MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Vendredi 29 octobre 2021
La séance est ouverte à douze heures trente
(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)
Nous accueillons le général Hubert Bonneau, directeur des opérations et de l'emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Notre mission d'information a tenu à recueillir les analyses de la gendarmerie nationale, qui apporte au monde de la sécurité intérieure son ADN militaire. Lors de l'audition de la direction générale de la police nationale (DGPN), nous avons pu constater le lien existant entre le monde de la police et celui de la gendarmerie. Les policiers ont évoqué le bénéfice que votre contact leur apportait, notamment en termes de planification.
Nous serons heureux de vous entendre à propos du rôle de la gendarmerie nationale dans la prévention et la gestion des crises majeures, et à propos des scénarios qu'elle retient pour définir sa stratégie et son organisation. Acteurs de premier rang lors des crises, les gendarmes ont également un rôle quotidien auprès de la population. Ils peuvent ainsi observer les mutations de la société, ses fragilités et ses forces, et mesurer sa capacité à réagir et à s'organiser pour faire face à des situations imprévues. Vos observations à ce sujet seront précieuses pour nos travaux.
Je souhaite en premier lieu vous expliquer le concept que nous développons en matière de résilience. La définition de la résilience renvoie souvent à l'idée d'une réponse dynamique d'un ensemble à un choc systémique. Ce qui compte pour nous n'est pas tant le concept que l'application que nous en faisons et les conclusions que nous en tirons pour tous les domaines. En ce sens, la résilience est pour nous moins un concept qu'un outil d'analyse qui invite à renverser la perspective. Au lieu de partir des menaces et d'en déduire des réponses, nous préférons partir des conditions de stabilité du système. Or, pour nous, le système équivaut tout d'abord au territoire.
La résilience nous incite à réfléchir dans une logique d'interactions, dans un cadre large et prospectif. De notre point de vue, elle pose deux questions.
Premièrement, pouvons-nous identifier des vulnérabilités pouvant être qualifiées de systémiques dans les domaines d'activité et les territoires confiés à la responsabilité de la gendarmerie nationale ? Je vous livrerai à ce propos un compte rendu des apports de la gendarmerie en matière de résilience dans le cadre de crises récentes.
La gendarmerie est une force de sécurité intérieure qui couvre 76 % du territoire national et des territoires d'outre-mer. Nous protégeons plus d'un Français sur deux. Entre 2010 et 2020, la population de la zone dont s'occupe la gendarmerie a augmenté de 2 millions de personnes, alors que les grandes métropoles – de la responsabilité de la police nationale – voyaient leur population augmenter de 1 million. Je pense que cette tendance va s'inscrire dans la durée, notamment à la suite de la crise du covid-19, en raison du recours au télétravail et des nouvelles habitudes prises par nos concitoyens. La gendarmerie nationale est encore souvent associée à l'image de zones uniquement rurales. Cette croyance est fausse : 60 % de la population de la zone gendarmerie s'inscrit dans un milieu urbain ou périurbain.
Nos territoires se transforment massivement en termes de composition sociale et de modes de vie. Nous sommes touchés à l'heure actuelle par une délinquance de masse s'inscrivant dans les canaux de la mondialisation, une délinquance internationale, y compris en zones rurales, avec une prédominance européenne. Une criminalité importante à basse intensité organisée par les mafias des pays de l'Est fait son apparition. Elle est organisée, très sophistiquée, avec de véritables logiques économiques d'investissement et de diversification des avoirs. La réponse apportée par la gendarmerie semble appropriée puisque les taux de délinquance en zone gendarmerie sont deux fois moindres qu'en zone police et les taux d'élucidation supérieurs. Toutefois, je crois important de quitter cette analyse purement sectorielle fondée sur une réponse aux menaces criminelles qui me semble insuffisante.
Dans les territoires confiés à la gendarmerie, l'accumulation des fractures est un paramètre préoccupant. De nombreux facteurs socio-économiques de fracture, tels que le numérique et l'existence de zones n'ayant pas d'accès à internet, donnent le sentiment que l'État se désintéresse des campagnes. On constate donc un sentiment de vulnérabilité, d'abandon, et parfois une tentation de repli. Ces fragilités peuvent parfois entrer en résonnance avec les questions sécuritaires. La crise des gilets jaunes, ayant eu pour origine le prix des carburants, illustre parfaitement ce constat. Or cette crise a pris son origine dans les zones protégées par la gendarmerie.
