Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du jeudi 18 novembre 2021 à 15h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie :

J'ai eu l'occasion de gérer des risques sanitaires à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et des risques économiques au moment de la crise de 2008-2009, ce qui, je crois, m'a rendue plus agile dans la gestion de la crise du covid. La réponse à cette dernière a été pilotée par un certain nombre de personnes qui étaient en prise directe avec les événements : le Président de la République, le Premier ministre, le directeur de cabinet du Premier ministre, le ministre de la santé, moi‑même et d'autres, appuyés de task forces, comme le commando vaccin.

S'agissant de l'inscription dans la durée, il faut se demander comment entraîner et former le collectif public à faire face à de telles crises. Nous pourrions, à cette fin, analyser les actions entreprises sur le terrain par les communes. Nous disposerions ainsi d'éléments de comparaison très larges puisque, dans nombre de communes et de territoires, une agilité et une inventivité extraordinaires ont été déployées. Nous pourrions identifier les profils des équipes qui ont manifesté ces qualités et comprendre pourquoi cela semble avoir mieux fonctionné chez eux que chez d'autres.

Il convient de bâtir une organisation permettant d'assurer de la formation et d'effectuer des exercices, mais surtout sans rigidifier les choses.

Dans les dossiers que j'ai eu à gérer, qu'il s'agisse de la fabrication des masques et des vaccins, du sourcing des vaccins et des écouvillons ou encore de la fourniture en gel hydroalcoolique, à aucun moment le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'économie et des finances n'a été associé. En revanche, nous avons travaillé en grande proximité avec le SGDSN. La culture du risque ne s'est pas encore totalement diffusée au sein des administrations centrales.

S'agissant de l'articulation entre administrations centrales, services déconcentrés et collectivités locales, on a parfois constaté une très grande agilité mais aussi, à l'inverse, des dysfonctionnements qui ont fait perdre du temps et rendu les situations plus difficiles.

Il faut animer un collectif et insuffler une culture, en essayant de sortir du champ de l'appréciation juridique. Notre grande rigueur juridique a pu, à certains égards, être un obstacle à l'agilité et à la prise de risque.

À l'échelle européenne, nous sommes au tout début de l'histoire. Nous avons construit certaines choses au fil de l'eau. Ainsi, le Président de la République a lancé un collectif de quatre pays pour réfléchir à un approvisionnement commun en vaccins. J'ai été chargée d'y représenter la France et, au moment où ce collectif a été prêt à signer son premier contrat d'approvisionnement, j'ai négocié l'inclusion de l'Union européenne. Il nous paraissait nécessaire que ce contrat soit transmis à l'Union européenne pour éviter de limiter la garantie de l'approvisionnement à quatre pays, à l'exclusion des vingt‑trois autres. Cela aurait posé un problème majeur en termes de solidarité, et aurait créé un risque de marché noir et de tension aux frontières.

Lorsque la Commission européenne a hérité de cette responsabilité, elle a décidé de créer une Joint Negotiation Team qui comprenait un nombre limité de pays – les quatre premiers, auxquels trois autres se sont ajoutés – et un Steering Board associant les vingt‑sept membres. Cette gouvernance a été inventée pour l'occasion. La Joint Negotiation Team a plutôt bien fonctionné. Elle a tenu une réunion par semaine, voire plus, si nécessaire ; les sept pays étaient en mesure de prendre des décisions rapidement, de les proposer au Steering Board et de « challenger » la Commission européenne.

Avec HERA – Health Emergency Response Authority –, nous franchissons un pas, puisque nous construisons ce qui pourrait être l'autorité en charge d'anticiper puis de gérer des crises sanitaires majeures, sur le modèle de l'agence américaine BARDA – Biomedical Advanced Research and Development Authority –. Cette dernière constitue l'exemple d'une organisation puissante et adaptée à la crise. Il s'agit d'une agence indépendante dans son mode de fonctionnement, dotée de personnels aux compétences extrêmement pointues, souvent issus du privé. Elle assume des missions définies depuis une dizaine d'années, qui incluent le risque de pandémie. Elle se caractérise par ses capacités d'intervention, sa grande agilité et l'extrême rigueur de ses travaux.

La BARDA s'est engagée très rapidement dans les essais cliniques, mais a imposé des modalités de réalisation très strictes aux laboratoires pharmaceutiques, tout en les finançant massivement – ce que nous ne pouvions pas nous permettre de faire, malgré le covid, en raison des règles européennes sur les aides d'État. L'agence a souhaité que chaque étude clinique, et donc chaque candidat vaccin, puisse être comparé au mieux. Elle a structuré la conduite des études de manière à pouvoir traiter plus rapidement les données et à atteindre le stade de l'autorisation de mise sur le marché.

De même, la BARDA a réfléchi très tôt aux lignes de fabrication. Nous l'avons fait, pour notre part, en post-approvisionnement. En revanche, les Américains ont aussi utilisé le levier du blocage des exportations sur tous les composants. Ils ne se sont pas contentés de mettre en place la ligne de production, ils ont également protégé les composants – capsules en aluminium, bouchons en plastique et autres tubes en verre utilisés dans l'industrie pharmaceutique –, ce qui a complexifié la production sur les autres continents.

C'est un modèle intéressant, qui s'appuie sur une vision scientifique, une expertise industrielle, un levier juridico-législatif, un contrôle des exportations et un travail d'anticipation. C'est en effet une administration dont le métier est d'anticiper les crises et de concevoir des plans pour faire face aux risques. Mais cela vaut pour une crise sanitaire. Je ne sais pas quelle organisation nous définirions pour réagir à une cyberattaque ou à une catastrophe naturelle qui frapperait des installations critiques et aurait des répercussions sur le reste du monde. C'est dans ces domaines qu'il faut élaborer des scénarios et laisser une place à l'agilité.

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