Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 15h15

Résumé de la réunion

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  • monnaie
  • résilience

La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 27 octobre 2021

La séance est ouverte à quinze heures quinze

(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)

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Nous abordons aujourd'hui un volet important de nos travaux sur la résilience nationale, celui qui a trait à la capacité de notre pays à faire face à un risque financier et monétaire. Pour nous éclairer, nous recevons aujourd'hui M. Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France, et M. Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor.

Nous vivons une période inédite en matière économique. La crise sanitaire et la réponse qui lui a été apportée remettent en question certains principes fondamentaux de la science économique, notamment s'agissant de la monnaie et de la dette. En dépit de la reprise économique impulsée par les plans de relance, la crainte d'un effondrement reste présente. D'après un récent sondage, la catastrophe jugée la plus probable par les Français est une crise financière qui engendrerait une montée générale de la pauvreté.

Nous serons donc heureux de prendre connaissance de votre analyse du contexte économique actuel et des éventuels scénarios de crise qui retiennent votre attention, notamment s'agissant de catastrophes susceptibles d'entraîner des accidents financiers et monétaires qui en aggraveraient les effets.

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Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France

L'évaluation et l'amélioration de la capacité du système financier à résister aux chocs et à ne pas les transmettre à l'économie réelle constituent des préoccupations importantes pour la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). L'une et l'autre ont en effet reçu pour mandat de veiller à la stabilité du système financier.

À la lumière de ce mandat, je voudrais vous présenter les enseignements que nous tirons de la crise sanitaire vécue par la France, qu'il s'agisse de la résilience financière et opérationnelle du système financier ou des actions que nous menons en faveur du développement des dispositifs de prévention et de gestion qui peuvent fortement affecter cette résilience.

J'évoquerai tout d'abord les leçons qui me semblent pouvoir être tirées en matière de résilience financière de la crise qui nous a frappés en 2020.

Alors qu'en 2008, les banques étaient à l'origine de la crise et ont représenté un vecteur de diffusion et d'amplification de cette crise à travers le système financier et l'économie réelle, elles ont constitué en 2020 un facteur de résistance du système financier à un choc exogène d'une ampleur inédite. Elles ont également été un relais des mesures très fortes prises par les autorités publiques, le Gouvernement et la Banque centrale européenne pour protéger les ménages et les entreprises et relancer l'activité.

Cette capacité des banques à financer l'économie dans l'adversité est le résultat de leur résilience financière accrue. Les réformes du cadre réglementaire qui ont suivi la crise de 2008 ont en effet rendu le système financier plus résistant aux chocs, en conduisant notamment les établissements bancaires à doubler leur niveau de fonds propres.

Pour autant, il est important que cette résilience financière soit entretenue et consolidée. C'est dans cette perspective que le haut conseil de stabilité financière (HSCF) a émis des recommandations sur les conditions d'octroi des prêts immobiliers. Ces recommandations ont récemment été transformées en normes, qui protègent ainsi les ménages d'un endettement excessif. De plus, depuis 2018, ce haut conseil a décidé de limiter le niveau d'exposition des principales banques françaises aux entreprises caractérisées par un fort endettement.

Il est également important que cette consolidation puisse s'appuyer, concernant les banques, sur la mise en œuvre de l'accord Bâle III de décembre 2017 et, s'agissant des acteurs non bancaires, sur une révision de l'encadrement réglementaire du risque de liquidité dans les fonds monétaires et plus largement dans les fonds ouverts.

Le covid-19 a aussi mis à l'épreuve, à travers les nouvelles modalités de travail à distance, les capacités de résilience opérationnelle du secteur financier aux niveaux individuel et collectif, notamment face aux risques cyber. Il s'agit ici de la continuité opérationnelle des fonctions critiques, crédits, opérations de marché ou paiements. Nous n'avons pas eu à déplorer d'incident majeur en la matière. Pour autant, il est nécessaire de continuer à améliorer le niveau de résilience opérationnelle des services financiers et de ces nouvelles modalités de travail. Cette démarche s'articule autour de deux axes, l'un lié à la prévention et l'autre à la gestion des crises.

Notre contribution à la prévention des crises s'appuie sur plusieurs dispositifs, tant micro que macroprudentiels.

