Intervention de Thomas Gassilloud

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 14h15
Mission d'information sur la résilience nationale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Gassilloud, rapporteur :

Le rapport complète de nombreux travaux menés au sein de notre assemblée, par exemple par la commission de la défense : ce matin même, Mme Carole Bureau-Bonnard y présentait un rapport d'information sur les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC).

Il m'a semblé intéressant que nous prenions le temps d'étudier le concept de résilience nationale ainsi que les voies et moyens visant à la renforcer.

Nous avons beaucoup appris à l'occasion notamment du déplacement que nous avons effectué à l'initiative de Marine Brenier dans la vallée de la Vésub i e, qui nous a permis de mesurer avec quelle fulgurance nous pouvions y être confrontés dans notre vie quotidienne.

Lorsque nous nous sommes réunis en juin dernier, nous nous étions fixé une feuille de route qui consistait d'abord à définir la notion de résilience nationale en partant du constat que nous sommes confrontés à un environnement de plus en plus incertain ainsi qu'à une conjonction inédite de risques et de menaces, alors que notre résilience collective est plus faible notamment en raison de notre dépendance accrue à la technologie.

Nous avions l'ambition de faire un tour d'horizon des différents secteurs vitaux pour la continuité de la nation afin d'en apprécier les vulnérabilités et les atouts.

Enfin, nous voulions entendre l'ensemble des acteurs de la résilience, du citoyen à l'échelon étatique, en passant par les armées, les collectivités locales et les acteurs clés de la société civile.

Nous avions l'intuition que nous pourrions nous inspirer de l'exemple d'autres pays démocratiques qui ont, de manière volontariste, développé une stratégie de résilience. C'est dans cet esprit que nous nous sommes rendus en Finlande le mois dernier.

Si notre domaine d'étude était extrêmement vaste, nous nous étions fixé deux limites, et d'abord celle de ne pas refaire le match de l'analyse de la crise sanitaire dans ses moindres détails puisqu'une autre mission d'information avait déjà largement contribué à faire la lumière sur celle-ci.

Notre seconde limite était de bien nous positionner sur les questions de résilience au niveau systémique sans nous attarder à une analyse secteur par secteur.

Notre but était bien de déterminer les axes structurants, systémiques et transversaux, permettant de renforcer la résilience de la nation dans son ensemble. Je dis renforcer parce que, dans ce domaine, notre pays dispose d'atouts exceptionnels et nombreux.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, il a une véritable ambition d'autonomie stratégique que l'on retrouve aussi bien dans l'esprit de la défense globale que dans le dimensionnement des armées, avec notre modèle d'armée complet, ou dans des secteurs très particuliers comme l'énergie, ce qui nous différencie bien de l'Allemagne notamment en matière d'autonomie énergétique.

Ces atouts s'appuient sur les forces vives, sur une certaine cohésion sociale et sur la capacité d'engagement de nos concitoyens.

Notre pays recèle également de grandes vulnérabilités, qu'elles soient d'ordre social, politique ou économique, qui ont été mises en lumière lors de la crise sanitaire.

Or chacune peut être exploitée par l'un de nos adversaires stratégiques – États aussi bien que groupes terroristes – au niveau mondial dans le cadre de menaces hybrides se situant en deçà du seuil de la guerre ouverte.

Il nous appartient donc d'analyser avec lucidité ces fragilités afin d'y remédier.

Si un axe structurant ressort, c'est la nécessité de fonder une stratégie de résilience en partant du citoyen.

Notre État centralisé et fort donne parfois l'impression de pouvoir tout faire et nous fait parfois considérer le citoyen comme un sujet sur lequel on produit des effets au lieu de le considérer comme un élément de résolution des crises.

Ainsi le Président de la République a-t-il, dans son discours sur le Sahel, dit pour la première fois qu'il fallait considérer ses habitants non pas uniquement comme des victimes du terrorisme, mais également comme des remparts contre celui-ci.

Dans les conclusions du rapport, nous appelons donc à un renversement complet de perspective en fondant une stratégie de résilience sur l'implication et sur la responsabilisation de tous les citoyens.

Cela implique une démarche d'humilité des pouvoirs publics qui doivent reconnaître leurs limites, notamment dans des conditions extrêmes, comme nous l'avons vu dans la vallée de la Vésubie où, dans un premier temps, citoyens et élus locaux ont dû se prendre en main et s'organiser.

Cela rejoint les stratégies de défense des pays nordiques.

Comment une telle intégration du citoyen peut-elle se faire concrètement ?

Premièrement, en développant la culture du risque au travers d'un discours clair et franc sur les risques objectifs auxquels nous sommes confrontés, pour que nous apprenions à vivre avec eux, à envisager leur survenue et à savoir collectivement réagir.