Ce qui est constaté aujourd'hui dans les territoires provient de l'effet cumulé des insécurités présentes en permanence. Je retiendrai trois tendances fortes en termes de vulnérabilité. La première est la forte extension dans les profondeurs de nos territoires de phénomènes perçus comme des conséquences de l'ouverture des frontières et de la mondialisation. La banalisation de la délinquance dans les zones rurales et périurbaines, la visibilité accrue des migrants, présents parfois en très fortes concentrations, s'inscrivent dans cette tendance. C'est également le cas des inondations causées par le changement climatique dû à la mondialisation, et celui de la pandémie, dont l'origine est extérieure à la France. Lorsqu'ils s'accumulent, ces phénomènes sont vécus comme des intrusions nouvelles et inquiétantes dans un monde qui est demeuré longtemps protégé.
Deuxième grande tendance : sur 96 % du territoire, la zone protégée par la gendarmerie est le lieu d'expression d'un nombre croissant de radicalités qui se manifestent et explosent aujourd'hui. Plus de 150 destructions d'antennes-relais ont eu lieu durant les dix-huit derniers mois, effectués par des mouvements d'ultragauches ou d'ultradroites. Ils sont composés de personnes qui se sont radicalisées pendant la crise du covid-19. Les rave parties se banalisent, malgré les interdictions, dans les milieux ruraux, forestiers et montagneux. Nous constatons l'apparition de néomaquisards et de survivalistes. Nous en arrêtons fréquemment. D'autres types de communautés, plus structurées, rachètent de grands ensembles agricoles et s'imposent dans la vie politique locale autour de projets alternatifs et militants. Enfin, je veux évoquer le phénomène des zones à défendre (ZAD). Nos territoires deviennent progressivement le terrain d'expression des idéologies de rupture, des projets de contre-société qui étaient antérieurement associés au milieu urbain.
La troisième grande tendance de fragilité concerne la croissance du niveau de violence interindividuelle. Les violences sur les personnes ont augmenté de 18,51 % en 2021. Cette tendance prend différentes formes. La première est celle des violences intrafamiliales qui se sont accrues de 10 %. Les violences périurbaines augmentent de 13 %. Nous avons observé dans la période récente 3 ou 4 faits par jour en moyenne de passage à l'acte d'individus considérés comme forcenés. Nous subissons en outre de plus en plus d'atteintes aux forces de l'ordre et aux élus dans leurs fonctions. Nous avons qualifié ces phénomènes de « France qui dégoupille » et nous les avons placés sur le compte de la crise sanitaire. Nous verrons de quelle manière ils évoluent.
Les territoires confiés à la gendarmerie sont marqués par une montée en tension globale qui se nourrit de plusieurs pulsions contradictoires : d'une part l'inquiétude qui peut provoquer le sentiment d'abandon ou la tentation protestataire, d'autre part une tentation de repli sur fond de projets alternatifs. Une montée des formes d'intolérance et de frustration s'observe partout. Chacun de ces éléments pris individuellement relève de la sécurité quotidienne, mais leur conjonction peut conduire à des situations d'inflammabilité à partir d'amorces ponctuelles.
Les crises de ces dernières années, qui s'enchaînent depuis les crises terroristes de 2014 et 2015 – nous retrouvons même des crises sociales durant la crise sanitaire – ont montré que la résilience est une notion qui mobilise tous les niveaux d'action. L'échelon central doit être capable d'adapter les planifications à la cinétique de ces crises. L'échelon territorial doit faire preuve d'une capacité d'action immédiate en conjonction avec le terrain. Il nous faut rétablir la continuité des moyens de liaisons et des chaînes d'approvisionnement lorsque ceux-ci sont provisoirement rompus. La résilience s'applique également à tous les domaines. Elle concerne autant notre infrastructure technique et technologique que la préparation mentale et la formation des militaires. Elle doit s'effectuer en interaction avec le corps social.
