Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du vendredi 5 novembre 2021 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • résilience
  • sirène
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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Vendredi 5 novembre 2021

La séance est ouverte à douze heures

(Présidence de Mme Carole Bureau-Bonnard, membre de la mission d'information)

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Lorsque survient une crise ou une catastrophe, les citoyens se tournent d'abord vers les maires. En outre, c'est la plupart du temps au maire qu'il revient d'organiser la résilience du territoire et de la population qui y vit. Nous accordons donc une importance particulière à l'analyse que l'Association des maires de France (AMF) peut développer quant au cadre institutionnel, juridique et financier permettant au maire de jouer ce rôle essentiel et central.

Nos questions porteront bien entendu sur les plans communaux de sauvegarde et sur les réserves de sécurité civile, mais aussi, plus largement, sur l'appréciation que les élus portent sur la résilience de leurs administrés, notamment au prisme de la crise sanitaire, et sur la façon dont ils peuvent identifier les citoyens et les associations autour desquels organiser la prévention des risques et la réponse aux crises.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Je suis très heureux de pouvoir apporter le témoignage des élus de terrain. Nos territoires sont aujourd'hui confrontés à des crises météorologiques majeures ou à des crises sanitaires qui nécessitent une véritable réflexion d'ensemble sur l'efficacité et la rapidité de nos interventions et moyens d'action. Je n'exprimerai pas la position officielle de l'AMF, puisque les instances ne se sont pas prononcées sur le sujet, mais ce que je ressens.

Le premier élément à prendre en compte est la grande diversité des communes dans leur configuration et leurs moyens, par leur taille et leur territoire. Aucune n'est soumise à la même situation, si bien qu'il est difficile de définir, par un texte unique ou un cadre général, les moyens ou les modalités précises d'intervention des uns et des autres. Notre problématique, en tant qu'élus sur le terrain, est de disposer d'outils et d'un cadre législatif qui puissent à la fois libérer les moyens d'action et optimiser les moyens de communication avec les citoyens et les services de l'État. Nous devons avoir face à nous des représentants de l'État disposant d'un véritable pouvoir d'autonomie pour nous permettre d'élaborer un audit précis et un plan d'action dans chaque ville. En cas de crise, nous devons pouvoir mettre en œuvre ce plan, qui doit se montrer performant.

Les communes disposent soit de beaucoup de moyens pour intervenir, soit d'aucun moyen. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont à la fois une bonne et une mauvaise chose. Certaines communes n'ont pas les moyens de lutter et les EPCI constituent alors un moyen efficace pour apporter des moyens d'action. Cependant, ils ont pour effet néfaste d'éloigner la prise de décision du terrain. Or la cellule de gestion territoriale par excellence demeure la commune. Dès que l'on passe au niveau supérieur, la déconnexion avec les citoyens et les délais d'action deviennent néfastes ou problématiques. Sur cette question, je pense qu'il ne faut pas imposer, il faut avoir des boîtes à outils qui reposent sur la volonté et les besoins de chaque site.

Aujourd'hui, les communes disposent de moyens de communication pléthoriques. Il existe des documents essentiels tels que le DICRIM – document d'information communal sur les risques majeurs – ou les plans communaux de sauvegarde. En période de tension, la communication devient chaotique car le citoyen n'a plus de repère et il se tourne naturellement vers la commune. Or celle-ci doit se montrer à la hauteur de ses responsabilités en prévoyant les décisions et méthodes à appliquer en cas de crise ou de tensions : lorsque l'on doit agir, on n'a pas le temps de se poser pour réfléchir aux actions à mener et anticiper.

Toutefois, compte tenu de la diversité des villes, je doute que nous puissions imposer des procédures de manière unique au niveau de l'État. Nous devrions plutôt nous reposer sur le trio composé du maire, du préfet et de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) pour bâtir un fonctionnement cohérent. Une charte graphique pourrait être définie pour éviter le trop-plein de communication, mais ce fonctionnement doit rester piloté en local. Le trio maire-préfet-DDTM doit, par ailleurs, disposer des moyens de l'action, de la prévention, de la conception de la résilience et de la mise en résilience du territoire.

