Intervention de Sébastien Raspiller

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 15h15
Mission d'information sur la résilience nationale

Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor :

Je souscris aux propos de M. Denis Beau, notamment concernant le risque cybernétique. Celui-ci est perçu de manière consensuelle au niveau international comme le risque le plus à craindre pour les institutions financières.

Vous avez évoqué l'appréhension des Français à l'égard d'une crise financière de grande ampleur. Cette peur est probablement partagée par les citoyens d'autres pays. La dernière crise financière demeure récente et présente dans les mémoires, quand bien même l'impact immédiat en France en a été de moindre ampleur. En effet, en France et au Canada, la crise de 2008 n'a pas engendré de coûts financiers directs pour les citoyens. Cela étant, le secteur financier demeure systémique, ce que les Français ont en tête. Il irrigue tous les secteurs de l'économie au sein d'une économie fermée. Nous sommes cependant en économie ouverte, le système financier étant intrinsèquement international.

La crise financière de 2008 est issue d'une erreur de modélisation du risque relatif au marché immobilier nord-américain au travers de méthodes de scoring mises en œuvre par des entités financières mal régulées et d'un modèle du crédit immobilier reposant uniquement sur la valeur de ces biens. Les difficultés sur le marché de l'immobilier se sont répercutées de facto aux États-Unis sur le marché économique avec un phénomène de procyclicité. En 2008, le retournement du marché immobilier a ainsi conduit à une revue précipitée des risques et à une augmentation soudaine et brutale de leur évaluation . Ces éléments se sont propagés par la titrisation au carré, qui n'était pas régulée aux États-Unis et était notée d'une manière totalement déconnectée de la réalité du risque sous-jacent. Alors que le risque associé à la titrisation a atteint en Europe un maximum de 1,5 % de défauts, il s'est élevé aux États-Unis à 14 % à l'époque de la crise financière.

S'agissant de l'interconnexion des systèmes financiers internationaux, les mesures mises en œuvre en France sont importantes. M. Denis Beau a évoqué les travaux du haut conseil de stabilité financière, l'autorité macroprudentielle qui agit en France sur les risques. Deux risques systémiques peuvent être identifiés.

Le premier porte sur le crédit immobilier. M. Denis Beau a mentionné les actions récentes du HCSF qui visent à prévenir l'apparition de tels risques tout en préservant la capacité d'octroi de crédits immobiliers. Les statistiques ont démontré que l'équilibre était atteint.

Un second risque concerne le volume d'assurances vie sous forme de fonds en euros. Les engagements pris par les assureurs envers les assurés y conduiront, en cas de remontée importante et soudaine des taux d'intérêt, à des difficultés. En ce sens, aucune décision n'a été nécessaire à ce stade. Toutefois, la réorientation opérée par les assureurs en termes d'allocation entre les fonds en euros et ceux en unités de compte constitue un facteur de résilience de l'assurance vie, qui est le mode d'épargne privilégié des Français.

Au niveau européen, de nombreuses procédures ont été engagées, notamment pour appliquer les accords internationaux signés après la crise financière. Ces accords ont été impulsés par le conseil de stabilité financière (CSF), qui a été relancé par la France pendant la présidence française du G20 lors du quinquennat de M. Nicolas Sarkozy. Le CSF est l'antichambre du G20 pour ce type de sujets. Un agenda de réforme ambitieux a été établi. Il a permis d'accroître la résilience des institutions bancaires qui procèdent à l'intermédiation en cas de crise. Néanmoins, nous travaillons toujours sur ces sujets. Ainsi, la Commission européenne a présenté ce matin son projet de transposition des accords finaux de Bâle III, issus du comité de Bâle qui réunit les superviseurs mondiaux en matière bancaire.

En matière d'assurance, les marchés sont moins internationalisés. Leur envergure est davantage nationale. Nous avons introduit dans la loi française des dispositions pour prévenir des risques dans ce domaine, qu'il s'agisse de pouvoirs donnés au conseil de stabilité financière ou de l'instauration d'un régime de résolution des assurances. Nous sommes le premier pays à procéder ainsi en Europe. À la faveur de la révision de la directive dite « solvabilité 2 » présentée il y a un mois, la Commission européenne accompagne ce projet d'un cadre de résolution des assurances au niveau européen. Nous nous réjouissons de constater qu'au niveau européen, cette impulsion française a pris corps.

