Intervention de François Saint-Bonnet

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 15h30
Mission d'information sur la résilience nationale

François Saint-Bonnet, professeur d'histoire du droit à l'université Paris II Panthéon-Assas :

Les crises se résolvent par l'action politique, par l'action des administrations, et donc par les hommes et les femmes plutôt que par des normes. Le cadre normatif dans lequel on agit n'est pas ce qui est décisif. Lorsque l'on déclare l'état d'urgence, on ne fait que mettre en place un cadre dans lequel agir. Le recours à l'article 16, en soi, ne fait rien d'autre qu'ouvrir la possibilité, pour le Président de la République, de légiférer sans les chambres pendant une durée que seul lui détermine.

Je crois donc qu'il faut sortir de cette idée que le recours à la législation d'exception est une action en soi. C'est un point important puisque c'est une des raisons pour lesquelles nous avons eu du mal à sortir de l'état d'urgence. Il y avait en effet cette idée selon laquelle l'on cessait d'agir si on le faisait. Ce n'est pas le cas : nous disposons de moyens suffisants pour agir en dehors du cadre de l'état d'urgence.

J'insisterai sur le caractère « performatif » du mot « urgence » et de l'article 16. Ce n'est pas parce que l'on déclare un état de guerre, un état de siège, un état d'urgence, ou que l'on recourt à l'article 16, que l'on a agi.

L'article 16 est prévu pour des crises qui concernent l'intégrité du territoire national, l'indépendance de la nation, les engagements internationaux, le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels. Il vise donc une guerre étrangère, un coup d'état ou encore une insurrection armée intérieure. En cas d'invasion étrangère, admettons que nous serions dans un consensus pour la repousser. Dans l'hypothèse où une partie de la population soutiendrait le Président de la République et où une autre partie le combattrait, l'article 16 pourrait s'avérer une arme sans puissance. On dirait alors que le Président abuse du pouvoir. Cela poserait la question de l'obéissance des pouvoirs publics au Président. Il existe un précédent sur ce point, qui s'est produit lors de l'adoption des ordonnances du 25 juillet 1830. En cas de menace sur la sûreté de l'État, le roi Charles X pouvait agir par le biais de l'article 14 de la Charte. Il a agi… et s'est exilé en Angleterre quelques jours après. L'abus de ses pouvoirs exceptionnels s'est donc retourné contre lui. Je crois qu'il ne faut pas avoir une vision trop confiante de ce que serait un recours à l'article 16. Encore une fois, ce n'est pas un moyen d'action. En outre, il peut provoquer des réactions importantes.

L'état d'urgence a été décrété en novembre 2015, puis a eu lieu l'attentat du 14 juillet 2016. La question qui se posait était de savoir jusqu'où les Français accepteraient cette hypothèse. Le Gouvernement a travaillé sur l'hypothèse de l'article 16, un article 16 qui aurait été utilisé pour éviter des phénomènes de justice privée, de réaction des populations contre les musulmans en particulier.

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