Au niveau microprudentiel, le cadre réglementaire du risque opérationnel a été considérablement renforcé ces derniers mois, notamment à travers de nouvelles exigences sur la gestion du risque informatique et des externalisations, ceci pour améliorer la capacité des institutions financières à maintenir leurs activités essentielles en cas d'incident grave. Des modifications réglementaires ont ainsi été apportées au cadre national cette année, en particulier dans le secteur bancaire avec la mise à jour de l'arrêté du 3 novembre 2014.

Afin de mettre l'accent sur les problématiques de gouvernance du risque, de sécurisation des systèmes d'information et de continuité d'activité, l'ACPR a en outre publié des notices sectorielles – secteur banque et secteur assurance – au mois de juillet, qui lui permettent de mettre en exergue les points de vigilance principaux que doivent prendre en compte les institutions financières qu'elle supervise. Ainsi, elle rappelle qu'une bonne gouvernance du risque informatique suppose une forte implication des instances dirigeantes, y compris du conseil d'administration, et une organisation du contrôle interne reposant sur une vraie indépendance des équipes de contrôle par rapport aux équipes opérationnelles.

En matière de sécurité des systèmes d'information, l'ACPR encourage le recours à des dispositifs de cybersécurité qui doivent être désormais considérés comme une base qui s'impose à tous et non plus comme une option concernant uniquement les grandes institutions financières. Par exemple, il convient de procéder à une mise à jour régulière des configurations de sécurité, de chiffrement des données ou encore de segmentation des réseaux. Une telle approche est particulièrement nécessaire dans un contexte marqué par un recours massif au télétravail qui se pérennise et qui induit une augmentation de la surface d'exposition des entreprises, souvent sans cybersécurité adaptée.

Sur un plan plus pratique, l'ACPR disposait déjà d'outils de supervision, tels que le recours à des tests d'intrusion dans le cadre des contrôles sur place. Pour autant, les dernières modifications réglementaires ont introduit d'autres outils, comme l'accès à un registre centralisé des contrats d'externalisation des institutions financières.

Les règles édictées au niveau national sont en cours d'harmonisation au niveau européen pour l'ensemble des entreprises du secteur financier à travers la préparation du futur règlement Digital Operational Resilience Act (DORA) sur la résilience opérationnelle numérique. Ce texte nous paraît important et bienvenu. En particulier, ce cadre obligera les établissements à effectuer régulièrement des tests de sécurité tandis que les autorités financières disposeront d'un nouveau forum européen leur permettant de surveiller directement les prestataires informatiques les plus critiques, comme les fournisseurs de services de cloud.

Au niveau macroprudentiel, pour prévenir les crises, la Banque de France a développé un diagnostic sur les vulnérabilités et la résilience du système financier dans son ensemble. Ce diagnostic est publié tous les semestres et constitue une base importante pour les discussions et les décisions du HCSF. La dernière édition, parue en juin dernier, souligne ainsi la vulnérabilité accrue aux risques cyber et la nécessité d'actions de prévention en la matière.

La Banque de France met également en œuvre une approche très concrète de la prévention des crises opérationnelles. Elle coordonne ainsi des travaux de la place via le groupe de place robustesse (GPR) qu'elle préside et elle effectue des exercices de simulation des crises systémiques.

Le GPR est composé des principaux groupes bancaires et infrastructures de marché de la place, ainsi que des autorités financières et des services de l'État. Il établit des scénarios de crise en s'appuyant notamment sur les analyses issues d'un observatoire des menaces (ODM). Les scénarios en question sont ancrés dans le réel : cyberattaque, catastrophe naturelle, défaillance d'un prestataire critique ou encore pandémie. Sur cette base, le GPR organise régulièrement des exercices de simulation, les derniers en date portant sur une cyberattaque et ses conséquences (2019 et 2021) et la survenue d'une crue majeure en Île-de-France (2016).

L'entretien et l'amélioration des capacités de gestion des crises appellent néanmoins un renforcement des tests et de la coordination internationale. Le dispositif de gestion de crise pour le système financier bénéficie déjà d'une coordination européenne forte. C'est l'eurosystème qui est en charge des décisions relatives à la politique monétaire et aux apports en liquidité, en temps normal comme en temps de crise. En outre, il fournit et opère les infrastructures critiques pour ce qui a trait aux paiements de montants importants (Target 2) ou au règlement-livraison de titres (T2S). En tant qu'opérateur, l'eurosystème veille à la résilience opérationnelle de ces infrastructures et effectue régulièrement des tests à cette fin.

