Intervention de Guy Bricout

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Bricout, rapporteur :

Je suis très heureux d'être de nouveau parmi vous, quelques mois après mon précédent passage devant votre commission. Je ne sais que dire, tant est difficile la séquence que nous sommes en train de vivre. Nos débats en première lecture nous avaient donné l'occasion de parler de ce que représente pour chacun de nous la vie d'un enfant, à la lumière tragique du malheur que cause sa disparition. Les événements que la France a connus depuis nous font davantage encore prendre conscience de la valeur, autant que de la fragilité, de l'existence. Je me réjouis donc que nous examinions ce texte aujourd'hui. Je souhaite que ses dispositions entrent en vigueur au plus vite, pour le bien des familles endeuillées.

La proposition de loi qui vous est soumise a été complètement revue depuis son vote en première lecture à l'Assemblée. Avec Muriel Pénicaud, ministre du travail, avec Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, avec mes collègues Sereine Mauborgne et Michèle de Vaucouleurs, nous avons mené un large travail de concertation avec les associations, les organisations syndicales et les organisations patronales. Je veux leur adresser, à tous, mes remerciements les plus chaleureux et les plus sincères. Le travail que nous avons accompli a permis d'aboutir à des propositions solides et à un texte que je crois plus complet et plus généreux.

Le Sénat a intégré ces propositions par amendements en commission, puis en séance ; les sénateurs ont également déposé divers amendements qui ont permis d'enrichir le texte et dont je salue la qualité. Je tiens à les remercier également pour leur travail, plus particulièrement Mme Élisabeth Doineau, rapporteure pour la commission des affaires sociales, et Mme Catherine Di Folco, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Le texte qui vous est présenté aujourd'hui va donc nettement plus loin que ma proposition de loi initiale, et je m'en félicite.

Son article 1er vise à instaurer un congé de deuil d'une durée de quinze jours en cas de décès d'un enfant ou d'une personne à charge, si cet enfant ou cette personne était âgé de moins de 25 ans. Quinze jours, cela signifie, en fait, trois semaines de congé. C'est davantage que les douze jours que je proposais à l'origine ; cette durée me paraît désormais satisfaisante. Ce congé se décompose de la manière suivante : sept jours intégralement pris en charge par l'employeur et huit jours au titre d'un congé spécial pris en charge pour moitié par la sécurité sociale, pour moitié par l'employeur. Aucune démarche du salarié ne sera nécessaire, si ce n'est celle de demander à bénéficier du congé et d'en informer l'employeur au moins vingt‑quatre heures avant de le prendre.

Ce nouveau congé bénéficiera aux travailleurs indépendants et aux agriculteurs. Le texte répond ainsi aux interrogations légitimes qui avaient été soulevées ici en première lecture. Les travailleurs indépendants pourront bénéficier d'indemnités journalières, sous réserve de cesser leur activité, et les agriculteurs d'une allocation de remplacement pour les travaux dans leur exploitation. Les agents publics, qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels, bénéficieront également du nouveau congé de deuil. C'est l'objet de l'article 1er bis, qui prévoit par ailleurs que les congés pour deuil d'un enfant ne seront pas pris en compte dans le calcul des congés payés annuels. Rappelons que ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Quel que soit le secteur d'activité – privé, public ou indépendants –, la durée du congé demeurera de cinq jours pour le décès d'un enfant âgé de plus de 25 ans, conformément à ma proposition de loi initiale. Pour que cela soit bien clair, je précise que le dispositif proposé crée un congé de quinze jours en cas de décès d'un enfant de moins de 25 ans, qu'il soit à charge ou non, ou en cas de décès d'une personne à charge de moins de 25 ans, qu'il y ait ou non un lien de filiation directe. Je précise également – cette disposition est issue d'un amendement sénatorial – que lorsque l'enfant décédé était lui-même parent, le congé est de sept jours.

Nous avons souvent pu entendre, lors des auditions, que, le plus souvent, les quelques jours de congé accordés par la loi ne suffisaient pas à surmonter cette terrible épreuve. C'est une évidence, mais il faut le rappeler : quelques jours ne suffisent pas pour faire le deuil d'un enfant, ni même quelques mois ou quelques années. C'est toute une vie qui est nécessaire. L'écrivain Philippe Forest, dont l'œuvre est profondément marquée par la mort de sa fille, l'a rappelé récemment : on entend souvent dire que l'on « fait son deuil », mais la plaie qui s'ouvre avec la mort d'un enfant ne peut jamais complètement se refermer.

Cette proposition de loi est modeste. Elle vise seulement à permettre aux parents endeuillés de reprendre pied, de reprendre leur souffle pendant quelques jours, loin des obligations de la vie professionnelle.

Nous savons que, même porté à quinze jours, le congé ne suffira pas. Certains parents prendront un congé de maladie pour disposer de davantage de temps. Toutefois, actuellement, un délai de carence est appliqué à cet arrêt maladie, qui implique une perte financière en l'absence de prise en charge par l'employeur. L'article 8 remédie à ce problème, en prévoyant que le délai de carence ne sera pas appliqué au premier arrêt maladie pris à la suite du congé de deuil. Ces dispositions s'appliqueront aux salariés du secteur privé comme aux agents publics, aux travailleurs indépendants et aux agriculteurs.

Mais l'objectif de ce texte est d'aller au-delà de l'allongement d'un congé : il est de faire en sorte que les parents endeuillés soient accompagnés de la meilleure manière qui soit dans leur épreuve. Si la mort d'un enfant est un fardeau que l'on ne peut partager, nous pouvons au moins tâcher d'alléger les autres fardeaux de la vie pendant ce moment si difficile.