Enfin, les contradictions normatives existantes posent un réel problème. Le texte actuellement en discussion au Parlement est l'occasion d'évoquer cette contradiction profonde entre les règles sur la résilience – la communication, la préparation de la résilience, les documents d'urbanisme, la concertation élus de terrains-préfets-DDTM, etc. De nombreuses lois en vigueur viennent, par leur application, contredire la mise en résilience des territoires. L'une d'elles est la nouvelle mouture de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), que vous travaillerez prochainement dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) et qui vient contredire le principe même de résilience des territoires. En effet, par ses objectifs, elle impose exactement l'inverse des mesures de protection face aux risques d'incendie ou d'inondation. Je n'aborde pas le cas de la crise sanitaire, qui est différent et a permis d'identifier certains problèmes.

La résolution de ces situations nécessite un cadre général posé par l'État, mais laissant des moyens d'action à la liberté de choix des élus en concertation avec le préfet et la DDTM. En étant trop dans la norme restrictive, les effets seront inverses, cela n'ajoutera que des procédures supplémentaires, du travail en plus, et cela ne favorisera ni la prise rapide de décisions essentielles, ni la prise de conscience des élus locaux et les services de l'État. Cependant, cette liberté ne doit pas non plus être un prétexte pour ne pas prendre ses responsabilités et ne pas agir.

Mon territoire a subi trois crues majeures en quatre ans. Il a affronté la crise sanitaire comme toutes les autres villes, mais il reste soumis aux risques naturels comme peu de villes en France. D'après notre expérience de terrain, la prévention s'est avérée insuffisante dans les rapports de l'élu de terrain avec les services de l'État. En temps de crise, les documents d'intervention ne constituent pas une référence pour le citoyen qui recherche de l'information instantanée auprès de la ville et non des autres entités.

S'agissant de l'avenir de la mise en résilience des territoires et de la communication, la prise de conscience du citoyen ne peut se faire que dans les décisions de gestion de la commune, mais celles-ci ne peuvent plus être contrariées par d'autres lois. Dans l'exemple des inondations, on ne peut pas demander de déconstruire d'un côté tout en demandant de construire de l'autre afin d'atteindre des objectifs de production de logements.

Les élus locaux demandent une certaine liberté d'action, une boîte à outils et une aide de l'État. Cette dernière doit être une aide positive, avec des moyens, éventuellement une charte graphique, une facilité d'accès à l'information et à des synthèses précises et non pléthoriques. Enfin, les maires souhaitent retrouver une liberté d'action sur le territoire. Il faut sortir d'un cadre législatif qui fait de la mise en résilience un projet quasiment utopique si l'on tient compte des nombreuses contradictions entre procédures, réglementations ou même positions des services déconcentrés de l'État, qui disent parfois l'inverse de ce que veut le niveau central.

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Vous évoquez une contradiction entre la 3DS et les difficultés de certaines communes. Nous examinerons le sujet. Par ailleurs, les maires souhaitent une certaine liberté, mais en cas de crise, on s'interroge sur les actions de l'État. Chacun doit effectivement prendre ses responsabilités. La cohésion se révèle extrêmement importante et vous avez justement évoqué le préfet qui permet ce lien.

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. Nous sommes nous-mêmes d'anciens élus locaux et ce qui nous préoccupe est la capacité du pays à faire face à une crise majeure. La commune étant la cellule élémentaire de notre pays, nous sommes convaincus qu'au-delà des grands moyens nationaux, les solutions développées localement, notamment par le maire, demeurent primordiales. La résilience constitue un mixte de prévention, de planification et de moyens de mobilisation si la catastrophe survient.

