MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Vendredi 29 octobre 2021
La séance est ouverte à dix heures trente
(Présidence de Mme Carole Bureau-Bonnard, membre de la mission d'information)
Nous avons le plaisir d'accueillir monsieur Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge.
Monsieur le directeur général, la récente publication de la Croix-Rouge française intitulée Anticiper 2030, crises, transformations et résilience, montre que les préoccupations de votre organisation entrent en résonnance avec le thème de notre mission d'information. Nous serons donc heureux de vous entendre sur cette vision prospective de la Croix-Rouge à l'horizon 2030 et, au-delà, sur les transformations stratégiques et organisationnelles qu'elle implique, ainsi que sur votre analyse de la pandémie en France et dans le monde. Nous aimerions également vous entendre sur le sujet de la résilience de votre propre organisation, car la préservation de la capacité d'agir des personnes se trouvant en première ligne lors de crises majeures est déterminante.
En réponse à la crise sanitaire dans ma circonscription de l'Oise, la Croix-Rouge a très rapidement mené des actions de prise en charge d'aide aux personnes qui en avaient besoin, de distribution de gel et de masques. Je salue ce travail effectué de concert avec les représentants de la circonscription et de la sous-préfecture.
La question de la résilience est au cœur de notre projet associatif, au point de devenir notre raison d'agir. Dans notre nouveau projet associatif, la Croix-Rouge française agit pour protéger et relever sans condition toutes les personnes en situation de vulnérabilité et construire avec elles leur résilience.
Je suis accompagné de M. Florian Vallée, directeur de l'urgence et des opérations de secours.
La Croix-Rouge française, première association de France, bénéficie de la mobilisation d'une communauté d'environ 100 000 personnes au quotidien, dont 65 000 bénévoles, 18 000 salariés et 20 000 étudiants, au contact permanent du terrain et de la société civile. Ils font partie des corps intermédiaires de notre pays. Nous possédons un statut particulier dans le paysage associatif car nous avons la particularité d'être auxiliaires des pouvoirs publics dans le domaine humanitaire. En effet, la Croix-Rouge fait partie des signataires des conventions de Genève. Notre articulation avec les pouvoirs publics a été prévue dans ce cadre, bien que l'indépendance et la neutralité soient au cœur de nos principes. Ces principes nous confèrent une dimension particulière et nous permettent de maintenir, malgré un climat de défiance assez important au sein de notre société, une confiance avec la population qui nous permet d'agir.
Au-delà des personnes qui s'y engagent, la force de la Croix-Rouge française provient de son réseau d'environ 1 200 implantations locales, sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin. Au regard du monde dans lequel nous vivons et de la globalisation des crises, notre appartenance au plus grand mouvement de solidarité au monde est également une particularité importante. Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est composé à la fois du comité international de la Croix-Rouge, détenteur d'un mandat d'action sur les territoires en conflit, et de notre fédération, qui coordonne 192 sociétés nationales Croix-Rouge à travers le monde. Nous bénéficions ainsi d'une vision et d'une capacité particulières nous permettant de nous préparer aux crises et d'y répondre.
À propos des questions de prospective et de notre stratégie, je mentionnerai la mobilisation de la Croix-Rouge française dans la réponse à la crise du covid-19. Nous sommes mobilisés depuis près de deux ans. Nous avons ouvert notre centre opérationnel en janvier 2020 afin de nous préparer et de répondre aux crises, d'abord dans le cadre des conventions qui nous lient avec le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères. L'approche était d'abord celle d'une réponse aux préoccupations de nos ressortissants, d'une assistance aux autorités françaises dans l'accompagnement de ces ressortissants et dans leur accueil en France – nous avons coordonné la gestion du centre de Carry-le-Rouet, qui a accueilli les premières personnes rapatriées de Wuhan en Chine.
Puis nous nous sommes mobilisés progressivement autour de trois grands axes. Premièrement, nous nous sommes concentrés sur la responsabilité permanente qui nous incombe de protéger les acteurs et les personnes que nous accompagnons. Deuxièmement, nous avons veillé à assurer la continuité de nos activités, notamment l'accueil au sein des 600 établissements sanitaires, sociaux, médico-sociaux et de formation que nous gérons. Troisièmement, nous devions être en capacité de nous mobiliser pour accompagner les autorités et la population face à cette crise.
