Je suis directeur d'études à l'EPHE, neuropsychologue de formation, et je dirige une unité de recherche de l'I nstitut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui se trouve à l'université de Caen. Je travaille sur la mémoire humaine et sur ses maladies dans le cadre de pathologies à la fois neurologiques et psychiatriques. J'évoquerai ici davantage la partie psychopathologique de mon activité. J'utilise des méthodes d'évaluation comportementale et cognitive ainsi que des techniques électrophysiologiques et d'imagerie cérébrale, ce qui représente la spécificité de notre unité.
Toutes les expériences et les réflexions que nous avions sur le trouble du stress post-traumatique (TSPT), ainsi qu'une collaboration avec des chercheurs américains, nous ont amenés à mettre en place un grand programme appelé « 13-Novembre ». Cela a été possible grâce au soutien très important de nos institutions, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et INSERM, mais également les pouvoirs publics, via le programme d'investissements d'avenir (PIA). Ce programme a débuté en avril 2016, soit environ six mois après les attentats du 13 novembre 2015, et est prévu pour durer douze ans.
Il consiste à suivre, à intervalles réguliers, des cohortes de personnes diversement exposées à ces attentats. Dans le cadre de l' « Étude 1000 », nous suivons 1 000 personnes appartenant à des cercles plus ou moins proches de l'événement traumatique : le cercle 1 regroupe des personnes qui se trouvaient au Bataclan, sur les terrasses ou aux abords du stade de France ; le cercle 2 comprend des personnes qui vivent ou travaillent dans ces quartiers mais qui n'étaient pas présentes ce jour-là ; le cercle 3 concerne d'autres quartiers de Paris et de la région parisienne ; enfin, le cercle 4 regroupe des habitants de villes de province, à savoir Caen, Montpellier et Metz. De façon régulière, nous pratiquons des enregistrements filmés en partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD). Ces enregistrements deviennent patrimoine de la nation et sont progressivement mis à la disposition des chercheurs dans le cadre de programmes scientifiques évalués émanant d'horizons extrêmement variés – il s'agit en effet d'un projet transdisciplinaire qui concerne à la fois des sciences humaines et sociales, comme l'histoire et la sociologie, mais aussi les neurosciences et la science des données.
Le programme « 13-Novembre » coordonne par ailleurs une dizaine d'autres études. Nous pouvons citer l'étude « Remember » conduite à Caen, étude dite ancillaire de la précédente et portant sur une cohorte de 200 personnes issues de l'Étude 1000. Ces personnes viennent à Caen pour une durée de deux jours, à intervalles réguliers, et bénéficient d'examens psychopathologiques, neuropsychologiques et d'imagerie cérébrale. Cette étude vise à comprendre pourquoi certaines personnes confrontées à un événement traumatique majeur, en l'occurrence les attentats du 13 novembre 2015, développent une psychopathologie. La plupart du temps, il s'agit d'un trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui se caractérise par des images persistantes, vivaces, très émotionnelles, qui sont vécues à nouveau au présent. Il ne s'agit donc pas du tout de souvenirs. Nous étudions bien sûr également les personnes qui ne développent aucun trouble, bien qu'ayant vécu la même situation.
Une partie de nos résultats a fait l'objet d'un article publié dans la revue Science en 2020. Cet article, largement repris dans la presse, montre pour la première fois une défaillance des mécanismes de contrôle de la mémoire dans le TSPT. Alors qu'on observe des mécanismes de contrôle cérébraux qui permettent de réguler les intrusions de la mémoire chez les personnes résilientes, ceux-ci sont en faillite en cas de TSPT.
Dans la foulée de ces résultats, nous avons poursuivi le programme par le biais d'un partenariat avec les participants, qui nous a permis, avec le soutien actif du centre national de ressources et de résilience, créé à Lille il y a maintenant deux ans, de mettre au point un livret d'éducation thérapeutique.
Notre programme regroupe agrège désormais trente et un nouveaux partenaires et vingt-cinq soutiens, dont plusieurs ministères, toutes les associations de victimes ainsi que des collectivités territoriales, notamment les régions d'Île-de-France et de Normandie. Si vous voulez vous faire une idée plus précise des études en cours et de nos différents soutiens et partenaires, je vous invite à consulter le site internet de notre programme à l'adresse suivante : https://www.memoire13novembre.fr/.