La Sécurité sociale étudiante suscite-t-elle des interrogations ? Vous supprimez la délégation de service public des mutuelles étudiantes, en faisant fi du rapport de la CNAM elle-même qui a montré que d'importants progrès ont été réalisés par des mutuelles dans un passé récent.
Le RSI – régime social des indépendants – fait-il l'objet de critiques ? Vous supprimez le RSI et intégrez les indépendants – plus de 3,5 millions de dossiers – dans le régime général. Il faut maintenant y ajouter 1,8 million d'étudiants. Il est irréaliste de croire que cela se fera sans problème technique. Alors que le régime général devra bientôt intégrer presque 6 millions de nouveaux arrivants, là encore, vous affirmez : « Aucun problème ! Faites-nous confiance ! » Nous avons quelques doutes, d'autant que le régime général n'a pas fait preuve jusqu'à présent d'un fonctionnement optimal. Je vous invite à lire plusieurs rapports sur le sujet.
Des difficultés existent-elles au sein de filières en tension, où le nombre des places est limité et pour lesquelles il faut faire mieux que de tirer au sort ? Vous remettez en cause tout le système APB, alors que, comme le souligne fort bien le rapport de la Cour des comptes, le problème ne concerne que quelques filières : il suffisait de faire preuve d'un peu de courage politique en rendant ces filières sélectives et en mettant explicitement en place des prérequis.
Plus grave encore : vous préférez glisser des sujets sous le tapis en ne les abordant absolument pas. Il existe ainsi des places vacantes dans les universités. En d'autres termes, si certaines filières sont sous tension, d'autres ont des places disponibles.
Là encore, un peu de courage politique consisterait à inciter les universités à faire évoluer leur offre de formation : c'est vous, madame la ministre, qui contractualisez avec les universités. Cela peut vouloir dire qu'il y a un problème d'adéquation entre l'offre de formation et la demande de formation ; si ce n'est pas le cas, c'est alors un problème d'orientation.
Une fois de plus, vous n'allez pas au bout des choses : il faudrait prendre ce problème à bras-le-corps et intensifier l'orientation et l'information dès le lycée pour que les bacheliers s'orientent mieux. Pour cela, il faudrait davantage impliquer votre collègue de l'enseignement scolaire ; il faudrait surtout mobiliser des ressources extérieures, comme les branches professionnelles, dont certaines se plaignent d'ailleurs de ne pas trouver suffisamment de jeunes diplômés disposant des compétences requises. Ces dernières sont même volontaires pour intervenir en matière d'information et d'orientation auprès de nos lycéens : pourquoi n'allez-vous pas dans ce sens ?
De la même manière, vous restez très frileuse, madame la ministre, en ce qui concerne la communication des taux d'insertion de chaque cursus. Pourquoi refusez-vous nos amendements sur ce sujet ? C'est incompréhensible.
De même, on peut se demander pourquoi vous n'abordez pas la question de l'évolution de la dotation des établissements d'enseignement supérieur non seulement à l'activité, c'est-à-dire en fonction du nombre d'étudiants inscrits, mais aussi à la performance, c'est-à-dire en fonction de l'atteinte de certains objectifs.
Ainsi, à titre d'illustration, si vous vous attaquiez réellement à la question de la réussite étudiante, il faudrait avoir le courage de dire aux universités que leur dotation pour les inscrits en première année de licence ne sera pas calculée en fonction du nombre d'inscrits en septembre, mais en fonction du nombre d'étudiants encore physiquement présents à l'université en janvier. Vous avez été présidente d'université : vous savez parfaitement que, dans certaines filières, les « taux d'évaporation », comme cela est appelé pudiquement dans le milieu, sont très importants. Vous le voyez, il y a vraiment à redire sur votre texte ; la précipitation avec laquelle vous agissez est problématique.
