Intervention de Nicolas Roussellier

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 16h15
Mission d'information sur la résilience nationale

Nicolas Roussellier, chercheur au centre d'histoire de Sciences Po :

En 1914, la société française est confrontée à une crise nationale. La guerre moderne totale concerne aussi l'arrière et les usines. Le ministère de la guerre convoque les industriels privés pour leur demander de convertir leurs machines. En 1916, le Gouvernement prend en charge la direction de la nation en guerre pour la première fois. Avant 1916, le modèle mettait à distance le civil et le militaire. Sous la IIIe République, l'armée avait été républicanisée dans le mode de conscription. Le service militaire avait été élargi, faisant disparaître l'exemption, afin qu'il soit mieux accepté par la population. Le rôle de l'armée vis-à-vis de la politique était également limité puisque les officiers n'avaient pas le droit de vote sous la IIIe République. Le gouvernement civil, entre 1880 et 1914, n'avait, mis à part la nomination du général en chef en Conseil des ministres, aucun moyen concret d'agir sur le militaire. Un ancêtre du conseil d'état-major des armées existait avec le maréchal Joffre, mais l'Élysée ne comportait pas de cellule militaire. Dans les premiers mois de la guerre, j'ai constaté dans les archives que le gouvernement civil était mis à l'écart de la direction de la guerre. Entre 1914 et 1916, une révolte sourde animait les soldats qui critiquaient les offensives menées, impuissantes à ouvrir une brèche dans le front ennemi. Des députés soldats faisaient l'aller-retour au Parlement et informaient leurs camarades de la situation. Les députés étaient alors très liés à leurs électeurs. À partir de 1916, grâce au comité secret, la Chambre se réunie sans compte rendu publié dans les journaux. Des séances d'interpellation permettent d'ouvrir des débats pendant parfois plusieurs séances, au terme desquels un vote de défiance pouvait être décidé. Ce vote de défiance ne visait pas tant le président du Conseil que l'état-major et le maréchal Joffre. Il s'agit de l'événement politico-militaire central de la Première Guerre mondiale. En décembre 1916, le pouvoir civil, poussé par son Parlement, ose démettre le généralissime alors qu'il bénéficie encore d'une certaine popularité dans l'opinion. Des crises du haut commandement, similaires à des crises ministérielles, surviennent. Au maréchal Joffre succèdent Georges Nivelle, Philippe Pétain et enfin Ferdinand Foch. Le pouvoir civil a pris la main sur la direction de la nation en guerre. Le secrétariat général à la présidence du Conseil apparaît en 1916. Le président du Conseil Aristide Briand réunit trois ou quatre ministres directement concernés par la guerre et témoigne d'une volonté de fonctionner sur un mode opérationnel, comme un état-major. Clemenceau accentue le modèle de l'état-major en prenant le portefeuille du ministère de la guerre, ce qui lui procure un cabinet civil et militaire, et il dirige la nation en guerre avec cette équipe.

Cet organe est abandonné après la guerre. Le gouvernement de guerre est démantelé tout comme les consortiums et les organismes publics privés de ravitaillements ou d'armement. La crise de 1929 fait reparaître cette nécessité d'un gouvernement de guerre. Dans ses écrits personnels, Pierre-Etienne Flandin note en 1935 : « Je vais faire un état-major à Matignon. » C'est également ce que fait Charles de Gaulle à Londres. L'expérience de la France libre est purement politico-militaire.

Ma conclusion est donc à l'opposé de la critique des conseils de défense et de la monarchie présidentielle. Il me paraît normal qu'une organisation au cœur de la démocratie ait pris en compte la nécessité d'un gouvernement moderne, qui peut en un sens aller à l'encontre de l'idéal démocratique, pour gérer efficacement les crises.

J'ai montré l'évolution de la force du Parlement vers la force de gouverner. Mon livre est politique. Il lui manque sans doute un volet social, de terrain. Après la crise des Gilets jaunes, je me suis intéressé à des crises de politiques publiques. La Ve République a résolu le problème de la méfiance envers les militaires. L'idée selon laquelle les militaires risquaient d'abuser d'un trop grand pouvoir qui leur serait confié a été largement surmontée dans la démocratie moderne. Le problème de la légitimité demeure cependant.

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