Cette proposition de loi, sur la base de constats empiriques récents, se veut promotrice de la confiance dans les pratiques locales qui ont montré leur efficacité pour trouver des solutions, et qu'il ne faudrait pas que la bureaucratie vienne entraver. Elle n'a pas vocation à préfigurer la réforme de l'hôpital, qui sortira plutôt du « Ségur de la santé » lancé par le Gouvernement. De façon bien plus modeste, elle entend surtout répondre à l'urgence que nous avons ressentie au contact de nos soignants depuis plusieurs semaines.
J'ai entendu que cette proposition produirait de la dérégulation. Or elle affirme bien la nécessité de passer par une concertation au niveau des GHT pour apporter une réponse proportionnée et adaptée aux territoires.
Elle introduirait une rupture d'égalité en n'incluant pas les établissements privés dans son périmètre : de jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel admet que l'on peut, en matière de santé, traiter différemment les établissements selon leur nature, et accepter sur un plan juridique les différences de gestion entre secteur public et secteur privé.
Quant à y voir une exclusion des ARS, cela me paraît excessif. Je souhaite qu'une autorité publique garantisse l'offre territoriale de soins et l'accès aux soins pour tous, car je considère que la puissance publique peut tout autant réguler et planifier que fluidifier, voire inciter à des réponses médicales territorialisées. Toutefois, en l'espèce, l'urgence commande de savoir s'écarter du principe d'organisation générale, dont les ARS sont effectivement chargées ; il ne s'agit en rien d'un procès d'intention à leur encontre.
D'ailleurs, anticipant sur le prochain travail de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur les ARS, je ferai valoir qu'elles ne sont pas à jeter, bien au contraire, car il faut des entités tutélaires organisatrices. Simplement, elles devraient s'attacher à donner à leur gouvernance un caractère plus territorial, en associant des élus à certaines décisions, et à éviter d'avoir une administration par trop bureaucratique.
L'idée de cette proposition de loi est, en effet, de répondre à des enjeux majeurs et immédiats, directement liés à l'intervention du directeur général de la santé, hier, dans nos murs, et à ce qui se passe actuellement en Chine. Le pays doit se réarmer pour être prêt à affronter une éventuelle deuxième vague, d'autant que la reprise des soins qui avaient été déprogrammés pourrait créer une embolie dans le système. Personne ne comprendrait que nous attendions pour prendre des décisions, après l'allocution du Président de la République de dimanche dernier, invitant à se préparer à une autre vague épidémique et à adapter les processus en les rendant plus agiles et plus souples, et en se tournant vers des solutions territoriales. Ma proposition de loi tient de cet esprit.
Il ne s'agit en aucun cas d'écarter les soignants puisque la CME aurait à donner un avis et que la décision du directeur ne serait prise que conformément à celui-ci. Les équipes médicales sont là au cœur du dispositif, et il ne saurait y avoir de réorganisation territoriale sans l'accord des soignants. Je ne comprends donc pas cette objection.
C'est la fonction même du chef d'établissement que de prendre des décisions et d'en assumer la responsabilité juridique en cas de faille ou de recours engagé par un patient. Cette responsabilité ne saurait être éparpillée ici et là. La cohérence veut que le chef d'établissement soit identifié comme celui qui la porte, mais cela n'écarte pas pour autant les personnels soignants du champ de la décision. Du reste, on a bien vu, au cours de cette crise, que ce sont les chefs d'établissement qui, au quotidien, sont allés chercher des solutions pour faire face à la vague épidémique, bien sûr en accord avec leur personnel soignant. L'adaptation de l'offre de soins s'est faite sous leur autorité, et je n'ai fait qu'en tirer la leçon dans ma proposition de loi.
Au sein de l'opposition de gauche, j'ai noté que Boris Vallaud partageait notre intention, et qu'il nous invitait à revoir la gouvernance pour laisser de la souplesse aux territoires. Nous n'avons pas de désaccord sur l'esprit. Caroline Fiat comprend nos intentions « louables » et partage nos objectifs, mais elle souhaite ajouter une strate qui produirait, selon moi, davantage de bureaucratie et ne serait pas adaptée à une situation d'urgence.
Je remercie mes autres collègues pour leur soutien à cette initiative parlementaire, qui cherche, en effet, à répondre immédiatement en partant des réalités du terrain et des constatations faites au cours de cette vague épidémique, notamment pour l'organisation des soins dans les établissements publics.
Je me suis doucement amusé de la réponse normande d'Agnès Firmin Le Bodo, qui tend à basculer dans le « en même temps »... L'avis conforme que je souhaite voir exprimer par la CME vous laisse penser qu'il y aurait un défaut de collégialité, mais il n'en est rien.
Enfin, je suis très favorable à optimiser et à massifier la coopération public-privé en matière de soins en général. L'expérimentation, hélas douloureuse, du Grand Est a servi de leçon dans les autres régions, où les établissements privés ont été associés à la réponse sanitaire. Il était tout à fait aberrant qu'à un certain moment, 70 000 réanimateurs soient disponibles dans les cliniques privées sans être mis à la disposition du public et que des lits soient vides au moment du pic épidémique. C'est donc légitimement qu'il faut donner une place au public et optimiser la coopération avec lui.
La proposition de loi distingue néanmoins entre le public et le privé, car les établissements privés disposent déjà de beaucoup plus d'autonomie. Ils n'ont pas besoin d'un dispositif législatif pour pouvoir déroger à certaines règles. De surcroît, j'ai constaté, dans le Grand Est comme ailleurs, que ce sont les hôpitaux publics qui ont été la première ligne de front, le ministre de la santé ayant décidé de leur donner un flux exclusif en écartant les solutions du privé qui pouvaient être directement réactives sur le terrain. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas intégré le privé dans cette proposition de loi, qui répond à une situation d'urgence et n'a pas vocation à réformer l'ensemble de notre système santé.