Cette coordination européenne vaut également pour la supervision des risques opérationnels des plus grandes banques de l'union bancaire et, par conséquent, des principaux groupes bancaires français, supervisés par le mécanisme de supervision unique (MSU). Ce cadre de supervision est appliqué selon les mêmes principes pour tous. Tous ces établissements ont ainsi pour obligation d'informer le MSU des incidents informatiques graves qui les affectent. À l'avenir, le réglement DORA incitera également les autorités financières européennes à développer un mécanisme d'échange d'informations et de gestion des cybercrises à dimension systémique. Toutefois, la très grande interconnexion des différentes places financières au niveau international requiert une approche harmonisée du renforcement de la résilience collective.

À l'initiative de la Banque de France, un exercice cyber impliquant vingt-quatre autorités financières et des acteurs privés a été organisé lors de la présidence française du G7 en 2019, pour tester leur capacité de coordination et assurer une reprise coordonnée des services financiers. Un nouvel exercice de même ampleur, pour lequel nous militons, est envisagé en 2024, des exercices plus ciblés ayant été effectués ou étant prévus en 2020, 2021 et 2022.

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Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor

Je souscris aux propos de M. Denis Beau, notamment concernant le risque cybernétique. Celui-ci est perçu de manière consensuelle au niveau international comme le risque le plus à craindre pour les institutions financières.

Vous avez évoqué l'appréhension des Français à l'égard d'une crise financière de grande ampleur. Cette peur est probablement partagée par les citoyens d'autres pays. La dernière crise financière demeure récente et présente dans les mémoires, quand bien même l'impact immédiat en France en a été de moindre ampleur. En effet, en France et au Canada, la crise de 2008 n'a pas engendré de coûts financiers directs pour les citoyens. Cela étant, le secteur financier demeure systémique, ce que les Français ont en tête. Il irrigue tous les secteurs de l'économie au sein d'une économie fermée. Nous sommes cependant en économie ouverte, le système financier étant intrinsèquement international.

La crise financière de 2008 est issue d'une erreur de modélisation du risque relatif au marché immobilier nord-américain au travers de méthodes de scoring mises en œuvre par des entités financières mal régulées et d'un modèle du crédit immobilier reposant uniquement sur la valeur de ces biens. Les difficultés sur le marché de l'immobilier se sont répercutées de facto aux États-Unis sur le marché économique avec un phénomène de procyclicité. En 2008, le retournement du marché immobilier a ainsi conduit à une revue précipitée des risques et à une augmentation soudaine et brutale de leur évaluation . Ces éléments se sont propagés par la titrisation au carré, qui n'était pas régulée aux États-Unis et était notée d'une manière totalement déconnectée de la réalité du risque sous-jacent. Alors que le risque associé à la titrisation a atteint en Europe un maximum de 1,5 % de défauts, il s'est élevé aux États-Unis à 14 % à l'époque de la crise financière.

S'agissant de l'interconnexion des systèmes financiers internationaux, les mesures mises en œuvre en France sont importantes. M. Denis Beau a évoqué les travaux du haut conseil de stabilité financière, l'autorité macroprudentielle qui agit en France sur les risques. Deux risques systémiques peuvent être identifiés.

Le premier porte sur le crédit immobilier. M. Denis Beau a mentionné les actions récentes du HCSF qui visent à prévenir l'apparition de tels risques tout en préservant la capacité d'octroi de crédits immobiliers. Les statistiques ont démontré que l'équilibre était atteint.

Un second risque concerne le volume d'assurances vie sous forme de fonds en euros. Les engagements pris par les assureurs envers les assurés y conduiront, en cas de remontée importante et soudaine des taux d'intérêt, à des difficultés. En ce sens, aucune décision n'a été nécessaire à ce stade. Toutefois, la réorientation opérée par les assureurs en termes d'allocation entre les fonds en euros et ceux en unités de compte constitue un facteur de résilience de l'assurance vie, qui est le mode d'épargne privilégié des Français.

