Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 14h30
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Je comprends votre insatisfaction, votre frustration, voire la colère que vous exprimez. D'un certain point de vue, les magistrats de la Cour peuvent partager ce sentiment. En effet, pour arriver à vous transmettre ce rapport, même tardivement, un certain nombre de magistrats ont fait peu de pauses déjeuner, voire peu de pauses soirée. Ils ont dû intégrer des chiffres transmis par les pouvoirs publics très tardivement. J'aurais aimé qu'il en soit autrement. Je note cependant qu'il ne s'agit pas d'une exception, le rapport étant transmis chaque année à peu près à la même période. Vous pourriez sans doute interroger les ministres sur la disponibilité tardive des données.

Par ailleurs, ma visite n'est pas une visite de courtoisie. Je me présente aujourd'hui en tant que premier président de la Cour des comptes pour vous présenter un rapport que je considère comme important, qui fait partie intégrante de notre mission et qui est utile à la fois au Parlement et aux citoyens. Ce rapport à un périmètre et mes réponses resteront dans le cadre du rapport ; je ne me livrerai à aucune spéculation. La Cour analyse des chiffres, des données et des initiatives qui sont étayées, et ses recommandations sont élaborées à partir de rapports qu'elle produit, et non d'opinions.

La Cour et le HCFP estiment qu'il n'est pas raisonnable de considérer que la croissance potentielle ne serait pas affectée par la crise massive que nous connaissons ; c'est la raison pour laquelle nous demandons une nouvelle loi de programmation. Notre secteur productif va être durablement modifié, dès lors la croissance potentielle va l'être aussi.

Tout calcul de solde structurel, par exemple, dépend de la croissance potentielle que nous connaissons. Le HCFP procède donc actuellement à des évaluations fondées sur une loi de programmation obsolète et non sur la réalité ; ce n'est pas sain.

Ni la Cour ni le HCFP ne se sont exprimés sur l'activité partielle et la croissance potentielle ; néanmoins, dans son avis du 21 septembre 2020, le HCFP considère que l'ampleur du choc subi par l'économie française va avoir un impact durable sur l'appareil productif. L'impact de la crise sur l'investissement ainsi que sur le capital humain devrait diminuer le PIB potentiel par rapport à certaines annonces d'avant-crise et, par conséquent, la capacité de rebond de l'économie française.

Il conviendra cependant de distinguer ce qui est structurel de ce qui est conjoncturel. Ce qui vaudra également pour l'analyse que nous ferons a posteriori sur l'impact de l'activité partielle qui, si elle a des effets de soutien à court terme, aura d'autres effets à moyen terme.

S'agissant des réformes structurelles conduites depuis 2017 dans le secteur de la santé, le rôle de la Cour n'est pas de censurer ou de juger, mais quand les réformes vont dans le bon sens, nous le disons – nous l'avons dit de la stratégie « Ma santé 2022 ». Nous disons aussi quand des réformes doivent être accélérées ou perfectionnées, ce que nous avons fait pour la réforme relative aux GHT ; elle doit être complétée. L'idée est de consolider cette mesure, d'où la question de la personnalité juridique qui est posée, pour une direction commune, l'idée de parvenir à une représentation territoriale équitable, de façon à ce que chacun puisse bénéficier des prestations et de l'ensemble des spécialités disponibles dans les hôpitaux.

En ce qui concerne la PreParE, il est vrai que le nombre de prestations a fortement baissé, de 43 %, en raison des conditions de partage par les deux parents, qui s'est traduit par une sortie massive du dispositif, une fois les vingt-quatre mois de l'enfant atteint.

Dans d'autres pays, le congé parental est davantage rémunéré ; plusieurs exemples étrangers avaient été analysés par la Cour en 2017. Des pays qui le conçoivent comme un véritable revenu de remplacement. Cependant, une meilleure rémunération pourrait conduire à distribuer davantage d'aides à des ménages aisées, ce qui contredirait l'objectif d'un ciblage accru des prestations monétaires sur les familles à faible revenu. Il conviendra donc de procéder à une évaluation dans le cadre de réformes qui pourraient être réalisées – et qui seront les bienvenues.

Pour ce qui concerne les modalités de financement de l'offre d'accueil des jeunes enfants, elles viennent d'être rénovées, avec pour objectif d'encourager la création de places et de réduire les écarts de financement entre crèches. Une évolution qui était nécessaire, mais il est encore trop tôt pour en connaître les impacts sur la création de places.

Concernant les pistes de financement de la branche autonomie, il revient au Gouvernement et non à la Cour de définir les conditions de la soutenabilité des dépenses de cette branche, qui a été créée par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie. À cet égard, sur 11 milliards d'euros de nouvelles mesures en dépenses, prévues d'ici à 2022 par le PLFSS 2021, au titre du Ségur de la santé, 2 milliards concernent la banche autonomie, principalement des revalorisations salariales pour les EHPAD.

