Intervention de Albane Gaillot

Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlbane Gaillot, rapporteure :

Voilà quarante‑cinq ans que l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est entrée dans notre droit comme un droit fondamental pour les femmes. Quarante‑cinq ans, et pourtant des difficultés existent encore. Depuis tout ce temps, le législateur se penche sur ce sujet ô combien délicat pour perpétuer, améliorer et approfondir l'esprit de la loi Veil, dans l'unique but de contribuer à la cause des femmes aussi longtemps que nécessaire. Les parlementaires ont toujours su dépasser leurs clivages pour être à la hauteur de l'enjeu : en 1975, avec la loi Veil, en 1982, avec la loi Roudy, en 2001, avec la loi Aubry-Guigou, et en 2016, dans la loi de modernisation de notre système de santé.

La proposition de loi que je vous présente se veut, elle aussi, résolument transpartisane. Elle n'est ni celle d'un parti, ni celle d'une faction politique, encore moins la mienne. Elle est celle de toutes et tous, dans l'intérêt de toutes les femmes. À cet égard, je salue la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes pour son travail approfondi, ainsi que ses deux rapporteures pour leur rapport sur le sujet, qui ne manquera pas d'enrichir nos débats. C'est dans cet esprit responsable et collectif que je vous invite à aborder l'examen du texte.

Celui-ci comporte deux dispositions principales : l'allongement du délai légal d'avortement de douze à quatorze semaines de grossesse, soit de quatorze à seize semaines d'aménorrhée ; la suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG, dans une rédaction qui conserve l'obligation de réorienter les femmes, sans supprimer la clause de conscience générale des professionnels de santé.

Depuis 2001, le délai légal de recours à l'avortement est de douze semaines de grossesse – délai qui ne vaut que pour l'IVG dite chirurgicale ou instrumentale, puisque, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), les IVG médicamenteuses ne peuvent être pratiquées que jusqu'à la septième semaine de grossesse.

Pourquoi l'article 1er prévoit-il d'allonger ce délai ? Si la majeure partie des IVG sont effectuées avant la huitième semaine de grossesse, 5 % d'entre elles ont lieu entre la dixième et la douzième semaine et, dans bien des cas, le délai est même dépassé. Les associations de terrain estiment qu'il y aurait chaque année entre 3 000 et 5 000 femmes contraintes de partir avorter à l'étranger. Combien d'autres, ne pouvant se rendre à l'étranger, se retrouvent sans solution ? Le choix qui leur reste, entre mener à son terme une grossesse non désirée, avec des conséquences potentiellement délétères pour elles comme pour l'enfant, ou recourir à un avortement clandestin, souvent au péril de leur santé, n'en est pas un. En tant que législateur, il est de notre responsabilité de veiller à ce que cela n'arrive plus dans notre pays, à ce que les femmes, quelle que soit leur situation et sur quelque territoire qu'elles se trouvent, puissent trouver une solution. Nous devons leur garantir le respect de leur droit à l'avortement et de leur droit à disposer librement de leur corps.

Ne nous leurrons pas, ce sont bien les femmes dans des situations de fragilité qui se retrouvent le plus souvent à dépasser le délai de douze semaines. Ce sont les plus jeunes, les moins informées, les plus éloignées de notre système de santé, celles qui subissent des conditions de vie précaires, des violences conjugales. Tout comme il faut en finir avec l'idée que l'IVG est un échec de la maîtrise de la contraception, il faut en finir avec celle que le dépassement du délai relève d'une mauvaise gestion de son avortement. De même qu'il n'y a pas d'avortement repoussé par plaisir, il n'y a pas de dépassement du délai de douze semaines sans une situation problématique. Il peut s'agir de problèmes personnels, mais aussi structurels, par exemple le défaut de prise en charge rapide d'une femme par notre système de santé à cause de la fermeture d'un centre d'IVG ou d'un déficit d'établissements sur son territoire. Les raisons sont multiples et je suis convaincue qu'une évolution pragmatique de notre législation permettra de mieux prendre en charge les femmes et de mieux respecter leur droit à l'avortement.

