Intervention de le préfet Alain Thirion

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 15h00
Mission d'information sur la résilience nationale

le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises :

Mon intervention est articulée en six points.

Le premier porte sur la notion de résilience, un principe récent défini dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Ce document définit la résilience comme « la volonté et la capacité d'un pays, d'une société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner dans des conditions normales, ou à tout le moins socialement acceptables ». Nous partons du constat d'un phénomène de crise, qui peut être lié à un risque industriel, naturel ou sanitaire. La réaction de la société comporte plusieurs dimensions, comprenant l'anticipation des menaces et des risques, l'action en période de crise et le rétablissement d'une situation normale. Chacune de ces étapes détermine un certain nombre d'obligations collectives, pour lesquelles il importe d'identifier les acteurs concernés.

Le deuxième point concerne les obligations et les risques : la connaissance de ces derniers constitue la première tâche à accomplir. Sur l'ensemble des champs que j'ai mentionnés – risque naturel, sanitaire ou industriel – un travail très complet a été entrepris par l'ensemble des services de l'État et des collectivités locales. Nous constatons un certain nombre d'évolutions profondes qui ne sont pas sans conséquence sur nos modes opératoires. Les risques naturels, le réchauffement climatique, la campagne de feux de forêt estivaux qui a pris fin la semaine dernière – jusqu'en 2019, elle était ciblée sur le sud de la France, désormais elle concerne l'intégralité du territoire national – qui se décline en feux de forêt, feux de végétation et feux de cultures, constituent autant d'aléas que nous devons anticiper. Ainsi, nous sommes conduits à nous interroger quant à l'évolution de nos modes opératoires et de nos capacités d'anticipation. En effet, nous faisons face à un nombre plus élevé de catastrophes naturelles, telles que la tempête Alex en 2020 et 2021 ou encore les inondations de 2018 dans l'Aude. En 2020, nous avons répertorié plus de soixante alertes de vigilance orange et rouge. Nous assistons à un phénomène d'accélération qui conduit à davantage de catastrophes. Or ces dernières s'avèrent aussi plus violentes, plus intenses et occasionnent un effet territorial plus développé. Ainsi, la tempête Alex a touché quatre départements : les Pyrénées-Atlantiques, les Alpes-Maritimes, le Morbihan et une partie du Nord.

Par conséquent, nous devons anticiper de manière différente ces évènements lorsqu'ils touchent l'ensemble du territoire national ou une grande partie de ce dernier. Les risques identifiés évoluent et nous devons légitimement nous y adapter. Cet effort d'adaptation concerne non seulement l'État, mais également les collectivités territoriales, les acteurs associatifs et l'ensemble de la population. L'adaptation et la résilience de la population sont beaucoup plus importantes que nous ne pouvons l'imaginer. Des actions de sensibilisation restent à effectuer, mais il est également nécessaire de mettre en évidence les efforts déjà engagés. En 2019, pour la première fois, les sirènes ont été utilisées à Nice à la suite d'une inondation. La population a été attentive, écoutant les différents messages diffusés par les médias, ce qui a permis de déplorer peu de victimes. Je ne suis pas certain que dix ou quinze ans auparavant, à l'occasion d'un phénomène semblable, les sirènes auraient entraîné le même type de réaction. Notre société, peut-être plus consciente de sa fragilité, s'adapte et les réactions de la population sont plus importantes qu'il n'y paraît.

Il est également nécessaire de prendre en compte des risques nouveaux. Je n'aborderai pas les risques terroristes, car j'imagine que vous recevrez le directeur général de la police nationale et le directeur général de la sécurité intérieure afin de disposer d'une vision globale. Il peut exister des risques hybrides, soit des actions malveillantes conduites par des personnes dans le pays ou au dehors à des fins de déstabilisation, mêlant une volonté de nuire à des risques du ressort de la sécurité civile. Dans le cas de Lubrizol, de fausses nouvelles ont été diffusées pour mettre en place une désinformation. Il s'agit d'un phénomène nouveau en matière de sécurité civile. Nous devons prendre en compte cette évolution et ne pas hésiter à fournir une information institutionnelle ferme.

Le troisième point de cet exposé renvoie aux travaux de M. Fabien Matras, qui est membre de votre mission d'information. Nous devons œuvrer pour l'acculturation de la population aux risques. Dans ce cadre, le Japon, où les gestes qui sauvent sont enseignés dans les écoles et où existent des associations de sécurité civile, est un modèle à suivre.