La Cour avait salué l'action de la CNSA, en 2018, tout en proposant des pistes d'amélioration. Or, à moins de créer une nouvelle caisse nationale, la CNSA est vraisemblablement la mieux placée pour piloter la branche autonomie – jouer le rôle de caisse nationale –, compte tenu notamment de son expérience dans les relations avec les conseils départementaux, qui financent l'essentiel de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap.

Quant au déploiement d'un éventuel réseau propre, le chapitre du RALFSS consacré à l'organisation territoriale des caisses insiste sur la nécessité d'approfondir une mutualisation au sein des réseaux des branches de prestations du régime général. S'agissant de la branche autonomie, une préoccupation importante concerne la répartition des rôles entre les conseils départementaux et les ARS, dont l'efficacité ne pourra, à mon sens, être assurée.

Concernant la situation financière de la branche vieillesse, le déficit de cette branche devrait atteindre près de 8 milliards d'euros en 2020 ; un déficit réduit par l'affectation de la soulte des industries électriques et gazières pour 5 milliards à la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Pour le moyen terme, nous attendons la révision des projections du Conseil d'orientation des retraites à l'horizon 2030, qui devraient être connues dans les prochaines jours.

S'agissant du fonctionnement du MICO, la principale difficulté provient de la mise en œuvre de la règle dite de l'écrêtement. L'ensemble des pensions de base et complémentaires doivent être inférieures à 11 091,56 euros au 1er janvier 2020. Deux pistes sont décrites dans le rapport. D'abord, une plus grande convergence des règles des minima entre régimes. Ensuite, l'amélioration de la gestion des flux informatiques entre régimes.

Concernant la branche AT-MP, vous m'interrogez sur l'impact financier de la reconnaissance de la covid19 comme maladie professionnelle. Ce statut est désormais accordé automatiquement aux personnels soignants qui ont développé une forme grave de la covid – qui a nécessité un apport d'oxygène –, ainsi que le prévoit un décret paru au Journal officiel le 15 septembre 2020. Les autres malades doivent passer devant un comité d'experts pour bénéficier de cette reconnaissance.

Observons que ce sujet n'a pas été considéré par le rapport remis à la dernière Commission des comptes de la sécurité sociale comme un sujet justifiant un chiffrage précis de la dépense. Nous pensons que l'impact macroéconomique sera forcément limité, mais nous ne disposons pas de données pour vous répondre précisément.

Une question m'a été posée sur les gains à attendre et les effets en termes de gestion et de personnels d'une amplification des synergies entre la branche maladie et la branche AT‑MP que préconise la Cour. Les principaux gains se feront, non pas en termes de gestion ou de personnels des caisses, mais sur la gestion du risque, notamment en matière d'indemnités journalières d'arrêt de travail et de prévention de la désinsertion professionnelle, par une mobilisation plus efficace des moyens existants.

Pour évaluer le montant de la sous-déclaration des maladies professionnelles, il devra être procédé à une évaluation dans le cadre du rapport habituel, qui cette année, il est vrai, a été reporté. Nous pouvons toutefois penser que, globalement, du fait du ralentissement de l'activité économique, il y a, mécaniquement, un ralentissement de la progression de la sinistralité au travail.

Pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, une pertinence des prescriptions doit être trouvée. Nous pensons qu'il nécessaire de disposer d'un dispositif de maîtrise qui vous permette de vérifier leur pertinence.

S'agissant du financement de la qualité, cette question relève davantage de la Haute Autorité de santé que de la Cour.

Concernant l'approche territoriale renforcée, je pense avoir expliqué ce que nous pensions des GHT.

Par définition, nous n'avons pas de réponse concernant la seconde vague de l'épidémie. Il convient d'investir dans les soins, bien entendu, mais ne faisons pas comme si aucune mesure n'avait été prise : près de 19 milliards d'euros ont déjà été dépensés.

En ce qui concerne le financement pérenne de la branche autonomie, je vous renvoie au rapport de M. Vachey, qui propose un certain nombre de pistes.

S'agissant de la dégradation des comptes sociaux, nous y sommes attentifs, c'est l'objet même de ce rapport. Un certain nombre de préconisations sont formulées sur les dispositifs sociaux, l'industrie du médicament, les maladies prises en charge. Elles font partie des réflexions systémiques, qu'il sera tout à fait légitime de concrétiser à l'avenir.

Madame Fiat, au-delà de votre colère, vous me demandez si la Cour préconise davantage d'économies pour tuer l'hôpital ; je vous répondrai « non, non et non ». Il est erroné de dire que la Cour préconise de tailler dans la dépense sociale. Elle a parfaitement conscience, à la fois de la situation exceptionnelle que traverse le pays, des difficultés que connaît notre système hospitalier et de la nécessité de le réformer. Cependant, il est vrai que nous restons dans une perspective de maîtrise des dépenses de santé, pour éviter que nous croulions sous le poids de la dette et que nous handicapions durablement les générations futures.

Enfin, concernant les exonérations de cotisations, une évaluation est préalablement nécessaire. Mais le transfert me paraît un peu facile à proclamer : s'il était si simple, il aurait déjà été instauré.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.