Le rapport propose ainsi de distribuer à tous les foyers de France un livret unique – certains, vivant, à proximité d'une centrale nucléaire doivent déjà en théorie en posséder un plus spécifique – sur la conduite à tenir en cas de crise, à l'instar du livret suédois qui est annexé.

Un tel livret inciterait chaque citoyen à disposer chez lui d'un minimum de réserve d'eau et de nourriture, ce qui n'a rien de honteux.

Le rapport propose aussi de créer une journée nationale de la résilience, qui pourrait se tenir en même temps que la journée du réserviste et au cours de laquelle nous pourrions sensibiliser sur les risques au niveau local, conduire des exercices de grande ampleur et mettre en avant ceux qui s'engagent, notamment les réservistes.

Le rapport insiste également sur les mesures qui permettent de développer l'engagement citoyen et le rôle central du maire pour mobiliser les citoyens autour des enjeux de résilience locaux.

Il s'agit également de dynamiser la force morale des individus, notion qui a été citée à plusieurs reprises lors de la récente présentation en commission de la défense du rapport d'information sur la préparation à la haute intensité.

Bien entendu, l'État a également son rôle à jouer dans cette nouvelle stratégie de résilience.

Il doit d'abord impulser une revue stratégique de l'ensemble des secteurs vitaux pour la nation, puisque la crise sanitaire nous a fait découvrir que de petits détails pouvaient être très dommageables pour notre résilience, y compris pour la fourniture d'eau potable.

Plutôt que de subir une prochaine crise, l'idée serait ainsi de disposer, secteur par secteur, de pistes en matière de capacités de production ou d'évolution de nos stocks stratégiques, le cas échéant en lien avec l'Union européenne.

La remontée en puissance de nos armées est également un facteur de résilience incontournable. On ne peut à cet égard que se féliciter des efforts faits depuis 2017. Le rapport formule plusieurs propositions visant notamment à accroître leur masse, c'est-à-dire leur capacité à réagir de manière simultanée à un défi important.

Si nos armées se sont depuis une vingtaine d'années organisées pour faire face à une moyenne d'engagement, elles ne disposent plus forcément de la capacité à mobiliser des moyens importants de façon simultanée, du fait par exemple de la rationalisation des parcs automobiles.

Il faut donc être sincère quant aux moyens que nous sommes en mesure de projeter pour faire face à un péril majeur.

S'agissant de l'État, il faut donner au SNU une nouvelle impulsion clairement orientée vers la résilience, la cohésion sociale n'étant pas une finalité opérationnelle en soi mais une externalité positive.

Dire à un jeune, où qu'il habite, qu'il est nécessaire à la nation constitue un fort ferment de cohésion nationale.

L'État doit également faire de la résilience une norme d'évaluation pour les acteurs privés et publics, au même titre que la performance ou que l'efficacité des politiques publiques.

Il doit aussi retrouver l'esprit de l'ordonnance de 1959 du général de Gaulle qui nous a fait passer d'une défense purement militaire à une défense globale associant l'ensemble des ministères.

Depuis la fin de la guerre froide, l'esprit de cette défense globale s'est un peu perdu et les ministères non militaires comptent souvent sur l'armée pour faire face en cas de crise majeure.

Or celle-ci ne dispose pas toujours, la crise sanitaire l'a montré, des moyens nécessaires. Le service de santé des armées, par exemple, représente moins de 1 % des moyens sanitaires du pays. Le ministère de la santé et celui de l'industrie doivent donc mener une réflexion sur leur fonctionnement dans une telle situation.

Enfin, l'objectif de résilience peut également être intégré par le Parlement dans les évaluations qu'il mène, et les budgets qu'il vote. Plusieurs recommandations du rapport nécessiteront en outre des mesures législatives pour être applicables.

Voici donc de belles perspectives pour le Président et l'Assemblée nationale qui seront élus au cours des prochains mois.

J'espère que nos travaux pourront utilement contribuer aux programmes des différents candidats, sachant que l'on peut tirer de cette stratégie de résilience nationale beaucoup d'externalités positives.

Plus globalement, associer les citoyens à une stratégie de résilience ne revient pas à les inquiéter en fermant les yeux mais au contraire à les rassurer sur notre capacité à faire face ensemble.

L'exemple des pays nordiques montre qu'une stratégie de défense inclusive, où la population est pleinement consciente des risques et responsabilisée, n'a pas du tout le côté anxiogène qu'on pourrait lui prêter. Ainsi la population finlandaise, très associée aux risques, se déclare parmi les plus heureuses du monde.

C'est un bon exemple d'externalité positive d'une stratégie de résilience : il faut associer tout le monde dans une politique publique ambitieuse pour que chacun soit plus serein et, finalement, peut-être, un peu plus heureux.

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