Nous saisissons bien l'aspect cyclique de l'histoire. Nous disposions d'une armée de masse en mesure de faire face à un choc important jusque dans les années 1990. Aujourd'hui, il s'agit d'une armée de projection, organisée pour assurer une moyenne d'engagement sous forte contrainte budgétaire. J'interprète votre propos comme une incitation à parvenir à une synthèse des deux modèles. Un système double devrait comprendre une puissance très technologique et des capacités de réserve.
J'aimerais aborder le rapport de la société à la défense. Le débat public montre que, pour faire face à une crise qui ne met pas nécessairement en jeu nos intérêts vitaux, l'idée de recourir à l'armée apparaît fréquemment. Selon vous, qu'est-ce qui justifie aujourd'hui que nos armées soient si souvent sollicitées ? La constitution allemande interdit quasiment le recours à la force armée sur le territoire national, y compris pour des missions non armées.
Nous évoquions une déresponsabilisation des citoyens. N'y a-t-il pas aussi une forme de déresponsabilisation des ministères, qui semblent penser que l'armée pourra toujours apporter son secours en cas de crise ? Ce réflexe a été observé durant la crise sanitaire, bien qu'il soit rapidement apparu que les moyens médicaux militaires représentaient moins de 1 % des moyens médicaux civils.
Au-delà de la conception du rôle des armées, il n'y a rien de plus dangereux que de croire qu'il est possible de mobiliser une ressource qui n'existe pas. Comment faire revivre l'esprit de défense, au sens de l'ordonnance de 1959, qui repose non seulement sur la défense militaire, mais qui mobilise également l'ensemble des ministères, pour que chacun soit responsabilisé ? Quel regard portez-vous sur le service national universel (SNU), et sur les débats sur la restauration du service militaire ? Pourrait-il constituer une solution pour ce modèle double, ou s'agit-il davantage d'une posture politique de certains dirigeants, alors que l'on manque de véritables ressources opérationnelles ?