Vous avez parlé de moyens de communication pléthoriques. En tant que maire, je me suis demandé si le document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) n'allait pas terminer dans un placard et je me suis interrogé sur son utilité réelle en cas de crise majeure. Je considère qu'il a vocation à sensibiliser les acteurs sur les grands risques et, avant même l'apparition de la crise, de tâcher de disposer de politiques publiques tenant compte de ces grands risques. Cependant, je m'interroge sur les moyens de communication du temps court. Il est parfois nécessaire d'informer l'ensemble ou une partie des citoyens en une heure. Maire d'une commune de montagne où parfois l'enneigement était tel que l'école ne pouvait pas être assurée, je me suis demandé comment je pouvais, dans l'heure, adresser un message à l'ensemble des citoyens concernés. Pensez-vous que nous devons progresser collectivement en mettant en place un outil permettant de communiquer dans un temps court ? Certaines communes disposent encore de sirène. D'ailleurs, l'avez-vous toujours, vous, dans votre commune ? Pensez-vous qu'elle a vocation à être démontée ou qu'elle peut encore être utile, en cas extrême ? Aujourd'hui, quand on entend la sirène, je ne suis pas sûr qu'on aurait le réflexe de se demander ce qu'on doit faire. Comment appréhendez-vous la communication dans le temps court ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Les anciens élus locaux que vous êtes savent bien que la communication avec le citoyen se révèle différente selon l'instant. Quand nous n'avons qu'une heure pour alerter, les moyens doivent varier dans leur nature et leur méthode. S'agissant de la communication entre la ville et le citoyen, le DICRIM est un document qui a effectivement davantage vocation à finir au placard qu'à être utilisé. Selon moi, son intérêt concerne plutôt les relations entre la ville et l'État. Vis-à-vis du citoyen, nous devrions plutôt distribuer des fiches de synthèse claires et précises sur chaque situation, en indiquant les gestes essentiels. En cas de crue, le citoyen ira spontanément chercher de l'information, mais si les réseaux de communication ne fonctionnent plus, il ne reste que le support papier. Encore faut-il qu'il ait été distribué et conservé !

Quant aux sirènes d'alerte, nous en avons fait l'expérience lors de la crue tricentenale du 3 octobre 2015. À l'arrivée de l'inondation, les sirènes ne fonctionnaient plus puisque l'État ne les entretenait plus. Elles ont été remises en fonction après cet événement parce qu'il s'agit d'un moyen puissant d'alerte générale. Mais il n'a qu'une seule vocation : si la sirène sonne, chacun doit rester chez soi et se mettre en sécurité. C'est le message qu'il faut marteler. Le retour d'expérience des deux crues vécues à six jours d'intervalle en 2019 a montré que la sirène constitue le moyen le plus réconfortant pour le citoyen, le message qu'il attend le plus. Auparavant, les sirènes avaient plusieurs fréquences de sonnerie pour différents niveaux d'alerte. Désormais, le seul message consiste à appeler les citoyens à se mettre en sécurité. Dans ma commune, je renforce le dispositif des sirènes pour améliorer son efficacité. Nous nous sommes en effet aperçus que de nombreux citoyens ne les entendaient pas en raison du bruit ambiant, de l'éloignement ou de l'urbanisation. Cependant, les budgets n'étant pas disponibles au niveau de l'État, la ville achète elle-même ses sirènes, les installe et les met en œuvre sur instruction de l'État. Nous devons ainsi bricoler et mobiliser des moyens financiers de la ville parce que les budgets d'alerte de l'État sont inexistants.

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. Dans ma commune, la sirène était opérée par la commune et servait traditionnellement à la mobilisation des pompiers. Vous, vous avez des sirènes sous maîtrise d'ouvrage d'État parce que vous avez des risques particuliers ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Ma ville est soumise à tous les risques naturels, mais surtout les risques d'inondation et de submersion marine puisque nous avons deux cours d'eau et nous nous trouvons en bordure de Méditerranée. Nous avons les risques de feux de forêts et de glissement de terrain. Lors des dernières intempéries de 2019, le collinaire s'est effondré en raison du surplus d'eau. De plus, ma ville est traversée par deux cours d'eau qui drainent tout l'arrière-pays de l'ouest de la Côte d'Azur. Historiquement, les sirènes avaient été installées pour des sujets régaliens, mais sans véritable définition. Pendant dix ou quinze ans, elles n'ont plus été entretenues, le besoin de communication ne s'est pas fait sentir avant 2015. Si, demain, nous rencontrons un risque de tsunami ou d'intempéries qui peuvent se déclencher en une heure, nous n'aurons pas le temps d'avertir la population par SMS, d'autant que tout le monde n'a pas un téléphone sous la main. D'ailleurs nous ne connaissons pas tous les numéros. Toutes les villes n'ont pas un fichier permettant d'identifier tous les habitants. Nous avons constaté ce manque durant la crise sanitaire. L'absence de centralisation des données constitue un manque énorme.

