Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du vendredi 17 septembre 2021 à 12h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous sur le sujet ô combien important de la résilience et de la robustesse du système énergétique et électrique français. C'est en effet un sujet essentiel face aux aléas de toute nature qui peuvent attenter à la prospérité et au bien-être de notre pays.

Comme chacun le sait, l'électricité ne se stocke pas. Elle prend une place de plus en plus importante dans nos vies et nous nous sommes habitués à ce qu'elle soit disponible en permanence, même si ce n'est pas le cas dans tous les pays. Les Français, à juste titre, sont exigeants et notre rôle est de les satisfaire.

Bien sûr, au sens strict, nous ne sommes en charge que de la sécurité d'approvisionnement des clients d'EDF. Notre filiale indépendante Enedis pilote ses propres performances opérationnelles ainsi que RTE. Mais l'image d'EDF dans l'opinion française est telle que la résilience du système électrique dans son ensemble est ma préoccupation majeure. Je suis donc ravi de pouvoir partager avec vous ce que nous faisons pour atteindre un niveau de fiabilité parmi les meilleurs dans le monde.

Notre organisation et notre gestion des risques sont conçues pour assurer cette résilience d'EDF. Je l'illustrerai au travers de trois thématiques.

En premier lieu, j'évoquerai le risque sanitaire. Comme toutes les entreprises françaises, nos salariés et notre entreprise ont dû faire face au choc inimaginable de la crise sanitaire et de la gestion des confinements. Alors que la société vivait une forme de sidération face à l'ampleur de cette crise et que des mesures indispensables étaient prises par nos pouvoirs publics pour contenir l'épidémie, notre priorité immédiate a été de prendre toutes les décisions permettant d'atteindre deux objectifs d'égale importance : d'une part, assurer la continuité d'alimentation électrique du pays ; d'autre part, protéger les salariés d'EDF et de ses prestataires. L'entreprise est fière d'avoir fait preuve d'une mobilisation extraordinaire. Au plus fort de la crise, en mars 2020, les salariés dont la mission consiste directement à produire l'électricité dont le pays a besoin ont été présents chaque jour dans nos centres de production. Tous ces salariés ont assuré leurs missions : les ménages, les collectivités, les entreprises, les services publics, au premier rang desquels je citerai les hôpitaux, n'ont jamais manqué d'électricité.

Pour cela, nous avons fait preuve d'une grande anticipation. Le fait que nous soyons présents en Chine et en Italie nous a apporté aussi une première expérience, acquise dans ces pays qui ont été touchés par le covid avant la France. Depuis des années, nous avons une organisation de crise très structurée que nous testons régulièrement lors d'exercices de crise. Cette organisation doit faire face à toute sorte d'événements internes et externes, isolés ou quelquefois cumulés, afin de garantir que les activités d'importance vitale pour notre pays sont assurées. Plus spécifiquement, depuis de nombreuses années, EDF s'est dotée d'un plan pandémie prévoyant comment chaque service peut poursuivre ses activités essentielles dans une hypothèse de grave crise sanitaire. Concrètement, c'est dès le 27 janvier 2020 que j'ai activé le centre de crise d'EDF. Il est monté en puissance régulièrement jusqu'au confinement généralisé du 17 mars.

Notre première préoccupation a été de protéger la santé de nos salariés. Nous avons adapté les organisations de travail pour permettre le respect des gestes barrières et de toutes les autres mesures de protection pour les salariés qui continuaient à se déplacer sur les lieux de production. Les services médicaux de l'entreprise ont apporté une expertise et des conseils précieux. Nous nous sommes organisés pour mettre en place un reporting quotidien et localisé du nombre de personnes malades et des cas contacts, métier par métier, région par région, pour mesurer l'efficacité de nos mesures et procéder à des réorganisations ponctuelles en tant que de besoin. Ces décisions de réorganisation des conditions de travail des salariés pour protéger leur santé et continuer à exercer nos missions ont été prises dans le cadre d'un dialogue permanent avec les organisations représentatives du personnel. Pendant toute cette période, ce dialogue très intense s'est très bien déroulé tant au plan national qu'aux échelons locaux. Certains salariés d'EDF ont été touchés par la maladie comme le reste de la population. Les mesures de protection, les protocoles, l'amplification considérable du travail à distance, la gestion rigoureuse des gestes barrières, tout cela nous a évité l'apparition de foyers épidémiques au sein de l'entreprise.