Au niveau européen, de nombreuses procédures ont été engagées, notamment pour appliquer les accords internationaux signés après la crise financière. Ces accords ont été impulsés par le conseil de stabilité financière (CSF), qui a été relancé par la France pendant la présidence française du G20 lors du quinquennat de M. Nicolas Sarkozy. Le CSF est l'antichambre du G20 pour ce type de sujets. Un agenda de réforme ambitieux a été établi. Il a permis d'accroître la résilience des institutions bancaires qui procèdent à l'intermédiation en cas de crise. Néanmoins, nous travaillons toujours sur ces sujets. Ainsi, la Commission européenne a présenté ce matin son projet de transposition des accords finaux de Bâle III, issus du comité de Bâle qui réunit les superviseurs mondiaux en matière bancaire.

En matière d'assurance, les marchés sont moins internationalisés. Leur envergure est davantage nationale. Nous avons introduit dans la loi française des dispositions pour prévenir des risques dans ce domaine, qu'il s'agisse de pouvoirs donnés au conseil de stabilité financière ou de l'instauration d'un régime de résolution des assurances. Nous sommes le premier pays à procéder ainsi en Europe. À la faveur de la révision de la directive dite « solvabilité 2 » présentée il y a un mois, la Commission européenne accompagne ce projet d'un cadre de résolution des assurances au niveau européen. Nous nous réjouissons de constater qu'au niveau européen, cette impulsion française a pris corps.

M. Denis Beau a également évoqué le sujet de la finance non intermédiée. Les banques ou les compagnies d'assurance doivent établir un bilan qui opère l'intermédiation entre les engagements pris par les épargnants ou les déposants et les activités financières telles que l'octroi de crédit. Ce bilan permet de s'assurer de la capacité de l'entité à tenir ses engagements vis-à-vis de sa clientèle.

En revanche, un gestionnaire d'actifs ne dispose pas d'un bilan. Le risque est porté par les investisseurs et les épargnants. Cette situation soulève des problèmes en termes de protection de l'épargne et des investisseurs. Pour assurer cette protection, il est indispensable de veiller à la diffusion des bonnes informations afin que ces acteurs connaissent les risques encourus. En effet, en cas de volumes importants et en l'absence de ces informations, de tels risques demeurent possibles, ce qui s'est vérifié dans le cas d'une entité comme Archegos qui a récemment fait défaut. Même si les évaluations sont toujours en cours, elles font clairement ressortir un défaut d'information de la part d'Archegos, notamment pour ses intermédiaires bancaires – ce que l'on appelle les brokers-dealers –, sur la réalité des expositions. Il s'agit de « courroies de transmission » de risques sous-jacents à l'activité économique tels que les variations de valorisation d'entreprise. Ces phénomènes peuvent être encore plus marqués en cas d'effets de levier : vous pouvez vous exposer davantage que le sous-jacent économique en contractant des prêts. Face à ce type de difficulté, un travail a été entrepris par le conseil de stabilité financière en matière d'amélioration de l'information.

Le secteur financier peut représenter un facteur d'aggravation comme un vecteur d'amélioration de notre résilience nationale. Alors qu'il est largement question aujourd'hui de l'assurance cybernétique, des travaux sont menés, notamment au sein de ma direction générale, pour rendre ce marché plus « assurable » et permettre ainsi une intervention accrue des assureurs, y compris en termes de prévention et de réduction des impacts sur les acteurs économiques sous-jacents. D'autres impacts existent : ils pourraient par exemple se produire à la suite de catastrophes naturelles – crue centennale de la Seine, séisme à Nice...

À l'échelle des marchés financiers, l'assurance vie, les assureurs ou, plus généralement, les investisseurs de long terme jouent un rôle crucial pour absorber des chocs. En effet, ces investisseurs engagent leur argent sur un horizon de vingt à trente ans et ne sont pas spontanément incités à retirer leur investissement à la moindre occasion. Dès lors, leur présence constitue un facteur de résilience majeur. Qui plus est, l'assurance vie constitue le bassin le plus important de l'épargne française. À l'inverse, si la réglementation devait inciter ces acteurs à retirer rapidement leurs investissements en actions d'entreprises, une telle action serait procyclique et donc négative pour la résilience financière. C'est pour cette raison que nous menons actuellement un combat pour rendre le cadre « solvabilité 2 », qui possède beaucoup de vertus par ailleurs, plus résilient et moins procyclique. Certains chocs doivent être absorbés par d'autres acteurs avant que l'État ou les banques centrales n'interviennent.

