Intervention de Sébastien Leroy

Réunion du vendredi 5 novembre 2021 à 12h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France :

Le matériel doit être différencié selon les crises. La crise sanitaire a montré l'importance de disposer de stocks stratégiques nationaux, mais surtout au niveau local. J'ai constaté une défaillance totale de l'information lorsque nous avons évoqué la nécessité d'acquérir des masques : il nous avait été répondu que ce matériel ne relevait pas de notre compétence et qu'il nous serait distribué. Désormais, chaque commune doit disposer d'un stock de produits de première nécessité.

Les feux de forêt sont à part puisqu'ils ne font appel qu'à des professionnels, les sapeurs-pompiers. Il y a d'ailleurs un vrai débat sur le renforcement du volontariat puisqu'ils sont eux aussi en souffrance. Nous disposons de moyens aériens très puissants, mais il reste un effort considérable à faire pour les moyens terrestres car les engins sont vieillissants et n'ont plus la puissance nécessaire. Ni le citoyen ni les autres forces ne peuvent intervenir en cas de feux de forêt, hormis comme soutien logistique.

S'agissant des inondations, qui deviendront selon moi, le phénomène à plus fort impact au niveau national, il existe un vrai problème de moyens matériels. La gendarmerie, pourtant mieux équipée que la police nationale, ne dispose d'aucun véhicule lui permettant d'intervenir en voie inondée. Les sapeurs-pompiers détiennent des véhicules tout-terrain, mais sont totalement sous-dimensionnés pour l'évacuation de l'eau. La commune doit donc se constituer un stock de matériel extrêmement lourd pour pouvoir intervenir. Lorsqu'une cellule orageuse frappe une ou deux villes, les moyens de l'État peuvent converger vers cette zone. En revanche, lorsque le phénomène est départemental, les moyens d'action sont trop restreints. En 2015, seuls les sapeurs-pompiers pouvaient intervenir. La gendarmerie et la ville étaient totalement immobilisés, les véhicules de police submergés et les pompiers ont mis plusieurs heures pour atteindre certains quartiers. J'ai donc lancé, suite à cela, une politique d'équipement des services municipaux. J'ai acquis des véhicules tout-terrain lourds équipés pour la submersion marine, notamment pour la police municipale. En novembre et décembre 2019, nous avons eu deux crises en six jours, une crise départementale et une crise locale. Nous avons failli perdre nos véhicules à cause du courant. Les sapeurs-pompiers ont, par ailleurs, perdu deux camions tout-terrain. Aussi, ce matériel n'est plus suffisant et j'ai créé une brigade lourde d'intervention équipée de véhicules chenillés extrêmement puissants pour traverser les cours d'eau et résister au courant. En 2019, notre établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) a été coupé du monde et nous avons dû le rejoindre à pied alors qu'il se trouve en centre-ville. En cas de problèmes médicaux, nous n'aurions pas eu le matériel nécessaire. L'effort de rééquipement s'avère donc urgent.

Le 3 octobre 2015, quand on a dû vider les sous-sols et les ponts sous l'autoroute, les sapeurs-pompiers avaient des capacités de pompage de 80 à 100 m3 maximum par heure. La brigade de pompiers allemands qui est venue spontanément – nous sommes jumelés avec une ville en Bavière – avait des camions d'une capacité de 1 500 m3 par heure.

La communication avec l'État a bien fonctionné. Selon moi, le bon niveau est le préfet de département en relation avec la DDTM. Nous pouvons effectivement échanger pour avoir des positions utiles. Les précautions prises avant les crues ont correctement fonctionné. Cependant, nous avons une responsabilité commune pour réformer le droit. La résilience du territoire est un mot employé pour la gestion de l'urgence, mais nous n'avons pas les moyens de placer les territoires en résilience. Les procédures accumulées sont non seulement contradictoires, mais elles paralysent toute action de mise en protection des territoires. Par exemple, certains projets de création de bassins de rétention sur des sites naturels durent depuis dix ans et sont bloqués par des procédures environnementales et des enquêtes publiques. Je pouvais faire un bassin de 13 000 m3 au 1er septembre afin de protéger mon centre-ville d'une crue centennale. J'ai acquis les terrains depuis deux ans, j'ai l'accord de tout le monde – services de l'État et propriétaires – et au moment de commencer les travaux, on m'impose une enquête publique de six mois car le vallon d'eaux pluviales, qui n'est pas vraiment un cours d'eau, est qualifié comme tel donc il faut une enquête publique. Nous respectons la procédure et la loi mais si demain on a une inondation, le centre-ville sera sinistré parce qu'on aura perdu six mois.