Le fardeau financier, tout d'abord. Les obsèques d'un enfant sont en effet coûteuses. La famille doit, le plus souvent, débourser plusieurs milliers d'euros immédiatement après le décès. Dans certains cas, pour les familles les plus démunies, la mairie peut prendre en charge les frais d'obsèques ; je le sais pour avoir moi-même été maire et avoir été dans cette situation. Mais ces cas sont finalement rares, notamment parce que les parents ne savent pas toujours que cette possibilité existe.

L'article 4 vise à remédier à ce problème, en instaurant une allocation forfaitaire versée lors du décès d'un enfant. Certains d'entre vous avaient appelé en première lecture à la création d'un « capital décès » ; je crois que le texte répond exactement à leur souhait. Le montant de cette allocation forfaitaire sera déterminé par décret – il devrait être arrêté cet après‑midi, au cours d'une réunion interministérielle. Le Gouvernement envisage de le fixer à au moins 2 000 euros – 1 000 euros au-delà d'un certain niveau de revenus. Permettez-moi de saluer ces engagements, que je pense être les bons.

Le fardeau financier, c'est aussi la disparition ou la diminution des prestations familiales consécutive à la perte de l'enfant. Actuellement, le recalcul par les caisses d'allocations familiales (CAF) est immédiat ; il a lieu dans le mois suivant le décès. Imaginez : immédiatement après la tragédie du décès, le couperet financier tombe ! Ainsi, une famille de deux enfants perd soudainement les allocations familiales et une famille comptant un enfant handicapé perd l'allocation spécifique. Lorsque la suppression des allocations s'ajoute au coût des obsèques, la situation devient insurmontable.

C'est pourquoi l'article 3 garantit que l'enfant décédé continuera à être pris en compte pendant une certaine durée dans le calcul de certaines prestations familiales. Quasiment toutes les prestations sont concernées : les allocations familiales et ses deux compléments que sont la majoration pour âge et l'allocation forfaitaire, le complément familial et sa majoration, l'allocation de soutien familial, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et l'allocation de rentrée scolaire.

En ce qui concerne le revenu de solidarité active (RSA), les parents endeuillés peuvent aujourd'hui demander que l'enfant décédé continue à être pris en compte dans le calcul de leurs droits, pour une durée de six mois. Cette prise en compte n'est toutefois pas automatique. Or, les parents n'ont pas toujours la force d'entreprendre de longues démarches. L'article 5 met fin à cette situation en prévoyant le maintien, pendant un an, de la prise en compte de l'enfant décédé pour le calcul des droits au RSA. Il inclut également la prime d'activité dans le dispositif.

Parmi les fardeaux que doivent porter les parents endeuillés, il y a aussi le fardeau psychologique. Certes, nous pouvons faire bien peu de chose pour le rendre plus supportable, mais nous pouvons tout de même agir.

Nous pouvons agir d'abord sur le fardeau de la peur, celle de se faire licencier, de perdre son emploi parce que l'on a plus la tête au travail et que l'on cherche davantage à se reconstruire qu'à s'investir pleinement dans ses obligations professionnelles. Les employeurs sont, dans l'immense majorité des cas, compréhensifs : je le sais, et je refuse que l'on en doute. Mais la peur peut tout de même être là.

C'est pourquoi l'article 7 prévoit une protection contre le licenciement après le décès d'un enfant ou d'une personne à charge âgée de moins de 25 ans. Cette protection durera treize semaines. Elle ne sera pas totale, et c'est logique : en cas de faute grave de l'intéressé ou d'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger au décès de l'enfant, le contrat pourra être rompu. Ces dispositions reprennent mot pour mot le droit existant applicable aux femmes enceintes ou venant d'avoir un enfant, et nous pouvons nous en satisfaire.

Le fardeau psychologique, c'est aussi, tout simplement, la souffrance mentale. Aussi l'article 6 met-il en place, à titre expérimental, un nouveau parcours de soins visant à prendre en charge les proches endeuillés, qu'il s'agisse des parents, des frères et sœurs ou des enfants vivants. Ce nouveau parcours de soins, centré sur les soins psychologiques, permettra une meilleure coordination des professionnels de santé et par suite des soins de qualité. Je précise que son caractère expérimental s'explique par la dérogation au droit commun que représentent encore les parcours de soins. Cela n'empêchera toutefois pas sa mise en place, bien au contraire.

Enfin, le texte conserve le dispositif adopté à l'Assemblée en première lecture en matière de don de congés entre salariés en cas de décès d'un enfant ou d'une personne à charge âgé de moins de 25 ans. Ce dispositif bénéficiera également aux agents publics, étant précisé que le chef de service ne pourra s'opposer au don de jours de repos.

Pour conclure, je suis heureux que ma proposition de loi suive ce chemin. Je souhaitais, en la déposant, que les parents endeuillés puissent bénéficier d'un véritable temps pour reprendre pied. Grâce au texte qui vous est proposé, ce sera le cas. Je remercie mes collègues de la majorité et le Gouvernement de m'être venus en aide – après un petit temps d'hésitation, certes, mais le sujet dont nous discutons et la situation que vit notre pays méritent que l'on oublie les vaines querelles.

Il est temps d'agir pour les parents endeuillés, et d'agir vraiment. Ce texte nous le permet. J'ose espérer que vous le soutiendrez.

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