La crise du covid-19 a été le démonstrateur d'un modèle d'organisation résilient. Notre organisation en force armée a constitué un atout véritable au cours de la crise sanitaire. En mars 2020, tout le pays a basculé dans un fonctionnement en mode dégradé et la majorité des services publics a fermé. La gendarmerie fait partie des rares services qui ont non seulement maintenu, mais augmenté leur niveau d'engagement, parfois de manière considérable. En dépit des impacts sanitaires, le taux d'engagement des brigades territoriales de gendarmerie est resté à un niveau supérieur à 90 % des effectifs. Chaque jour, entre 58 000 et 59 000 gendarmes sont restés engagés au contact de la population. À leurs côtés, 3 700 élèves des écoles de gendarmerie ont interrompu leur formation pour aider les unités engagées dans la crise. Nous avons réalisé plus de 14 millions d'opérations pour encourager ou vérifier les mesures liées à l'état d'urgence. Au-delà de ces actions, le directeur général de la gendarmerie nationale a voulu que celle-ci fasse preuve de solidarité avec la nation hors de son cadre habituel. Nous avons monté une opération « #RépondrePrésent » à partir d'avril 2020 qui se voulait une assistance aux populations, aux élus, aux EHPAD, à l'éducation nationale, au milieu médical… Elle a débouché, par exemple, sur la mise à disposition de laboratoires habituellement dédiés à la police scientifique pour réaliser des tests de dépistage du covid-19. Nous avons renforcé la gendarmerie en ligne en augmentant de 100 opérateurs notre brigade numérique appelée « Magendarmerie.fr », afin de répondre à toutes les questions de nos concitoyens. Nous avons mobilisé plus de 5 000 réservistes pour des opérations d'ouverture des bureaux de poste. Les hélicoptères de la gendarmerie ont participé à des opérations d'évacuation sanitaire. Ce résultat a pu être obtenu grâce au statut militaire de la gendarmerie, qui n'est pas soumise à la question de la limitation du temps de travail ni de celle du droit de retrait.
En outre, la formation militaire initiale du gendarme le prépare aux situations les plus difficiles. Le régime de la concession de logement par nécessité absolue de service rend les gendarmes départementaux dépendants de l'endroit où ils habitent. La question du télétravail ne s'est donc pas posée. La dispersion des 3 000 casernes sur le territoire national a permis d'éviter une chaîne de contamination. Nos effectifs ont été très peu touchés. Nous avons une très forte déconcentration des niveaux de responsabilité, chacun étant responsable de son action, que ce soit au niveau d'une brigade territoriale, d'une compagnie ou d'un département. Le statut militaire et nos façons de travailler impliquent un modèle logistique de proximité qui s'est avéré très intéressant. Le soutien opérationnel fait partie de la formation des gendarmes, ce qui nous a permis de produire localement des visières, des masques, du gel hydroalcoolique, de participer à la distribution de masques aux côtés des mairies, d'escorter des convois.
Nous avons tiré des enseignements de cette crise. Nous avons voulu renforcer nos forces centrales. Nous avons créé un centre national des opérations capable d'avoir une vision de toutes les opérations et des moyens de la gendarmerie et d'être immédiatement réactif pour aider les échelons territoriaux à monter très rapidement en puissance. Depuis six mois, nous bénéficions donc de l'équivalent du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) des armées au sein de la gendarmerie. Nous avons créé des structures miroirs au sein des zones de défense de gendarmerie afin de prendre en compte des opérations pour la gendarmerie et d'être en mesure d'appuyer des préfectures grâce à nos moyens.
De crainte d'être trop long, je n'aborde pas les thèmes des systèmes d'information et de communication, de la formation et de la densification des gendarmes, mais vous aborderez peut-être ces sujets dans vos questions.
Ce qui me paraît très important dans la notion même de résilience, c'est qu'elle s'adresse directement aux populations. Je pourrais développer si vous le souhaitez notre lien avec les populations et la manière dont nous envisageons leur protection.
Merci, mon général, pour ce panorama extrêmement clair, complet et lucide des fragilités sociales existant dans notre pays. Ma circonscription est composée de zones rurales et urbaines et j'ai donc bien conscience du rôle de la gendarmerie. La gendarmerie est effectivement un des grands services qui restent ouverts en ruralité alors que beaucoup de services y ont disparu depuis vingt ou trente ans.
