Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 22 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, Vice-présidente de la mission d'information)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous ouvrons cette table ronde consacrée aux risques pesant sur les satellites de télécommunications. L'espace extra-atmosphérique est en effet devenu un enjeu majeur de la politique internationale et des relations entre les puissances. Une part croissante des flux numériques transite par les satellites, qui constituent des maillons particulièrement vulnérables. Quelles sont les activités vitales pour notre pays – civiles et militaires – qui dépendent des satellites ? Quelles sont les menaces actuelles et les menaces futures ? Comment améliorer notre résilience face à ces menaces au niveau national et européen ?

Permalien
Général Michel Friedling, commandant de l'espace

La résilience constitue l'un des principaux sujets de préoccupation de nos armées. Le mot est cité à plusieurs reprises dans le document issu de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, comme dans la stratégie spatiale de défense. La résilience peut reposer sur l'agilité comme sur la robustesse et la redondance des systèmes, réseaux et équipements critiques. Elle dépend des leviers que le commandement exerce sur les organisations pour garantir la sûreté, la continuité et la réactivité nécessaires aux opérations et à la préparation opérationnelle.

J'articulerai mon propos de la manière suivante : rappel du contexte ; rappel des fondements de la stratégie spatiale de défense ; réponses aux questions relatives à la résilience, qui constitue un sujet d'attention pour le domaine spatial en particulier.

Pour ce qui relève du contexte, je rappellerai quelques éléments de notre stratégie spatiale de défense. L'espace est essentiel à notre mode de vie et à notre économie. Il irrigue aujourd'hui l'ensemble des secteurs de l'activité humaine : environnement, éducation, développement, agriculture, énergie, santé, mobilité, prévention des risques et des catastrophes naturelles, gestion des ressources, infrastructures. Il n'est pas un domaine où l'espace ne joue un rôle croissant et souvent essentiel. D'ailleurs, l'économie spatiale, évaluée à 370 milliards de dollars en 2020, pourrait représenter de 1 000 à 3 000 milliards de dollars en 2040. L'espace représente aujourd'hui, selon la Commission européenne, 250 000 emplois directs et indirects. Une autre étude de la Commission européenne indique par ailleurs que plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB) de l'Union – soit plus de 1 000 milliards d'euros – dépendraient des services spatiaux et qu'un million d'emplois dépendent des systèmes de navigation satellitaire.

Le contexte est également marqué par le bouleversement du paysage spatial. Le nombre de pays ayant immatriculé un satellite ou opérant un satellite actif a été multiplié par deux en moins de quinze ans, tandis que le nombre de satellites opérationnels a été multiplié par deux en moins de deux ans – 1 800 en fin d'année 2018, près de 4 000 en fin d'année 2020. Plus de 1 300 satellites ont été mis en orbite en 2020, soit dix fois plus qu'il y a dix ans, et nous en attendons potentiellement 20 000 dans les dix prochaines années. L'exploitation des corps célestes devient ainsi un vrai sujet. Les Américains ont signé un Space Act en 2015, ainsi que les accords Artémis avec des partenaires étrangers. Le ravitaillement de la station spatiale internationale est aujourd'hui effectué par des sociétés privées, tandis que de nouveaux acteurs privés – dont les plus connus sont Elon Musk et Jeff Bezos – bouleversent le paysage. J'en profiterai pour rappeler qu'Elon Musk était presque, au milieu des années 2000, un sujet de plaisanterie dans l'industrie spatiale. Aujourd'hui, il est l'un des acteurs les plus innovants et les plus redoutés, après avoir verticalisé l'ensemble des capacités spatiales, du lancement aux communications à haut débit en passant par la fabrication et le déploiement des satellites, sans oublier le vol habité que les Américains avaient sous-traité aux Russes depuis la fin de la navette spatiale. L'espace entre ainsi dans son deuxième âge.

Par ailleurs, il convient de rappeler que les capacités spatiales sont essentielles à notre autonomie stratégique et à nos opérations militaires, du niveau stratégique au niveau tactique, en fournissant de l'aide à la décision, des communications sécurisées à haut débit, des services de navigation et de positionnement précis et sécurisés. Communiquer, voir, entendre, cibler, naviguer, frapper un objectif : tout ceci est permis par l'espace pour nos 17 000 militaires répartis sur trente sites en opérations extérieures, en force de souveraineté, en force prépositionnée ou en déploiement naval. L'espace jouera un rôle essentiel pour connecter l'ensemble des plateformes et senseurs des systèmes de combat collaboratif du futur aujourd'hui en développement. Il s'agit d'un milieu à part entière, reconnu comme tel, avec ses spécificités et sa singularité, par la Revue stratégique de 2017, par la stratégie spatiale de 2019, par l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) en 2019 et au sommet de Bruxelles de juin 2021, qui l'a reconnu comme un domaine de confrontation possible avec l'invocation possible de l'article 5 en cas d'agression dans l'espace.

Ce milieu, où s'exerce une vive compétition stratégique, est caractérisé par des risques – non intentionnels – et des menaces – intentionnelles. J'évoquerai ici deux risques, liés à la météo solaire et aux débris spatiaux. Les risques de météo solaire se concentrent sur les éruptions solaires, qui sont déclenchées par une accumulation d'énergie magnétique et qui peuvent provoquer des fluctuations électromagnétiques perturbant le fonctionnement des équipements électriques, notamment des satellites de télécommunications, de navigation et de diffusion du temps. Pour ce qui est des débris spatiaux, nous dénombrons aujourd'hui, en orbite, 34 000 objets de plus de 10 centimètres et plus de 900 000 objets de plus de 1 centimètre, qui constituent un défi majeur. Les menaces prennent quant à elles la forme d'actions hostiles dans l'espace ou contre les capacités spatiales, avec des effets réversibles ou non, que nous qualifions de menaces co-orbitales : menaces cyber, de renseignement, d'interception ; brouillage, neutralisation ou destruction à l'aide d'armes à énergie dirigée ; satellites saboteurs. Ces menaces peuvent émaner de satellites ressemblant à des satellites civils, ce qui rend les actes extrêmement difficiles à caractériser et à attribuer. Enfin, les menaces les plus spectaculaires proviennent des missiles antisatellites dont certaines nations se sont dotées.

La stratégie spatiale de défense a été souhaitée par le Président de la République en juillet 2018, l'espace étant considéré comme un enjeu de sécurité nationale. Cette stratégie élaborée sous l'autorité de Mme Florence Parly, ministre des armées et publiée en 2019, vise à répondre aux menaces émergentes et à défendre nos intérêts spatiaux. Elle vise également à saisir toutes les opportunités pour construire notre autonomie stratégique, en capitalisant sur le meilleur de notre modèle industriel et du New Space et en élargissant les coopérations. Elle prévoit une feuille de route en quatre axes : une nouvelle doctrine pour les opérations militaires spatiales ; une nouvelle ambition en matière de capacités ; le développement de l'expertise spatiale ; l'adaptation de la gouvernance avec la création du commandement de l'espace.