J'aborderai enfin l'intervention des autorités publiques en termes de dernier ressort.

La crise sanitaire est un facteur exogène d'une ampleur inouïe. Le système financier est systémique, ce qui peut constituer un élément favorable dans la mesure où il peut représenter une formidable courroie de transmission relayant les interventions publiques auprès de tous les acteurs économiques, ménages et entreprises. De son côté, la Banque centrale européenne ne peut pas réaliser de prêt direct aux entreprises et aux ménages. De même, l'État n'est pas en capacité de proposer des prêts à tous les ménages et à toutes les entreprises – il peut cependant verser des subventions. Sa capacité budgétaire se heurte en outre à certaines limites.

Par exemple, les prêts garantis par l'État pendant la crise sanitaire ont représenté un montant de plus de 100 milliards d'euros en deux mois. Pas moins de 400 000 entreprises en ont bénéficié. Certaines d'entre elles n'en avaient pas besoin sur un strict plan comptable, mais elles ont eu recours à ce dispositif car elles y ont trouvé une forme de réassurance psychologique. Une telle action a pu être mise en œuvre grâce au réseau de distribution bancaire dont nous disposons en France. D'où l'importance de conserver ce facteur de résilience pour l'économie française.

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Dans la mesure où nous nous faisons ici le relais du « stress » de nos concitoyens sur ces sujets, nous n'allons pas manquer de vous pousser dans vos retranchements. À titre personnel, je suis attaché à prévenir autant que possible toute « surprise stratégique » à laquelle notre pays risque d'être confronté s'il ne s'est pas suffisamment préparé à certaines éventualités.

Nous nous intéressons aux risques systémiques auxquels les assurances comme les pouvoirs publics ne pourraient pas totalement faire face. En particulier, qu'adviendrait-il si un problème cybernétique bloquait le système financier, voire engendrait une perte d'écritures sur plusieurs jours ? Quelles seraient les conséquences pour notre société si le secteur financier se trouvait ainsi privé de ces moyens ?

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Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France

Le travail mené actuellement, qu'il s'agisse des impulsions données par le régulateur, la réglementation ou le superviseur, consiste à anticiper un choc de cette nature et à pousser les acteurs à prévoir des mesures de contournement. Puisqu'il s'agirait de chocs importants, il serait nécessaire de concentrer ces mesures de contournement sur les fonctions critiques. Tous les plans dits « de contingence » prévus en vue de résister à des chocs comportent des mesures de secours extrêmes qui permettent un fonctionnement minimal du système financier pour assurer des paiements critiques et les transactions financières considérées comme essentielles.

Par construction, la réponse à ce type de choc consisterait à éviter de se retrouver dans une situation où rien ne fonctionne. En réalité, nous utilisons des moyens alternatifs pour qu'une partie du système financier fonctionne. Les exercices de simulation que nous pouvons mener visent à tester les capacités de réaction et d'activation de ces mesures de contournement.

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Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor

Par exemple, lorsque s'est produit l'ouragan Irma, le réseau électrique n'était plus en état de fonctionnement et les paiements ont alors dû être effectués au moyen de billets de banque.

Face aux risques cybernétiques, on attend des acteurs financiers qu'ils montrent leur capacité de redondance et qu'ils veillent à localiser leurs données à différents endroits. Dans cet esprit, le test effectué lors de la présidence française du G7 consistait à simuler une attaque contre des données et à évaluer la capacité des acteurs financiers à les retrouver dans la journée. La réglementation impose en effet à ces acteurs de mettre en place des dispositions en ce sens.

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On peut supposer que les acteurs financiers disposent de systèmes d'information étanches entre eux. On peut donc imaginer qu'une attaque cybernétique majeure n'affecterait pas la totalité des données.

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Merci d'avoir rappelé l'impact de la politique du président Nicolas Sarkozy et des réformes mises en place à la suite de la crise financière majeure qui a touché notre pays et, plus globalement, le monde en 2008.

