Intervention de François Saint-Bonnet

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 15h30
Mission d'information sur la résilience nationale

François Saint-Bonnet, professeur d'histoire du droit à l'université Paris II Panthéon-Assas :

Le constat de la vacance du pouvoir est fait par le Gouvernement. La question s'est posée au cours du deuxième mandat du Président Mitterrand, lorsque son état de santé ne lui permettait plus de travailler que quelques heures par jour pendant certaines périodes. Personne n'aurait imaginé expliquer au pays que la Présidence était en situation de vacance. S'il n'y a pas de volonté de la part du malade de dire qu'il est incapable, il n'existe aucun autre moyen. Dans une situation où le Président est très affaibli et où il n'est pas en mesure de se prononcer, une situation d'intérim serait très difficile. Nous pourrions aussi imaginer une situation de coma. Il existerait certainement une forte pression de la part du pays pour que le Premier ministre identifie cette vacance. Le professeur Guy Carcassonne avait suggéré un mécanisme reposant sur une commission de médecins indépendants qui pourraient examiner l'état de santé du Président de la République dans ces circonstances. J'ignore si ce serait efficace.

La vacance du pouvoir est à envisager, mais je ne suis pas de ceux qui pensent que ce serait de nature à provoquer une très grande fragilisation des institutions parce que le Gouvernement continuerait à fonctionner et parce que nous avons un État qui fonctionne seul. Dans les périodes de campagne électorale, l'activité de l'État se poursuit alors qu'une grande partie du temps des personnalités politiques présentes au sommet de l'État est occupée par la conquête du pouvoir ou par le maintien au pouvoir.

S'agissant de l'excès de pouvoir, la Constitution a été révisée en 2007. La seule hypothèse dans laquelle le Président peut être destitué était celle de la haute trahison, mais personne ne savait ce que c'était. La Constitution a donc été modifiée et, maintenant, il est question de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Il n'existe pas de superposition entre une infraction pénale et un manquement grave du Président de la République. Imaginons qu'un Président soit photographié dans une situation très gênante ; il n'y aurait rien d'illégal à cela, mais l'on pourrait imaginer une situation proche du manquement s'il est la risée de la communauté internationale. L'accusation de ce manquement grave serait faite par une des deux chambres et serait jugée par les deux assemblées réunies en un équivalent du Congrès. Il faudrait obtenir une décision à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée pour destituer le Président de la République.

Il semble toutefois difficile de réunir ces conditions. Il est peu vraisemblable qu'une procédure d'accusation aille à son terme, car il est probable que le Président serait acculé à la démission. Cette procédure a abouti une seule fois dans notre histoire. Louis-Napoléon Bonaparte a en effet été destitué le 2 décembre 1851, mais, puisqu'il organisait un coup d'état au même moment, il s'est maintenu au pouvoir.

La question des réquisitions et de la mobilisation générale a été réglée par la loi sur l'organisation de la France en temps de guerre, adoptée en 1938, qui prévoit des mécanismes de mobilisation militaire et de mobilisation générale. La loi de 1996 qui met fin au service militaire obligatoire n'a fait en réalité que le suspendre. Mais le dispositif n'est pas prévu pour des hypothèses non militaires et non politiques. Pour des hypothèses de type climatique ou cyber, on en revient à une préoccupation qui me semblerait salutaire, qui consisterait à travailler en anticipation sur le plan législatif, mais aussi sur le plan organisationnel. Un dispositif de ce genre comprendrait certainement une partie qui relèverait de l'article 34 de la Constitution, avec un impact sur les libertés publiques, et une partie réglementaire ainsi que des scénarios sur lesquels chaque ministère travaillerait.

Au sujet des moyens de l'État, je crois que la mission d'information peut s'inspirer du troisième chapitre du rapport du Conseil d'État, rédigé par des personnes qui connaissent l'État profond et l'administration active. Il comporte des recommandations sur les mécanismes d'anticipation et sur l'organisation des moyens de l'État en situation de crise, ainsi que des recommandations opérationnelles au cas par cas. Je vous renvoie donc à ce travail, auquel je ne saurais ajouter quoi que ce soit de pertinent.

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