Les collectivités locales jouent aussi un rôle important, au travers notamment des plans communaux de sauvegarde. Il existe une demande d'explication des risques de la part de la population, qui souhaite les comprendre et acquérir les bons réflexes par des exercices. Les choses peuvent rapidement déraper si les comportements deviennent irrationnels et s'inscrivent en décalage avec l'action des pouvoirs publics. Un travail indispensable est à l'œuvre en ce moment dans l'éducation nationale, avec le concours des sapeurs-pompiers, notamment dans le cadre du service national universel (SNU). Je pense que nous pourrions aller plus loin en mettant en place une journée « japonaise ». Il s'agirait de consacrer une journée par an pendant laquelle, en fonction de la localisation du public, les risques encourus et les solutions existantes seraient présentés. La population exposée aurait ainsi la capacité de devenir acteur de la prévention et de la réaction au risque. Se former aux comportements appropriés et disposer d'outils de prévention adéquats limite les effets néfastes du risque.

Notre société comporte un nombre élevé de risques. Elle doit donc tenir compte de cette réalité dans le but d'y faire face. Je note d'ailleurs avec satisfaction et humilité que tout ce qui peut nous permettre d'être plus performants dans l'appréhension du risque donne des résultats satisfaisants. À titre d'exemple, lors de la tempête Alex, le travail d'anticipation réalisé avec Météo France et la fermeture des écoles et de certaines voies de circulation en liaison avec les autorités locales ont permis de limiter le nombre de victimes à dix morts dans les Alpes-Maritimes, au lieu de plusieurs centaines si de telles mesures n'avaient pas été prises. Le prépositionnement de moyens et d'équipements a permis d'intervenir dans un temps court. J'ai eu des contacts intenses avec mes homologues belges et allemands, qui ont subi le même phénomène. Dans l'un et l'autre pays, ce travail préalable n'a pas été mené dans des conditions satisfaisantes et l'on a dénombré plusieurs centaines de morts.

Certains phénomènes ne peuvent pas être anticipés. En revanche, lors de phénomène d'inondations ou de feux de forêt – rappelons que 95 % des feux sont éteints avant d'atteindre cinq hectares –, l'anticipation nous permet de circonscrire les dégâts.

Ma quatrième observation concerne l'organisation des moyens. Notre évolution à ce sujet est double. S'agissant de l'organisation des secours, nous avons pendant longtemps procédé dans un cadre communal, puis départemental. La logique actuelle de pacte capacitaire ne permet pas de couvrir l'intégralité des risques potentiels car cela représente des moyens considérables. Tous les départements ne disposent pas des mêmes ressources, et nous nous constatons par ailleurs qu'une mobilisation à raison d'une fois tous les deux ans représente un frein à la performance. En revanche, lorsque nous mutualisons les moyens et intervenons selon une logique capacitaire avec le préfet, le président du conseil départemental et les maires concernés, nous pouvons bénéficier du renfort de différents moyens à l'échelle zonale. Dès lors, nous sommes plus efficaces, nous optimisons l'usage de nos moyens et le coût est moindre. Ce pacte capacitaire, qui est un des éléments de la future la loi Matras, apportera une valeur ajoutée pour l'ensemble du territoire.

Nous pouvons reprendre l'exemple de la tempête Alex. Deux mille personnes ont été mobilisées sur le terrain – des sapeurs-pompiers, des personnels de la sécurité civile, des militaires, entre autres –, dont cinq cents à cinq cent cinquante provenaient des Alpes-Maritimes. Le renfort au niveau zonal et national permet de disposer d'une force de frappe plus élevée. Cette imbrication des échelles zonale et nationale dans le déroulement des crises répond à une évolution structurante. Traditionnellement, l'anticipation des risques et menaces pesant sur la résilience faisait l'objet d'approches nationales, chaque pays développant une approche particulière. Désormais, le pacte capacitaire revêt une pertinence au niveau européen et international. Cette année, la France a ainsi été mobilisée dans plusieurs pays, notamment en Algérie, en Italie et en Grèce. Face à des catastrophes naturelles, les États ont besoin de la solidarité européenne. Par conséquent, nous développons une politique européenne en liaison avec l'ensemble de nos partenaires. Il s'agit d'un élément nouveau engendrant des réflexes capacitaires et une augmentation des moyens, une gestion et une optimisation des ressources en fonction des risques que nous identifions et des situations qui se présentent.