Lors d'une crue, une intempérie ou même un tsunami, le document papier devient inutile. Seule la sirène d'alerte peut servir, qui vous invite à quitter immédiatement tous les lieux exposés, dont les plages. Encore faut-il avoir, dans la culture populaire, cet enseignement selon lequel il convient de quitter les lieux à risque. Pour les feux de forêt, nous pouvons fermer les massifs par des barrières. Pour les plages et les inondations, nous pouvons créer des aménagements urbains qui montrent chaque jour aux citoyens qu'il existe des barrières et des lieux de mise en sécurité. Dans ma ville, j'ai installé des barrières sur les axes routiers inondables pour fermer la circulation en cas d'intempéries. Nous ne parviendrons pas à faire passer l'enseignement de la crise autrement qu'en le diffusant dans l'urbanisme et le mobilier urbain. On souhaite toujours oublier les difficultés pour passer à autre chose. Lors des inondations, après l'intense émotion et la responsabilisation, les citoyens retrouvent leurs réflexes antérieurs, ils construisent, s'arrangent pour ne pas vendre et pensent que cela ne va pas se reproduire. Pour que la culture du risque soit forte, les messages ne doivent pas seulement figurer dans des documents, ils doivent être visibles dans le cadre de vie.

Au-delà des sirènes d'alerte, nous pouvons utiliser les SMS et les messages sur les réseaux sociaux – sachant que ces messages restent soumis à la fonctionnalité des réseaux – ainsi que les haut-parleurs dans les rues. Il n'existe pas de solution idéale. Quant aux documents papier, ils doivent être simplifiés pour indiquer sur une ou deux pages les réflexes à avoir. Cela demande un grand esprit de synthèse mais s'ils ne sont pas visuels, simplifiés et forts, les gens les oublieront ou ne les liront pas.

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. Un projet national du ministère de l'intérieur, le SMS broadcast, prévoit la possibilité d'envoyer un SMS à toutes les personnes connectées sur un relais. Il permet de cibler toutes les personnes présentes sur la zone et pas simplement celles qui sont réputées habiter sur place. J'ai consulté le DRICRIM de votre commune : il est bien fait, agréable à lire et mis à jour. L'avez-vous diffusé à l'ensemble de la population ? Vous évoquiez une fiche plus synthétique d'une page. Avez-vous travaillé sur ce sujet ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Nous remettons le DICRIM aux nouveaux arrivants lorsque nous les recevons, nous le diffusons à la population et il est accessible sur le site internet de la ville. Il a été remis à jour en raison des crues que nous avons subies. La ville s'est totalement transformée depuis le 3 octobre 2015. Nous recommandons aux habitants de le conserver, mais peu le font. C'est pourquoi nous travaillons sur la fiche de synthèse. Cependant, nous ne pouvons la remettre qu'aux citoyens se trouvant sur le territoire. Le projet que vous évoquez me semble être une très bonne chose puisqu'il donnerait accès aux personnes sans les contraintes que nous impose aujourd'hui la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur la conservation des données privées. Durant la crise sanitaire, nous avons distribué des masques et j'ai découvert plusieurs milliers d'habitants dont nous n'avions pas connaissance. Il est anormal de devoir croiser des fichiers tels que la liste électorale ou l'inscription aux cantines scolaires pour tenter de rassembler des coordonnées qui restent très incomplètes. C'est un énorme manque dans les territoires soumis à risque. Il faut permettre aux communes de disposer d'un fichier complet sans entraves de la CNIL. La ville doit avoir connaissance du nombre de ses habitants et de leurs coordonnées.

