Je vous remercie de m'accueillir dans cette commission.
La pandémie de covid-19 a durement frappé notre pays. Outre le confinement généralisé de la population pendant près de deux mois, nos concitoyens ont dû faire face à une situation de crise hors norme. Nous avons tous une pensée particulière pour ceux qui ont perdu un proche et pour les personnes les plus vulnérables pour lesquelles cette crise a constitué une épreuve particulièrement difficile. Dans cette situation inédite et anxiogène, des mesures exceptionnelles ont été prises. Dans le cadre des lois créant et prorogeant l'état d'urgence sanitaire, le Parlement a notamment autorisé le Gouvernement à prendre par décret un certain nombre de dispositions dérogeant au droit commun.
Au-delà des habituelles controverses juridiques, c'est notre relation aux questions éthiques qui a ainsi été interrogée. Leurs enjeux ne semblent pas avoir été suffisamment pris en compte, l'urgence de la crise sanitaire ayant justifié le franchissement de quelques lignes rouges. Force est de constater que certaines mesures brutales ou excessives ont suscité des réactions d'incompréhension voire de colère tout à fait légitimes.
De nombreux exemples attestent de la justesse de ce constat, qu'ils concernent le tri éventuel des patients en service de réanimation ou la méthodologie des protocoles de recherche sur les essais cliniques. Je n'en citerai ici que trois : l'isolement prolongé des personnes âgées dépendantes dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la prise en compte insuffisante des situations de fragilité et de précarité, la modification des règles relatives aux rites funéraires.
En dépit des solutions numériques qui ont été progressivement déployées, le confinement très strict des résidents dans les EHPAD a provoqué une rupture brutale des relations sociales. S'en est mécaniquement suivie l'apparition d'un « syndrome de glissement » à l'issue fatale, rendant la mort d'autant plus tragique qu'elle survient dans la solitude.
Les enjeux éthiques en période d'urgence sanitaire concernent l'ensemble des personnes vulnérables. Le rapport d'étape rendu par l'Espace de réflexion éthique régionale (ERER) d'Île-de-France démontre que les plus fragiles sont particulièrement exposés aux conséquences du confinement – ce qui rend l'accès aux soins ou à un hébergement encore plus difficile – sans que des solutions leur aient été apportées.
S'agissant des rites funéraires, les questionnements éthiques fondamentaux semblent là encore avoir été ignorés. Les décrets du 27 mars et du 1er avril 2020 interdisant la toilette mortuaire et la thanatopraxie ont contribué à aggraver la souffrance des familles et des proches des défunts.
Avec cette proposition de loi, il ne s'agit pas de tirer un bilan définitif mais d'ouvrir une voie pour l'avenir afin de garantir l'existence d'une véritable réflexion éthique à l'épreuve des crises sanitaires futures. La dizaine d'auditions que j'ai menée la semaine dernière a renforcé ma conviction en la matière : l'éthique n'est pas un enjeu subalterne ou accessoire mais un repère central.
Dans cette perspective, cette proposition de loi vise à consacrer l'action menée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et les ERER. En février 2009, dans un avis sur les questions éthiques, le CCNE faisait état de ses interrogations : « La question qui paraît essentielle aux yeux du Comité est celle de savoir si l'état d'urgence induit par une pandémie grippale comporte l'éventualité d'une mise à l'arrière-plan de certains principes fondamentaux. Faut-il subordonner les libertés individuelles à d'autres valeurs plus ajustées à l'efficacité de la stratégie de lutte contre ce fléau sanitaire ? Jusqu'où une limitation aux allées et venues des personnes peut-elle être imposée ? [...] Les lieux de regroupement de population, au premier rang desquels figure l'hôpital, sont assurément les plus vulnérables. Comment l'hôpital réussira-t-il, s'il accueille les personnes infectées, à ne pas être un lieu de propagation de la maladie ? La même question se pose pour les maisons de retraite, les institutions hébergeant des personnes handicapées, etc. Une personne infectée sera-t-elle isolée, confinée avec d'autres personnes infectées ? Esquiver un tel questionnement peut favoriser un utilitarisme social dont les conséquences sont inacceptables sur le plan éthique. »
Ces réflexions n'ont rien perdu de leur actualité.
Nous ne pouvons que saluer l'action du CCNE, en lien avec les ERER, pendant toute cette crise sanitaire. Renforcer leur rôle consultatif serait un pas important.