Le cinquième point de cette présentation concerne l'alerte, qui connaît une sorte de révolution. Jusqu'au début du XXe siècle, les alertes étaient données par les cloches, sous la forme du tocsin. Au XXe siècle, la sirène a remplacé la cloche. Cette méthode de diffusion des alertes suscite des interrogations, car le réflexe de la population en les entendant n'est pas de se calfeutrer et d'écouter la radio, mais de sortir.

Depuis 2020, à la suite du drame de Lubrizol, le ministre de l'intérieur a décidé l'installation du cell broadcast. Il s'agit d'envoyer sur les téléphones portables des messages clairs concernant les actions à entreprendre. Ces messages seront prioritaires par rapport à toute autre communication. Chaque téléphone pourra les recevoir même en l'absence d'accès au réseau. Enfin, il sera possible de définir le périmètre concerné par la diffusion de ces messages. Ce procédé s'adressera également aux étrangers. Cette avancée a été décidée et annoncée par le ministre de l'intérieur. Des crédits ont été affectés, à hauteur de 40 millions d'euros. Nous mettons actuellement en place le dispositif qui permettra de rendre cette installation opératoire. Il s'agit de savoir comment fonctionner avec les opérateurs, de délimiter les zones d'expérimentation et de maîtriser le dispositif permettant de lancer la diffusion. Le déploiement commencera en 2022 sur le territoire métropolitain, puis il sera étendu pour être parachevé en 2023-2024. L'alerte demeure un élément fondamental dans la détermination des comportements. Dans ce cadre, la sécurité civile a signé en 2020 une convention avec Météo France visant à tirer les conséquences du réchauffement climatique en matière de risques naturels et industriels et à établir une stratégie adaptée pour les cinq à dix années à venir. Les travaux entrepris par Météo France s'achèveront à la fin de l'année. Sur cette base, des propositions précises et opérationnelles seront formulées au début de l'année 2022. Concernant, par exemple, des feux de forêts qui s'étendraient sur l'ensemble du territoire, l'objectif est de ne pas devoir attendre le déclenchement du sinistre pour définir les modalités de réquisition de moyens aériens. Une stratégie de déploiement de drones nous permettra de positionner nos moyens aériens afin d'intervenir rapidement.

Nous intégrons ainsi des données que nous ne considérions pas jusqu'à présent. À titre d'exemple, nous avons constaté que le réchauffement climatique entraîne la formation de poches d'eau à l'intérieur des formations glacières, susceptibles de se rompre. Nous commençons à appréhender ce risque jusqu'alors méconnu. En cas de danger, nous pourrions devoir procéder à des évacuations. L'appréhension du risque ne suffira pas à empêcher qu'il y ait des victimes. Toutefois, elle nous permettra d'en limiter les conséquences néfastes. Nous y parviendrons par l'acquisition de comportements, d'un savoir-être et d'un savoir-faire spécifiques.

Nous devons aussi développer nos capacités d'anticipation. Ainsi, pour lutter contre les feux de forêt, la France a mis en place le premier système de guet aérien armé (GAAr). En période de fortes chaleurs, de faible hydricité des végétaux et de vents forts, les risques de feux de forêt sont importants. Le guet aérien est un système de rotation visant à repérer les départs de feux. Ces capacités de détection sont telles qu'aujourd'hui 95 % des feux ne détruisent pas plus de cinq hectares.

Dans le cadre de la loi de finances, il faut être particulièrement précis quant aux indicateurs que nous fournissons. Dans mes discussions avec le ministère du budget, j'explique que le nombre d'hectares brûlés ne constitue pas un bon critère car il traduit les conséquences d'un mauvais travail. Le nombre de départs de feux et le nombre d'hectares sauvés devraient être pris en compte.

Quand nous procédons à des comparaisons internationales, nous constatons qu'en France le plus gros feu de l'été 2021 a touché 7 000 hectares, tandis qu'en Grèce et en Italie ces incendies ont pu atteindre 200 000 hectares. Nos techniques suscitent des sollicitations de pays avec lesquels nous ne travaillons jamais, tels que l'Australie. Trois techniques les intéressent : le contre-feu, car un incendie ne se répand pas sur une zone où il n'y a plus rien à brûler ; la combinaison de moyens aériens et au sol – lorsque les feux sont très importants et que la température est très élevée, les avions ne permettent pas de les juguler, une intervention au sol est nécessaire – ; nos capacités d'anticipation, qu'illustre le recours au guet aérien armé.

Les questions que nous traitons sont d'une portée planétaire. Un tel travail ne peut pas être réalisé par la seule mobilisation des services de l'État. Il nécessite le concours des collectivités territoriales et des particuliers.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.