Dans le domaine spatial, notre stratégie de résilience repose sur trois piliers : une organisation et une gouvernance robustes ; des coopérations internationales ; une stratégie capacitaire adaptée.

S'agissant de l'organisation et de la gouvernance robustes, la création du commandement de l'espace répond en soi à une volonté d'efficacité, de cohérence et de robustesse. Par ses missions, le commandement de l'espace exerce le contrôle opérationnel des plateformes spatiales militaires et des capacités militaires concourant aux mesures de préservation de la liberté d'accès et de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique. Il met en œuvre le centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales menées dans un cadre national, interallié ou international. Le regroupement des fonctions de contrôle, de conduite des opérations de surveillance de l'espace, de sûreté spatiale, d'opération de nos capacités spatiales dans un site sécurisé contre des menaces physiques ou immatérielles et disposant de redondances raisonnables constitue un élément essentiel de la résilience de notre architecture spatiale de défense. C'est tout l'objet de l'opération d'infrastructure décidée par la ministre, qui doit conduire à disposer, en 2025, d'un centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales militaires basé à Toulouse. L'adaptation du droit spatial national participe également des diverses solutions pour la résilience globale de notre dispositif. À la suite du rapport d'un groupe de travail interministériel et à l'habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance, la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales sera modifiée d'ici à l'été 2022.

En matière de coopération, la stratégie spatiale de défense évoque la nécessité « d'un dialogue approfondi avec nos partenaires européens et transatlantiques dans les domaines stratégiques et politiques, d'une coopération accrue avec nos alliés afin d'améliorer la résilience de nos capacités spatiales et de garantir la continuité des missions qu'elles permettent d'assurer ». La coopération dans le domaine spatial militaire est doublement bénéfique. D'une part, elle permet d'assurer notre interopérabilité, soit la capacité à opérer ensemble, à échanger des informations, à connecter nos systèmes et à partager des capacités. D'autre part, elle permet de mettre en place des solutions pertinentes mutuellement efficaces pour réduire les risques pesant sur nos moyens respectifs. Enfin, elle permet de renforcer notre capacité de réaction face aux menaces émergentes. À ce titre, la coopération spatiale est un vecteur indissociable de notre stratégie de résilience.

La stratégie capacitaire a quant à elle été récemment validée par la ministre des armées dans un dossier d'orientation décliné dans un programme à effet majeur intitulé Action et résilience spatiales (ARES). La maîtrise de l'espace désigne l'ensemble des actions visant à conserver notre liberté d'appréciation, d'accès et d'action dans ce milieu et à garantir le contrôle, la disponibilité, la sûreté et la sécurité des capacités nationales ou d'intérêt national pour préserver la fourniture des services spatiaux en appui aux autorités gouvernementales et aux opérations militaires.

J'introduirai ici la notion de système spatial militaire, qui renvoie à un ensemble de capacités spatiales du ministère des armées, quelles qu'en soient les modalités. Il comprend trois cercles : un cœur souverain ; un cœur étendu ; un complément capacitaire. Le cœur souverain est composé de l'ensemble des capacités – y compris le réseau de commande des satellites – détenues et opérées par le ministère, éventuellement avec l'appui d'opérateurs de confiance. Le cœur souverain doit être disponible quelles que soient les circonstances, robuste, et son accès doit être garanti et protégé. Ce premier cercle assure la continuité des opérations dans les délais prescrits par les contrats opérationnels. De son côté, le cœur étendu est composé de capacités offertes par des services émanant d'opérateurs de confiance, ou via des coopérations, mais qui n'appartiennent pas au ministère. Enfin, le complément capacitaire enrichit le cœur souverain en temps de paix et en temps de crise, mais sans garantie d'accès. Il s'agit de l'accès à certains services civils ou à certaines coopérations.

J'en profite pour insister sur la notion d'opérateur de confiance. Comme l'indique la stratégie, la dualité intrinsèque du secteur spatial et la nécessité de développer des partenariats formels avec des entreprises disposant de moyens pouvant contribuer à la suppléance, la résilience ou la redondance des systèmes patrimoniaux des armées incite à définir la notion d'opérateur de confiance sur la base de critères tels que la disponibilité, l'intégrité des données fournies ou la confidentialité.

Nous avons articulé cette maîtrise de l'espace autour de trois effets militaires : la défense de nos capacités spatiales militaires nationales ou d'intérêt national ; l'optimisation de l'opérationnalité du système spatial national, qui recouvre la capacité à assurer le soutien aux activités spatiales ; l'accroissement de la résilience des capacités spatiales militaires nationales, qui recouvre l'aptitude à garantir en toutes circonstances la continuité de nos missions.

Au plan technique, la résilience des capacités spatiales nationales repose sur trois piliers.

Premièrement, la distribution des architectures, avec des plateformes dans une architecture répartie, multi-orbites, maillée et multi-missions démultipliant les effets et les performances opérationnels ; autrement dit, une architecture qui, à travers le nombre et le type de satellites, offrira le meilleur compromis entre les exigences de mission et celle de la résilience.

Deuxièmement, la redondance des capacités par le recours à des coopérations ou des services commerciaux permettant de pallier toute atteinte aux capacités militaires patrimoniales fragilisant le cœur souverain.

Troisièmement, la reconstitution des capacités spatiales, qui repose sur la capacité à reconstituer, par des lancements réactifs, une continuité de service au profit des forces déployées, notamment avec des petits satellites en orbite basse.

Le recours à des constellations de petits satellites permettra d'améliorer notre capacité militaire et notre résilience. Dans ce contexte, par leur couverture globale, les applications de type internet des objets, répondent à de nombreux cas d'usage pour la défense, mais également à des usages de type flux de combats collaboratifs, qui nécessitent de faibles latences. Par ces usages, les constellations de télécommunications d'orbite basse ou moyenne peuvent répondre à des besoins aujourd'hui insuffisamment satisfaits. Elles bénéficient surtout d'une meilleure résilience intrinsèque par le nombre de satellites mis en œuvre et peuvent ainsi structurer des usages militaires. Leur existence peut offrir une solution de secours en cas d'agression sur nos moyens militaires du cœur souverain. Les liaisons entre les utilisateurs terrestres et les constellations sont par nature plus discrètes que celles qui existent entre le sol et les satellites géostationnaires.

En conclusion, la résilience de nos capacités spatiales militaires nécessite de nous appuyer sur des coopérations, sur une organisation et une gouvernance robustes et sur une stratégie capacitaire adaptée.

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Riadh Cammoun, vice-président en charge des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space

Je vous prie d'excuser l'absence de notre président Hervé Derrey, qui n'a pas pu participer à cette table ronde pour raisons de santé.