La spécificité de la gendarmerie, son statut militaire, permet de placer sa mission au plus haut, d'habiter au plus près des populations. Elle donne beaucoup d'autonomie aux chefs et aux brigades territoriales. Je ne m'inquiète donc pas pour la résilience de la gendarmerie nationale, car ses hommes et femmes, jusqu'à la plus petite brigade territoriale autonome (BTA), s'efforceront toujours de faire face.
En revanche, je m'interroge à propos de la dynamique engagée au niveau de l'organisation de l'État depuis une dizaine ou une quinzaine d'années. La structuration autour des ministères et des préfets de région apporte de la cohérence. Cependant, cette volonté de cohérence ne risque-t-elle pas de « désintégrer » la gendarmerie en la faisant entrer dans cette dynamique d'intégration ministérielle ? Je ne conteste pas la nécessité de mieux intégrer la gendarmerie dans les grandes politiques transverses, mais comment veiller à ce que cela soit bénéfique ? Comment préserver sa spécificité, tout en la mettant en cohérence avec les politiques publiques transverses de l'État ?
L'intégration ne nous effraie pas. Mais si la gendarmerie perd son statut militaire, elle n'est plus la gendarmerie. Nous avons un modèle déjà intégré qui rend la gendarmerie résiliente vis-à-vis d'elle-même. Chacune des BTA réparties sur le territoire national est capable de traiter à son niveau des problématiques de sécurité publique, d'ordre public, des problématiques judiciaires et est aussi un vecteur de contact avec les élus et la population, puisque les gendarmes s'intègrent au paysage local. Lorsqu'une BTA n'a plus les moyens de faire face, on procède à une escalade au niveau de la compagnie ou du groupement. Le service de la gendarmerie est avant tout départemental. Nos centres de veille, nos centres opérationnels sont départementaux. Notre système repose sur la subsidiarité.
Ce que nous avons voulu mettre en place, c'est une vision plus centrale. Elle n'a pas pour but de surveiller les échanges territoriaux : la création d'un centre national des opérations pilotées par la DGGN vise à assurer une veille sur l'ensemble du territoire métropolitain, sur les territoires d'outre-mer, mais également sur l'engagement des gendarmes à l'étranger. Cette veille s'exerce sur l'intégralité des domaines : sécurité publique, ordre public, police judiciaire. Lorsqu'un événement apparaît, il est traité à l'échelon local ; s'il nécessite une réactivité immédiate, une conduite des opérations à un niveau supérieur, le centre national des opérations – ou sa structure miroir au niveau des zones concernées – prend la main. Le processus concerne des opérations de gendarmerie, auxquelles il procure une concentration des moyens et une capacité de montée en puissance très rapide, organisée par l'échelon central.
Cette vision n'est pas au bénéfice de la gendarmerie, mais des préfets. Nous sommes capables de déployer des systèmes en conduite et en planification non pas pour le seul besoin de la gendarmerie, mais pour celui de l'État. La mise en œuvre de ces systèmes se fait aux niveaux préfectoral, départemental et zonal, comme pour la justice.
Nous nous intégrons donc dans ces dispositifs sous la responsabilité des préfets. C'est pourquoi l'intégration ne nous effraie pas : nous mettons à disposition notre organisation militaire et nos savoir-faire. Aujourd'hui, le premier patron d'un commandant de gendarmerie est le préfet, ce qui est normal. Nous n'avons donc aucune difficulté à nous intégrer dans les politiques d'État auxquelles nos spécificités et notre organisation apportent des atouts supplémentaires et complémentaires. Je suis convaincu que cet état de fait perdurera.