Le DICRIM est essentiel, mais je considère qu'il sert davantage aux élus locaux qu'aux habitants. En effet, en le rédigeant, les élus locaux acquièrent la connaissance des risques de leur territoire pour prendre les mesures nécessaires. Le rôle du préfet et de la DDTM consiste à s'assurer que les maires ont eu cette prise de conscience.

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. Nous considérons souvent les citoyens comme des personnes à protéger, mais peu souvent comme des éléments de résolution de la crise. C'est d'autant plus vrai dans notre pays qui a la tradition d'un État fort et d'un haut niveau de service public. Comment jugez-vous la capacité de mobilisation des citoyens et leur aptitude à trouver des solutions par eux-mêmes ? Avez-vous entendu parler du dispositif de réserve communale de sécurité civile ? Jugez-vous que celui-ci pourrait avoir une certaine efficacité opérationnelle ? En tant que maire, si vous deviez affronter des crises de plus grande ampleur encore que celles que vous avez déjà affrontées, avez-vous la possibilité de mobiliser des citoyens pour une assistance massive et organisée ? Quelle est la place du citoyen dans une crise ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Selon moi, la place du citoyen est essentielle et elle se forge dans l'épreuve. Lors de nos trois crues majeures, toute la population a été touchée, ce qui a créé une mobilisation exceptionnelle que nous avons retrouvée durant la crise sanitaire et qui s'est révélée très productive. Toutefois, la réserve citoyenne est, à mon sens, à la fois positive et négative. Elle est positive lorsque la crise est passée et que vous avez besoin d'intervenir sur le terrain pour accompagner ou réparer les dégâts. Personnellement, je ne l'ai pas constituée parce qu'avec la réserve citoyenne, vous donnez un rôle important à des citoyens qui ne sont que des bénévoles. Or, dans le premier temps de la crise, vous ne pouvez pas exposer des personnes qui ne sont ni formées ni équipées. Ma crainte est que cette réserve s'autosaisisse et tente de remplir des missions pour lesquelles elle n'est pas formée. Le citoyen se sent investi d'un rôle à jouer, ce qui est extrêmement positif, mais il n'a pas la formation ni l'équipement. Ou alors, il faudrait que ces réserves communales soient constituées de citoyens ayant suivi un entraînement, répondant à des critères spécifiques et disposant d'un équipement adapté. Dans ma commune, nous avons constitué une réserve avec nos agents spécialement formés et équipés. Cela nous donne la possibilité d'avoir plusieurs centaines de personnes sur le terrain à différentes phases d'une intempérie. Malheureusement, je pense que peu de communes ont les moyens ou l'expérience nécessaires pour constituer une telle réserve. Je suis donc plutôt réservé sur ce point. Lorsque nous faisons appel aux bénévoles, nous les encadrons, mais cet encadrement se révèle difficile. La création d'une réserve doit rester au choix de chaque commune en fonction de sa situation, en mettant en garde les élus sur la gestion d'une réserve en temps de crise.

