Intervention de Jean-Christophe Combe

Réunion du vendredi 29 octobre 2021 à 10h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française :

La question de la résilience est au cœur de notre projet associatif, au point de devenir notre raison d'agir. Dans notre nouveau projet associatif, la Croix-Rouge française agit pour protéger et relever sans condition toutes les personnes en situation de vulnérabilité et construire avec elles leur résilience.

Je suis accompagné de M. Florian Vallée, directeur de l'urgence et des opérations de secours.

La Croix-Rouge française, première association de France, bénéficie de la mobilisation d'une communauté d'environ 100 000 personnes au quotidien, dont 65 000 bénévoles, 18 000 salariés et 20 000 étudiants, au contact permanent du terrain et de la société civile. Ils font partie des corps intermédiaires de notre pays. Nous possédons un statut particulier dans le paysage associatif car nous avons la particularité d'être auxiliaires des pouvoirs publics dans le domaine humanitaire. En effet, la Croix-Rouge fait partie des signataires des conventions de Genève. Notre articulation avec les pouvoirs publics a été prévue dans ce cadre, bien que l'indépendance et la neutralité soient au cœur de nos principes. Ces principes nous confèrent une dimension particulière et nous permettent de maintenir, malgré un climat de défiance assez important au sein de notre société, une confiance avec la population qui nous permet d'agir.

Au-delà des personnes qui s'y engagent, la force de la Croix-Rouge française provient de son réseau d'environ 1 200 implantations locales, sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin. Au regard du monde dans lequel nous vivons et de la globalisation des crises, notre appartenance au plus grand mouvement de solidarité au monde est également une particularité importante. Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est composé à la fois du comité international de la Croix-Rouge, détenteur d'un mandat d'action sur les territoires en conflit, et de notre fédération, qui coordonne 192 sociétés nationales Croix-Rouge à travers le monde. Nous bénéficions ainsi d'une vision et d'une capacité particulières nous permettant de nous préparer aux crises et d'y répondre.

À propos des questions de prospective et de notre stratégie, je mentionnerai la mobilisation de la Croix-Rouge française dans la réponse à la crise du covid-19. Nous sommes mobilisés depuis près de deux ans. Nous avons ouvert notre centre opérationnel en janvier 2020 afin de nous préparer et de répondre aux crises, d'abord dans le cadre des conventions qui nous lient avec le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères. L'approche était d'abord celle d'une réponse aux préoccupations de nos ressortissants, d'une assistance aux autorités françaises dans l'accompagnement de ces ressortissants et dans leur accueil en France – nous avons coordonné la gestion du centre de Carry-le-Rouet, qui a accueilli les premières personnes rapatriées de Wuhan en Chine.

Puis nous nous sommes mobilisés progressivement autour de trois grands axes. Premièrement, nous nous sommes concentrés sur la responsabilité permanente qui nous incombe de protéger les acteurs et les personnes que nous accompagnons. Deuxièmement, nous avons veillé à assurer la continuité de nos activités, notamment l'accueil au sein des 600 établissements sanitaires, sociaux, médico-sociaux et de formation que nous gérons. Troisièmement, nous devions être en capacité de nous mobiliser pour accompagner les autorités et la population face à cette crise.

Cette mobilisation a d'abord été effective sur le volet sanitaire, conformément à notre savoir-faire historique, en particulier en matière de réponse aux épidémies. Nous nous sommes mobilisés en renfort de notre réseau de secours pour assurer le transport de malades, l'accueil dans les hôpitaux et les services d'urgence. Nous avons participé à un grand nombre de missions de santé publique de prévention, de diffusion des gestes barrières et de développement de dispositifs spécifiques tels que les centres de dépistage. Nous avons grandement participé à la campagne de vaccination. Nos bénévoles se sont mobilisés en grand nombre autour de cette cause sanitaire.