Je rappellerai d'abord la place de Thales Alenia Space dans le champ des télécommunications spatiales militaires, avant d'aborder les éléments clés d'un système militaire de télécommunications spatiales, en insistant sur ses constituants, les menaces qu'il rencontre et les mesures permettant de s'en protéger.

Près de 40 % du chiffre d'affaires de Thales Alenia Space provient des activités de télécommunications spatiales. Depuis les années 1980, nous avons conçu et développé, pour les opérateurs civils, des satellites géostationnaires et des satellites en orbite basse. Dans le domaine de la défense, nous avons développé des systèmes complets de télécommunications militaires, dont le système Syracuse apparu dans les années 1990. Le prochain satellite Syracuse 4A – que nous attendons avec impatience – sera lancé dans quelques semaines. Thales Alenia Space a également conçu et développé un système équivalent pour la défense italienne – SICRAL – et a participé au programme de télécommunications européen de défense avec Airbus.

Thales Alenia Space est membre à part entière de la base industrielle et technique de défense (BITD), de par son activité de télécommunications spatiales militaires. Une grande majorité des activités de télécommunications de Thales Alenia Space concerne les activités de charge utile de télécommunications et est basée en France. À titre d'exemple, un satellite géostationnaire produit dans nos usines est fabriqué aux trois quarts en France, ce qui permet de drainer un large tissu de PME et de laboratoires. Nous assumons également, au niveau mondial, un rôle actif dans les constellations en orbite basse, puisque nous avons développé, depuis la fin des années 2000, Globalstar, O3b, Iridium Next, et avons été récemment sélectionnés pour le programme Telesat Lightspeed.

Bref, les systèmes de télécommunications sont au cœur de l'activité de Thales Alenia Space, désormais l'un des leaders mondiaux des télécommunications par satellite.

J'aborderai maintenant la résilience des systèmes spatiaux militaires de télécommunications de type Syracuse, en détaillant les menaces auxquelles ils sont soumis, ainsi que les protections permettant de les contrer.

Syracuse est le pilier capacitaire du système de forces « commandement et maîtrise et de l'information ». Il est indispensable à la performance opérationnelle des quatre autres systèmes de forces. Dans le cadre de ses engagements opérationnels, la conduite des forces armées nécessite la mise en œuvre d'un système de télécommunications interconnectant les centres de décision et les théâtres d'opération, ainsi que les entités opérationnelles déployées, quelles que soient les circonstances, y compris en environnement brouillé. Le système Syracuse – et les systèmes MILSATCOM en général – contribue directement à la supériorité opérationnelle de nos forces par une capacité garantie, flexible et résiliente. Ces améliorations successives depuis les années 1990 ont permis de satisfaire ce besoin opérationnel en croissance permanente, en termes de capacités, mais aussi en intégrant le besoin de connexions en mouvement, notamment pour le domaine opérationnel terrestre et aéronautique. À titre d'illustration, les premières générations de satellites Syracuse ne délivraient que quelques kilobits, contre des centaines de mégabits pour les générations actuelles, tandis que les satellites Syracuse 4A et 4B développés avec Airbus délivreront chacun 4 gigabits, en lien avec le besoin de connectivité croissant de ces systèmes.

Un système MILSATCOM est constitué de deux segments : le segment spatial, avec des satellites souverains délivrant une capacité de télécommunication à l'ensemble des théâtres d'opérations, quel que soit le domaine d'emploi ; deux types de segments sol : un premier segment constitué des centres basés en métropole, qui assurent la gestion, la résilience et la sécurité du système ; un second segment constitué des stations utilisatrices déployées sur les théâtres d'opération.

Les menaces auxquelles un tel système est exposé sont multiples : brouillage, intrusion ou déni de service pour le segment sol, venant du sol ou de satellites tiers ; menaces en haute altitude ou en orbite générées par des objets spatiaux hostiles. Au niveau du segment sol, les centres métropolitains et les stations de réception utilisées sur les théâtres d'opération sont exposés au brouillage, mais aussi au risque cyber.

Face à ces menaces, les protections sont multiples. Au niveau du segment spatial, les satellites sont dotés d'une protection capable de résister aux explosions nucléaires de haute altitude et d'antennes actives résistant au brouillage. De plus, face aux nouvelles menaces en orbite, Thales Alenia Space a engagé, avec le ministère des armées, le développement de solutions indispensable à la protection des satellites. Ainsi, les satellites Syracuse 4 seront dotés d'un système de détection contre d'éventuelles approches par des objets spatiaux hostiles. Au niveau du segment sol, les centres métropolitains sont situés sur des emprises militaires particulièrement protégées, tandis que les stations utilisées par les forces sur les théâtres d'opération sont robustes à l'environnement opérationnel et dotées de moyens antibrouillage qui complètent les systèmes résilients embarqués sur les satellites souverains. Bien évidemment, l'ensemble du système est protégé contre la menace cyber. En résumé, l'objectif de ces mesures de protection est de disposer d'une capacité résiliente de télécommunications au profit des forces et des centres de décision, quelles que soient les circonstances opérationnelles.

Le savoir-faire technologique constitue un autre point crucial. La protection et la résilience du système reposent sur des capacités industrielles uniques en France, situées au sein du groupe Thales et chez nos partenaires industriels, où nous développons, pour le ministère des armées, les spécificités militaires des systèmes de télécommunications par satellite. Dans ce domaine, la France a atteint le plus haut niveau mondial, comparé aux solutions développées notamment outre-Atlantique. La résilience d'un système militaire de télécommunications par satellite peut aussi être appréhendée à l'aune du New Space ou du Next Space, qui renvoie à ce que pourraient apporter les constellations de télécommunications en orbite basse.

Pour conduire l'analyse sur le juste mix capacitaire entre les satellites géostationnaires et non géostationnaires, il convient de revenir à l'approche capacitaire adoptée par les pays de l'OTAN et par le ministère des armées : cœur souverain, cœur étendu, cœur augmenté. Les constellations commerciales aujourd'hui disponibles sur le marché sont non souveraines et n'ont pas été conçues pour être résilientes aux agressions militaires. Elles sont donc uniquement de nature à compléter le noyau souverain constitué des capacités militaires souveraines et doté de protections idoines pour résister aux environnements de conflit. Rendre une constellation de télécommunications en orbite basse aussi résistante que les satellites militaires serait probablement hors de portée budgétaire. Toutefois, afin d'analyser la possible insertion de certaines d'entre elles dans les noyaux augmentés, voire étendus, le ministère des armées a décidé de lancer dès cette année une étude sur le sujet. Dans ce contexte, les puissances spatiales de l'OTAN, qui ne se priveront pas d'utiliser les services des constellations commerciales pour certains de leurs besoins, ont engagé des programmes de renouvellement de leurs satellites militaires de télécommunication en orbite géostationnaire. C'est le cas du Royaume-Uni avec les satellites SKYNET6 développés par mes collègues d'EADS, de l'Espagne avec le satellite SPAINSAT codéveloppé par Thales Alenia Space et Airbus, ou de l'Italie avec son programme SICRAL3. La France n'est pas en reste, puisque le législateur a inscrit dans la loi de programmation militaire l'acquisition d'un troisième satellite Syracuse 4 devant être opérationnel à la fin de la décennie.