Les vallées de la Tinée et de la Vésubie, qui sont dans ma circonscription, ont été frappées par la tempête Alex. Je tenais à rappeler la remarquable performance des gendarmes sur le terrain, au soir même de la tempête, mais également au cours des journées suivantes. La mobilisation a été sans faille ; des gendarmes ont été déployés à partir d'autres vallées pour secourir la population. La gendarmerie de Saint-Martin-Vésubie a disparu, mais nous avons rapidement créé une nouvelle gendarmerie à proximité du village. Les mots me manquent pour exprimer mon admiration face à votre travail. Votre organisation a démontré à quel point vous constituiez un facteur d'aide et d'intervention en matière de résilience. Je crois sincèrement que d'autres services d'État mériteraient de s'en inspirer. Si nous n'avions pas pu avoir recours aux services de la gendarmerie dans le cadre de cette crise, nous aurions été incapables de procéder à l'évacuation des personnes, de recenser les biens disparus, d'intervenir sur la préservation des entreprises, de retrouver des animaux disparus. La gendarmerie, par son maillage, a permis d'intervenir au mieux en partenariat avec la métropole Nice-Côte d'Azur, la préfecture des Alpes-Maritimes et les communes. Vous avez également été le maillon qui nous a permis de garder des communications avec le reste du monde. Je suis donc très admirative de la façon dont fonctionne la gendarmerie et dont elle a fonctionné dans le département des Alpes-Maritimes au cours de la tempête Alex.
La police et la justice évoquent souvent des questions de moyens. Je sais que la gendarmerie ne peut s'exprimer en public que de façon limitée à cause de son statut militaire, mais dans le cadre de cette mission interne à l'Assemblée nationale, j'aimerais vous entendre sur cette question. Vous est-il possible de dégager des budgets suffisants pour intervenir en matière de résilience ?
Je vous remercie pour vos propos. La tempête Alex constitue en effet un excellent exemple de résilience. Un travail important a été fait au niveau des gendarmes du Var, mais un élan national a également eu lieu. Lorsque nous avons développé des services de spécialistes de montagne pour intervenir sur les hautes vallées, des volontaires originaires de Chamonix, du Massif central, des Pyrénées se sont présentés. Nous disposons donc d'une main-d'œuvre nationale pour appuyer le groupement du Var.
Les moyens de mise en œuvre de la résilience sont perfectibles. Dans le cadre des efforts actuellement produits, dans le cadre du Beauvau de la sécurité et dans celui de la future loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), nous avons de grands espoirs concernant l'amélioration de certains moyens. Des efforts remarquables sur les équipements des gendarmes sont déjà en cours. Tout n'est pas optimal, mais nous avons les moyens de notre action. Le parc d'hélicoptères de la gendarmerie va être renouvelé en totalité, ainsi que le parc des véhicules blindés et celui des véhicules de maintien de l'ordre. Un accord d'une ampleur historique a été signé pour le renouvellement du parc automobile de la gendarmerie.
Des efforts sont encore à réaliser sur les sujets des équipements individuels. J'ai bon espoir que nous parvenions rapidement à mettre en conformité l'ensemble du dispositif de gendarmerie. La conformité évolue avec les modes d'action des gendarmes, ce qui s'inscrit dans la résilience. Nous voyons apparaître de plus en plus de violences sur le territoire. Un gendarme est agressé toutes les quatre heures. L'année dernière, à Saint-Just, trois gendarmes de la compagnie d'Ambert ont été tués par un survivaliste. Nous avons tiré de ces événements un retour d'expérience. Nous sommes entrés dans une phase de densification des forces de gendarmerie. Nous sommes en train de réétudier la formation des gendarmes sous un angle plus militaire. Il s'agit de renforcer la capacité à réagir, le fonctionnement avec ses équipiers. Il faut rééquiper les BTA en armes longues, qui ont quasiment disparu des gendarmeries. Elles sont nécessaires aujourd'hui. Des plans d'équipement ont été lancés. Je suis convaincu qu'ils aboutiront.
Au-delà des moyens, la résilience implique une formation adaptée. Cette formation commence dans les écoles de gendarmerie. Le parcours de formation doit être considéré dans sa globalité, notamment en ce qui concerne l'intervention professionnelle. Celle-ci se définit par la capacité à faire baisser la tension, à absorber la violence sans forcément la reproduire sur l'agresseur. Les gendarmes possèdent une longue expérience en la matière, ils sont correctement formés en termes d'acceptabilité des violences, mais nous souhaitons aller plus loin pour faire en sorte que nos savoir-être correspondent bien à nos savoir-faire. Les formations doivent se répercuter à plusieurs niveaux : au niveau de la brigade, au niveau des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Nous sommes actuellement en pleine réforme du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), afin d'améliorer son interopérabilité avec des unités territoriales. Nous avons également créé de nombreuses antennes du GIGN.