Cette mobilisation a d'abord été effective sur le volet sanitaire, conformément à notre savoir-faire historique, en particulier en matière de réponse aux épidémies. Nous nous sommes mobilisés en renfort de notre réseau de secours pour assurer le transport de malades, l'accueil dans les hôpitaux et les services d'urgence. Nous avons participé à un grand nombre de missions de santé publique de prévention, de diffusion des gestes barrières et de développement de dispositifs spécifiques tels que les centres de dépistage. Nous avons grandement participé à la campagne de vaccination. Nos bénévoles se sont mobilisés en grand nombre autour de cette cause sanitaire.
Le second volet correspond à la dimension sociale, qui fait également partie de notre cœur de métier. Nous avons pu répondre dès le déclenchement du premier confinement aux conséquences sociales qui se sont avérées violentes, notamment dans les premières semaines de la crise. Nous avons constaté des phénomènes d'exclusion, de basculement dans l'isolement total et de grandes difficultés sociales au sein d'une partie de la population. Il a donc fallu poursuivre nos activités, en particulier auprès des personnes sans-abri, en multipliant et en médicalisant nos maraudes, effectuées par environ 230 équipes rayonnant sur l'ensemble du territoire. Dans les crises de toute nature, les personnes les plus vulnérables sont généralement les plus impactées. Nous avons donc maintenu une attention particulière envers les personnes isolées ou sans-abri. Nous avons également travaillé au maintien et au développement de nos capacités en matière d'aide alimentaire, bien que de nombreux acteurs du secteur aient dû suspendre leurs activités durant les premières semaines de ce premier confinement. Puis nous avons rapidement mis en place de nouvelles activités pour répondre à la problématique de l'isolement social et de ses conséquences, notamment en termes de santé psychologique. Nous avons créé un dispositif appelé « Croix-Rouge chez vous », visant à apporter de l'écoute et du soutien psychologique, mais aussi à répondre aux problématiques du quotidien des personnes isolées à domicile, qui ne pouvaient plus ou ne voulaient plus bénéficier de certains services ou de la solidarité de proximité. Nous avons apporté de la nourriture, des médicaments, des produits d'hygiène à domicile durant l'intégralité de cette période. Depuis, nous avons développé ces activités de lutte contre l'isolement social et nous avons étendu notre réseau de téléphonie et d'écoute, qui effectue aussi des appels ciblés, en lien avec les centres communaux d'action sociale, à destination des personnes isolées. Nous avons également développé la solidarité de proximité dans le cadre d'une opération baptisée « Confinés et solidaires », afin de mobiliser la population le plus largement possible.
Je vous ai donné un aperçu très rapide de nos actions, qui ont été très nombreuses et qui perdurent, notamment dans le cadre de la campagne de vaccination. Nous continuons à concentrer nos efforts sur l'accessibilité du vaccin pour des populations qui sont très éloignées de notre système de santé, telles que les personnes vivant dans la rue, les migrants, les habitants des quartiers prioritaires de la ville ou de la grande ruralité.
Nous avons tiré des enseignements de la crise. Nous avons constaté que nous n'étions pas complètement préparés pour faire face à une crise de cette ampleur. Nous avons également noté le manque de coordination et d'association des acteurs de la société civile dans la réponse aux crises. La capacité à mobiliser toutes les bonnes volontés, notamment les personnes dotées d'un savoir-faire, est nécessaire en temps de crise. Il ne faut cependant pas négliger l'importance de la coordination territoriale afin d'apporter une réponse concrète et opérationnelle. Il existe aussi un enjeu de confiance, fondamental dans une société qui doute parfois de la science et de ses institutions. Bénéficier de la confiance du public pour pouvoir délivrer des services, faire face à la crise, relayer les messages pour renforcer nos politiques en matière de santé publique est indispensable. Enfin, nous retenons la nécessité d'intégrer à la gestion des crises les phases amont et aval. Notre modèle reste traditionnellement structuré sur la réponse à la crise. Toutefois, nous serions plus forts si nous pouvions mieux prévenir et préparer et anticiper, puis accompagner le relèvement de la population en termes de soutien psycho-social face à des crises pouvant se révéler extrêmement violentes.