M. Denis Beau a également évoqué le sujet de la finance non intermédiée. Les banques ou les compagnies d'assurance doivent établir un bilan qui opère l'intermédiation entre les engagements pris par les épargnants ou les déposants et les activités financières telles que l'octroi de crédit. Ce bilan permet de s'assurer de la capacité de l'entité à tenir ses engagements vis-à-vis de sa clientèle.

En revanche, un gestionnaire d'actifs ne dispose pas d'un bilan. Le risque est porté par les investisseurs et les épargnants. Cette situation soulève des problèmes en termes de protection de l'épargne et des investisseurs. Pour assurer cette protection, il est indispensable de veiller à la diffusion des bonnes informations afin que ces acteurs connaissent les risques encourus. En effet, en cas de volumes importants et en l'absence de ces informations, de tels risques demeurent possibles, ce qui s'est vérifié dans le cas d'une entité comme Archegos qui a récemment fait défaut. Même si les évaluations sont toujours en cours, elles font clairement ressortir un défaut d'information de la part d'Archegos, notamment pour ses intermédiaires bancaires – ce que l'on appelle les brokers-dealers –, sur la réalité des expositions. Il s'agit de « courroies de transmission » de risques sous-jacents à l'activité économique tels que les variations de valorisation d'entreprise. Ces phénomènes peuvent être encore plus marqués en cas d'effets de levier : vous pouvez vous exposer davantage que le sous-jacent économique en contractant des prêts. Face à ce type de difficulté, un travail a été entrepris par le conseil de stabilité financière en matière d'amélioration de l'information.

Le secteur financier peut représenter un facteur d'aggravation comme un vecteur d'amélioration de notre résilience nationale. Alors qu'il est largement question aujourd'hui de l'assurance cybernétique, des travaux sont menés, notamment au sein de ma direction générale, pour rendre ce marché plus « assurable » et permettre ainsi une intervention accrue des assureurs, y compris en termes de prévention et de réduction des impacts sur les acteurs économiques sous-jacents. D'autres impacts existent : ils pourraient par exemple se produire à la suite de catastrophes naturelles – crue centennale de la Seine, séisme à Nice...

À l'échelle des marchés financiers, l'assurance vie, les assureurs ou, plus généralement, les investisseurs de long terme jouent un rôle crucial pour absorber des chocs. En effet, ces investisseurs engagent leur argent sur un horizon de vingt à trente ans et ne sont pas spontanément incités à retirer leur investissement à la moindre occasion. Dès lors, leur présence constitue un facteur de résilience majeur. Qui plus est, l'assurance vie constitue le bassin le plus important de l'épargne française. À l'inverse, si la réglementation devait inciter ces acteurs à retirer rapidement leurs investissements en actions d'entreprises, une telle action serait procyclique et donc négative pour la résilience financière. C'est pour cette raison que nous menons actuellement un combat pour rendre le cadre « solvabilité 2 », qui possède beaucoup de vertus par ailleurs, plus résilient et moins procyclique. Certains chocs doivent être absorbés par d'autres acteurs avant que l'État ou les banques centrales n'interviennent.

J'aborderai enfin l'intervention des autorités publiques en termes de dernier ressort.

La crise sanitaire est un facteur exogène d'une ampleur inouïe. Le système financier est systémique, ce qui peut constituer un élément favorable dans la mesure où il peut représenter une formidable courroie de transmission relayant les interventions publiques auprès de tous les acteurs économiques, ménages et entreprises. De son côté, la Banque centrale européenne ne peut pas réaliser de prêt direct aux entreprises et aux ménages. De même, l'État n'est pas en capacité de proposer des prêts à tous les ménages et à toutes les entreprises – il peut cependant verser des subventions. Sa capacité budgétaire se heurte en outre à certaines limites.

Par exemple, les prêts garantis par l'État pendant la crise sanitaire ont représenté un montant de plus de 100 milliards d'euros en deux mois. Pas moins de 400 000 entreprises en ont bénéficié. Certaines d'entre elles n'en avaient pas besoin sur un strict plan comptable, mais elles ont eu recours à ce dispositif car elles y ont trouvé une forme de réassurance psychologique. Une telle action a pu être mise en œuvre grâce au réseau de distribution bancaire dont nous disposons en France. D'où l'importance de conserver ce facteur de résilience pour l'économie française.

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