Cette résilience sera aussi augmentée par les travaux en cours et prévus sur les réseaux protégés terrestres, comme les réseaux SOCRATE ou DESCARTES développés par Thales. En effet, ces réseaux de télécommunications s'avèrent indispensables pour permettre au système satellitaire Syracuse de communiquer avec les centres de décision en métropole. De même, la résilience des systèmes en orbite sera renforcée au fur et à mesure que le programme à effet majeur ARES avancera et apportera des moyens au sol et dans l'espace venant améliorer les capacités de la France pour mieux connaître le trafic spatial, se protéger des agressions et dissuader de potentiels agresseurs.

Pour répondre aux besoins de télécommunications des forces, le ministère des armées – comme toutes les puissances spatiales de l'OTAN – s'appuie sur ce cœur souverain basé sur les satellites géostationnaires militaires, qui sont résilients et conçus pour résister aux menaces militaires. Dans le même temps, il doit tirer le meilleur de la dynamique du Next Space pour répondre à ses besoins de communication avancée. Grâce au soutien du centre national d'études spatiales (CNES) et de la Direction générale de l'armement (DGA), Thales Alenia Space et Thales travaillent pour développer le système de satellites Syracuse en les rendant résilients aux agressions du théâtre d'opération. Cette capacité industrielle à répondre de manière autonome aux besoins des forces armées est, à mes yeux, une contribution essentielle à la résilience globale du système de défense. La maîtrise d'un tel savoir-faire dans nos usines sans dépendre d'une nation tierce pour l'approvisionnement d'une technologie clé doit être préservée dans la durée.

Enfin, cette capacité sera encore mieux préservée dans les années à venir avec le lancement et le développement de nouveaux grands programmes spatiaux opérationnels, comme Syracuse 4C au niveau français ou encore la constellation européenne de télécommunications proposée par le commissaire Thierry Breton. Le lancement de ces grands projets s'avère essentiel pour améliorer notre indépendance et notre souveraineté technologique et se rapprocher de l'objectif d'un accès illimité aux technologies de pointe permettant la résilience souhaitée à des prix maîtrisés.

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Jean-Marc Nasr, président d'Airbus Space Systems

La réalité d'aujourd'hui est que l'espace est devenu un élément clé de notre souveraineté, dans les domaines militaire et civil. Chacun d'entre nous fait appel plusieurs fois par jour aux technologies spatiales, dont il serait aujourd'hui impossible de se passer. Le rôle de l'espace demeure clé et s'intensifie dans les domaines du renseignement, de la navigation et des télécommunications.

Comme vous le savez, la France vient de décider, avec l'Espagne et l'Allemagne, le lancement du programme Système de combat aérien du futur (SCAF), système de défense aérien qui remplacera les systèmes actuels à l'horizon 2040. Il s'agit de pouvoir lancer des opérations en territoire hostile, loin du territoire national, de manière totalement autonome, et de pouvoir interagir entre différents effecteurs – avions de chasse, drones, éléments au sol – de manière totalement sécurisée. En l'occurrence, seul l'espace pourra garantir cette possibilité, et le SCAF ne pourra se construire sans lui. À ce stade, l'incrément 1B décidé par les différents États parties ne concerne que le chasseur du futur et le cloud de combat, mais la partie spatiale sera absolument indispensable pour connecter, dans le cadre d'une opération conjointe, un ravitailleur, un A400M et un avion de chasse

Sur le plan commercial, Airbus sera demain confronté au challenge de l'avion à pilote unique, voire de l'avion télépiloté. Il s'agira de connecter le cockpit de l'avion avec le sol, de manière sécurisée et pérenne, dans le cadre d'un vol commercial. Cette connexion pérenne entre le sol et l'avion nécessitera une liaison sécurisée, totalement maîtrisée, qui reposera nécessairement sur des liaisons spatiales, puisqu'il est illusoire de penser que de simples liaisons au sol suffiront. L'aviation de demain sera beaucoup plus économe en carburant, elle devra optimiser les routes, et les aéronefs devront communiquer entre eux et avec le sol. Pour disposer d'une certification aéronautique pour un équipement spatial qui connectera un avion, il conviendra de passer par l'agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), et cette certification sera extrêmement coûteuse. Les systèmes satellitaires interconnectant les aéronefs disposeront nécessairement d'un niveau de protection équivalent à celui offert dans le domaine militaire.

Lorsque j'ai commencé ma carrière chez Airbus il y a trente ans, les frontières étaient particulièrement marquées entre l'aéronautique, le spatial et le militaire, qui fonctionnaient tous en silo. Désormais, ces domaines sont pleinement intégrés, et nous faisons en sorte que les moyens développés dans les différents axes de la société soient au service de nos clients, qu'ils soient militaires ou civils.

De leur côté, les Américains ont lancé la constellation commerciale Starlink, qui n'a de cesse de se développer. En parallèle, la Space Development Agency – nouvelle entité créée par les États-Unis – a lancé sa propre constellation : la couche Transport, qui permettra de connecter les actifs militaires américains de manière sécurisée ; la couche Tracking, qui permettra de détecter des départs de missile et d'initier des actions particulières. Les Américains adoptent ainsi une approche totalement pragmatique en réutilisant ce qui existe dans le commerce. Par exemple, toutes les communications laser entre satellites sur la couche Transport seront fournies par Airbus, et nous devrons d'ailleurs nous organiser pour produire aux États-Unis. Les Américains ne s'appuieront pas sur une constellation commerciale pour ce travail militaire, mais ils réutiliseront des éléments satellitaires du civil pour leur application commerciale. Si l'idée n'est pas de suivre les Américains, nous pouvons considérer que cette approche est bonne et source d'économies pour le contribuable.

Pour ce qui est de la résilience nationale, Airbus a développé une base de données interne des risques et menaces pesant sur l'espace. Cette base composée de plus de 150 articles soutient notre politique de produits dans l'activité spatiale. Dès le design d'un satellite, nous nous appuyons sur cette base pour définir le satellite le mieux à même de résister. En 2019, nous avons organisé un wargame intitulé Sword, avec l'appui d'ArianeGroup et de la fondation pour la recherche stratégique (FRS), afin de réfléchir aux applications de ces menaces et aux moyens de s'en prémunir. Notre base de données a par ailleurs été présentée à la DGA, en particulier sur le volet des menaces potentielles. Cette base évolue en permanence, à l'instar des menaces – l'ingéniosité des attaquants est sans limites –, ce qui nous permet de définir les produits de demain.