Le second volet correspond à la dimension sociale, qui fait également partie de notre cœur de métier. Nous avons pu répondre dès le déclenchement du premier confinement aux conséquences sociales qui se sont avérées violentes, notamment dans les premières semaines de la crise. Nous avons constaté des phénomènes d'exclusion, de basculement dans l'isolement total et de grandes difficultés sociales au sein d'une partie de la population. Il a donc fallu poursuivre nos activités, en particulier auprès des personnes sans-abri, en multipliant et en médicalisant nos maraudes, effectuées par environ 230 équipes rayonnant sur l'ensemble du territoire. Dans les crises de toute nature, les personnes les plus vulnérables sont généralement les plus impactées. Nous avons donc maintenu une attention particulière envers les personnes isolées ou sans-abri. Nous avons également travaillé au maintien et au développement de nos capacités en matière d'aide alimentaire, bien que de nombreux acteurs du secteur aient dû suspendre leurs activités durant les premières semaines de ce premier confinement. Puis nous avons rapidement mis en place de nouvelles activités pour répondre à la problématique de l'isolement social et de ses conséquences, notamment en termes de santé psychologique. Nous avons créé un dispositif appelé « Croix-Rouge chez vous », visant à apporter de l'écoute et du soutien psychologique, mais aussi à répondre aux problématiques du quotidien des personnes isolées à domicile, qui ne pouvaient plus ou ne voulaient plus bénéficier de certains services ou de la solidarité de proximité. Nous avons apporté de la nourriture, des médicaments, des produits d'hygiène à domicile durant l'intégralité de cette période. Depuis, nous avons développé ces activités de lutte contre l'isolement social et nous avons étendu notre réseau de téléphonie et d'écoute, qui effectue aussi des appels ciblés, en lien avec les centres communaux d'action sociale, à destination des personnes isolées. Nous avons également développé la solidarité de proximité dans le cadre d'une opération baptisée « Confinés et solidaires », afin de mobiliser la population le plus largement possible.

Je vous ai donné un aperçu très rapide de nos actions, qui ont été très nombreuses et qui perdurent, notamment dans le cadre de la campagne de vaccination. Nous continuons à concentrer nos efforts sur l'accessibilité du vaccin pour des populations qui sont très éloignées de notre système de santé, telles que les personnes vivant dans la rue, les migrants, les habitants des quartiers prioritaires de la ville ou de la grande ruralité.

Nous avons tiré des enseignements de la crise. Nous avons constaté que nous n'étions pas complètement préparés pour faire face à une crise de cette ampleur. Nous avons également noté le manque de coordination et d'association des acteurs de la société civile dans la réponse aux crises. La capacité à mobiliser toutes les bonnes volontés, notamment les personnes dotées d'un savoir-faire, est nécessaire en temps de crise. Il ne faut cependant pas négliger l'importance de la coordination territoriale afin d'apporter une réponse concrète et opérationnelle. Il existe aussi un enjeu de confiance, fondamental dans une société qui doute parfois de la science et de ses institutions. Bénéficier de la confiance du public pour pouvoir délivrer des services, faire face à la crise, relayer les messages pour renforcer nos politiques en matière de santé publique est indispensable. Enfin, nous retenons la nécessité d'intégrer à la gestion des crises les phases amont et aval. Notre modèle reste traditionnellement structuré sur la réponse à la crise. Toutefois, nous serions plus forts si nous pouvions mieux prévenir et préparer et anticiper, puis accompagner le relèvement de la population en termes de soutien psycho-social face à des crises pouvant se révéler extrêmement violentes.

En amont de la pandémie et durant celle-ci, nous avons effectué un travail prospectif pour repositionner la Croix-Rouge française dans un environnement particulier, et réfléchir à son futur rôle sociétal. C'est pourquoi nous avons publié ce cahier prospectif appelé Anticiper 2030. Il est le résultat de dix-huit mois d'analyses prospectives, en collaboration avec le cabinet Futuribles, spécialisé dans les travaux prospectifs.

Nous y avons mentionné un certain nombre de constats, dont celui de notre entrée dans une aire de crises écosystémiques causées notamment par les changements climatiques. Ces crises vont se complexifier et s'ajouter les unes aux autres. Nous rencontrerons des déstabilisations géopolitiques, des problématiques en matière de santé, des problématiques sociales et économiques.

Nous agissons dans un climat de défiance, ce qui représente une source d'inquiétude à laquelle nous devrons être collectivement en capacité de répondre pour renforcer la résilience de notre société.

Nous avons également identifié un enjeu majeur en matière de protection de l'enfance et d'accompagnement de la jeunesse. La crise du covid-19 a eu de lourdes conséquences sur notre jeunesse. Or les enfants doivent être considérés non seulement comme porteurs de l'avenir, mais également comme des personnes vulnérables que nous nous devons de protéger en amont et durant les crises.

La crise a confirmé ou provoqué l'émergence de certaines inégalités ou ruptures au sein de notre société, notamment les inégalités en matière de santé et le croisement des enjeux sanitaires et sociaux.