En amont de la pandémie et durant celle-ci, nous avons effectué un travail prospectif pour repositionner la Croix-Rouge française dans un environnement particulier, et réfléchir à son futur rôle sociétal. C'est pourquoi nous avons publié ce cahier prospectif appelé Anticiper 2030. Il est le résultat de dix-huit mois d'analyses prospectives, en collaboration avec le cabinet Futuribles, spécialisé dans les travaux prospectifs.
Nous y avons mentionné un certain nombre de constats, dont celui de notre entrée dans une aire de crises écosystémiques causées notamment par les changements climatiques. Ces crises vont se complexifier et s'ajouter les unes aux autres. Nous rencontrerons des déstabilisations géopolitiques, des problématiques en matière de santé, des problématiques sociales et économiques.
Nous agissons dans un climat de défiance, ce qui représente une source d'inquiétude à laquelle nous devrons être collectivement en capacité de répondre pour renforcer la résilience de notre société.
Nous avons également identifié un enjeu majeur en matière de protection de l'enfance et d'accompagnement de la jeunesse. La crise du covid-19 a eu de lourdes conséquences sur notre jeunesse. Or les enfants doivent être considérés non seulement comme porteurs de l'avenir, mais également comme des personnes vulnérables que nous nous devons de protéger en amont et durant les crises.
La crise a confirmé ou provoqué l'émergence de certaines inégalités ou ruptures au sein de notre société, notamment les inégalités en matière de santé et le croisement des enjeux sanitaires et sociaux.
Enfin, nous avons constaté la transformation des modèles associatifs. Nous devons nous transformer pour accueillir de nouvelles formes d'engagement, pour revoir notre rôle sociétal, pour favoriser l'innovation ou pour renforcer notre partenariat avec d'autres acteurs. Une hybridation est à envisager dans un environnement où nous sommes concurrencés par des modèles plus entrepreneuriaux et plus agiles qui viennent percuter mais aussi inspirer les grandes organisations comme la nôtre.
Nous avons revu notre stratégie autour de la notion de résilience ; nous en avons identifié trois piliers : prévenir, protéger et relever. Le premier pilier, la prévention et l'éducation, implique de renforcer notre capacité à agir et à déployer une offre éducative auprès des jeunes. Cela correspond à nos actions actuelles dans les établissements scolaires, mais également au déploiement de l'option Croix-Rouge et d'une offre de formation, notamment aux gestes qui sauvent, à la solidarité, à la diffusion du droit international humanitaire, etc. La Croix-Rouge est un grand organisme de formation qui forme 14 % des personnels paramédicaux en France. Par cet intermédiaire, nous avons la capacité de proposer et de développer une offre de formation conforme à notre vision du soin, dans une approche globale des questions de santé comme la définit l'Organisation mondiale de la santé, et de poursuivre les efforts engagés dans la réduction du risque de catastrophe.
Le second pilier, protéger, implique de renforcer notre capacité de réponse à l'urgence conjointement aux autres acteurs. Nous avons développé, avec l'Agence française de développement et le ministère des outre-mer, des plateformes d'intervention régionale sur notre territoire ultramarin. Elles nous permettent d'assurer la préparation et la réponse aux crises, en France, mais aussi dans les zones autour de nos territoires ultramarins, qui constituent des éléments de rayonnement et de résilience. Dans cette dynamique de protection, il est nécessaire de rapprocher les environnements du secours, du soin et de l'action sociale, traditionnellement éloignés, avec un point d'attention particulier pour les enjeux de santé mentale.
Le troisième pilier, celui du relèvement, nous amène à repenser nos établissements comme des lieux d'accueil, d'écoute, d'orientation, d'accès au droit, où nous souhaitons développer nos dispositifs et les rendre accessibles et mobiles. Nous prévoyons de réinventer notre présence territoriale et de développer des actions en matière d'insertion sociale et professionnelle.
Il s'agit ainsi d'agir selon une approche globale sur les trois piliers du cycle de la crise et de la résilience. Nous étendons cette démarche à l'ensemble de nos activités, au-delà de la réponse aux crises ou aux catastrophes, notamment aux problématiques d'inclusion ou de « sans-abrisme ». La prévention pourrait éviter des basculements dans la grande exclusion. La protection permettrait d'héberger tout en accompagnant rapidement les personnes vers le logement de droit commun. Le relèvement consisterait à offrir un parcours de réinsertion sociale et professionnelle aux personnes accompagnées, en vertu d'une approche globale de la santé.