Pouvons-nous comparer cette crise de 2008 à la crise sanitaire que nous traversons aujourd'hui ? Est-il possible d'établir un état des lieux ? Disposons-nous de projections ? Pouvons-nous évaluer à terme l'impact de cette crise sanitaire sur les marchés financiers ?

Vous avez évoqué l'interconnexion entre les différents systèmes financiers. De ce fait, certains marchés situés en dehors de l'Union européenne ont-ils plus d'impact que d'autres sur les marchés financiers ? L'Union européenne constitue-t-elle un rempart supplémentaire face à une crise importante ? Nous permet-elle de disposer d'outils supplémentaires afin de nous protéger d'une telle crise ?

Par ailleurs, les cryptomonnaies ont-elles également un impact ? Des modèles de résilience ont-ils été construits par rapport à l'apparition de ces cryptomonnaies ? Doit-on s'inquiéter de leur impact sur le système financier ?

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Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor

Concernant l'évaluation de l'impact de la crise, nous devons rester humbles alors que l'épidémie semble reprendre dans d'autres pays. Lors de cette crise, nous avons démontré notre capacité d'adaptation. Cette dernière demeure indispensable, la situation pouvant encore évoluer. Il s'agit de réduire les impacts des restrictions sanitaires sur le quotidien et la vie économique. Désormais, nous pouvons compter sur la production à grande échelle de vaccins contre la covid, ce qui n'était pas envisageable au début de la pandémie et change considérablement la donne.

Pour les marchés financiers, le choc, l'épisode difficile s'est limité à la seconde quinzaine de mars 2020. Depuis, ceux-ci se sont adaptés. Lors de ces deux semaines, les banques centrales se sont mobilisées rapidement et ont mis en place une coordination internationale.

Si nous comparons cette réaction à celle à laquelle a donné lieu la crise de 2008, il y a des éléments différenciants majeurs. En Europe, lors de la crise financière de 2008, le Conseil européen s'est réuni à de nombreuses reprises mois après mois sans parvenir à de véritables avancées. Cette situation a engendré une méfiance qui a aggravé la situation avant que l'on aboutisse enfin à des accords qui ont permis d'améliorer la situation. À l'inverse, la pandémie a engendré une réaction rapide au niveau européen. L'Union européenne a ainsi démontré sa capacité à réagir rapidement à un niveau suffisant. Dès lors, je pense que nous avons su tirer les leçons de la crise financière de 2008 en termes de gouvernance.

Concernant l'impact de la crise sanitaire, le Gouvernement fournit un certain nombre de chiffres sur la volumétrie des aides d'urgence et de relance de l'économie. De nombreux articles ont également été publiés à ce sujet par des économistes et font ressortir des points de vue divers et variés.

Lorsqu'une crise intervient, les modèles du passé ne sont pas toujours exacts. Selon moi, il importe avant tout de s'interroger sur les ruptures que cette crise sanitaire va entraîner. La pandémie engendrera probablement un recours plus large aux modèles digitaux et au télétravail, ce qui induit également un accroissement des risques cybernétiques. Elle favorisera sans doute une prise de conscience plus rapide des grands enjeux de transition auxquels nous faisons face tels que les défis énergétiques ou digitaux. Par exemple, une PME qui ne dispose pas de site internet en mesure désormais l'utilité.

De telles évolutions supposent des moyens considérables. Pour autant, les règles en termes de macroéconomie financière et de règles budgétaires vont-elles s'en trouver modifiées ? Les débats à ce sujet ne manqueront pas d'avoir lieu. Néanmoins, on ne peut faire abstraction de principes de base : en particulier, il n'existe pas d'argent magique. En tout cas, l'argent, lorsqu'il est créé, doit être affecté à un objet précis, faute de quoi on s'expose à une source certaine de crises financières.

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Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France

En 2008, le secteur financier était à l'origine de la crise. Il a amplifié le choc initial et l'a transmis à l'économie réelle. À l'inverse, dans le cadre de la crise actuelle, le secteur financier fait partie de la solution. Par ailleurs, la réaction des pouvoirs publics au sens large a été rapide, coordonnée, massive et à la mesure de l'ampleur du choc qui était inédite.