Enfin, nous avons constaté la transformation des modèles associatifs. Nous devons nous transformer pour accueillir de nouvelles formes d'engagement, pour revoir notre rôle sociétal, pour favoriser l'innovation ou pour renforcer notre partenariat avec d'autres acteurs. Une hybridation est à envisager dans un environnement où nous sommes concurrencés par des modèles plus entrepreneuriaux et plus agiles qui viennent percuter mais aussi inspirer les grandes organisations comme la nôtre.

Nous avons revu notre stratégie autour de la notion de résilience ; nous en avons identifié trois piliers : prévenir, protéger et relever. Le premier pilier, la prévention et l'éducation, implique de renforcer notre capacité à agir et à déployer une offre éducative auprès des jeunes. Cela correspond à nos actions actuelles dans les établissements scolaires, mais également au déploiement de l'option Croix-Rouge et d'une offre de formation, notamment aux gestes qui sauvent, à la solidarité, à la diffusion du droit international humanitaire, etc. La Croix-Rouge est un grand organisme de formation qui forme 14 % des personnels paramédicaux en France. Par cet intermédiaire, nous avons la capacité de proposer et de développer une offre de formation conforme à notre vision du soin, dans une approche globale des questions de santé comme la définit l'Organisation mondiale de la santé, et de poursuivre les efforts engagés dans la réduction du risque de catastrophe.

Le second pilier, protéger, implique de renforcer notre capacité de réponse à l'urgence conjointement aux autres acteurs. Nous avons développé, avec l'Agence française de développement et le ministère des outre-mer, des plateformes d'intervention régionale sur notre territoire ultramarin. Elles nous permettent d'assurer la préparation et la réponse aux crises, en France, mais aussi dans les zones autour de nos territoires ultramarins, qui constituent des éléments de rayonnement et de résilience. Dans cette dynamique de protection, il est nécessaire de rapprocher les environnements du secours, du soin et de l'action sociale, traditionnellement éloignés, avec un point d'attention particulier pour les enjeux de santé mentale.

Le troisième pilier, celui du relèvement, nous amène à repenser nos établissements comme des lieux d'accueil, d'écoute, d'orientation, d'accès au droit, où nous souhaitons développer nos dispositifs et les rendre accessibles et mobiles. Nous prévoyons de réinventer notre présence territoriale et de développer des actions en matière d'insertion sociale et professionnelle.

Il s'agit ainsi d'agir selon une approche globale sur les trois piliers du cycle de la crise et de la résilience. Nous étendons cette démarche à l'ensemble de nos activités, au-delà de la réponse aux crises ou aux catastrophes, notamment aux problématiques d'inclusion ou de « sans-abrisme ». La prévention pourrait éviter des basculements dans la grande exclusion. La protection permettrait d'héberger tout en accompagnant rapidement les personnes vers le logement de droit commun. Le relèvement consisterait à offrir un parcours de réinsertion sociale et professionnelle aux personnes accompagnées, en vertu d'une approche globale de la santé.

Nous avons eu l'occasion de mettre en avant quelques propositions dans le cadre de la proposition de loi du député Fabien Matras visant à renforcer notre sécurité civile, que nous avons beaucoup soutenue. Ces propositions concernent la préparation aux crises. Nous portons la conviction que nous devons pouvoir nous appuyer largement sur une population préparée à répondre aux crises. Pour cela, nous pourrions imaginer une journée nationale de préparation aux crises, à l'instar de ce qui existe au Japon pour les tremblements de terre. Ce dispositif aurait le mérite de préparer la population et l'ensemble des acteurs, mais également de généraliser les formations aux premiers secours. À l'heure actuelle, un Français sur trois ne connaît aucun geste de premier secours et seuls 36 % des Français se disent capables d'appliquer les gestes de premiers secours, contre 80 % dans certains pays européens. Il s'agit là d'un enjeu important.

Concernant la réponse aux crises, les associations agréées de sécurité civile ont montré leur capacité de réponse et leur utilité. Il est important de les intégrer davantage dans l'organisation en temps de crise, mais aussi hors des crises. Il serait bénéfique d'intégrer leurs actions dans le système de secours, notamment dans la réponse pré-hospitalière. Il est également nécessaire de consolider le modèle économique des associations agréées de sécurité civile. L'année dernière, nous avons bénéficié d'un soutien extrêmement important du ministère de l'intérieur. Cependant, nous devons créer des modèles économiques durables et résilients. Enfin, nous encourageons au développement d'une culture de l'engagement citoyen au sein de notre société dès le plus jeune âge, en généralisant éventuellement le dispositif de compte engagement citoyen qui favoriserait la formation des bénévoles des associations agréées de sécurité civile.

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