captage, il faut qu'ils restent accessibles, même s'ils ne sont pas utilisés. Cela est très important et cela a un coût.

La « tyrannie du prix de l'eau » conduit à se désintéresser de ces besoins d'investissement. En outre-mer, les tensions que connaît la distribution d'eau nous aident à prendre conscience des dangers que comporte cette attitude.

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Je ne suis pas certain que la taille plus importante des structures nous prémunisse de ce que vous appelez la « tyrannie du prix de l'eau », ni de la tentation de sous-investir, et il me semble au contraire que les structures de proximité apportent le gage d'une certaine responsabilité de la part des élus.

Pour autant, il faut en effet disposer d'une taille critique, inciter les élus à réfléchir aux solutions de secours et favoriser les interconnexions. Mais je ne pense pas que ce résultat puisse être atteint en imposant un modèle unique à l'ensemble des situations.

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Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique

Dès qu'une taille critique est atteinte, les services sont capables de renseigner les indicateurs. Or, ces derniers sont nombreux, notamment ceux de l'observatoire national des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA). Ces renseignements ne sont généralement pas remontés par les petites structures. Or le fait de ne pas suivre son système finit par être visible. S'astreindre à renseigner ces indicateurs et à les transmettre représente l'une des réponses possibles au risque de déresponsabilisation des gestionnaires.

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Régis Taisne, chef du département « Cycle de l'eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Tout dépend en effet des territoires et notamment des niveaux de densité. La capacité de maîtrise d'ouvrage et de gouvernance est malgré tout liée à la taille de l'entité. Il est possible que le fait d'avoir voulu imposer un modèle unique d'organisation représente l'un des inconvénients de la loi, car en fin de compte, ces réflexions sur la gouvernance peuvent conduire à en oublier la finalité. L'objectif est de permettre l'acquisition d'une taille critique, la cohérence des périmètres et la possibilité d'exercer des solidarités, quelle que soit la forme prise – syndicat, syndicat mixte, etc.–, qui sont autant d'instruments d'une meilleure gestion de la ressource. Cet objectif a pu être oublié dans certains cas, au point de déconstruire des situations qui donnaient pourtant satisfaction en termes de maillage et d'interconnexion, pour finalement reconstruire de nouvelles structures de façon contre-productive.

Dans les enjeux de gouvernance, la proximité est souvent mise en avant. Toutefois, on ne peut opposer strictement les objectifs de rationalité technique et économique et les objectifs de proximité Ainsi, certaines formes de gouvernance ont été déployées dans de grandes métropoles de façon satisfaisante, sans qu'un surcroît de proximité ou de décentralisation paraisse souhaitable dans l'organisation des réseaux.

D'autres structures de gouvernance ont pris la forme de syndicats départementaux, à l'image du syndicat des eaux et de l'assainissement d'Alsace-Moselle. Ces structures sont organisées à une échelle territoriale importante permettant de mutualiser les moyens financiers et l'expertise des parties prenantes, tout en maintenant des unités de décision politique à des échelons beaucoup plus petits et cohérents avec l'histoire du territoire, la répartition des ressources en eau ainsi que des infrastructures.

En fin de compte, ces structures parviennent à concilier les deux objectifs : celui d'une proximité comme garantie de prise en compte des enjeux locaux, et celui de la mutualisation. Je vous invite à interroger le syndicat départemental des eaux de l'Aube (SDDEA) qui a lancé une grande étude, Stratégie 2 100, afin de cerner, commune par commune, communauté par communauté, l'impact du changement climatique sur les ressources en eau et les usages de l'eau. L'objectif est d'expliquer sur les territoires ce qu'il en sera et la programmation des infrastructures.

Il faut rappeler qu'un tuyau est posé pour un certain laps de temps : cinquante, soixante ou quatre-vingts ans. Il existe donc une inertie patrimoniale considérable. Un forage et une usine d'eau sont opérationnels pour plusieurs dizaines d'années. Les investissements d'aujourd'hui concernent des équipements qui seront encore en service en 2050 ou 2080.

Cette analyse prospective est importante et elle peut être conduite par un syndicat qui dispose d'un périmètre suffisant pour réfléchir sur les solutions à envisager à l'échelle d'un grand territoire. Des transferts d'eau pourraient être mis en œuvre et des captages seraient susceptibles d'être abandonnés, du fait que la ressource en eau sera insuffisante dans les trente ou quarante ans à venir. Cela peut conduire à revoir dès maintenant la structuration du réseau.

La structuration des réseaux et des moyens de production doit être pensée en fonction des besoins, mais aussi des ressources. Cette analyse prospective représente un outil de résilience par rapport, non pas à une crise immédiate, mais au dérèglement climatique.

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Olivier Ventura

Nous disposons des outils, de l'organisation et des solutions techniques. En revanche, nous manquons de visibilité quant à l'évolution de nos moyens. Les SDAGE, les nouvelles directives-cadres européennes et la loi « climat et résilience » fournissent un cadre réglementaire qui, s'il est bien appliqué, permettra de retrouver la résilience, y compris à l'échelon territorial le plus étroit, à condition que nous dispositions des ressources financières requises pour adapter nos réseaux.

Le tarif de l'eau est entraîné dans un cercle vicieux orienté à la baisse, du fait de la « tyrannie » évoquée par M. Olivier Thibault, sans que nous parvenions à inverser la tendance.

De plus, l'organe de péréquation, qui était celui des agences de l'eau, est désormais malmené. Il subit en effet des ponctions et des prélèvements et chaque proposition formulée dans la loi de finances pour apporter une nouvelle ressource, afin notamment de permettre le traitement de certains polluants, est systématiquement écartée. Il n'y a pas de cohérence entre la loi de finances et le cadre réglementaire afin d'organiser la résilience et de déployer une vision de long terme.

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La résilience de la gestion de la ressource en eau repose donc aussi sur la capacité à trouver le « juste prix » de son exploitation, afin de disposer de réseaux bien entretenus et ainsi de prévenir les risques portant sur le volume et la qualité de la ressource. Un débat démocratique transparent mériterait d'être mené avec nos concitoyens autour de ce sujet.

La réunion se termine à dix-sept heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présent. - M. Thomas Gassilloud

Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne