Intervention de Général Hubert Bonneau

Réunion du vendredi 29 octobre 2021 à 12h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Général Hubert Bonneau, directeur des opérations et de l'emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale :

Je souhaite en premier lieu vous expliquer le concept que nous développons en matière de résilience. La définition de la résilience renvoie souvent à l'idée d'une réponse dynamique d'un ensemble à un choc systémique. Ce qui compte pour nous n'est pas tant le concept que l'application que nous en faisons et les conclusions que nous en tirons pour tous les domaines. En ce sens, la résilience est pour nous moins un concept qu'un outil d'analyse qui invite à renverser la perspective. Au lieu de partir des menaces et d'en déduire des réponses, nous préférons partir des conditions de stabilité du système. Or, pour nous, le système équivaut tout d'abord au territoire.

La résilience nous incite à réfléchir dans une logique d'interactions, dans un cadre large et prospectif. De notre point de vue, elle pose deux questions.

Premièrement, pouvons-nous identifier des vulnérabilités pouvant être qualifiées de systémiques dans les domaines d'activité et les territoires confiés à la responsabilité de la gendarmerie nationale ? Je vous livrerai à ce propos un compte rendu des apports de la gendarmerie en matière de résilience dans le cadre de crises récentes.

La gendarmerie est une force de sécurité intérieure qui couvre 76 % du territoire national et des territoires d'outre-mer. Nous protégeons plus d'un Français sur deux. Entre 2010 et 2020, la population de la zone dont s'occupe la gendarmerie a augmenté de 2 millions de personnes, alors que les grandes métropoles – de la responsabilité de la police nationale – voyaient leur population augmenter de 1 million. Je pense que cette tendance va s'inscrire dans la durée, notamment à la suite de la crise du covid-19, en raison du recours au télétravail et des nouvelles habitudes prises par nos concitoyens. La gendarmerie nationale est encore souvent associée à l'image de zones uniquement rurales. Cette croyance est fausse : 60 % de la population de la zone gendarmerie s'inscrit dans un milieu urbain ou périurbain.

Nos territoires se transforment massivement en termes de composition sociale et de modes de vie. Nous sommes touchés à l'heure actuelle par une délinquance de masse s'inscrivant dans les canaux de la mondialisation, une délinquance internationale, y compris en zones rurales, avec une prédominance européenne. Une criminalité importante à basse intensité organisée par les mafias des pays de l'Est fait son apparition. Elle est organisée, très sophistiquée, avec de véritables logiques économiques d'investissement et de diversification des avoirs. La réponse apportée par la gendarmerie semble appropriée puisque les taux de délinquance en zone gendarmerie sont deux fois moindres qu'en zone police et les taux d'élucidation supérieurs. Toutefois, je crois important de quitter cette analyse purement sectorielle fondée sur une réponse aux menaces criminelles qui me semble insuffisante.

Dans les territoires confiés à la gendarmerie, l'accumulation des fractures est un paramètre préoccupant. De nombreux facteurs socio-économiques de fracture, tels que le numérique et l'existence de zones n'ayant pas d'accès à internet, donnent le sentiment que l'État se désintéresse des campagnes. On constate donc un sentiment de vulnérabilité, d'abandon, et parfois une tentation de repli. Ces fragilités peuvent parfois entrer en résonnance avec les questions sécuritaires. La crise des gilets jaunes, ayant eu pour origine le prix des carburants, illustre parfaitement ce constat. Or cette crise a pris son origine dans les zones protégées par la gendarmerie.

Ce qui est constaté aujourd'hui dans les territoires provient de l'effet cumulé des insécurités présentes en permanence. Je retiendrai trois tendances fortes en termes de vulnérabilité. La première est la forte extension dans les profondeurs de nos territoires de phénomènes perçus comme des conséquences de l'ouverture des frontières et de la mondialisation. La banalisation de la délinquance dans les zones rurales et périurbaines, la visibilité accrue des migrants, présents parfois en très fortes concentrations, s'inscrivent dans cette tendance. C'est également le cas des inondations causées par le changement climatique dû à la mondialisation, et celui de la pandémie, dont l'origine est extérieure à la France. Lorsqu'ils s'accumulent, ces phénomènes sont vécus comme des intrusions nouvelles et inquiétantes dans un monde qui est demeuré longtemps protégé.

Deuxième grande tendance : sur 96 % du territoire, la zone protégée par la gendarmerie est le lieu d'expression d'un nombre croissant de radicalités qui se manifestent et explosent aujourd'hui. Plus de 150 destructions d'antennes-relais ont eu lieu durant les dix-huit derniers mois, effectués par des mouvements d'ultragauches ou d'ultradroites. Ils sont composés de personnes qui se sont radicalisées pendant la crise du covid-19. Les rave parties se banalisent, malgré les interdictions, dans les milieux ruraux, forestiers et montagneux. Nous constatons l'apparition de néomaquisards et de survivalistes. Nous en arrêtons fréquemment. D'autres types de communautés, plus structurées, rachètent de grands ensembles agricoles et s'imposent dans la vie politique locale autour de projets alternatifs et militants. Enfin, je veux évoquer le phénomène des zones à défendre (ZAD). Nos territoires deviennent progressivement le terrain d'expression des idéologies de rupture, des projets de contre-société qui étaient antérieurement associés au milieu urbain.

La troisième grande tendance de fragilité concerne la croissance du niveau de violence interindividuelle. Les violences sur les personnes ont augmenté de 18,51 % en 2021. Cette tendance prend différentes formes. La première est celle des violences intrafamiliales qui se sont accrues de 10 %. Les violences périurbaines augmentent de 13 %. Nous avons observé dans la période récente 3 ou 4 faits par jour en moyenne de passage à l'acte d'individus considérés comme forcenés. Nous subissons en outre de plus en plus d'atteintes aux forces de l'ordre et aux élus dans leurs fonctions. Nous avons qualifié ces phénomènes de « France qui dégoupille » et nous les avons placés sur le compte de la crise sanitaire. Nous verrons de quelle manière ils évoluent.

Les territoires confiés à la gendarmerie sont marqués par une montée en tension globale qui se nourrit de plusieurs pulsions contradictoires : d'une part l'inquiétude qui peut provoquer le sentiment d'abandon ou la tentation protestataire, d'autre part une tentation de repli sur fond de projets alternatifs. Une montée des formes d'intolérance et de frustration s'observe partout. Chacun de ces éléments pris individuellement relève de la sécurité quotidienne, mais leur conjonction peut conduire à des situations d'inflammabilité à partir d'amorces ponctuelles.

Les crises de ces dernières années, qui s'enchaînent depuis les crises terroristes de 2014 et 2015 – nous retrouvons même des crises sociales durant la crise sanitaire – ont montré que la résilience est une notion qui mobilise tous les niveaux d'action. L'échelon central doit être capable d'adapter les planifications à la cinétique de ces crises. L'échelon territorial doit faire preuve d'une capacité d'action immédiate en conjonction avec le terrain. Il nous faut rétablir la continuité des moyens de liaisons et des chaînes d'approvisionnement lorsque ceux-ci sont provisoirement rompus. La résilience s'applique également à tous les domaines. Elle concerne autant notre infrastructure technique et technologique que la préparation mentale et la formation des militaires. Elle doit s'effectuer en interaction avec le corps social.

La crise du covid-19 a été le démonstrateur d'un modèle d'organisation résilient. Notre organisation en force armée a constitué un atout véritable au cours de la crise sanitaire. En mars 2020, tout le pays a basculé dans un fonctionnement en mode dégradé et la majorité des services publics a fermé. La gendarmerie fait partie des rares services qui ont non seulement maintenu, mais augmenté leur niveau d'engagement, parfois de manière considérable. En dépit des impacts sanitaires, le taux d'engagement des brigades territoriales de gendarmerie est resté à un niveau supérieur à 90 % des effectifs. Chaque jour, entre 58 000 et 59 000 gendarmes sont restés engagés au contact de la population. À leurs côtés, 3 700 élèves des écoles de gendarmerie ont interrompu leur formation pour aider les unités engagées dans la crise. Nous avons réalisé plus de 14 millions d'opérations pour encourager ou vérifier les mesures liées à l'état d'urgence. Au-delà de ces actions, le directeur général de la gendarmerie nationale a voulu que celle-ci fasse preuve de solidarité avec la nation hors de son cadre habituel. Nous avons monté une opération « #RépondrePrésent » à partir d'avril 2020 qui se voulait une assistance aux populations, aux élus, aux EHPAD, à l'éducation nationale, au milieu médical… Elle a débouché, par exemple, sur la mise à disposition de laboratoires habituellement dédiés à la police scientifique pour réaliser des tests de dépistage du covid-19. Nous avons renforcé la gendarmerie en ligne en augmentant de 100 opérateurs notre brigade numérique appelée « Magendarmerie.fr », afin de répondre à toutes les questions de nos concitoyens. Nous avons mobilisé plus de 5 000 réservistes pour des opérations d'ouverture des bureaux de poste. Les hélicoptères de la gendarmerie ont participé à des opérations d'évacuation sanitaire. Ce résultat a pu être obtenu grâce au statut militaire de la gendarmerie, qui n'est pas soumise à la question de la limitation du temps de travail ni de celle du droit de retrait.

En outre, la formation militaire initiale du gendarme le prépare aux situations les plus difficiles. Le régime de la concession de logement par nécessité absolue de service rend les gendarmes départementaux dépendants de l'endroit où ils habitent. La question du télétravail ne s'est donc pas posée. La dispersion des 3 000 casernes sur le territoire national a permis d'éviter une chaîne de contamination. Nos effectifs ont été très peu touchés. Nous avons une très forte déconcentration des niveaux de responsabilité, chacun étant responsable de son action, que ce soit au niveau d'une brigade territoriale, d'une compagnie ou d'un département. Le statut militaire et nos façons de travailler impliquent un modèle logistique de proximité qui s'est avéré très intéressant. Le soutien opérationnel fait partie de la formation des gendarmes, ce qui nous a permis de produire localement des visières, des masques, du gel hydroalcoolique, de participer à la distribution de masques aux côtés des mairies, d'escorter des convois.

Nous avons tiré des enseignements de cette crise. Nous avons voulu renforcer nos forces centrales. Nous avons créé un centre national des opérations capable d'avoir une vision de toutes les opérations et des moyens de la gendarmerie et d'être immédiatement réactif pour aider les échelons territoriaux à monter très rapidement en puissance. Depuis six mois, nous bénéficions donc de l'équivalent du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) des armées au sein de la gendarmerie. Nous avons créé des structures miroirs au sein des zones de défense de gendarmerie afin de prendre en compte des opérations pour la gendarmerie et d'être en mesure d'appuyer des préfectures grâce à nos moyens.

De crainte d'être trop long, je n'aborde pas les thèmes des systèmes d'information et de communication, de la formation et de la densification des gendarmes, mais vous aborderez peut-être ces sujets dans vos questions.

Ce qui me paraît très important dans la notion même de résilience, c'est qu'elle s'adresse directement aux populations. Je pourrais développer si vous le souhaitez notre lien avec les populations et la manière dont nous envisageons leur protection.

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