Eutelsat est un opérateur mondial de télécommunications par satellite, dont seulement 5 % du chiffre d'affaires est réalisé en France. Nous faisons fonctionner une flotte d'une quarantaine de satellites géostationnaires croisant à une altitude de 36 000 kilomètres, orbite à laquelle les satellites sont en rotation à la même vitesse que la surface du globe. Ce dispositif géostationnaire nous permet de produire des services de télédiffusion et de télécommunications et de les proposer dans les zones non couvertes par les opérateurs de télécommunications terrestres : zones à faible densité de population, zones difficiles d'accès, avions, bateaux, etc.
J'en profite pour rappeler que la fréquence est l'élément sous-jacent de tout ce qui a été présenté lors de cette table ronde. La technologie et sa sécurisation sont évidemment essentielles, mais le portefeuille des fréquences – qui permet d'opérer des services de télécommunications en orbite et au sol – s'avère tout aussi crucial. La disposition de fréquences en orbite est majeure pour développer des services. En l'occurrence, Eutelsat dispose aujourd'hui d'un portefeuille de fréquences parmi les plus importants au monde, qui est géré par Eutelsat et l'agence nationale des fréquences (ANFR).
L'activité de télécommunications des opérateurs de satellites s'accroît à mesure que se développe le besoin de connectivité dans les zones à faible densité. La connectivité est au XXIème siècle ce que l'électricité fut au XXème. À tout moment, nous devons connecter le monde entier pour déployer des services de connectivité, résoudre la fracture numérique et apporter des services de communication et d'accès aux applications métier stockées sur le cloud. C'est la stratégie technologique vers laquelle s'oriente Eutelsat, avec des investissements majeurs dans des satellites de télécommunications – fabriqués par Airbus ou Thales Alenia Space – apportant des services de connectivité à très haut débit dans les zones non desservies par les opérateurs terrestres, que nous déployons en Europe, en Afrique et en Amérique.
Un pan spécifique de notre activité concerne les télécommunications en situation de crise et d'urgence, en particulier dans un contexte de catastrophe naturelle. Nos satellites apportent alors des solutions de télécommunications nécessaires et uniques dans les zones dévastées. Dernièrement, nous avons amené des services de télécommunications dans les régions allemandes inondées et dépourvues de télécommunications terrestres fonctionnelles.
Nous pensons que ces activités vont s'accroître et gagner en taille dans les années à venir, en lien avec le besoin universel de connectivité à tout moment, qui s'accompagnera d'ailleurs d'un besoin de connectivité à faible latence. Pour rappel, les satellites géostationnaires opèrent à 36 000 kilomètres d'altitude. Dans la mesure où les ondes se propagent à une vitesse de 300 000 kilomètres par seconde, 0,1 seconde est nécessaire pour parcourir la distance entre le sol et l'orbite géostationnaire, ce qui signifie un temps de latence de 0,4 seconde pour poser une question et obtenir une réponse. Si cette latence est imperceptible pour de nombreux usages, elle s'avère tout de même significative dans l'utilisation des satellites géostationnaires. L'avantage est que les réseaux du futur seront de plus en plus optimisés pour la faible latence, qui est d'ailleurs le concept sur lequel repose la 5G. Pour amener des services de télécommunications dans le monde entier et connecter les populations des zones reculées ou inaccessibles par les réseaux terrestres, nous devons proposer des services à faible latence, ce qui nécessite de s'appuyer sur des constellations en orbite basse. Celles-ci offrent le double bénéfice de tourner par rapport au sol – elles ne sont pas géostationnaires – et d'afficher un temps de latence infinitésimal – inférieur à la fibre. Il est ainsi possible de connecter – à haut débit et avec une faible latence – l'ensemble du globe au cloud et à la 5G, ce qui sera le sous-jacent de la croissance économique et sociale des télécommunications par satellite. Cette voie est absolument majeure pour les activités civiles et militaires.
Il convient toutefois d'avoir à l'esprit que les fréquences pour les constellations en orbite basse sont très peu nombreuses. Selon le consensus de marché, seulement quatre ou cinq constellations mondiales en orbite basse pourront coexister. Elon Musk se déploie avec sa constellation Starlink, Jeff Bezos se déploie avec sa constellation Kuiper et Telesat – entreprise canado-américaine cliente de Thales – complète son financement. Toutes les places sont en train d'être prises. De son côté, Eutelsat a investi dans le projet anglo-indien OneWeb financé par l'État britannique – dont ce n'est pas la tradition – et par le géant indien des télécommunications Bharti. Nous sommes parvenus à obtenir une participation de co-contrôle, ce qui nous a permis de planter un drapeau français et européen sur cette constellation en orbite basse. Nous continuerons donc à investir pour disposer d'une constellation en orbite basse permettant de servir de relais de croissance économique à notre activité.
Par ailleurs, Eutelsat est aujourd'hui le principal partenaire du département de la défense américain (DoD) pour ses missions de télécommunications. Ce département a pour tradition de s'appuyer à la fois sur des services souverains – le programme de satellites militaires Wideband Global SATCOM (WGS) – et des flottes commerciales d'opérateurs de confiance. Nous amenons ainsi des services dans les zones mal couvertes par les satellites militaires américains, grâce à des positions orbitales de premier ordre au Moyen-Orient, en Afrique, dans la zone russe, dans la zone turcophone. Nos ressources sont très intéressantes pour des usages civils, mais aussi pour des ouvrages gouvernementaux. De la même manière, nous avons pour ambition d'être perçus comme un opérateur de confiance en France et d'apporter nos services à nos armées et aux armées de l'Union européenne, en complément des services souverains, de manière à permettre une redondance ou une extension de services. Nos satellites sont certes moins défendus que les satellites militaires, mais ils sont aussi beaucoup moins chers, ce qui permet d'amener des services de complément aux services critiques. Nous ignorons ce que les Américains font de nos capacités, mais selon ce qu'ils nous rapportent, une très grande partie des capacités de télécommunications que nous leur vendons servent au moral des troupes en dehors des situations de combat : Netflix, YouTube, Skype, etc.
Ce que je décris sera encore plus prégnant avec la constellation en orbite basse dont nous sommes en train de prendre le co-contrôle, étant entendu que OneWeb est un actif relativement unique et irremplaçable. D'autres projets portés par d'autres institutions existent, mais ils sont dépourvus de la qualité de fréquence de OneWeb, qui sera la première constellation déployée avec un portefeuille aussi large et disposant d'une priorité absolue. Ces fréquences pourront fournir des services larges, sans risque d'interférence par un opérateur respectueux du droit international en la matière.
Avec notre prise de co-contrôle, l'actif OneWeb est devenu un actif européen, fabriqué par Airbus et lancé par Arianespace. Il s'agit d'un actif extrêmement rare et compétitif dans le monde qui s'annonce, dans lequel les télécommunications mondiales à faible latence seront une source très précieuse. D'ailleurs, toutes les autres constellations seront probablement sous drapeau américain.