En conclusion, nous avons les moyens qui sont adaptés à nos missions. Je place toutefois au cœur de nos besoins les individus, les femmes et les hommes sous l'uniforme de gendarmerie. Les moyens ne font pas tout, nous devons avoir une formation efficace. Nous avons demandé, dans le cadre de la LOPPSI, la création de centres régionaux d'instruction de la gendarmerie, afin d'assurer, en plus de la formation en école, la continuité de la formation. Nous travaillons avec l'armée de terre, par exemple, pour la formation des PSIG. La femme et l'homme sont au cœur du dispositif de résilience, de manière prioritaire par rapport aux moyens.
Nous avons recueilli des retours positifs de la part de l'armée de terre concernant l'articulation avec les légionnaires. La résilience implique également une capacité à travailler ensemble pour faire face à une crise.
La directive européenne sur le temps de travail risque de constituer un problème majeur. Bien que votre parole soit encadrée, pouvez-vous nous donner votre ressenti sur ce sujet ?
Par ailleurs, j'aimerais que nous abordions la question des capacités critiques d'un point de vue technologique. Quel élément serait susceptible de bloquer l'une de vos interventions ? Je pense à des éléments tels que la protection des gendarmes, la disponibilité des masques durant la crise sanitaire. Les capacités de la gendarmerie contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), si elles existent effectivement, sont assez limitées en volume. Quelles sont les capacités critiques pouvant éventuellement bloquer ou limiter vos interventions sur le territoire national ?
La gendarmerie s'oppose à l'application de la directive européenne sur le temps de travail, de même que le Président de la République et la ministre des armées. Nous sommes alignés sur la nécessité pour les forces armées de ne pas appliquer cette directive. Le système de la gendarmerie est organisé autour de la disponibilité. Notre dispositif permet une gendarmerie efficace, résiliente sur le terrain, capable de mobiliser des moyens dans l'urgence. Un encadrement du temps de travail impliquerait de repenser la gendarmerie en totalité. Nous ne pourrons conserver nos résultats en augmentant les contraintes en termes de disponibilité. Les gendarmes sont très attachés à leur statut militaire. Or la disponibilité fait partie de ce statut. Nos dispositifs de récupération sont cohérents : les astreintes donnent droit à des récupérations, les périodes de repos sont encadrées, les permissions sont assurées. Je pense que mon avis est très largement partagé par l'ensemble des gendarmes.
Je vais répondre à présent à votre question sur les facteurs critiques qui, dans la conduite des crises, pourraient freiner la réactivité. La résilience des systèmes d'information et de communication est un enjeu majeur. À l'occasion d'une catastrophe telle que la tempête Alex, il est crucial de pouvoir communiquer et de disposer de moyens de communication résilients. La gendarmerie a la chance de posséder le réseau de télécommunication RUBIS. Lui seul est resté opérationnel pendant la tempête Alex. Ce réseau est déjà ancien. Nous allons évoluer dans un avenir proche vers un réseau de communication et d'information plus numérique, le « réseau radio du futur », dont la première brique en gendarmerie sera PCSTORM. Sur le terrain, un gendarme sera équipé d'un terminal portable, son téléphone, qui lui donnera accès à l'ensemble des fichiers. Il disposera également d'un ordinateur qui lui permettra de saisir les plaintes sur le terrain, de traiter une enquête judiciaire sur le terrain.