Simultanément, nous avons maintenu le contact avec nos clients. Alors que, dès le 17 mars, les équipes habituellement au contact de nos 27 millions de clients ne pouvaient plus aller au bureau, nous avons installé en quelques jours chez les conseillers clientèle 5 000 ordinateurs personnels pour qu'ils puissent, depuis leur domicile, répondre aux clients qui nous appelaient et apporter des conseils. Je souligne que nos conseillers clientèle sont tous localisés en France alors que, chez beaucoup de nos concurrents, l'essentiel de ces services est effectué depuis des pays à bas salaire. Ce n'est pas le cas à EDF et nous en sommes fiers. Cela nous a permis de mieux répondre aux besoins de nos clients pendant la phase de pandémie avec des conseils adaptés à la situation, y compris lorsque nous avons dû mettre en place des dispositifs spécifiques pour accompagner ceux de nos concitoyens les plus en difficulté, avec des suspensions de coupure ou des étalements de facture. De fait, nous avons mesuré après-coup une grande satisfaction de nos clients sur le service dont ils ont bénéficié de la part d'EDF pendant cette période.

Du côté de la production, je me contenterai d'évoquer les conditions d'exploitation du parc nucléaire. En temps normal, les centrales nucléaires sont arrêtées tous les douze ou dix-huit mois pour renouveler le combustible et pour la maintenance. De plus, le parc fait l'objet d'un programme de maintenance lourde, appelé grand carénage, qui doit permettre d'exploiter les centrales nucléaires au-delà des quarante ans pour lesquelles elles ont été construites. Certains arrêts sont donc des arrêts plus longs pour contrôler le système dans son ensemble ou renouveler certains gros composants : ce sont les visites décennales. Or, les moyens que nous mobilisons en permanence, nous-mêmes et nos entreprises prestataires dans la filière nucléaire pour conduire ces opérations, ont été fortement perturbés par le confinement général, par la fermeture des frontières, par la perturbation des moyens de transport, par la fermeture des hôtels, par l'interdiction des déplacements interrégionaux. De plus, comme un arrêt de tranche mobilise plusieurs centaines, voire plus de mille personnes qui passent tous les matins par les postes de contrôle, par les vestiaires, par les cantines pour se restaurer, vous imaginez que les exigences sanitaires de distanciation nous ont compliqué la vie car elles étaient difficilement compatibles avec des opérations normales.

Nous avons dû rapidement mettre en place une modification significative dans notre programme d'arrêt de tranche. Or, ce programme est séquencé à l'avance sur plusieurs années pour optimiser la production disponible pendant la période d'hiver qui est la période de plus forte demande. Nous avons donc dû gérer par anticipation des décalages significatifs dans notre programme de maintenance en raison principalement des restrictions de circulation. Si nous avions simplement reporté les arrêts de tranche, cela aurait été susceptible de rendre indisponibles un grand nombre de réacteurs lors de l'hiver suivant. Un simple décalage n'était donc pas la bonne réponse. Aussi avons-nous procédé à un redéploiement complexe de nos programmes de maintenance sur trois exercices : 2020, 2021 et 2022. À titre d'illustration, pour limiter la tension potentielle sur la situation de l'hiver 2020-2021, nous avons volontairement arrêté certains réacteurs au printemps et à l'été 2020 pour économiser le combustible de manière à optimiser la capacité de production disponible pendant la période de tension de l'hiver suivant. Cette réactivité nous a permis de proposer un maximum de capacité aux moments cruciaux. Nous avons préservé la sécurité d'approvisionnement durant l'hiver suivant le confinement, tout cela sans porter atteinte en quoi que ce soit aux objectifs de sûreté des centrales. C'est l'occasion pour moi de vous dire notre fierté devant cette performance et de rendre hommage aux femmes et aux hommes d'EDF qui se sont mobilisés pour assurer cette disponibilité du courant électrique. Bien sûr, ces perturbations par rapport au fonctionnement normal du parc nucléaire ont eu pour conséquence une moindre production globale sur l'année 2020 et également sur les années 2021 et 2022. Grâce à ces adaptations, grâce à la mobilisation des personnels et aussi à la contribution des autres moyens de production du parc hydraulique, thermique, éolien, solaire, la gestion de cette crise sans précédent a montré notre résilience.

Le deuxième point de mon intervention portera sur les risques climatiques. Une des leçons de cette crise sanitaire est que nous devons nous préparer à gérer des événements climatiques potentiellement dramatiques pour la société humaine. Cette période nous a rappelé notre exposition aux grands déséquilibres environnementaux au premier rang desquels figure le changement climatique. Notre résilience face aux conséquences du changement climatique est un sujet de long terme. Parallèlement, nous avons des recommandations pour atténuer les émissions de carbone, et cela en électrifiant massivement les usages pour les décarboner en profitant des atouts et de la complémentarité de l'énergie d'origine nucléaire et des énergies renouvelables. Nous devons également investir largement dans l'efficacité énergétique et dans la sobriété des consommations.

