Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du vendredi 1er octobre 2021 à 9h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Nous avons deux exigences : contribuer à un haut niveau de sûreté nucléaire et de protection en France et dans le monde et favoriser l'implication des citoyens, à l'ère du renforcement de la démocratie environnementale et du développement numérique.

La sûreté nucléaire englobe les accidents. Cela concerne essentiellement les grosses installations nucléaires, comme les réacteurs ou usines de traitement, mais aussi les transports de matières radioactives, essentiellement représentés par les produits radiopharmaceutiques. Cela concerne également les 35 000 sources françaises, dont 10 % sont considérées comme étant de très haute activité.

La sûreté nucléaire comprend également la protection contre les rayonnements ionisants. Le spectre est assez large. Il ne s'agit pas seulement du gros nucléaire, c'est-à-dire des réacteurs. Cela concerne l'industrie classique, via le recours à la gammagraphie notamment, la recherche ou le domaine médical, à travers les examens diagnostiques et les démarches thérapeutiques. La protection contre les rayonnements ionisants concerne le public, les travailleurs, les patients et bien sûr l'environnement. Il existe également des rayonnements ionisants naturels, tels le radon et les rayons cosmiques. Le premier est responsable de 3 000 décès par an, représentant ainsi la deuxième cause de mortalité par cancer du poumon après le tabac. Concrètement, l'évaluation du risque des rayonnements ionisants correspond à deux métiers : l'expertise et la recherche.

L'expertise consiste à rendre des avis techniques dans le cadre de processus de décision. Ces avis sont rendus à des autorités, des ministères – de la santé, du travail – ou des institutions publiques. Entre 25 et 30 % de l'activité de l'IRSN est adossée à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Nous intervenons aussi pour l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND). L'IRSN a rendu en 2018 un rapport à la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Nous rendons environ cent avis par an, dont la plupart sont publics. Nous vivons actuellement une période de travail intense aux enjeux sans précédent, entre la mise en service de nos installations, la prolongation d'exploitation d'installations existantes et le déploiement des mesures liées à Fukushima. Cette activité d'expertise est véritablement industrielle, au sens où nous disposons d'un processus de production qui se doit d'être particulièrement agile en raison des imprévus réguliers – je pense par exemple au sujet des digues du Tricastin. L'IRSN s'adapte en concertation avec les autorités pour traiter ces sujets. Je reviendrai ultérieurement, de façon un peu plus détaillée, sur les imprévus liés à la crise sanitaire.

L'autre pilier de l'évaluation est la recherche. Cette recherche est finalisée, c'est-à-dire qu'elle a pour objectif de répondre à des questions soulevées par l'expertise, qui s'appuie à son tour sur la recherche. L'IRSN regroupe 250 chercheurs dont 100 post-doctorants. Nous sommes audités par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Nous travaillons en ouverture sur l'extérieur. Nous rendons compte au Parlement, nous interagissons avec de nombreux acteurs français, mais nous sommes aussi fortement impliqués sur le plan international, notamment autour du réseau European Technical Safety Organisations Network (ETSON). L'autre regard extérieur auquel nous nous confrontons est évidemment celui de la société civile, dans le cadre d'une démarche d'ouverture amorcée dès notre création, il y a vingt ans, qui se traduit notamment par des débats publics et des dialogues techniques sur tous les sujets sensibles. En ce moment-même se tient un séminaire avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) sur le thème de la santé et du nucléaire, en lien avec des accidents comme ceux de Tchernobyl ou de Fukushima.

Je souhaiterais vous apporter quelques éléments sur l'expertise en situation de crise. Il s'agit d'éclairer les autorités dans le cadre de processus de décision dans un schéma quelque peu singulier. Pour ce faire, l'IRSN dispose de trois outils.