L'ennemi des maires, des préfets et des DDTM, ce sont des lois et des procédures qui se sont accumulées et qui ne correspondent plus à rien. Je constate d'ailleurs un discours totalement opposé entre le ministère de la transition écologique et le ministère du logement puisque ce dernier se moque des risques majeurs et demande la création de logements. Dans ma ville qui a subi trois intempéries majeures en quatre ans, avec 25 000 habitants à l'année et 80 000 en été sur 700 hectares – pour une commune qui fait 3 500 hectares –, on m'impose la création, en l'espace de douze mois, de 2 200 logements sociaux d'ici le 31 décembre 2022. Le préfet voulait m'en exonérer, avec la DDTM et le préfet de région, mais le ministère du logement m'a réintégré de force dans la loi SRU et m'a pénalisé financièrement. Ces sommes d'argent ne servent donc plus à protéger le territoire.

Il est important que les parlementaires s'emparent de ce sujet d'urbanisme. L'élu local n'est pas libre d'urbaniser sa ville et il est déresponsabilisé. L'État m'accompagne sur certains projets, mais m'empêche d'en accomplir la plupart. Le transfert aux EPCI est devenu négatif dès lors qu'il a été obligatoire et non plus facultatif. Il reste néanmoins positif pour les petites communes qui ne peuvent pas se protéger seules. L'élu local se trouve face à la contradiction entre ce qu'imposent certaines lois et ce qu'impose la résilience. Mes concitoyens sont révoltés parce que l'État m'impose la construction de logements dans des zones qui ont été inondées à plusieurs reprises.

J'ai personnellement acquis un appartement dans une résidence construite sur ces injonctions de création de logement, sur un terrain en zone blanche, le long d'un cours d'eau. En 2015, nous avons été inondés et le quartier, qui a déploré huit décès, est passé de zone blanche à zone rouge. Le logement y a été construit parce que la loi nous obligeait de le faire.

Responsabiliser les élus locaux est une priorité absolue. Si l'État est le coupable idéal, c'est qu'il se met lui-même dans cette position en ne responsabilisant pas suffisamment les élus locaux et en ne leur laissant pas les libertés suffisantes. Je vous appelle à créer une boîte à outils qui doit rester de la responsabilité de chacun. Ne transférez pas de forces et de compétences aux EPCI parce que cela fonctionne moins bien que dans les villes qui ont la capacité de le faire.

Les inondations que nous avons connues ne sont, à mon avis, que le prélude des crues à venir. La tempête Alex qui a frappé l'arrière-pays niçois est passée à 15 kilomètres de ma ville. Si le vent avait changé, la tempête serait arrivée sur un territoire du littoral azuréen avec plusieurs centaines de milliers d'habitants. Le jour où cela arrivera, les conséquences risquent d'être bien plus lourdes et le système actuel ne me permet pas d'agir efficacement. Nous sommes en retard, nous sommes beaucoup trop lents et même les ouvrages que nous arrivons à faire sont déjà déconnectés par rapport à la réalité des phénomènes. Nous devons nous emparer de cette urgence et mener une révolution du droit sur le sujet. Nous ne pouvons pas empêcher la crise, mais nous pouvons en limiter les effets ; aujourd'hui la réalité sur le terrain est qu'on ne fait rien. Tel est mon cri d'alarme au nom des maires de France. Donnez-nous les moyens d'agir efficacement en conférant les compétences aux préfets de départements, à la DDTM et aux maires afin de constituer un trio de discussion qui peut agir. Le contrôle de l'État ne doit plus intervenir a priori mais a posteriori. S'il y a des compensations environnementales à faire, on le fera ; s'il y a des contrôles à faire sur les usages, cela sera fait, mais que le préfet retrouve cette capacité de dire aux élus de prendre des risques et d'agir. Si nous maintenons cet État monolithique qui paralyse tout, nous serons tous responsables lorsqu'un événement surviendra.

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