L'article 2 revient sur la clause de conscience. Le législateur a toujours su approfondir la loi Veil, et il nous incombe de continuer à adapter cet héritage à notre temps. En ce sens, la clause de conscience spécifique à l'IVG ne me semble plus adaptée à ce que devrait être l'IVG en France au XXIe siècle. Lorsque la loi Veil a été examinée en 1974 à l'Assemblée nationale, le texte prévoyait qu'un médecin n'était jamais tenu de donner suite à une demande d'interruption de grossesse ni de la pratiquer, mais qu'il devait informer, dès la première visite, l'intéressée de son refus. Cette disposition reflétait les équilibres sociaux et politiques de l'époque. Henry Berger, rapporteur de la loi et médecin, notait en effet dans son rapport que l'Ordre des médecins se montrait hostile au projet de loi, tout comme un certain nombre de parlementaires. La mesure s'était alors imposée comme une voie de pacification. Elle avait d'ailleurs permis que l'article soit adopté sans modification au cours de l'examen du projet de loi au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'époque. Aussi nécessaire et consensuelle qu'elle fût en 1974, elle ne répond plus à la réalité actuelle.

Certains ont cru comprendre que la fin de la clause de conscience spécifique à l'IVG reviendrait à contraindre tout médecin et toute sage‑femme à la pratiquer. Il n'en est rien. Abroger la clause de conscience spécifique à l'IVG ne toucherait en rien à la clause de conscience générale qui permet au médecin ou à la sage‑femme de refuser de pratiquer tout acte médical, dont l'IVG. Une telle clause contribue à maintenir l'IVG dans un statut d'acte médical à part et à pratiquer une médecine à géométrie variable. Les associations auditionnées l'ont toutes rappelé : l'IVG est un soin apporté aux femmes. Il ne semble, dès lors, plus justifié que le droit lui fasse une place particulière, comme si le législateur tenait tantôt à culpabiliser la femme, tantôt à décourager les professionnels de santé. Ce statut n'a que trop perduré.

Par ailleurs, cette disposition est redondante avec la clause de conscience générale des professionnels de santé, codifiée par voie réglementaire. Aux termes de cette clause de conscience, un médecin a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, hors cas d'urgence et de manquement au devoir d'humanité. Cette disposition perdurera et tout médecin ou tout autre professionnel de santé sera en droit de refuser un soin, y compris l'IVG. Cette mesure est purement symbolique, me direz-vous. Eh bien, je crois à la force des symboles, et je crois aussi qu'une telle évolution emportera des conséquences pratiques : en participant à faire évoluer les mentalités, elle renforcera l'accès à l'IVG pour toutes les femmes qui le veulent, quels que soient leur âge, leur catégorie sociale ou leur territoire.

En cas de refus du praticien, le législateur de 1975 avait prévu une obligation d'information et de réorientation des femmes, absente de la clause de conscience générale que nous conservons. C'est pourquoi il importe de maintenir dans le code de la santé publique cette mesure protectrice, ce qui permettra en même temps de mentionner la possibilité du refus du médecin ou de la sage‑femme de pratiquer une IVG – voilà qui devrait rassurer les détracteurs de la suppression de la clause spécifique. En mettant fin à cette exception, nous n'enlevons rien à personne : ni aux femmes, qui seront toujours informées et réorientées, ni aux professionnels de santé qui pourront toujours se réclamer de la clause de conscience générale du code de la santé publique pour refuser de pratiquer n'importe quel acte médical, y compris l'IVG. En revanche, nous renforçons le droit de l'IVG et prenons acte de la place qu'elle a conquise en quarante‑cinq ans : celle d'un soin apporté aux femmes au même titre que les autres.

En conclusion, légiférer sur l'IVG appelle tant à l'humilité qu'au sens des responsabilités. C'est dans cet esprit que cette proposition de loi a été élaborée, portée et soutenue par des députés de tous les groupes. Je forme le vœu qu'elle saura dépasser nos clivages habituels dans l'intérêt des femmes, en particulier des plus jeunes, des plus précaires et des plus désemparées d'entre elles. Je souhaite qu'elle puisse renforcer le droit à l'avortement et son égal accès à toutes les femmes.

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