Le numérique permet plus de mobilité et une nouvelle vision de la gendarmerie. Nous n'aurons plus besoin de demander au public de se déplacer à la brigade. Nous adoptons une logique de « pas de porte ». Les permanences peuvent être prises ailleurs qu'à la brigade, dans des mairies, dans des maisons France Services, en nomadisation avec des camping-cars ou des minibus dans les zones rurales. Cependant, il existe un risque lié aux fragilités des réseaux numériques. Nous devons mesurer ce risque et mettre en place les couvertures permettant de faire face, par exemple, à une atteinte globale du réseau internet. Certaines garanties existent, notamment parce que le réseau de l'État n'est pas totalement dépendant de l'internet. L'ensemble de nos données sont hébergées dans des data centers parfaitement protégés et résilients grâce à des équipes spécialisées en cyberdéfense. La consultation des données est réalisée par le biais de l'intranet, ce qui les rend disponibles même dans le cas de coupure d'internet. Une telle coupure poserait malgré tout une difficulté pour la consultation des données sur le terrain. Nous réfléchissons actuellement à la mise en place de systèmes qui nous permettraient de créer nos propres « bulles » en replaçant des bornes. Ces systèmes pourraient être des véhicules-relais qui rétabliraient une liaison entre le système RUBIS et l'intranet, afin de garantir l'accès aux données. Un travail important est actuellement en cours sur ces sujets. Il est certain que cette évolution vers le « tout numérique » présente des vulnérabilités. Le réseau radio de la gendarmerie passera par les téléphones portables NEO2, prochainement distribués à 120 000 gendarmes. La protection de ces systèmes contre les cyberattaques doit être prioritaire, ainsi que la mise en place de solutions résilientes en cas de perte de réseau.
Au-delà de cyberpannes éventuelles, la couverture des zones est également importante. En cas d'interventions sur un territoire non couvert par les opérateurs de télécommunication, PCSTORM sera probablement utile. Nous savons que la gendarmerie est très en avance en termes de capacités numériques.
En matière NRBC, nous développons des systèmes de lutte. Nous avons des équipes, uniques au monde, capables de travailler dans des ambiances viciées. Ces moyens sont pourtant insuffisants. Ils peuvent être adaptés aux unités de gendarmerie, mais il nous faut travailler en complémentarité avec la sécurité civile et la police nationale. Des exercices se déroulent chaque année aux niveaux central et zonal, avec la sécurité civile, sous l'égide des préfets, pour se préparer à des menaces de ce type. Nous ne pouvons agir sur ces questions qu'en complémentarité. Nous n'avons pas la prétention de traiter seuls une crise NRBC.
Nous venons de parler de la technicité de certaines situations, mais des moyens humains importants sont aussi nécessaires. Pouvez-vous dresser le bilan de la réserve opérationnelle de gendarmerie ? Certains scénarios impliquent-ils de vous « hybrider » avec les citoyens, comme dans l'exemple de la vigilance citoyenne ? En cas de crise très grave, est-il envisageable que des gendarmes commandent des citoyens pour obtenir les ressources nécessaires à la résolution d'une crise ?
Nous n'avons pas poussé les scénarios aussi loin que votre hypothèse. Toutefois, le directeur général a lancé un plan nommé « GEND 20.24 », reposant sur plusieurs piliers. Le premier pilier concerne la posture de protection que nous devons apporter à la population, aux citoyens et aux élus. Nous nous efforçons aujourd'hui d'agir au contact des citoyens pour apporter le niveau de protection souhaité, avec une attention particulière portée aux plus démunis. Par exemple, le développement des maisons de confiance entre dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales. Les élus sont associés à ces démarches. Nous devons maintenir un lien très fort avec les élus, notamment les maires. Pour ce qui est de la vigilance citoyenne, l'interface est non seulement la gendarmerie, mais également le maire.
Dans le cadre de problématiques qui frappent toute la société telles que l'environnement, et plus particulièrement le traitement des déchets, la gendarmerie est concernée. Nous constatons, par exemple, des dépôts d'ordures. Le maire, premier magistrat de la commune, est également concerné. Nous devons donc entretenir un véritable dialogue avec les élus pour développer la mobilisation citoyenne. Nous ne prévoyons pas encore d'opérations de masse avec les citoyens, néanmoins nous prenons conscience de la nécessité d'être plus proches de la population. Je pense que la population souhaite avoir des maires capables de piloter les politiques avec l'appui des gendarmes. Nos concitoyens veulent voir du bleu sur le terrain, en particulier sur leurs problématiques quotidiennes. Or les relais entre la gendarmerie et les citoyens ne peuvent être que les maires.
