Mon intervention visera à répondre à la question suivante : comment réagissent aujourd'hui les populations confrontées à des drames dans d'autres régions du monde et quelles solutions pouvons-nous apporter ?
J'ai passé vingt-quatre années à l'AFD, entre 1997 et l'été 2021. Mes treize dernières années ont été particulièrement orientées vers les crises, avec cinq années au siège de la cellule crises et conflits de l'AFD, huit ans sur le terrain, au Burkina Faso, et quatre ans au Liban, d'où je suis rentré cet été. J'exerce à présent, depuis Lyon, une activité indépendante, orientée vers les interventions en situation de crise et l'accompagnement en santé mentale.
Au sein de la cellule crises et conflits, nous avons conduit une étude approfondie sur le traitement des traumatismes psychologiques des populations dans les pays en situation de crise après un conflit ou une catastrophe naturelle. Ces travaux m'avaient amené à rencontrer le Pr Crocq et le Pr Baubet, particulièrement reconnus dans notre domaine. Il s'agissait d'une étude transversale sur l'ensemble des pratiques et approches en la matière, qu'elles soient psychiatriques, psychanalytiques ou cognitives.
Au Liban, nous avons créé un centre de santé mentale communautaire dans la Bekaa et à l'hôpital Rafic Hariri de Beyrouth, en partenariat avec Médecins du monde, alors qu'une triple crise sociale, financière et sanitaire secouait le pays. Nous avons également contribué au soutien psychologique après le premier attentat dans le centre-ville de Ouagadougou, en janvier 2016, et après l'explosion au port de Beyrouth, en août 2020.
Les enseignements de ces travaux qui sont susceptibles d'intéresser votre mission portent d'une part sur les strates de populations affectées et les symptômes associés, et d'autre part sur l'approche que l'on peut avoir pour traiter ces traumatismes psychologiques.
S'agissant des populations affectées et des symptômes associés, les proportions peuvent varier d'une situation à l'autre, mais l'on constate généralement qu'environ 60 % des personnes affectées se remettent du traumatisme vécu sans aide spécifique, en s'appuyant sur leurs propres ressources ou sur celles de la communauté, tandis que 10 % des personnes nécessitent des soins spécialisés médico-psychiatriques et que 30 % nécessitent impérativement un soutien, sous peine de développer des troubles psychologiques sévères. Ce sont ces 30 % qui vont développer des symptômes constitutifs d'un état de stress post-traumatique. Il faut avoir à l'esprit que ces personnes sont dans une situation de perte : perte des biens, des personnes, mais aussi perte du sentiment de sécurité, de l'espoir, de la dignité et du contrôle sur leur vie et leur avenir. Parallèlement à l'état de stress post-traumatique, elles présentent une vulnérabilité accrue aux addictions, avec en moyenne deux fois plus de risque pour l'alcool et trois fois plus pour la drogue. Elles sont plus exposées aux dépressions, avec un risque sept fois plus élevé, la dépression pouvant elle-même conduire au suicide.
L'approche la plus souvent mise en œuvre dans le souci de favoriser une résilience communautaire et nationale consiste à ne pas forcément traiter le traumatisme en tant que tel, mais plutôt à travailler sur un fonctionnement de la personne adapté à son environnement. Ce sont alors les écarts par rapport à ce comportement cible qui sont à traiter. A cette fin, des programmes psychosociaux sont mis en place ; ils reposent sur des actions non médicalisées de réhabilitation mentale et psychologique ; on y travaille l'interaction des conditions sociales et du bien-être psychologique, le lien entre le « je » individuel et le « nous » collectif.
Cette approche est adaptée à des événements traumatiques de grande ampleur, qui touchent plusieurs dizaines de milliers de personnes. Cette échelle justifie un traitement collectif des traumatismes. Néanmoins, si l'approche est groupale, l'objectif est bien le mieux-être individuel ; les cas les plus complexes sont ainsi repérés et orientés vers des structures adaptées. Finalement, le but recherché est de remettre la personne en mouvement à travers une construction entre l'action psychologique et l'action sociale, lesquelles s'alimentent mutuellement pour faire passer les personnes d'un statut de victimes passives à un statut de survivants actifs.