En l'occurrence, la deuxième génération de satellites de télécommunications est constituée de satellites flexibles qui peuvent être reprogrammés en orbite depuis le sol. De fait, de nouvelles menaces doivent être prises en compte, par exemple ce que pourrait entreprendre un attaquant qui détournerait – de manière subtile – un satellite à son profit, sachant que ces satellites flexibles permettront de connecter des mobiles de manière dynamique, ce qui signifie qu'un avion reliant Paris et Washington pourra être suivi par un faisceau du satellite de manière à garantir la communication tout au long du trajet. Imaginez ce qu'il adviendrait si ce faisceau était transformé et mis en échec !

Bien évidemment, nous travaillons à la cyber-protection de ces éléments, par le biais de la lutte informatique défensive appliquée au spatial. Avec les huit grandes sociétés de la BITD, nous avons signé une convention avec le ministère des armées pour renforcer la sécurité de nos systèmes. Nous mettons également l'accent sur la sécurité des systèmes d'approvisionnement, puisque nos fournisseurs doivent être aussi protégés et fiables que nous le sommes. Imaginez ce qu'il adviendrait si un fournisseur nous livrait un équipement non fiable que nous embarquerions dans l'un de nos satellites. Nous sommes donc très vigilants quant à la résistance de notre supply chain.

Un satellite est exposé à différents types de risques : brouillage depuis le sol ou l'espace, attaque frontale via une arme antisatellite – certains pays ont effectué des démonstrations en orbite et ont fortement communiqué sur le sujet, ce qui est loin d'être anodin. Si l'espace devenait un territoire de conflit avec des attaques frontales entre satellites, nous nous retrouverions avec un nombre incommensurable de débris en orbite, rendant l'espace orbital inhabitable durant trente ou trente-cinq ans. Dans ce cas, nous pourrions ne plus avoir accès à l'espace, et tout ce que nous préparons disparaîtrait. Dans la mesure où une telle extrémité entraverait les capacités de tous les acteurs, nous pouvons supposer qu'un certain autoéquilibre se mette en place. En revanche, un terrorisme aveugle ne s'embarrasserait pas de ce type de considération. C'est le risque systémique qui pourrait mettre nos industries et nos moyens militaires à genoux.

Cette prolifération et ces difficultés nous conduisent à nous remettre continuellement en question, avec nos partenaires industriels, avec le ministère des armées, mais aussi avec nos partenaires européens et internationaux.

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Rodolphe Belmer, directeur général d'Eutelsat

Eutelsat est un opérateur mondial de télécommunications par satellite, dont seulement 5 % du chiffre d'affaires est réalisé en France. Nous faisons fonctionner une flotte d'une quarantaine de satellites géostationnaires croisant à une altitude de 36 000 kilomètres, orbite à laquelle les satellites sont en rotation à la même vitesse que la surface du globe. Ce dispositif géostationnaire nous permet de produire des services de télédiffusion et de télécommunications et de les proposer dans les zones non couvertes par les opérateurs de télécommunications terrestres : zones à faible densité de population, zones difficiles d'accès, avions, bateaux, etc.

J'en profite pour rappeler que la fréquence est l'élément sous-jacent de tout ce qui a été présenté lors de cette table ronde. La technologie et sa sécurisation sont évidemment essentielles, mais le portefeuille des fréquences – qui permet d'opérer des services de télécommunications en orbite et au sol – s'avère tout aussi crucial. La disposition de fréquences en orbite est majeure pour développer des services. En l'occurrence, Eutelsat dispose aujourd'hui d'un portefeuille de fréquences parmi les plus importants au monde, qui est géré par Eutelsat et l'agence nationale des fréquences (ANFR).

L'activité de télécommunications des opérateurs de satellites s'accroît à mesure que se développe le besoin de connectivité dans les zones à faible densité. La connectivité est au XXIème siècle ce que l'électricité fut au XXème. À tout moment, nous devons connecter le monde entier pour déployer des services de connectivité, résoudre la fracture numérique et apporter des services de communication et d'accès aux applications métier stockées sur le cloud. C'est la stratégie technologique vers laquelle s'oriente Eutelsat, avec des investissements majeurs dans des satellites de télécommunications – fabriqués par Airbus ou Thales Alenia Space – apportant des services de connectivité à très haut débit dans les zones non desservies par les opérateurs terrestres, que nous déployons en Europe, en Afrique et en Amérique.

Un pan spécifique de notre activité concerne les télécommunications en situation de crise et d'urgence, en particulier dans un contexte de catastrophe naturelle. Nos satellites apportent alors des solutions de télécommunications nécessaires et uniques dans les zones dévastées. Dernièrement, nous avons amené des services de télécommunications dans les régions allemandes inondées et dépourvues de télécommunications terrestres fonctionnelles.

Nous pensons que ces activités vont s'accroître et gagner en taille dans les années à venir, en lien avec le besoin universel de connectivité à tout moment, qui s'accompagnera d'ailleurs d'un besoin de connectivité à faible latence. Pour rappel, les satellites géostationnaires opèrent à 36 000 kilomètres d'altitude. Dans la mesure où les ondes se propagent à une vitesse de 300 000 kilomètres par seconde, 0,1 seconde est nécessaire pour parcourir la distance entre le sol et l'orbite géostationnaire, ce qui signifie un temps de latence de 0,4 seconde pour poser une question et obtenir une réponse. Si cette latence est imperceptible pour de nombreux usages, elle s'avère tout de même significative dans l'utilisation des satellites géostationnaires. L'avantage est que les réseaux du futur seront de plus en plus optimisés pour la faible latence, qui est d'ailleurs le concept sur lequel repose la 5G. Pour amener des services de télécommunications dans le monde entier et connecter les populations des zones reculées ou inaccessibles par les réseaux terrestres, nous devons proposer des services à faible latence, ce qui nécessite de s'appuyer sur des constellations en orbite basse. Celles-ci offrent le double bénéfice de tourner par rapport au sol – elles ne sont pas géostationnaires – et d'afficher un temps de latence infinitésimal – inférieur à la fibre. Il est ainsi possible de connecter – à haut débit et avec une faible latence – l'ensemble du globe au cloud et à la 5G, ce qui sera le sous-jacent de la croissance économique et sociale des télécommunications par satellite. Cette voie est absolument majeure pour les activités civiles et militaires.

Il convient toutefois d'avoir à l'esprit que les fréquences pour les constellations en orbite basse sont très peu nombreuses. Selon le consensus de marché, seulement quatre ou cinq constellations mondiales en orbite basse pourront coexister. Elon Musk se déploie avec sa constellation Starlink, Jeff Bezos se déploie avec sa constellation Kuiper et Telesat – entreprise canado-américaine cliente de Thales – complète son financement. Toutes les places sont en train d'être prises. De son côté, Eutelsat a investi dans le projet anglo-indien OneWeb financé par l'État britannique – dont ce n'est pas la tradition – et par le géant indien des télécommunications Bharti. Nous sommes parvenus à obtenir une participation de co-contrôle, ce qui nous a permis de planter un drapeau français et européen sur cette constellation en orbite basse. Nous continuerons donc à investir pour disposer d'une constellation en orbite basse permettant de servir de relais de croissance économique à notre activité.

