Intervention de Stéphane Bouillon

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 17h00
Mission d'information sur la résilience nationale

Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et la sécurité nationale :

Il faudra encore beaucoup travailler, d'abord parce que l'État est engoncé dans une culture corporatiste. D'ailleurs, la réforme de la haute fonction publique engagée par le président de la République vise aussi à casser ces chapelles. De ce point de vue, la possibilité pour un administrateur de l'État d'aller de ministère en ministère apporter son expérience partagée me paraît très importante. Le deuxième obstacle que je perçois est le goût du Français pour la norme et aussi la crainte juridictionnelle que comporte aujourd'hui toute décision, ou toute non prise de décision. J'en prendrai pour exemple celui du haut fonctionnaire chargé de valider réglementairement les masques que nous portons en ce moment ; il pourrait faire confiance aux fabricants, considérer qu'ils produiront des masques sanitaires étanches et que s'ils ne le font pas, les consommateurs le leur reprocheront à eux, entrepreneurs. Mais ce fonctionnaire considère que c'est à lui que le reproche sera fait, et il a donc tendance, sinon pour se protéger du moins pour jouer complétement le rôle qu'il pense devoir jouer au sein de l'État, à émettre des normes, parfois à en émettre un peu plus que la réglementation européenne n'en réclamerait, et à « se couvrir » ainsi dans l'éventualité d'une poursuite relative à ce qu'il aura ou n'aura pas autorisé.

C'est une faiblesse française, pour deux raisons. D'abord, cela infantilise le fonctionnaire : il est beaucoup plus facile, bien sûr, de se ranger derrière une norme et de dire : « J'ai accompli les diligences nécessaires telles que les définit le code pénal. » Ensuite, cela infantilise les citoyens, auxquels le fonctionnaire dira : « La norme l'interdit, vous devez donc attendre », ce qui, en temps de crise, nous fait perdre un temps et un pouvoir de décision précieux et aboutit à faire du citoyen un consommateur qui, coincé entre les dispositifs institutionnels et organisationnels et le respect des normes, constate qu'on ne lui fait pas confiance pour se protéger et assurer sa sécurité, et que l'on ne fait pas confiance à un chef d'entreprise pour fabriquer une protection qui jouera son rôle. C'est l'un des sérieux obstacles qui, dans les années à venir, entravera notre désir de modifier cette culture et de nous rapprocher de la culture américaine à ce sujet. Certes, cela a des conséquences en matière de recherche de responsabilité pour les entreprises mais cela conduit chacun à jouer son rôle : le fonctionnaire, l'entrepreneur et le citoyen qui doivent, ensemble, essayer de trouver une solution sans avoir le souci de se protéger ou de pouvoir dire : « Ce n'est pas moi qui l'ai fait, c'est l'autre. »

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