Aujourd'hui, la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) compte 30 000 femmes et hommes. La réserve opérationnelle de niveau 2 (RO2), composée des gendarmes à la retraite, compte 28 000 gendarmes. La RO1 est mobilisable pour toutes les opérations de la gendarmerie. Les réservistes ne sont plus considérés comme un appoint. Ils sont totalement intégrés à la main d'œuvre de gendarmerie. Au-delà de ces 30 000 réservistes, nous avons développé une réserve citoyenne de 1 700 femmes et hommes qui consacrent du temps à des questions de tous ordres, telles que les ressources humaines ou la logistique. Notre ambition est d'amener la RO1 à un effectif de 50 000. L'âge moyen de la RO1 est de 39 ans, celui de la RO2 de 57 ans. Les réservistes suivent des cycles de formation très importants. Les préparations militaires initiales représentent deux fois quinze jours, puis les formations opérationnelles de réserviste territorial se déroulent également sur deux fois quinze jours. Ils suivent également des stages d'acculturation. En outre, il est nécessaire de maintenir la formation continue, notamment au tir.
Le taux d'engagement de nos réservistes opérationnels de premier niveau atteint trente à quarante jours par an. En 2020, 700 000 jours ont été effectués par les réservistes. Le budget de la réserve opérationnelle se monte à 70,7 millions d'euros par an. Le passage à un effectif de 50 000 risque cependant de soulever des questions budgétaires. La réserve de gendarmerie représente aujourd'hui 42 % de la garde nationale.
Nous devons veiller à ce que la réserve ne serve pas de variable d'ajustement budgétaire.
La police n'a pas les mêmes contraintes que la gendarmerie en termes de disponibilité puisque son statut est civil. En cas de difficulté sur les capacités civiles, la gendarmerie pourrait-elle réglementairement intervenir dans les zones couvertes par la police ?
Par ailleurs, le développement massif des réseaux sociaux peut provoquer des changements rapides de comportement tels que des rassemblements. Comment la gendarmerie opère-t-elle face à ces phénomènes ? Disposez-vous d'outils d'anticipation, basés sur l'analyse du contenu ou du bornage, pour détecter les risques qu'ils représentent et être réactifs ?
Il nous arrive déjà d'intervenir dans les zones couvertes par la police, dans le cadre d'un dispositif opérationnel d'appui mutuel existant depuis plusieurs années. Lorsqu'un directeur de la police émet le souhait, auprès du préfet, d'obtenir un renfort de la gendarmerie, des forces de gendarmerie se rendent en zone police en appui. Un officier de police judiciaire (OPJ) est compétent sur le département, que ce soit en zone gendarmerie ou en zone police. Ces dispositifs ont surtout pour but de faire face à des troubles à l'ordre public. Ils sont mis en œuvre de manière quasi quotidienne. Des émeutes importantes se sont produites à Blois l'hiver dernier. Le commissariat rencontrait des problèmes d'effectifs causés par la crise du covid-19. La gendarmerie s'est alors mobilisée et a pu mettre 300 gendarmes à la disposition du commissariat de police.
En outre, dans le cadre du schéma national d'intervention conçu à la suite des attentats, nous avons la possibilité de procéder à des croisements entre le RAID et le GIGN. L'unité la plus proche du lieu d'intervention va prendre en compte l'opération au-delà des considérations de zones police ou gendarmerie. En cas d'attaque terroriste dans le centre-ville de Nantes, l'unité du GIGN située dans cette ville prend en charge l'intervention jusqu'à l'arrivée du RAID. Celui-ci reprendra la direction de l'intervention à son arrivée, depuis l'antenne du GIGN.
La gendarmerie dispose d'une sous-direction de l'anticipation opérationnelle. Elle travaille de façon étroite avec le service central du renseignement territorial (SCRT). Nous en sommes le client et le fournisseur : nous interrogeons le SCRT sur des phénomènes qui nous préoccupent et nous l'alimentons grâce aux nombreuses informations que nous collectons lors de nos différentes missions à des fins de renseignement. Nous sommes donc capables d'obtenir une vision claire de ce qui se produit sur les réseaux sociaux. Les informations nous servent dans le cadre de nos propres opérations et nous les diffusons vers d'autres services.
La réunion se termine à treize heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. – Mme Marine Brenier, M. Thomas Gassilloud
Excusés. – Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexandre Freschi