Par ailleurs, Eutelsat est aujourd'hui le principal partenaire du département de la défense américain (DoD) pour ses missions de télécommunications. Ce département a pour tradition de s'appuyer à la fois sur des services souverains – le programme de satellites militaires Wideband Global SATCOM (WGS) – et des flottes commerciales d'opérateurs de confiance. Nous amenons ainsi des services dans les zones mal couvertes par les satellites militaires américains, grâce à des positions orbitales de premier ordre au Moyen-Orient, en Afrique, dans la zone russe, dans la zone turcophone. Nos ressources sont très intéressantes pour des usages civils, mais aussi pour des ouvrages gouvernementaux. De la même manière, nous avons pour ambition d'être perçus comme un opérateur de confiance en France et d'apporter nos services à nos armées et aux armées de l'Union européenne, en complément des services souverains, de manière à permettre une redondance ou une extension de services. Nos satellites sont certes moins défendus que les satellites militaires, mais ils sont aussi beaucoup moins chers, ce qui permet d'amener des services de complément aux services critiques. Nous ignorons ce que les Américains font de nos capacités, mais selon ce qu'ils nous rapportent, une très grande partie des capacités de télécommunications que nous leur vendons servent au moral des troupes en dehors des situations de combat : Netflix, YouTube, Skype, etc.

Ce que je décris sera encore plus prégnant avec la constellation en orbite basse dont nous sommes en train de prendre le co-contrôle, étant entendu que OneWeb est un actif relativement unique et irremplaçable. D'autres projets portés par d'autres institutions existent, mais ils sont dépourvus de la qualité de fréquence de OneWeb, qui sera la première constellation déployée avec un portefeuille aussi large et disposant d'une priorité absolue. Ces fréquences pourront fournir des services larges, sans risque d'interférence par un opérateur respectueux du droit international en la matière.

Avec notre prise de co-contrôle, l'actif OneWeb est devenu un actif européen, fabriqué par Airbus et lancé par Arianespace. Il s'agit d'un actif extrêmement rare et compétitif dans le monde qui s'annonce, dans lequel les télécommunications mondiales à faible latence seront une source très précieuse. D'ailleurs, toutes les autres constellations seront probablement sous drapeau américain.

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Dans la mesure où une mission d'information rattachée à la commission de la défense a spécifiquement traité l'espace comme enjeu militaire, nous tâcherons de nous concentrer sur la résilience nationale. En effet, nous nous intéressons à la manière dont la nation peut faire face à un choc important, en parvenant à faire sans ou à rétablir rapidement le service, compte tenu de la criticité des services apportés par l'espace. En matière de télécommunications, les craintes viennent plutôt des fonds marins et l'espoir vient plutôt de l'espace, sachant que 99 % du trafic mondial passe par les fonds marins, tandis que l'espace demeure à la marge en termes de trafic. Grâce aux innovations technologiques dont vous avez parlé, l'espace apportera un mix technologique plus important et une augmentation des débits, ce qui fait que nous y voyons une piste de résilience importante pour nos réseaux de télécommunications. Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire à partir de quand un accès internet grand public data et voix à coût raisonnable pourrait être fourni par des satellites en orbite basse ?

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Rodolphe Belmer, directeur général d'Eutelsat

Aujourd'hui, nous produisons des services à très haut débit avec nos satellites géostationnaires et nous sommes capables de fournir une solution d'internet par satellite à hauteur de 50 euros par mois pour une vitesse de connexion de 50 mégabits par seconde. Cette proposition de prix est relativement compétitive et globalement en ligne avec les standards de prix du marché au sein de l'Union européenne.

Le sujet est moins mature s'agissant des constellations en orbite basse, notamment du point de vue technologique, puisque les terminaux permettant de recevoir des services de constellation en orbite basse sont, du fait de leur sophistication, relativement coûteux – de l'ordre de quelques milliers d'euros par unité. De fait, nous considérons que la première application des constellations en orbite basse sera professionnelle : nous viserons d'abord les avions, les bateaux, les services de connexion des tours 5G en zone rurale, etc. De son côté, le géant américain Starlink dirigé par Elon Musk vise le marché du consommateur final, avec l'objectif d'amener internet par satellite en orbite basse partout dans le monde. Dans les quelques zones déjà couvertes par sa constellation, Starlink vend son service à hauteur de 100 dollars par mois, avec un coût du terminal de réception de 500 dollars, qu'il subventionne vraisemblablement à hauteur de 1 500 ou 2 000 dollars puisque son coût de fabrication avoisine plutôt 3 000 dollars. Cette stratégie à perte vise à favoriser le déploiement du service. Or pour la grande majorité des populations européennes – et a fortiori des pays émergents –vivant en zone rurale, ce prix demeure inabordable, même avec un coût de production du terminal de réception réduit. Ce n'est que dans dix ans environ que les constellations en orbite basse seront un outil très performant pour viser ce segment de marché, lorsque les coûts de production des terminaux seront plus adaptés à la réalité du marché. Dans l'intervalle, nous nous concentrons sur le marché professionnel, où le prix des terminaux ne constitue pas un frein à l'entrée des clients.

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Je suis récemment tombé sur un reportage sur la fabrication de l'A380 d'Airbus. Je le voyais se fabriquer à Toulouse, en Allemagne, en Angleterre, etc. Que s'est-il passé pour que ce bijou extraordinaire se transforme en échec commercial ? Les compagnies aériennes se sont précipitées sur cet avion, avant de se rétracter, comme dans un rêve qui se transforme en cauchemar. Pouvez-vous nous rappeler l'origine de cet échec ?

Pour en revenir à la question de la résilience, l'un d'entre vous a souligné qu'un cataclysme pourrait paralyser l'espace durant une trentaine d'années. Entre les mains de qui tout ce que nous produisons peut-il finir, et pour quelle finalité ? J'ai conscience que l'espace est vital, qu'il s'agit de la grande aventure de ce siècle, mais je me dois de poser la question.

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Jean-Marc Nasr, président d'Airbus Space Systems

Je ne répondrai pas à la question relative à l'A380, qui concerne directement la partie aéronautique d'Airbus et non la partie spatiale dont je suis responsable.