La BCE publie des prévisions pour la zone euro tandis que nous en publions de manière indépendante pour l'économie française. D'un point de vue macroéconomique, nous retrouverons d'ici la fin de l'année 2021 le niveau d'activité qui prévalait avant la crise sanitaire et nous atteindrons à la fin de l'année 2022 un rythme de croissance analogue à celui que nous connaissions avant cette crise.

Le choc que celle-ci a engendré a été absorbé et traité. La reprise en cours est vigoureuse. De son côté, la crise de 2008 s'est prolongée et a engendré des répliques. Un certain nombre de sujets structurels n'ont d'ailleurs pas disparu.

Je parlerais de cryptoactifs plutôt que de cryptomonnaies. Du point de vue d'un banquier central, la monnaie a des attributs bien précis, à commencer par la volatilité de son cours. Les cryptoactifs sont un effet de l'innovation financière, celle-ci s'avérant positive pour le fonctionnement du système financier, notamment en termes d'efficacité. Cependant, toute innovation engendre à la fois des effets positifs et des risques.

En particulier, les cryptoactifs posent la question de leur encadrement. À ce stade, leur place dans le fonctionnement du système financier reste limitée, bien que l'on assiste à des phénomènes spectaculaires qui donnent lieu à une forte couverture médiatique. Ces développements peuvent devenir considérables, notamment s'ils sont portés en termes de cryptoactifs. Par exemple, des actifs d'investissement et de règlement comme les stablecoins s'accompagnent de dispositifs visant à limiter leur volatilité.

Quand ces actifs sont portés par des acteurs majeurs avec des centaines de millions de clients dès le démarrage, leur poids dans le système financier peut devenir très important. Ce phénomène pose le problème de l'ancrage de ce sous-ensemble qui pourrait se développer parallèlement au système financier traditionnel. Ce dernier bénéficie, lui, d'une stabilité significative et repose sur la monnaie émise par les banques centrales comme actifs de règlement ultimes.

À ce stade, différentes réponses peuvent être apportées à ce phénomène afin qu'il se développe sans menacer la stabilité du système financier. La première réponse est d'ordre réglementaire. Elle est en cours en Europe avec les projets DORA et MiCA – Markets in Crypto-Assets. Il existe une coordination et une réflexion importantes au niveau international. D'autres types de réponse peuvent également être apportées.

Ces cryptoactifs se développent en raison de nouvelles demandes insatisfaites exprimées par les consommateurs de services financiers. Pour répondre à ces demandes, les acteurs installés peuvent aussi prendre des initiatives régulées. En Europe, le projet EPI – European Payment Initiative – est porté par un consortium de banques européennes en vue de développer de nouveaux services. Une autre réponse possible consisterait en l'émission, par la Banque centrale, d'une forme digitale de sa monnaie. Le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé d'entreprendre une investigation approfondie des modalités que pourrait prendre une telle émission.

Ces éléments fournissent une vue d'ensemble des différentes politiques publiques et privées qui peuvent être mises en œuvre pour que ces innovations enrichissent le système financier en termes d'efficacité sans l'affaiblir ou le déstabiliser.

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Si la cryptomonnaie venait à trop se développer, l'État serait privé d'un des leviers qui lui permettent de faire face à une crise majeure. Pouvez-vous nous confirmer que l'euro constitue un facteur de résilience ? Depuis que les orfèvres sont devenus des banquiers, la monnaie s'assimile à une reconnaissance de dette. Que cette dernière soit libellée sur du papier ou du numérique ne change pas grand-chose. En cas de défaillance du numérique, la monnaie fiduciaire assurerait une forme de résilience. Si le cours de la monnaie s'effondrait, qu'adviendrait-il ? Assisterait-on à un blocage de la société ?

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Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor

Si aucune monnaie à travers le monde n'avait la confiance des citoyens, nous assisterions à une défaillance collective mondiale. Dans les faits, chaque citoyen français a confiance dans les billets de banque qu'il manipule : il sait que ceux-ci sont émis par la Banque centrale et imprimés par l'Imprimerie nationale. Avec le digital, cette dimension tactile disparaît. Comment, dès lors, distinguer un euro digital de la BCE d'un euro sur votre compte bancaire ?