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. Sur la base de votre expérience, pouvez-vous nous raconter une crise ? Comment vous organisez-vous ? Quelles sont vos relations avec les services de l'État ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Aujourd'hui, quand une alerte météorologique annonce un phénomène particulièrement inquiétant, la première phase consiste à la mise en protection du territoire – patrouilles, vérification des avaloirs, fermeture des sites à risques…, ensuite, nous réunissons le PC communal de sécurité. Cette activation s'accompagne d'une mise en état d'alerte des services. La police municipale, par exemple, met en alerte ses agents et s'assurent qu'ils pourront être mobilisés en des endroits précis. Au sein des services techniques, nous avons créé une entité d'intervention rapide et lourde, spécialement formée et disposant d'un équipement d'opération en milieu nocturne et aquatique. Une fois que le PC est activé, nous nous mettons en relation directe avec les services de l'État qui activent leur propre PC de sécurité. Un référent des sapeurs-pompiers et un représentant de la gendarmerie – ou la police nationale si vous êtes en zone police – nous rejoignent au PC communal. Un état-major se constitue autour de cette cellule et suit l'évolution de la situation, notamment au travers du centre de surveillance sur bornes. La diffusion des messages d'alerte à la population se déroule dans le même temps. Quand la pré-alerte se confirme, elle est diffusée sur les réseaux sociaux et nous faisons du phoning pour avertir les citoyens. Si le préfet décide de fermer les établissements scolaires et d'appeler les citoyens à rester chez eux, nous relayons ce message. Nous avons, dans notre commune, une série de zones que l'on évacue dès qu'on est en alerte orange confirmée : nous logeons dans des hôtels plusieurs centaines de citoyens de quartiers qui ont déjà été balayés par des inondations à plusieurs reprises. Nous mobilisons le tissu économique, nous faisons évacuer par la police municipale et les agents de la ville et nous organisons la sécurisation des sites, avec des tournées pour éviter les vols ou les cambriolages. Ainsi, lorsque la crise survient, le territoire est préparé, les équipes sont mobilisées et le matériel évacué des zones à risque.

Si la crise se confirme, nous la suivons en direct et nous ne faisons intervenir que les équipages extrêmement qualifiés des sapeurs-pompiers ou de la gendarmerie, mais celle-ci ne dispose pas des moyens pour intervenir en temps de crise. Nous nous assurons que la circulation est stoppée et nous traitons les urgences.

Une fois l'urgence passée, le PC prend en charge la réouverture et la réhabilitation des moyens d'alimentation électrique, de secours, de voirie. Nous menons un audit et engageons les travaux de réparation, d'évacuation des eaux usées et des boues, afin de permettre aux citoyens évacués de regagner leur domicile.

Tout le temps de préalerte s'accompagne d'une politique de communication très puissante par l'intermédiaire des réseaux sociaux, du téléphone et des SMS afin de permettre aux citoyens de suivre la situation. La communication doit être complète, transparente et forte pour contrer le phénomène des fausses informations qui se propagent très rapidement. Elle doit être diffusée du début à la fin de la crise. Je précise que les sirènes d'alerte sonnent lorsque la crise se confirme et non en prévention.

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Vous avez évoqué les moyens de la gendarmerie. Selon vous, existe-t-il un problème d'adaptation du matériel en fonction des territoires et des crises ? Pouvez-vous évoquer la relation du maire avec l'État ? Avez-vous des éléments de réflexion sur ce qui n'aurait pas fonctionné durant une crise nationale comme la pandémie ?

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. La démarche communale que vous décrivez ressemble au fonctionnement au niveau national, avec la cellule interministérielle de crise et cette dimension extrêmement importante de la communication, notamment pour contrer les fausses informations de nature à gêner les opérations de secours ou à troubler les citoyens. En tant que maire, redoutez-vous une crise en particulier pour laquelle communes et État devraient mieux se préparer ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l'Association des maires de France

Le matériel doit être différencié selon les crises. La crise sanitaire a montré l'importance de disposer de stocks stratégiques nationaux, mais surtout au niveau local. J'ai constaté une défaillance totale de l'information lorsque nous avons évoqué la nécessité d'acquérir des masques : il nous avait été répondu que ce matériel ne relevait pas de notre compétence et qu'il nous serait distribué. Désormais, chaque commune doit disposer d'un stock de produits de première nécessité.

Les feux de forêt sont à part puisqu'ils ne font appel qu'à des professionnels, les sapeurs-pompiers. Il y a d'ailleurs un vrai débat sur le renforcement du volontariat puisqu'ils sont eux aussi en souffrance. Nous disposons de moyens aériens très puissants, mais il reste un effort considérable à faire pour les moyens terrestres car les engins sont vieillissants et n'ont plus la puissance nécessaire. Ni le citoyen ni les autres forces ne peuvent intervenir en cas de feux de forêt, hormis comme soutien logistique.