Nos installations industrielles – centrales comme réseaux – ont une durée de vie de plusieurs décennies. Pour répondre à l'enjeu d'adaptation, nous avons donc investi dans la connaissance scientifique des impacts physiques du climat. Depuis vingt ans, nous développons en interne une compétence unique pour un électricien sur les enjeux climatiques. Nous nous associons à de nombreuses organisations de référence et en particulier à Météo France. Nous disposons ainsi, depuis 2014, au sein de notre département de recherche et développement, d'un service climatique et, au sein de notre direction technique générale, d'un centre opérationnel de prévisions hydrométéorologiques. Ces équipes sont au service de l'adaptation au changement climatique de toutes les entités du groupe EDF. Elles fournissent aux métiers de la production, des réseaux, de la fourniture et des services des données climatiques prêtes à l'emploi pour quantifier les risques liés au changement climatique et surtout pour élaborer des plans d'adaptation. Nous avons vécu une forte tempête en 1999, une canicule exceptionnelle en 2003. Nous nous sommes adaptés en continu pour garantir la sûreté des installations et permettre la continuité d'approvisionnement lors de ces événements climatiques extrêmes. Nous avons notamment mis en place des plans « Grand chaud », « Grand froid » et « Grand vent ». Depuis vingt ans voire plus, tous ces plans ont remarquablement fonctionné sans aucune faille.

Le parc nucléaire ne subit pas d'impacts significatifs dus au réchauffement climatique au stade actuel même si certains voudraient faire croire au public qu'il comporte des risques certains étés. Les effets des phases de canicule, en particulier le sujet de l'étiage pour les centrales existantes, sont des enjeux bien identifiés et bien traités par les mesures de prévention et d'adaptation pour en limiter l'effet. Dans le plan « Grand chaud », nous avons modifié certains matériels de conditionnement thermique des locaux sensibles. Je pense aux groupes froid ou aux systèmes de ventilation. Nous avons mis en place un refroidissement direct de certains matériels. Chaque année, nous avons des activités de maintenance sur des matériels sensibles comme les échangeurs, les filtres et, pour les centrales concernées, les aéroréfrigérés. Cela nous permet en cas de grande chaleur de limiter les pertes de production à moins de 1 % de la production nucléaire totale d'une année. De plus, dans notre pays, ces pertes interviennent à des périodes non critiques pour le système électrique puisque la demande est bien plus forte l'hiver que l'été. Nous avons par ailleurs des marges croissantes l'été avec le développement de la production photovoltaïque. Voilà qui illustre une résilience importante : celle au changement climatique. J'ajoute que les plans d'adaptation sont mis à jour régulièrement. Nous veillons à ce qu'ils abordent l'ensemble des risques à traiter pour les opérations des métiers, qu'ils portent sur l'amont, notamment la sensibilité de nos fournisseurs, ou qu'ils portent sur l'aval, notamment sur les risques de marché.

J'en viens au troisième point, la résilience industrielle. La pandémie nous a montré que l'économie mondiale est bien plus fragile que nous ne le pensions. La logique de concurrence nous entraîne dans des délocalisations industrielles. Une dépendance excessive à des tiers pour certains approvisionnements stratégiques s'est fait jour, et pas uniquement pour les produits sanitaires. Cependant, la France a la chance incroyable d'avoir construit et maintenu une filière nucléaire souveraine. Nous maîtrisons l'ensemble de la chaîne de valeur : de la conception à l'exploitation, puis au démantèlement en passant par la construction de gros composants, par exemple à l'usine du Creusot. La France est donc en mesure de disposer durablement d'une filière industrielle nucléaire qui est souveraine, compétitive, très exportatrice, très intense en emplois qualifiés et qui sert la lutte contre le réchauffement climatique.

Le plan de relance a reconnu l'importance de préserver et de développer cet atout qu'est la filière nucléaire française. Nous avons l'espoir que le plan d'investissement que le Gouvernement est en train de préparer le fera également. À ce titre, nous sommes inquiets des débats qui se tiennent à Bruxelles sur la taxonomie européenne de la finance durable et nous les suivons avec une grande attention.

À défaut d'intégration du nucléaire dans cette taxonomie, le risque est fort de voir des pays tiers, comme la Chine et la Russie, s'engouffrer dans les failles béantes de cette initiative européenne malvenue et que ces pays soient les seuls à pouvoir un jour apporter des financements aux pays européens, notamment – mais pas seulement – en Europe de l'Est, car les pays de cette région ont besoin de construire des centrales nucléaires pour sortir de la production d'électricité à base de charbon. De fait, derrière ceux qui combattent l'inclusion des technologies nucléaires dans la taxonomie européenne, se profilent les grands conglomérats étatiques situés à l'Est de l'Europe. Il me paraît donc important d'attirer votre attention sur les enjeux stratégiques du combat que la France et d'autres pays mènent actuellement pour obtenir une taxonomie européenne basée sur des faits scientifiques.

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