Nous avons eu l'occasion de mettre en avant quelques propositions dans le cadre de la proposition de loi du député Fabien Matras visant à renforcer notre sécurité civile, que nous avons beaucoup soutenue. Ces propositions concernent la préparation aux crises. Nous portons la conviction que nous devons pouvoir nous appuyer largement sur une population préparée à répondre aux crises. Pour cela, nous pourrions imaginer une journée nationale de préparation aux crises, à l'instar de ce qui existe au Japon pour les tremblements de terre. Ce dispositif aurait le mérite de préparer la population et l'ensemble des acteurs, mais également de généraliser les formations aux premiers secours. À l'heure actuelle, un Français sur trois ne connaît aucun geste de premier secours et seuls 36 % des Français se disent capables d'appliquer les gestes de premiers secours, contre 80 % dans certains pays européens. Il s'agit là d'un enjeu important.
Concernant la réponse aux crises, les associations agréées de sécurité civile ont montré leur capacité de réponse et leur utilité. Il est important de les intégrer davantage dans l'organisation en temps de crise, mais aussi hors des crises. Il serait bénéfique d'intégrer leurs actions dans le système de secours, notamment dans la réponse pré-hospitalière. Il est également nécessaire de consolider le modèle économique des associations agréées de sécurité civile. L'année dernière, nous avons bénéficié d'un soutien extrêmement important du ministère de l'intérieur. Cependant, nous devons créer des modèles économiques durables et résilients. Enfin, nous encourageons au développement d'une culture de l'engagement citoyen au sein de notre société dès le plus jeune âge, en généralisant éventuellement le dispositif de compte engagement citoyen qui favoriserait la formation des bénévoles des associations agréées de sécurité civile.
En quelque sorte, vous avez répondu avant l'heure aux questions de notre mission d'information sur la résilience. Il nous sera d'autant plus profitable d'échanger avec vous que vous bénéficiez de cent cinquante ans d'expérience et d'une vision internationale.
Vous avez déjà répondu à la question de la sémantique de la résilience avec les trois axes autour desquels vous la définissez. J'aimerais vous interroger sur la dimension comparative de la résilience à l'échelle internationale. Quel regard portez-vous sur le niveau de résilience des différentes sociétés dans le monde ? Êtes-vous en capacité de le mesurer ? Comment évaluez-vous le niveau de la résilience française ? N'y-a-t-il pas en France un risque de démobiliser les citoyens, en leur laissant croire que l'État sera présent quoi qu'il arrive pour apporter une solution ?
Le constat actuel est qu'aucune société n'était prête à faire face à la pandémie. Mes collègues d'autres pays ont fait face aux mêmes difficultés que nous. Les sociétés ayant fait face le plus efficacement, comme l'Allemagne ou le Japon, étaient les mieux préparées, car elles avaient l'habitude du risque ou leur population était mieux formée. Toutefois, aucun pays n'a été en capacité de répondre parfaitement à la crise.
Lors d'une crise, les personnes les plus vulnérables présentent les risques les plus élevés. Les sociétés les plus résilientes sont celles qui prêtent l'attention la plus marquée à ces personnes : personnes sans-abri, isolées, âgées, en situation de handicap, les jeunes, les enfants. Ces sociétés sont les plus susceptibles de répondre à ces crises.
Concernant la présence de l'État, je peux affirmer que compte tenu de la complexité et de la puissance des crises auxquelles nous allons devoir faire face, nous ne serons pas résilients dans un futur immédiat si nous comptons uniquement sur la puissance publique ou sur la société civile organisée. Seules une mobilisation et une préparation de l'ensemble de la société et des citoyens nous permettront d'affronter ces crises. La question est de savoir comment il est possible de mobiliser l'ensemble de la société. Je pense qu'une des plus grandes limites de notre système est le manque d'habitude de travail en commun et le manque de confiance entre les acteurs publics, associatifs, les collectivités, l'État et les entreprises. Lorsque chacun trouve sa place et que l'on parvient à se coordonner, alors on obtient des réussites.
Nous touchons à plusieurs sujets : celui de la mobilisation des citoyens et celui de la capacité à coordonner une action impliquant des acteurs multiples. En temps de crise, il est nécessaire qu'une chaîne de commandement claire soit en place, ce qui n'empêche pas de mobiliser des acteurs de natures très diverses.