S'agissant des inondations, qui deviendront selon moi, le phénomène à plus fort impact au niveau national, il existe un vrai problème de moyens matériels. La gendarmerie, pourtant mieux équipée que la police nationale, ne dispose d'aucun véhicule lui permettant d'intervenir en voie inondée. Les sapeurs-pompiers détiennent des véhicules tout-terrain, mais sont totalement sous-dimensionnés pour l'évacuation de l'eau. La commune doit donc se constituer un stock de matériel extrêmement lourd pour pouvoir intervenir. Lorsqu'une cellule orageuse frappe une ou deux villes, les moyens de l'État peuvent converger vers cette zone. En revanche, lorsque le phénomène est départemental, les moyens d'action sont trop restreints. En 2015, seuls les sapeurs-pompiers pouvaient intervenir. La gendarmerie et la ville étaient totalement immobilisés, les véhicules de police submergés et les pompiers ont mis plusieurs heures pour atteindre certains quartiers. J'ai donc lancé, suite à cela, une politique d'équipement des services municipaux. J'ai acquis des véhicules tout-terrain lourds équipés pour la submersion marine, notamment pour la police municipale. En novembre et décembre 2019, nous avons eu deux crises en six jours, une crise départementale et une crise locale. Nous avons failli perdre nos véhicules à cause du courant. Les sapeurs-pompiers ont, par ailleurs, perdu deux camions tout-terrain. Aussi, ce matériel n'est plus suffisant et j'ai créé une brigade lourde d'intervention équipée de véhicules chenillés extrêmement puissants pour traverser les cours d'eau et résister au courant. En 2019, notre établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) a été coupé du monde et nous avons dû le rejoindre à pied alors qu'il se trouve en centre-ville. En cas de problèmes médicaux, nous n'aurions pas eu le matériel nécessaire. L'effort de rééquipement s'avère donc urgent.

Le 3 octobre 2015, quand on a dû vider les sous-sols et les ponts sous l'autoroute, les sapeurs-pompiers avaient des capacités de pompage de 80 à 100 m3 maximum par heure. La brigade de pompiers allemands qui est venue spontanément – nous sommes jumelés avec une ville en Bavière – avait des camions d'une capacité de 1 500 m3 par heure.

La communication avec l'État a bien fonctionné. Selon moi, le bon niveau est le préfet de département en relation avec la DDTM. Nous pouvons effectivement échanger pour avoir des positions utiles. Les précautions prises avant les crues ont correctement fonctionné. Cependant, nous avons une responsabilité commune pour réformer le droit. La résilience du territoire est un mot employé pour la gestion de l'urgence, mais nous n'avons pas les moyens de placer les territoires en résilience. Les procédures accumulées sont non seulement contradictoires, mais elles paralysent toute action de mise en protection des territoires. Par exemple, certains projets de création de bassins de rétention sur des sites naturels durent depuis dix ans et sont bloqués par des procédures environnementales et des enquêtes publiques. Je pouvais faire un bassin de 13 000 m3 au 1er septembre afin de protéger mon centre-ville d'une crue centennale. J'ai acquis les terrains depuis deux ans, j'ai l'accord de tout le monde – services de l'État et propriétaires – et au moment de commencer les travaux, on m'impose une enquête publique de six mois car le vallon d'eaux pluviales, qui n'est pas vraiment un cours d'eau, est qualifié comme tel donc il faut une enquête publique. Nous respectons la procédure et la loi mais si demain on a une inondation, le centre-ville sera sinistré parce qu'on aura perdu six mois.

L'ennemi des maires, des préfets et des DDTM, ce sont des lois et des procédures qui se sont accumulées et qui ne correspondent plus à rien. Je constate d'ailleurs un discours totalement opposé entre le ministère de la transition écologique et le ministère du logement puisque ce dernier se moque des risques majeurs et demande la création de logements. Dans ma ville qui a subi trois intempéries majeures en quatre ans, avec 25 000 habitants à l'année et 80 000 en été sur 700 hectares – pour une commune qui fait 3 500 hectares –, on m'impose la création, en l'espace de douze mois, de 2 200 logements sociaux d'ici le 31 décembre 2022. Le préfet voulait m'en exonérer, avec la DDTM et le préfet de région, mais le ministère du logement m'a réintégré de force dans la loi SRU et m'a pénalisé financièrement. Ces sommes d'argent ne servent donc plus à protéger le territoire.

