Le TSPT est une construction sociale, dans le sens où il a été façonné au cours du temps. Le blessé psychique était ainsi considéré différemment à la fin de la Grande Guerre et de la Seconde Guerre mondiale. La guerre du Vietnam a constitué un moment clé dans la définition de ce trouble. Les mouvements féministes, contre les violences faites aux femmes et aux enfants, y ont aussi contribué. Cette conjonction de mouvements a permis l'émergence de la vision actuelle du TSPT, ainsi qu'une prise de conscience, dans la population générale, de la conséquence d'un traumatisme psychique. Cette prise de conscience s'est amplifiée après les attentats.
Il faut souligner que les cellules d'urgence médico-psychologique n'existent pas dans tous pays ; il s'agit bien là d'une force de notre dispositif.
Certaines personnes développent des symptômes de TSPT, qu'il s'agisse de victimes au sens strict ou d'intervenants. J'ajouterais à la liste des personnes déjà citées les personnels administratifs qui sont confrontés de façon récurrente à certains documents. Dans le meilleur des cas, ces personnes vont être prises en charge par les autorités sanitaires ou par leur entourage : famille, amis, monde du travail, etc.
Mais il faut aussi s'intéresser aux personnes qui ne développent pas ces symptômes. Dans nos études longitudinales, on s'aperçoit que leur évolution n'est pas toujours si simple. Il ne faut donc pas céder à la tentation d'une catégorisation simpliste entre des sujets qui développeraient des symptômes et d'autres qui n'en développeraient pas, et qui seraient forts et résilients. Les choses sont beaucoup plus complexes et nous devons tous en avoir conscience. En réalité, lorsque les symptômes sont visibles, on peut commencer à travailler dessus. Mais lorsque domine l'évitement de l'événement traumatique et du souvenir de cet événement, le travail est beaucoup plus difficile, ce qui peut avoir des conséquences négatives.
Les moments de commémoration sont toujours difficiles pour les victimes. Mais ce qui semble être le plus difficile, ce ne sont pas toujours les commémorations, ni les anniversaires, mais leurs lendemains, quand d'un coup tout retombe. De ce point de vue, le procès des attentats du 13 novembre, qui se tient actuellement, représente presque un objet scientifique pour nous. En effet, ce procès est public, les parties civiles peuvent s'exprimer, il est médiatisé ; on observe une situation assez originale de mise en contact flagrante des mémoires individuelles des personnes qui s'expriment et de la mémoire collective qui se construit. Cette situation originale nous intéresse beaucoup car l'une des hypothèses fortes de notre programme, depuis le début, c'est que lorsqu'un individu victime d'un traumatisme est compris dans une mémoire collective, lorsqu'il s'agit d'un grand événement collectif comme les attentats du 13 novembre, il est déjà sur un chemin potentiel de résilience. Dans le cas contraire, c'est bien plus difficile. Avant le procès, les médias parlaient beaucoup moins des abords du stade de France et des terrasses que du Bataclan. Aujourd'hui, toutes les parties civiles s'expriment, et l'on remet un peu sur le même plan ces différents sites et les drames qui s'y sont joués.
Cette situation est donc peut-être emblématique de ce qui devrait se passer dans un monde idéal, pour faire en sorte que, lorsqu'un événement d'une telle ampleur surgit, on contredise en quelque sorte le travail de la mémoire. En effet, la mémoire est faible, elle induit des biais, elle induit parfois de faux souvenirs ; en tout état de cause, elle se situe toujours dans un jeu entre ce qui est mis au premier plan, les mémoires fortes, et ce qui est mis en arrière-plan, les mémoires faibles. Si je pouvais donner une recommandation d'ordre général, ce serait de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'oubli et que l'on soit toujours vigilant pour corriger ce travail de la mémoire.
Je fais partie de la mission de préfiguration du musée-mémorial du terrorisme qui doit voir le jour à Suresnes ; d'une certaine manière, ce musée sera emblématique de la mémoire de notre nation. L'un de ses objectifs est de conserver une mémoire pleine, pour que l'on déplore le moins d'oubliés possible de ces lieux tragiques, de ces lieux de souffrance.