J'approuve vos propositions, en particulier concernant la formation aux premiers secours, sur laquelle nous sommes très en retard. Nous pourrions travailler sur ce sujet dans le cadre de la journée de la citoyenneté, mais également auprès des entreprises.
Permettez-moi de vous remercier, monsieur le directeur général, ainsi que toutes vos équipes, qu'elles soient professionnelles ou bénévoles, pour le travail réalisé par la Croix-Rouge sur l'ensemble du territoire national. La Croix-Rouge est devenue un acteur primordial sur lequel nous nous reposons très souvent dans de nombreux domaines, notamment en période de crise mais également au quotidien sur les questions sociales.
Comment concevez-vous la journée nationale de préparation aux crises ? Sur le modèle de la journée défense et citoyenneté ? Quel en serait le public destinataire ? Cette journée doit-elle être envisagée dès le plus jeune âge, en l'assortissant éventuellement d'une formation continue destinée à un public adulte ?
Après les attentats du 14 juillet 2016 à Nice, nous avons relevé que beaucoup de Français ne maîtrisaient pas les gestes de premiers secours. J'avais alors déposé une proposition de loi sur le sujet. Par ailleurs, on parle d'une recrudescence des crises cardiaques fatales. Le manque de connaissance des gestes de premiers secours pourrait être en cause. Une formation continue pourrait-elle être dispensée aux citoyens afin de les rendre acteurs de la santé de tous ? Ma proposition de loi visait à instituer une formation dans les institutions publiques, les collectivités territoriales et l'État et envisageait de rendre cette formation obligatoire dans les entreprises.
Vous avez évoqué le manque de concertation entre les acteurs privés et publics dans certains territoires. Les freins résultant de ce manque de concertation ont-ils pu être levés ? Dans l'affirmative, ont-ils été levés rapidement ?
Nous imaginons la journée nationale de préparation aux crises comme un exercice national qui concernerait l'ensemble de la population et l'ensemble des acteurs tels que l'État, les entreprises, les écoles… Les exercices pourraient être différents en fonction du lieu. Nous sommes convaincus que c'est la mobilisation de l'ensemble de la population et des acteurs qui peut rendre notre société résiliente. Un exercice national, piloté par l'État, responsabilisant chaque acteur, permettrait d'assurer à la fois la formation aux bons gestes de réponse aux crises et l'information de la population sur les risques auxquels elle est exposée. Cette journée s'intégrerait dans un cursus global de formation aux risques et aux gestes qui sauvent initié dans la jeunesse et poursuivi tout au long de la vie.
Nous travaillons à l'évolution des formations aux gestes qui sauvent. Nous constatons qu'il ne suffit pas d'avoir suivi la formation ponctuelle Prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) pour passer à l'acte en situation. La capacité à passer à l'acte nécessite des rappels et une formation tout au long de la vie, afin d'être préparé et de briser ses appréhensions. La loi inscrit l'obligation de formation dans le parcours scolaire, cependant nous constatons que tous les jeunes ne sont pas formés. Nous développons les formations dans les entreprises, dans les collectivités et dans les services de l'État. Toutefois, elles ne sont pas systématiques. Nous devons absolument mettre en place des cursus de formation – nous serons aidés par la digitalisation – comportant des rappels tout au long de la vie afin de s'assurer de son efficacité.
Le sujet de la concertation entre acteurs nous renvoie aux habitudes de travail et de communication. Si les acteurs n'échangent pas, ne travaillent pas ensemble, n'ont pas de plans communs leur permettant de répondre ensemble aux crises à venir, la difficulté à répondre collectivement le jour où la crise survient s'accentue. Nous avons pu constater que nous ne possédions pas les réflexes adéquats au début de la crise du covid-19. Toutefois, des initiatives ont été progressivement prises, sous la responsabilité des collectivités ou des représentants de l'État dans les départements. Les services publics, les associations, les collectivités, les entreprises sont parvenus à apporter des solutions concrètes pour répondre aux problématiques locales. Je pense que la question de la préparation est essentielle dans notre capacité future à travailler ensemble lorsque surviendra une crise. Au début de la crise, nous avons ressenti une relative défiance de l'État vis-à-vis des autres acteurs, comme si les associations manquaient de professionnalisme et comme si mobiliser des citoyens bénévoles engendrait un manque d'efficience. Il a fallu abattre certains préjugés, et aussi montrer aux associations qu'il était possible de travailler avec les entreprises. Celles-ci sont des acteurs importants en termes de résilience, en raison de leurs savoir-faire, de leur implantation et de leur inclusion dans le tissu socio-économique des territoires.