Nous avons identifié un autre angle mort important dans votre approche. En effet, depuis quelques années, l'enseignement supérieur français s'est fortement investi dans le domaine des formations par apprentissage – c'est très heureux. C'est évidemment une très bonne chose, car cela permet aux étudiants de bénéficier d'une parfaite alliance entre théorie et pratique, tout en étant salariés, ce qui leur permet de disposer de ressources.
Au 24 septembre de cette année, Admission post-bac faisait apparaître 2 471 formations sous statut d'apprentissage sur un ensemble de 12 900, avec une offre de 46 147 places, dont à peu près la moitié dans des établissements publics. Or Admission post-bac s'est arrêtée fin septembre alors que les contrats d'apprentissage peuvent être enregistrés dans les centres de formation d'apprentis jusqu'en décembre. Il était donc impossible, en l'état actuel des procédures en vigueur en 2017, d'obtenir des données précises via Admission post-bac pour l'apprentissage, d'autant que certaines formations post-bac en apprentissage ne sont pas inscrites dans APB.
Ainsi, à la clôture des signatures de contrat, il serait également utile de faire un recensement national des bacheliers finalement inscrits dans ces formations et qui libèrent parfois des places ailleurs après quelques semaines de cours, y compris dans des formations en tension.
Quoi qu'il en soit, il est certain que, après avoir obtenu une affectation via Admission post-bac dans une formation hors apprentissage, des candidats se retrouvent finalement en apprentissage quelques mois plus tard – notamment les bacheliers professionnels qui s'étaient inscrits dans un cursus de licence universitaire. Le temps ne serait-il pas venu d'assurer une meilleure remontée des informations finales concernant les bacheliers, et tout particulièrement les bacheliers professionnels ? Pour cela, il faudrait aussi s'assurer que l'identifiant unique de chaque bachelier sera bien généralisé dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur.
Rentrons un peu plus encore dans le détail de vos mesures, madame la ministre. Notre premier sujet d'inquiétude est évidemment la disparition d'Admission post-bac. En effet, la réduction du nombre de voeux possibles de vingt-quatre à dix est catastrophique : personne ne comprend cette décision ! Notre collègue Cédric Villani lui-même a expliqué, dans une excellente interview parue il y a quelques jours dans Le Monde, quelles étaient les vertus des algorithmes d'Admission post-bac. De même, Bernard Koehret, qui est à l'origine de l'outil, se montre également très critique dans un article du même quotidien.
Vous vous appuyez sans doute sur le fait que les candidats faisaient en moyenne sept voeux sur Admission post-bac. Mais, madame la ministre, en statistique, une moyenne ne veut rien dire en tant que telle : tout dépend de la variance ! Certains candidats ne faisaient qu'un voeu, mais un peu plus de 20 % d'entre eux en ajoutaient plus de dix à leur liste. De ce fait, un bachelier sur cinq sera pénalisé par votre décision. Il faut que cela se sache, car, pour le moment, les familles n'ont pas encore conscience de ce qui les attend, ni les bacheliers, d'ailleurs – heureusement pour vous !
En somme, vous leur demandez de pratiquer l'autocensure : belle performance pour une réforme dont vous prétendez qu'elle va donner plus de satisfaction aux bacheliers ! Vous êtes en réalité en train de brider notre jeunesse, car les bacheliers ne choisiront plus que des formations qu'ils estiment accessibles. A contrario, certains élèves n'opteront que pour des formations sélectives, très demandées.
Oui, madame la ministre, il n'y a pas d'homogénéité liée au nombre de choix dans une cohorte de bacheliers : elle est, pour utiliser un terme statistique, plurimodale. En somme, vous niez la réalité. C'est tout de même fort de café eu égard au portefeuille ministériel dont vous avez la responsabilité, madame la ministre !
