La démarche française de sûreté repose, comme je l'ai déjà dit, sur une approche déterministe éclairée par des démarches probabilistes introduites dans les années 1970 par un rapport américain, le rapport Rasmussen. Aujourd'hui, ces approches probabilistes sont devenues une véritable « industrie ». Elles consistent tout d'abord à identifier les différentes bifurcations possibles dans les scénarios, c'est-à-dire les possibilités que l'événement se produise ou non, puis à évaluer selon quelle probabilité.
Il existe de très nombreuses études en marge de cette approche mécanique. En d'autres termes, la recherche doit venir alimenter l'étude probabiliste de sûreté. Il faut, entre autres choses, connaître la physique des accidents. Nous avons pour notre part effectué de nombreuses recherches sur les accidents graves. Il y a vingt ans, l'IRSN a décidé de se lancer dans la création d'un code de modélisation des accidents graves, l' Accident Source Term Evaluation Code (ASTEC), devenue aujourd'hui une référence sur le plan mondial.
Certains pays, à l'image des États-Unis, utilisent beaucoup les études probabilistes dans leur processus de décision, ce que l'on nomme la décision risk-based. En France, nous sommes plus prudents, dans la mesure où nous privilégions une approche déterministe éclairée par l'approche probabiliste. Les décisions ne reposent donc pas seulement sur les probabilités. Dans les années 2000, EDF souhaitait se rapprocher de la méthode américaine. L'ASN avait accepté qu'un essai soit réalisé et avait saisi l'IRSN. Nous avions donc effectué un travail qui, in fine, montrait que si l'on souhaite faire une étude probabiliste pour orienter des choix, il faut aussi évaluer le coût de l'accident. Nous avons donc fait ce calcul et avons avancé des chiffres proches de ceux observés par la suite à Fukushima. Par ailleurs, nous avions constaté que cette démarche très poussée d'utilisation des études probabilistes pour des choix de décision était certes adaptée lorsqu'il s'agissait de choisir entre deux options proches, mais ne l'était pas lorsque les choix étaient très différents en raison d'une trop grande incertitude. L'approche probabiliste ne peut donc pas constituer un outil décisionnel à elle seule.