Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 14h30
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Concernant les GHT, il me semble que nous abordons le sujet comme il l'est dans les projets médicaux partagés, que nous avons quasiment intégralement consultés. Nous partageons très largement le diagnostic réalisé par le député Jean-Louis Touraine. Nous souhaitons aller vers une direction commune, vers une fusion, et donner un rôle important aux ARS.

Il est vrai que pour certains GHT, les territoires sont clairement trop petits et ne permettent pas de bénéficier d'un traitement équitable, exhaustif, pour l'ensemble des différentes pathologies. Nous souhaitons également que les GHT soient plus intégrés pour une meilleure efficacité, notamment durant la crise. L'association des élus est indispensable, nous avons tous constaté qu'une action de proximité est toujours plus efficace.

Pour une meilleure santé, la prévention est nécessaire. Et nous pouvons parfois noter trop de coercition et pas assez de prévention. La Cour réalise une évaluation de la prévention en santé pour le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale ; elle sera disponible en fin d'année.

Nous souhaitons tous tirer les enseignements de la crise. Cela signifie-t-il d'implanter des plateaux techniques dans les hôpitaux de proximité ? Pourquoi pas. Mais pour cela, des professionnels de santé doivent être disponibles.

S'agissant de la sédentarité, la Cour travaille également sur la prévention en santé publique et la prévention du vieillissement. Nous pourrons bientôt répondre plus en détail à cette question, qui concerne plusieurs chambres de la Cour des comptes.

Pour ce qui est des actes médicaux non pertinents, l'amélioration de la maîtrise de l'évaluation des prescriptions passe par une réforme de la tarification à l'activité.

Concernant la dialyse, nous avons réalisé une étude sur les insuffisances rénales chroniques, à laquelle je vous renvoie.

Nous ne sommes pas favorables aux coups de rabot sur les dispositifs médicaux. Il nous semble préférable de nous orienter vers des accords pré‑volumes, « le meilleur produit au meilleur prix pour l'usager », la pertinence et la maîtrise indicative.

La question des minima de pension est très délicate sur le plan politique. Nous n'avons pas à nous prononcer sur la pertinence de telle ou telle réforme ou sur un calendrier. Ce débat politique vous concerne, ainsi que le Gouvernement, et plus largement la société. Nous n'avons pas non plus à nous prononcer sur un projet qui n'est pas, actuellement, à l'agenda politique. En revanche, nous pensons qu'un système universel permettrait en effet de corriger, à la fois l'hétérogénéité et les insuffisances que nous avons pointées du doigt. Nous devons nous diriger, à moyen terme, vers cette voie.

Mais cela n'est pas la seule préoccupation d'une réforme des retraites ; d'autres paramètres doivent être pris en compte, et je ne veux pas me substituer à l'exécutif. Cependant, étant donné que nous sommes devant une incertitude, nous suggérons une harmonisation qui permettrait de résoudre les imperfections que nous constatons et qui ont des effets extrêmement dommageables. Je mentionnais les 500 000 retraités modestes qui sont dans l'attente du versement du MICO. J'ai indiqué le chiffre de 130 euros par personne, un montant qui n'est pas négligeable. Ce versement concerne un nouveau retraité sur cinq ; il existe donc un vrai problème. Par ailleurs, à défaut d'un système universel, il convient d'harmoniser les différents systèmes. Et les perspectives de la Cour en ce domaine sont relatives à un meilleur ciblage des dépenses, au bénéfice des plus défavorisés.

Enfin, je ne suis plus commissaire européen, mais je terminerai par la question relative à la reprise de la dette covid des États par l'Union européenne, et plus généralement à la dette publique.

D'abord, il m'est souvent demandé si la Cour ne surévaluait pas la dette publique, c'est-à-dire si la question de la soutenabilité de la dette publique n'était pas un problème qui était derrière nous. Non, la dette publique existe bien, et elle est un ennemi pour la cohésion sociale, pour le service public.

Aujourd'hui, la dette publique est parfaitement finançable. Les taux d'intérêt sont négatifs, nous avons une excellente signature et une homogénéité économique. Mais ils ne seront pas négatifs éternellement et la qualité de la signature doit se vérifier. Et elle se vérifie aussi à travers notre capacité à maîtriser la dette, et à mener des réformes structurelles visant à préparer notre future économie, car elles influent sur la croissance potentielle.

Nos concitoyens ne sont pas idiots, s'agissant de la dette covid. Certains leur racontent qu'elle sera totalement annulée ; il n'en est rien. Car in fine, ce serait une spoliation des épargnants. D'autres prétendent que la dette sera intégralement monétisée ; il s'agit d'une théorie monétaire moderne, paraît-il.

La Banque centrale européenne (BCE) réalise déjà des efforts considérables, qui sont les bienvenus et qui ont vraiment changé les choses. Souvenons-nous de Mario Draghi, en 2012, et son fameux « whatever it takes » pour sauver l'euro. Mais la BCE ne peut reprendre la totalité de la dette : ce serait une erreur ; ce n'est ni dans son mandat ni dans ses moyens.

S'agissant de la mutualisation d'une partie de la dette publique des pays membres, l'accord qui est intervenu en juin est formidable. Pour la première fois, il est question d'une forme de solidarité assumée, et non seulement des prêts mais aussi des subventions sont proposés. Mais nous parlons-là de 750 milliards d'euros, et de quelque 390 milliards de subventions, et les Européens restent, sur cette question, assez divisés. Il ne sera pas raisonnable de rêver à la mutualisation complète de la dette publique.

Mon sentiment sur ce sujet, et c'est un message que je délivrerai devant le Parlement et l'opinion publique tant que je serai dans cette fonction, est qu'une dette peut bien sûr être gérée, allégée, voire allongée, mais nous la retrouvons toujours à un moment donné. Si nous ne nous préoccupions pas de sa soutenabilité, nous ne serions pas responsables – je pense aux générations futures. Notre jeunesse est déjà très éprouvée par la crise sanitaire, dans son mode de vie, ses perspectives d'emploi... Le futur va être difficile pour les jeunes.

Si nous ignorons ce problème, le jour où les taux d'intérêt se renverseront, chaque euro consacré au remboursement de la dette sera un euro en moins pour ce à quoi vous êtes attachés : la cohésion sociale, l'hôpital, la justice sociale, les retraites...

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