Vous avez évoqué l'insertion sociale et professionnelle. N'est-ce pas un sujet qui devrait être dévolu à d'autres acteurs ? Comment envisagez-vous d'organiser votre action dans ce domaine ?
Nous y travaillons déjà par l'intermédiaire de notre filiale d'insertion par l'activité économique. Elle forme chaque année environ 1 000 salariés en parcours d'insertion dans des domaines très divers. Nous sommes donc déjà acteur et organisme de formation. Nous développons à l'heure actuelle des formations pré-qualifiantes, notamment pour former un pont entre les publics que nous accompagnons dans les structures dédiées à la grande exclusion et nos établissements médico-sociaux. Nous tentons ainsi de répondre à la problématique d'attractivité de nos métiers en établissant une synergie entre nos différentes activités.
Cet élément est important en termes d'impact et de crédibilité. Nous ne prétendons pas agir seuls. L'objectif est de travailler en partenariat avec d'autres acteurs. La richesse et la complémentarité que nous trouverons dans ces partenariats nous donneront l'impact que nous visons auprès des collectivités, des services de l'État, des entreprises, des autres associations, des organisations non gouvernementales. Cette ouverture partenariale est essentielle pour l'avenir.
Pouvez-vous nous indiquer votre budget annuel ? Comment se répartissent les grandes masses de vos recettes et dépenses ? Disposez-vous de stocks médicaux, alimentaires ou logistiques pour faire face à une crise ?
Êtes-vous associés aux pouvoirs publics ? De quelle manière êtes-vous liés à l'État en cas de crise ? Menez-vous des exercices conjoints ? Comment peut se traduire votre neutralité ?
Le budget annuel de la Croix-Rouge française représente 1,4 milliard d'euros dont 1,2 milliard d'euros sont dédiés à nos activités sanitaires, sociales, médico-sociales et de formation. Les établissements sont financés par les produits de nos activités, les subventions publiques et l'assurance maladie. Quelque 100 millions d'euros sont dédiés à nos activités bénévoles et proviennent soit de la collecte, soit de notre génération de revenus. Nous essayons en effet de développer des modèles de plus en plus autonomes permettant d'auto-générer des revenus. Nous parvenons par exemple à maintenir notre capacité de formation et de moyens opérationnels grâce à la formation grand public et aux dispositifs prévisionnels de secours. Dans le secteur de l'action sociale, nous générons des revenus grâce à des modèles basés sur le textile de seconde main. Nous avons créé une filière textile dont nous assumons en partie le caractère commercial. Elle permet de vêtir des personnes n'ayant pas les moyens d'acheter des vêtements. Enfin, 100 millions d'euros financent nos activités internationales. Ils proviennent à 10 % de fonds propres – c'est-à-dire de dons – et à 90 % de bailleurs de fonds internationaux, en particulier la Commission européenne et les Nations unies.
Nous avons des plateformes d'intervention régionale dans chacun des territoires ultramarins. Elles sont soutenues et financées par les collectivités, par l'Agence française de développement et par le centre de crise et de soutien. Nous y prépositionnons du matériel que nous débloquons en fonction des besoins. Lors du cyclone au Mozambique, nous avons pu affréter des bateaux militaires pour acheminer des biens de première nécessité ainsi que des équipiers pour répondre à l'urgence sur place. Nos ressources incluent un réseau de 800 personnes mobilisables à l'international. Nos structures locales sur le territoire de la métropole abritent également des biens et du matériel prépositionnés pour répondre aux urgences. Nous sommes en outre dotés d'une flotte d'environ 7 000 véhicules mobilisables.
Nos liens avec l'État ou les pouvoirs publics sont multiples. En cas de crise, nous avons une convention avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Nous avons également une convention avec le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères pour participer aux dispositifs mis en œuvre en cas de crise, notamment le renfort de la réponse téléphonique aux ressortissants français à l'étranger. Sur le territoire, d'autres conventions nous lient aux préfectures pour que nous soyons mobilisés en cas de crise.