Pour ce qui est de votre seconde question, vous manifestez votre inquiétude de voir nos réalisations spatiales tomber dans des mains inamicales. D'abord, j'observe que nous sommes au même niveau technologique que les Chinois et les Américains, alors que les moyens investis ne sont pas de même ampleur. Elon Musk est à créditer d'actions formidables, mais c'est aussi notre cas. Mettre entre les mains de l'État-major de l'air et de l'espace – via le commandement de l'air et de l'espace – les moyens de contrôle et d'opération des satellites militaires constitue une garantie, puisque c'est le ministère des armées qui s'assure que la ressource spatiale demeure entre de bonnes mains. En tant qu'industriels, nous donnons à ces satellites les moyens de piloter les menaces qu'ils peuvent rencontrer, mais c'est bien la responsabilité du commandant de l'espace d'opérer ces satellites et d'en prendre le contrôle à l'horizon 2025. Je suis donc absolument rassuré sur le fait que nos satellites militaires ne tomberont pas entre de mauvaises mains. Le risque d'attaque n'est pas à écarter, mais tout est mis en œuvre pour éviter la prise de contrôle de nos satellites.

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Général Michel Friedling, commandant de l'espace

Je ne sais si votre question porte sur le fait de confier les moyens satellitaires civils ou militaires à des personnes responsables. Ce qui est sûr, c'est que nous nous y employons. On a évoqué une possibilité de conflit qui dégénérerait et rendrait l'espace insoutenable pour nos activités, mais je pense que nul n'y a intérêt, et qu'une forme de dissuasion et d'équilibre doit s'instaurer. La stratégie spatiale de défense vise à nous doter d'une capacité de surveillance et de compréhension de l'espace, d'attribution des actes, autrement dit à faire de l'espace un milieu transparent où les actes et comportements irresponsables sont immédiatement identifiés et traités comme tels, éventuellement avec la capacité d'y répondre. Il s'agit bien d'une forme de dissuasion, ou plutôt de découragement. Confier le regroupement et le contrôle des moyens satellitaires au commandement de l'espace – sous l'autorité du chef d'État-major des armées – relève d'une démarche extrêmement responsable.

Par ailleurs, la dynamique internationale découlant de la prise de conscience de ces sujets s'incarne dans la notion de Space Trafic Management. Une réflexion émerge quant à la nécessité d'instaurer des mécanismes et des capacités de régulation du trafic spatial international, avec un volet réglementaire et normatif, mais aussi avec un volet capacitaire. Le commissaire Thierry Breton a d'ailleurs fait du Space Trafic Management un flagship européen, tandis que la France est elle-même extrêmement impliquée dans la sécurisation de ses activités spatiales.

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Ma question suivante concerne l'équilibre entre ce qui est géré de manière souveraine et ce qui est confié à des opérateurs privés. Je suppose que le coût de mise en place d'une constellation en orbite basse est extrêmement important, et que les opérateurs étatiques – notamment les armées – en quête de haut débit et de faible latence basculent de plus en plus de trafic vers des opérateurs privés. Le même mouvement est d'ailleurs observable au sol, puisque la gendarmerie bascule progressivement d'un réseau radio souverain vers des réseaux 4G privés. J'ai bien noté la prise de participation d'Eutelsat dans la constellation OneWeb, dont les satellites sont fabriqués outre-Atlantique. Pour un commandant de l'espace, cette situation est-t-elle satisfaisante ? Avez-vous encore l'espoir que les Européens puissent disposer de leur propre infrastructure souveraine ? Sinon, pensez-vous que nous devrons utiliser une infrastructure privée, au risque de nous soumettre à des infrastructures non durcies et à de potentielles dépendances à des volontés tierces sur l'utilisation de ces réseaux ?

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Général Michel Friedling, commandant de l'espace

Notre approche, je l'ai dit, s'appuie sur trois cercles concentriques : un cœur souverain, durci, protégé, souvent patrimonial, acquis et possédé par le ministère des armées ; un cœur étendu reposant sur des services et capacités fournis par des opérateurs de confiance ; un cercle capacitaire permettant d'apporter des capacités complémentaires, dont l'accès est moins garanti. Pour le cœur souverain, nous retrouverons Syracuse 3 et son futur successeur Syracuse 4. Pour le cœur étendu, nous retrouvons des coopérations sur des satellites de télécommunications avec des partenaires étrangers – SICRAL2 ou Athena-Fidus. Dans le troisième cercle, nous disposons d'un contrat commercial avec des opérateurs nous fournissant des capacités complémentaires.

Le ministère des armées réfléchit évidemment à l'intérêt d'une constellation de connectivité pour les armées, que pourraient justifier un certain nombre de différenciants et d'intérêts militaires. Elle offrirait à nos armées une couverture mondiale donnant accès à des zones insuffisamment couvertes, une résilience intrinsèque très supérieure à ce qu'offrent des satellites géostationnaires comme Syracuse, qui sont à la fois durcis et vulnérables, une évolutivité bien supérieure, des temps de latence très faibles et une capacité à apporter de la connectivité à l'ensemble de nos systèmes de combat. Le représentant d'Airbus évoquait la couche Transport développée par la SDA américaine, qui repose sur le même principe, à savoir une couche de transport pour des applications à usage militaire. Différentes opportunités sont à étudier, notamment la possibilité de localiser des charges de surveillance de l'espace depuis une constellation de ce type. Il s'agit donc évidemment d'un sujet d'intérêt pour le ministère des armées.

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J'ai l'impression que le développement des usages et la précision croissante des capteurs s'accompagneront d'une augmentation de la part du secteur privé, malgré l'augmentation capacitaire de nos satellites militaires de type Syracuse, et que la part positionnée sur le cœur souverain sera de plus en plus faible. J'entends vos précisions sur les possibilités de travailler sur une constellation en orbite basse, mais à quelle échéance pourrions-nous envisager un tel projet, sachant que les places disponibles sont limitées ? Est-il raisonnable d'envisager un tel projet à un horizon de dix ans ?

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Général Michel Friedling, commandant de l'espace

Nous nous intéressons à cette question parce que notre approche capacitaire privilégie, par principe, des architectures plus distribuées, mais aussi parce que le commissaire Thierry Breton porte le flagship de la constellation de connectivité européenne. Dans la mesure où ce projet reste largement à définir, nous examinons les projets équivalents pour en évaluer l'intérêt pour le ministère des armées. Pour répondre plus directement à votre question, les services fournis par des opérateurs de confiance prendront vraisemblablement une part croissante, conformément d'ailleurs à ce qui est demandé par la stratégie spatiale de défense, qui préconise un équilibre différent entre les capacités patrimoniales et les services offerts par ces opérateurs – ce qui exige parallèlement un certain nombre de garanties en termes de disponibilité de service et de robustesse. Par ailleurs, comme nous l'avons expérimenté dans notre exercice spatial AsterX 2021, nous travaillons sur la notion de commercial integration cell, c'est-à-dire de cellule intégrée au centre de commandement des opérations spatiales et militaires au sein de laquelle nos partenaires commerciaux seraient présents pour veiller à la disponibilité des services offerts.