Il s'agit tout d'abord des moyens. Notre centre technique de crise dispose de moyens de communication et de calcul composés d'une douzaine de logiciels spécifiques. Il dispose également de moyens mobiles pouvant être déployés sur le terrain : dix véhicules santé permettent de vérifier la contamination éventuelle des victimes et des véhicules environnement mesurent le niveau de radioactivité. Nous possédons par ailleurs un réseau permanent de 440 balises nommé Teleray, auquel chacun peut accéder en temps réel via internet. En outre, nous sommes complètement impliqués dans les processus administratifs de gestion de crise et, le cas échéant, je serais amené à rejoindre la cellule interministérielle de crise.

Le deuxième outil est un processus d'expertise qui commence par l'acquisition de données soit de l'opérateur accidenté, en général EDF, soit de Météo-France, puisque la météo représente évidemment un enjeu essentiel. Nous avons développé au fil des années une méthode très efficace, la 3D3P (triple diagnostic et triple pronostic), également adoptée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Le processus d'expertise consiste par ailleurs à interagir avec les opérateurs pour confronter nos évaluations. À l'issue, l'IRSN produit des recommandations pour les autorités.

Enfin, le troisième outil est un dispositif d'alerte opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, reposant sur plusieurs niveaux de mobilisation : une astreinte de 30 experts aptes à rejoindre notre site en moins d'une heure ainsi qu'un vivier de 400 experts dévolus à des postes bien spécifiques pour effectuer des relevés.

Ce processus de gestion de crise fait l'objet d'une réflexion continue à des fins d'amélioration. Par exemple, notre centre de crise, qui est relativement récent, tient compte des enseignements de l'accident de Fukushima.

S'agissant de la gestion de la crise du covid-19 à l'IRSN, nous recensons un peu plus de 200 personnes à avoir été atteintes mais nous avons globalement été épargnés. Nous nous sommes, comme beaucoup, mis au télétravail, dans lequel je pense pouvoir dire que nous avons été résilients, ce qui nous a permis de mener à bien nos missions. Nous avons ainsi rendu le 31 mars 2020 un avis majeur attendu par l'ASN au sujet de la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de quarante ans. Cet avis a synthétisé 200 000 heures de travail et 40 avis précédents. Nous avons également, pendant cette période de pandémie, sollicité notre centre de crise plusieurs fois : une fois virtuellement pour réaliser des évaluations sur les incendies qui entouraient la centrale de Tchernobyl, et deux autres fois sur site, après des incendies survenus sur un réacteur d'une part, et sur le sous-marin La Perle d'autre part. Depuis le 1er septembre de cette année, nous sommes de retour sur la base à raison de deux jours de présence physique par semaine.

La pandémie a permis, chez EDF notamment, un travail important de replanification des arrêts, qui constituent un double enjeu de sûreté. Premièrement, le report des arrêts est source de risques sur le réseau électrique. Ensuite, la perte du réseau électrique est un enjeu de sûreté pour un réacteur nucléaire. Les prestataires ne sont pas toujours disponibles en temps de pandémie, ce qui suscite des questionnements sur la réorganisation de certaines activités. L'IRSN est très attentif à la résorption des écarts de conformité. Nous faisons le constat de la possibilité de délais dans la résorption de ces écarts, le contexte de pandémie montrant l'importance d'une résorption le plus tôt possible. En effet, dans ce contexte particulier, les opérations de remise en conformité sont plus compliquées, du fait de l'indisponibilité de pièces de rechange ou de l'impossibilité de réaliser l'opération elle-même.