Ces conventions nous lient soit avec la préfecture pour la partie soutien aux populations, soit avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) pour la partie opérationnelle des secours. Elles recouvrent la prise en charge des victimes et le soutien aux populations dans le cadre des opérations de secours, notamment en situation d'attentat. Les conventions peuvent également nous lier aux communes ou aux intercommunalités dans le cadre des plans communaux de sauvegarde afin de dispenser de la formation ou en appui aux communes lors d'événements indésirables graves.
Nous avons mis en place un centre opérationnel au sein de notre siège, qui nous permet de piloter la réponse aux crises et l'ensemble des opérations de secours. M. Florian Vallée s'est adressé à nous depuis ce centre opérationnel, qui a été fortement mobilisé durant la crise sanitaire.
Nous sommes tous convaincus que la résilience nationale repose sur la capacité à mobiliser l'ensemble des forces vives de la nation. Pensez-vous que la Croix-Rouge puisse être considérée comme un moyen de mobilisation citoyenne, comme une interface entre l'État et les citoyens ? Lorsque vous évoquez une nécessité d'hybridation du modèle pour accueillir d'autres formes d'engagement, de quelles formes d'engagement parlez-vous ? S'agit-il d'engagement citoyen, d'autres associations, d'entreprises ? Pourriez-vous détailler votre proposition concernant le compte d'engagement citoyen ? Enfin, la Croix-Rouge est-elle partie prenante dans le service national universel (SNU) ? Comment profiter du SNU pour encourager un engagement citoyen durable ?
La mobilisation des citoyens est centrale dans notre stratégie. Nous demeurons une émanation de la société civile et nous sommes perçus comme tels dans les territoires. Nous portons la responsabilité d'être les seuls acteurs en capacité de mobiliser très largement les citoyens. Nous l'avions évoqué à l'occasion des débats sur la réserve citoyenne. Nous sommes convaincus que l'État seul ne possède pas cette capacité de mobilisation, pour des raisons diverses : organisationnelles, techniques, de confiance… En revanche, via la mobilisation de la société civile organisée, nous parviendrons à mobiliser l'ensemble des citoyens.
Nous n'avons pas pour objectif l'adhésion de l'ensemble de la population à la Croix-Rouge française. Toutefois, nous avons revu notre rôle et nous pensons que nous devons développer le goût des citoyens pour l'engagement et rendre nos missions accessibles aux nouvelles envies d'agir de la population. Nos missions ne doivent plus se traduire uniquement par du bénévolat classique représentant parfois un engagement fort et à long terme. Nous devons proposer une palette d'engagements, permettant de répondre à la capacité d'agir de la population dans des missions plus ponctuelles et plus concrètes, éventuellement moins encadrées. Nous pourrions développer ainsi l'engagement global, et pas uniquement au sein de la Croix-Rouge. L'opération « Mobilisés et solidaires » testée durant la crise du covid-19 avait pour but de montrer aux gens qu'ils pouvaient agir facilement sans adhérer à la Croix-Rouge, en apportant du bien-être autour d'eux. Il peut s'agir de favoriser l'engagement dans les entreprises. Je suis convaincu que celles-ci ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de l'engagement et la mobilisation de leurs salariés pour répondre aux crises et aux problématiques sociales et environnementales.
Notre mission est d'éduquer la population, de la sensibiliser à l'intérêt de l'engagement dès le plus jeune âge. Nous souhaitons par conséquent développer l'offre éducative de la Croix-Rouge et continuer à encourager cet engagement tout au long de la vie, grâce à des dispositifs permettant de rendre l'engagement attractif. Nous pourrions envisager, comme pour les pompiers, de permettre aux gens de se libérer plus facilement de leurs entreprises afin d'exercer leurs missions de sécurité civile ou d'autres actions au sein de nos associations. Des parcours valorisant les compétences acquises dans le cadre de l'engagement bénévole pourraient être mis en place. Nous travaillons beaucoup sur la valorisation du curriculum vitae citoyen et sur l'idée d'obtenir des contreparties, comme avec le compte engagement citoyen qui permet d'abonder le compte personnel de formation pour les bénévoles des associations agréées de sécurité civile. Nous pourrions obtenir des fonds pour financer les formations des bénévoles, formations longues et exigeantes au regard du niveau de professionnalisme attendu de la part de ces acteurs.
La réunion se termine à onze heures trente.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. – Mme Marine Brenier, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Thomas Gassilloud
Excusés. – Mme Blandine Brocard, M. Alexandre Freschi, Mme Sereine Mauborgne