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Riadh Cammoun, vice-président en charge des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space

Autour de cette table, nous sommes tous impliqués dans l'élaboration de ce que pourrait être cette constellation européenne. Nous appartenons en effet à un consortium européen missionné par la Commission européenne pour proposer des schémas d'architecture d'une constellation européenne souveraine permettant de délivrer des services sécurisés européens, ainsi qu'un budget spécifique. Ces éléments doivent être présentés à la Commission en fin d'année et pourraient être constitutifs d'un futur programme annoncé en début d'année prochaine. L'industrie française prend donc toute sa part dans ce projet d'étude.

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Je n'étais pas informé de cette initiative européenne, mais vous m'en voyez rassuré. J'observe toutefois que chaque État se réjouit de posséder un opérateur maison qu'il peut influencer pour sécuriser ses télécommunications.

En guise de conclusion, je souhaiterais vous entendre sur la filière industrielle des lanceurs réutilisables, qui pourrait probablement bénéficier d'un soutien national dans le cadre du plan d'investissement prochainement annoncé. Êtes-vous confiants quant à la capacité des Européens à s'entendre pour prioriser ces lanceurs par rapport à la concurrence mondiale ? J'ai cru comprendre que nous rencontrions quelques difficultés, contrairement aux Américains, à prioriser nos propres lanceurs. Pensez-vous que les prochaines années seront propices à une plus forte intégration européenne permettant d'affronter la concurrence mondiale ?

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Jean-Marc Nasr, président d'Airbus Space Systems

La préférence européenne pour les lancements institutionnels a été actée par les programmes européens. En juillet, les gouvernements français et allemand ont décidé de mettre en place un dispositif par lequel l'Europe garantirait cinq ou six lancements institutionnels par an, ce qui permet à Ariane 6 d'exister et de pouvoir se déployer sur le plan commercial. Cette décision prise par les États doit maintenant être entérinée par l'agence spatiale européenne (ESA) et par les institutions européennes, au dernier trimestre 2021.

Je suis plutôt confiant quant à l'aboutissement de ce projet, ne serait-ce que parce que l'accès à l'espace n'est pas négociable. Personne n'imagine une seule seconde que nous soyons contraints de demander une autorisation de lancement aux Américains, d'autant que ces satellites requièrent parfois des lanceurs lourds, comme Ariane 6. Des lanceurs légers sont également en développement, notamment en Allemagne, sachant qu'ils doivent encore faire leurs preuves en matière de lancement à coût compétitif. En tout état de cause, la capacité à protéger le cœur de souveraineté et à lancer des satellites depuis le territoire européen – la Guyane est un territoire français – n'est pas négociable et ne doit pas être négociée.

De surcroît, nous commençons déjà à tirer parti du plan de relance et de son soutien à la filière hydrogène et à la filière réutilisable – un démonstrateur est d'ores et déjà disponible à Vernon. Il est vrai que le programme Ariane 6 accumule les retards, mais les fondamentaux sont excellents et personne n'imagine que nous pourrions arrêter. Avec ArianeGroup, nous disposons d'un fleuron industriel européen d'un niveau inégalé, auquel j'accorde toute ma confiance en tant qu'actionnaire et citoyen.

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Général Michel Friedling, commandant de l'espace

De mémoire, notre premier satellite opérationnel de télécommunications, Symphonie, a rencontré quelques difficultés pour sa mise en orbite, précisément parce que les Américains refusaient de le lancer, ce qui a finalement contribué à la naissance du programme Ariane. Cet exemple historique témoigne de la nécessité absolue de conserver une garantie d'accès autonome à l'espace.

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Rodolphe Belmer, directeur général d'Eutelsat

Je ne peux que souscrire aux propos précédents, même si je souhaiterais apporter un point de vue différent fondé sur les considérations économiques. Nous achetons 93 % de nos satellites à l'industrie française, à Airbus ou à Thales Alenia Space. En revanche, nous n'achetons que 55 % de nos lancements à Ariane, dans la mesure où nous raisonnons avec une considération d'accès à l'espace. Nous avons en effet besoin d'assurer une diversité de lanceurs pour garantir à chaque instant une option de lancement disponible, de sorte que nos satellites puissent assurer leur mission à nos clients.

Nous soutenons bien évidemment Ariane 6, puisque nous pensons que l'Europe a besoin d'un lanceur lourd compétitif en termes de performance et de prix. Néanmoins, nous sommes quelque peu inquiets de la compétitivité économique des solutions européennes. En effet, les activités de lancement génèrent d'importants coûts fixes, ce qui signifie que le volume annuel de lancements est absolument déterminant pour le prix final du service de lancement. Les acteurs américains intégrés comme SpaceX ou Blue Origin ont compris que l'espace basculait d'une ère industrielle à faibles volumes à une ère industrielle de petites séries, et que les lanceurs devaient produire beaucoup de volume. En lançant deux fois par mois, SpaceX parvient à produire à des coûts relativement maîtrisés. De même, Blue Origin parvient à proposer des prix très compétitifs. De fait, avec les volumes aujourd'hui concédés par les lancements institutionnels, comment Arianespace peut-il durablement afficher une compétitivité prix nous permettant de continuer à l'utiliser autant qu'aujourd'hui ? Nous sommes évidemment très déterminés dans notre soutien à l'industrie européenne, mais nous nous devons d'amener ce sujet sur la table, car l'industrie spatiale européenne – y compris dans les lancements – a besoin d'entrer dans l'ère du volume et de la production de masse pour enregistrer des gains de productivité qui rejailliront sur la compétitivité des opérateurs positionnés au bout de la chaîne de valeur.

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Riadh Cammoun, vice-président en charge des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space

Nous n'obtiendrons cette compétitivité en Europe que si nous bénéficions d'un marché institutionnel européen suffisamment étoffé. D'où l'importance des programmes de la constellation Galileo, de la constellation Copernicus et de la future constellation de connectivité. C'est ce marché institutionnel qui permettra d'augmenter les cadences et d'obtenir une solution compétitive, pour les lanceurs comme pour les satellites.

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Il va de soi que, dans un monde ultra-concurrentiel, nous ne pouvons être durablement souverains qu'en restant compétitifs. J'espère donc que les prochains mois donneront lieu à des annonces nationales sur les lanceurs réutilisables.

En introduction, j'avais fait part de ma confiance quant à la capacité de l'espace à fournir de la résilience grâce au mix technologique venant en complément des autres moyens de télécommunications terrestres. Après cette audition, je repars avec un peu plus de confiance dans la capacité des Français et des Européens à rester dans le jeu, que ce soit par la structuration institutionnelle via le commandement de l'espace, par la vitalité des acteurs industriels ou par la diversité des projets nationaux et européens. J'ignorais totalement, par exemple, les projets de constellation et de préférence européenne portés à l'échelle communautaire. Je suis donc non seulement confiant dans les solutions techniques portées par l'espace, mais également confiant dans notre capacité à rester durablement souverains grâce à l'espace.

La réunion se termine à dix-neuf heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne

Excusé. - M. Alexandre Freschi