C'est pour de telles raisons que nous nous efforçons d'assurer la confiance des populations envers les banques. Les citoyens doivent pouvoir transformer cette monnaie privée en monnaie publique par l'intermédiaire d'un distributeur. Une substitution totale ne constituerait ni le souhait de la Banque de France, ni celui de la BCE ou du Gouvernement. Comme le montre l'exemple de l'ouragan Irma, la monnaie sur son support papier peut être un facteur de résilience.

La confiance est un élément clé. À cet égard, la crise financière a testé la confiance des populations dans les institutions. Il est nécessaire d'adopter une approche transpartisane de ces sujets.

De même, la confiance dans les relations financières est un facteur-clé. Lorsque Lehman Brothers a fait faillite, les contreparties n'avaient plus d'argent. Or il est indispensable d'avoir confiance dans la capacité de sa contrepartie à honorer sa dette. Un titre de créance demeure un contrat avec un certain nombre de modalités. Cette procédure s'applique à tous les niveaux.

Les échanges de la France avec ses partenaires européens représentent 51 % de ses exportations et 41 % de ses importations. Un tel niveau d'interconnexion ne peut se concevoir sans un régime de change flexible. Si vous n'en disposez pas, il est préférable de renoncer à votre autonomie nationale plutôt que d'accepter un régime de change volatil. Il serait en outre difficile de faire accepter aux Français des dévaluations et des réévaluations à échéance infra-annuelle.

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Cette perte de confiance serait exacerbée par la possibilité de disposer, avec la cryptomonnaie, d'une solution alternative pour stocker sa monnaie.

Quelle est la part de notre dette détenue par des étrangers ? Pouvons-nous imaginer qu'un État étranger utilise ce type de levier à des fins d'influence ?

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Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor

Selon les données fournies par la Banque de France au deuxième trimestre, la dette de la France était détenue à hauteur de 52,4 % par des résidents et de 47,6 % par des non-résidents. Ces taux restent stables depuis une décennie. En outre, le secteur public non-résident détient 18 % de la dette publique française, tandis que le système bancaire non résident en possède 5 % et le secteur non bancaire non résident 25 %. Parmi ces acteurs se trouvent des banques centrales, des banques commerciales, des fonds de pension et des assureurs.

En termes de résilience, la nature des investisseurs revêt une importance certaine. S'agit-il d'acteurs qui privilégient une détention d'actifs stables ou d'acteurs opportunistes présents par intermittence ? Un autre enjeu a trait à la diversité des acteurs potentiels, qui représente également un facteur de résilience. Cette diversité permet en outre d'améliorer la liquidité de la dette française et d'en diminuer le coût.

Un État qui dispose d'une épargne domestique abondante et dont la dette publique est détenue pour une partie non négligeable par des non-résidents nous semble se trouver dans la situation la plus résiliente. En effet, la demande des non-résidents permet de minimiser le coût de la dette. C'est le cas lors d'achats par des banques centrales étrangères. Toutefois, si la demande des non-résidents se tarissait, l'épargne domestique pourrait prendre le relais.

Un titre de dette confère à son détenteur le droit d'être remboursé selon un certain nombre d'obligations contractuelles. La France respecte ses obligations contractuelles depuis 224 ans, quel que soit le détenteur. Détenir une obligation du Trésor ne permet pas d'exercer une quelconque influence sur la gouvernance d'un pays. Une telle obligation ne constitue en réalité qu'une promesse de remboursement à une échéance donnée.

Permalien
Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France

Je souhaite souligner un point important : nous parlons de cryptoactifs et non de cryptomonnaie. Cette distinction est fondamentale s'agissant de la confiance associée à une monnaie. Au-delà du vocabulaire et de la sémantique, cela correspond à un principe fondamental. Il s'agit d'un moyen de paiement ultime reconnu. Les solutions prétendument alternatives à la monnaie n'en sont pas. Nous ne disposons pas d'une vision du bon niveau de développement des cryptoactifs ou de leur rôle dans le système financier. S'ils répondent à une demande, il importe qu'ils puissent se développer dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

La réunion se termine à seize-heures et vingt-cinq minutes..

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - Mme Marine Brenier, M. Thomas Gassilloud

Excusé. - M. Alexandre Freschi