Selon l'estimation de M. Koehret, avec cette réduction du nombre de voeux, ce sont plus de 7 000 candidats supplémentaires par rapport à la session 2017 d'Admission post-bac qui ne recevront aucune proposition d'admission. Ceux qui se retrouvent dans ce cas sont toujours ceux qui ont fait le moins de voeux, et l'on sait que c'est dans les milieux les moins favorisés socialement qu'ils seront les plus pénalisés. Or vous n'apportez aucune réponse sur ce point : c'est extrêmement inquiétant ! Vous prétendez agir au nom d'une plus grande justice sociale : permettez-nous d'en douter !
Une autre erreur monumentale tient à la suppression de la hiérarchisation des voeux des candidats, donc à la disparition de l'algorithme d'affectation. Les chercheurs auditionnés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sous l'égide de notre collègue Cédric Villani, ont pourtant très clairement alerté sur ce point. Le processus d'affectation au fil de l'eau, tel qu'il est prévu dans Parcoursup, sera terriblement long et bien plus stressant qu'Admission post-bac pour les candidats et leurs familles.
C'est inquiétant aussi pour les établissements, qui n'auront pas une bonne visibilité sur le remplissage de leurs formations. Ils devront patienter avant de voir leurs effectifs stabilisés. En effet, les candidats auront sept jours pour répondre à une proposition d'admission. La plupart laisseront passer trois ou quatre jours avant de répondre, sans oublier les candidats qui répondent par un oui définitif, avant de changer d'avis.
Sous Admission post-bac, la hiérarchisation des voeux permettait de faire, une semaine avant l'affichage des propositions aux candidats, une simulation du remplissage des formations : les établissements pouvaient ainsi anticiper. Pour l'an prochain, certains s'interrogent sur les problématiques liées au surbooking : les places seront libérées selon un processus beaucoup plus lent et avec beaucoup moins de visibilité.
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez annoncé que le calendrier des réponses aux candidats serait avancé à fin mai, au lieu de juin : ce choix est également incompréhensible. En effet, le rapport du recteur Filâtre, qui vous a été remis en octobre 2017 et dont il a été question à de nombreuses reprises, indiquait clairement que la communication des propositions d'admission avant les épreuves du baccalauréat était source de stress pour les lycéens. Le groupe de travail de l'inspectrice générale Durand vous avait également recommandé de laisser les candidats passer le bac tranquillement. C'était le cas avec Admission post-bac jusqu'en 2014, avant que la ministre ne demande à avancer le calendrier au 8 juin, ce qui était déjà trop tôt.
Pour finir avec Admission post-bac, la CNIL souhaitait qu'une part d'humain soit ajoutée à APB. En effet, la CNIL reprochait à APB le fait que la machine classait les candidats en licence de façon automatique, sans intervention humaine, avec tirage au sort. Ce n'est pas un humain qui répondra à chacun des voeux des candidats ! Notre excellent collègue Cédric Villani s'est d'ailleurs exprimé en ce sens.
Tout cela est kafkaïen, car ce texte trouve son origine dans les reproches que la CNIL a adressés à l'algorithme de classement. Celle-ci recommande une intervention humaine et vous trouvez le moyen de ne pas répondre au seul reproche dirimant formulé par la CNIL : il fallait le faire !
Vous savez bien, madame la ministre, que les universités ne tarderont pas à utiliser des algorithmes pour traiter un grand volume de dossiers ; un certain nombre de présidents d'université, dont des responsables de la Conférence des présidents d'université, se sont d'ailleurs exprimés publiquement en ce sens.
Venons-en à l'article 2 de la loi, qui prévoit l'extension du dispositif « meilleurs bacheliers », lequel permet à 10 % des meilleurs bacheliers de chaque lycée d'accéder à la filière de leur choix. Non seulement il n'existe aucune évaluation de ce dispositif, mais d'importantes controverses se sont même développées à ce sujet. Pour certains experts, il n'est pas la meilleure voie pour éviter aux jeunes méritants, de toutes origines sociales, de connaître des inégalités. Bien au contraire, ils pensent qu'il contribue à les accentuer.