Il est important que les parlementaires s'emparent de ce sujet d'urbanisme. L'élu local n'est pas libre d'urbaniser sa ville et il est déresponsabilisé. L'État m'accompagne sur certains projets, mais m'empêche d'en accomplir la plupart. Le transfert aux EPCI est devenu négatif dès lors qu'il a été obligatoire et non plus facultatif. Il reste néanmoins positif pour les petites communes qui ne peuvent pas se protéger seules. L'élu local se trouve face à la contradiction entre ce qu'imposent certaines lois et ce qu'impose la résilience. Mes concitoyens sont révoltés parce que l'État m'impose la construction de logements dans des zones qui ont été inondées à plusieurs reprises.

J'ai personnellement acquis un appartement dans une résidence construite sur ces injonctions de création de logement, sur un terrain en zone blanche, le long d'un cours d'eau. En 2015, nous avons été inondés et le quartier, qui a déploré huit décès, est passé de zone blanche à zone rouge. Le logement y a été construit parce que la loi nous obligeait de le faire.

Responsabiliser les élus locaux est une priorité absolue. Si l'État est le coupable idéal, c'est qu'il se met lui-même dans cette position en ne responsabilisant pas suffisamment les élus locaux et en ne leur laissant pas les libertés suffisantes. Je vous appelle à créer une boîte à outils qui doit rester de la responsabilité de chacun. Ne transférez pas de forces et de compétences aux EPCI parce que cela fonctionne moins bien que dans les villes qui ont la capacité de le faire.

Les inondations que nous avons connues ne sont, à mon avis, que le prélude des crues à venir. La tempête Alex qui a frappé l'arrière-pays niçois est passée à 15 kilomètres de ma ville. Si le vent avait changé, la tempête serait arrivée sur un territoire du littoral azuréen avec plusieurs centaines de milliers d'habitants. Le jour où cela arrivera, les conséquences risquent d'être bien plus lourdes et le système actuel ne me permet pas d'agir efficacement. Nous sommes en retard, nous sommes beaucoup trop lents et même les ouvrages que nous arrivons à faire sont déjà déconnectés par rapport à la réalité des phénomènes. Nous devons nous emparer de cette urgence et mener une révolution du droit sur le sujet. Nous ne pouvons pas empêcher la crise, mais nous pouvons en limiter les effets ; aujourd'hui la réalité sur le terrain est qu'on ne fait rien. Tel est mon cri d'alarme au nom des maires de France. Donnez-nous les moyens d'agir efficacement en conférant les compétences aux préfets de départements, à la DDTM et aux maires afin de constituer un trio de discussion qui peut agir. Le contrôle de l'État ne doit plus intervenir a priori mais a posteriori. S'il y a des compensations environnementales à faire, on le fera ; s'il y a des contrôles à faire sur les usages, cela sera fait, mais que le préfet retrouve cette capacité de dire aux élus de prendre des risques et d'agir. Si nous maintenons cet État monolithique qui paralyse tout, nous serons tous responsables lorsqu'un événement surviendra.

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. Je conçois parfaitement que certains objectifs puissent parfois entrer en concurrence. Le travail de tous est bien de retrouver une certaine cohérence au niveau de la loi, des politiques interministérielles et des services déconcentrés de l'État. Je vous invite à travailler avec vos parlementaires sur les cas particuliers. Nous nous appuierons sur votre témoignage pour formuler des conclusions aussi utiles que possible au pays.

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Nous avons bien entendu votre avis sur le caractère contradictoire des lois et votre appréhension quant à la future loi 3DS. Nous interpellerons Mme la ministre Gourault et l'ensemble de nos collègues qui travaillent sur ce texte. Nous avons entendu votre demande de laisser leurs responsabilités aux élus locaux.

La réunion se termine à treize heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Thomas Gassilloud

Excusés. - Mme Marine Brenier, M. Alexandre Freschi