Nous nous interrogeons également sur la possibilité d'un cumul entre une urgence nucléaire et la situation de pandémie. Lors de la crise du covid-19, nous avons adapté notre centre de crise. À titre d'exemple, les personnels d'astreinte ont un bipeur afin d'être joignables en permanence. Habituellement, une personne relevée de son astreinte transmet le bipeur à celle qui la remplace mais, cette fois, les employés ont été équipés de bipeurs individuels. Les enjeux sur lesquels nous devons travailler sont les processus de prise de décision en situation de pandémie, puisque les gouvernances sont perturbées, ainsi que l'impact sur les pratiques professionnelles. Se pose la question de la régulation et du contrôle, l'ASN ayant maintenu ses inspections pendant la pandémie, notamment à distance, et l'IRSN appuyant l'ASN dans ses inspections. Se pose également la question de l'interdépendance entre les différents industriels du nucléaire, pour le combustible en particulier, mais aussi avec les autres industriels. Il convient en particulier de réfléchir à ce que nous ferions dans une situation plus sévère.

Je terminerai par la présentation d'un document que nous avons réalisé et qui résonne avec le titre de votre mission. Il s'intitule « Anticipation et résilience : réflexions dix ans après l'accident de Fukushima Daiichi ». Il s'agissait de dresser un bilan destiné à prendre du recul, une décennie après cette catastrophe. Je citerai deux points parmi d'autres.

Premièrement, la sûreté repose sur deux piliers : la défense en profondeur, c'est-à-dire la juxtaposition d'obstacles entre le risque et l'extérieur, et la conformité des installations. Les moteurs de la sûreté sont également au nombre de deux : il s'agit du retour d'expérience et de la recherche. Le retour d'expérience s'avère bien évidemment majeur et, au fil du temps, il a évolué. À ce titre, l'accident de Three Mile Island, premier grand accident nucléaire civil, a constitué un véritable accélérateur de retour d'expérience. D'une perception simplement technique de ces accidents, nous avons évolué vers une perception davantage sociotechnique, tenant compte des aspects humains, managériaux, organisationnels et désormais sociopolitiques, c'est-à-dire impliquant la gouvernance globale du risque.

Nous constatons la nécessité d'élargir le spectre de l'échange d'expériences. La plupart des événements que l'on qualifie de précurseurs ont déjà eu un précédent. Ainsi, l'inondation de la centrale du Blayais constituait, d'une certaine manière, un précurseur de Fukushima, dans la mesure où les conditions réunissaient à la fois un événement multi-réacteurs et des événements climatiques extrêmes. On peut alors s'interroger sur nos capacités à tirer des enseignements de ces accidents. De même, en cas de fuite sur un réacteur nucléaire, l'eau est récupérée au fond de ce dernier pour rejoindre un puisard et être recyclée afin de continuer à le refroidir. Le puisard peut se colmater. En 1992, en Suède, un incident très sérieux s'est produit, qui s'est traduit par une fuite d'eau au fond du réacteur et un colmatage du puisard. Or, en France, on a commencé à s'intéresser à ce problème seulement dix ans plus tard, car ce réacteur était de type bouillant alors que les réacteurs français sont de type pressurisé. Malgré tout, nous aurions pu en tirer des enseignements.

Il faut donc très largement approfondir le champ de retour d'expérience à l'international et aux autres secteurs industriels. Par ailleurs, les nouveaux outils numériques, et notamment l'intelligence artificielle, doivent pouvoir permettre une utilisation bien plus approfondie de la masse énorme d'informations dont nous disposons. À l'IRSN, nous développons actuellement un outil appelé Plateforme intégrée de retour d'expérience (PIREX) qui nous aide à trouver des signaux faibles que nous ne parvenons pas à identifier.

Deuxièmement, nous devons sortir du mythe selon lequel on peut tout prévoir. Aujourd'hui, les personnels doivent respecter les procédures. Or, il s'avère que, dans certaines situations, accidentelles notamment, on se retrouve hors procédures. Il ne s'agit donc plus de suivre celles-ci, mais de faire preuve d'imagination, d'innovation, d'intelligence. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé à Fukushima, où les Japonais ont essayé des techniques tout à fait variées, par exemple en jetant des pompes à incendie dans la piscine par au-dessus, ce qui n'est prévu par aucune procédure. Nous devons donc être capables d'adaptation et d'agilité.

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