Ainsi, ces experts considèrent qu'il serait bien plus pertinent d'appliquer ce quota aux bacheliers que l'on considère comme « primo-bacheliers », c'est-à-dire dont aucun des parents n'est titulaire du baccalauréat. Vous aviez là une occasion fantastique de faire évoluer un dispositif : vous passez à côté de cette excellente opportunité.
De même, il existe un dispositif extrêmement intéressant et pertinent pour aider les jeunes de milieux défavorisés à progresser et à être ambitieux pour le parcours dans l'enseignement supérieur : il s'agit des « cordées de la réussite ». Ce dispositif a fait ses preuves et a été positivement évalué. Pourquoi ne pas l'institutionnaliser en l'inscrivant désormais dans le code de l'éducation ? Là encore, quel manque d'ambition !
Je ne reviendrai plus sur l'article 3 concernant la Sécurité sociale étudiante, que j'ai déjà abordé dans mes propos introductifs, si ce n'est pour déplorer que la mesure risque de coûter plus cher : en effet, le coût de gestion des dossiers par la CNAM est supérieur à celui des mutuelles étudiantes. Cela figure dans un rapport parlementaire de notre collègue Jean-Pierre Door au titre de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale.
Avec l'article 4, vous prévoyez la création d'une cotisation qui se substituera au droit de médecine préventive ; elle donnera également accès aux activités sportives et culturelles de la faculté. Une dernière partie de cette nouvelle cotisation servira à nourrir le fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes, qui finance les projets personnels hors cursus. Cette cotisation sera acquittée par les étudiants auprès des CROUS, qui les reverseront aux universités. L'ajout des CROUS dans le dispositif n'a aucune justification et risque d'entraîner une perte de fonds par l'existence de frais de gestion. D'ailleurs, à ce sujet, aucun dispositif de contrôle de la gestion des fonds n'est prévu dans le texte.
À l'article 5, le texte prévoit que tout étudiant pourra, à sa demande et avec l'accord du président ou du directeur de l'établissement dans lequel il est inscrit, suspendre temporairement, pour une durée maximale d'une année universitaire, sa présence dans l'établissement, dans le dessein d'exercer d'autres activités lui permettant d'acquérir des compétences utiles à sa formation, ou de favoriser un projet personnel ou professionnel.
Le groupe Les Républicains n'est pas opposé au principe d'une année de césure, qui se pratique dans les grandes écoles : c'est une très bonne chose. Mais nous ne souhaitons pas qu'elle donne automatiquement lieu au versement des bourses : celui-ci devrait se faire en fonction du projet professionnel ou personnel que présente l'étudiant, et il ne devrait pas y avoir d'automaticité.
Enfin, je voudrais remettre certains éléments en perspective. En effet, malgré les efforts budgétaires réalisés durant la période 2007-2012, où 15 milliards d'euros furent investis dans l'enseignement supérieur et la recherche, à l'heure actuelle, à l'échelle mondiale, notre enseignement supérieur connaît un déficit de compétitivité. Nous sommes nombreux, ce soir, à reconnaître qu'il faut poursuivre la mise en oeuvre des orientations liées à la stratégie de Lisbonne. Conformément à celle-ci, l'élévation du niveau de qualification des citoyens européens en général, et, pour ce qui nous concerne, des citoyens français, nécessite des évolutions conjointes à au moins deux niveaux : des évolutions organisationnelles pour améliorer globalement l'efficacité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche, et des évolutions dans le financement du système, qui nécessite plus de moyens, à un moment où il sera difficile d'augmenter la dépense publique. Cela oblige, là encore, à repenser les leviers d'action permettant à nos établissements d'enseignement supérieur d'augmenter leurs ressources en dehors du budget de l'État.
De fait, nous ne pouvons ignorer la compétition internationale dans la production et la transmission des savoirs.