L'accord que nous examinons vise à mettre un terme à une situation d'incertitude juridique qui dure depuis près de soixante-dix ans. Une telle durée alors qu'un engagement réciproque de clarification de règles fiscales avait été pris en 1949 peut paraître surprenante. Pour comprendre cette situation, il faut faire un peu d'histoire et aussi replacer l'aéroport de Bâle-Mulhouse dans son contexte, celui d'un important bassin économique transfrontalier, trois pays, France, Suisse et Allemagne, étant concernés.
L'aéroport de Bâle-Mulhouse constitue un cas unique en son genre : il est intégralement situé sur le sol français, plus précisément sur les communes de Blotzheim, Hésingue et Saint-Louis dans le Haut-Rhin, mais il est paradoxalement soumis à un régime juridique binational. Il n'existe aucun autre aéroport qui relève d'un régime comparable, de sorte que les solutions qui doivent y être mises en oeuvre sur le plan du droit – fiscal dans le cas présent – sont nécessairement spécifiques.
Cela tient à l'histoire. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la France et la Suisse se sont entendues pour construire un aéroport, qui a été inauguré en 1946. Une convention bilatérale a été signée le 4 juillet 1949 pour définir les règles relatives à sa construction et à son exploitation
Le principe général posé dans ce texte est que la loi française s'applique dans l'aéroport, sauf dérogations prévues par la convention elle-même et ses annexes. La gestion de l'aéroport est confiée à un établissement public franco-suisse. Celui-ci est doté d'un conseil d'administration composé à parité de représentants de deux pays, ainsi que de deux représentants allemands à titre consultatif. Il est stipulé également que les missions régaliennes permettant le fonctionnement technique de l'aéroport, comme le contrôle aérien, incombent aux autorités françaises, mais que chacun des deux pays dispose dans l'aéroport d'un secteur douanier et policier où ses agents appliquent sa réglementation et sont seuls compétents pour les contrôles sanitaires, douaniers et policiers. Une partie de l'aéroport forme donc ce que l'on appelle le secteur douanier suisse, qui est relié à la frontière suisse par une route douanière non connectée au réseau français, afin que l'on puisse y accéder depuis la Suisse sans passer les douanes et la police des frontières. Enfin, ce que l'on appelle les droits de trafic, c'est-à-dire en quelque sorte le pavillon national sous lequel se font les vols, peuvent être octroyés aux compagnies aériennes par chacun des deux pays.
Soixante-huit ans plus tard, Bâle-Mulhouse est une réussite économique certaine. Son régime très particulier n'a pas empêché le développement de l'aéroport, car il dessert une agglomération transfrontalière trinationale : 3,2 millions de personnes résident à moins d'une heure de voiture et le PIB moyen par habitant est proche de 40 000 euros. Une soixantaine de compagnies aériennes sont actives sur l'aéroport et plus d'une centaine de destinations desservies. Le site de l'aéroport représente près de 6 400 emplois directs. 75 % des personnes qui travaillent sur ce site résident en France et concourent donc massivement à la population, à l'activité économique et aux ressources fiscales des communes proches.
Face à cette réussite économique nous n'avons pourtant pas de règles fiscales claires applicables à l'aéroport et aux entreprises qui y travaillent depuis 1949 et les acteurs ont pu tirer profit de cette situation d'incertitude.
En effet, un accord fiscal spécifique avait été prévu en 1949, mais jamais passé ensuite. On pouvait alors soutenir deux thèses. Selon la première, celle de la France, puisque l'accord fiscal dérogatoire prévu n'existait pas, le droit fiscal français s'appliquait à l'aéroport car il est situé intégralement sur le territoire français. Mais on pouvait aussi argumenter le contraire et pointer une lacune du droit fiscal. De plus, il faut bien voir qu'en pratique, aller contrôler fiscalement des entreprises situées dans le secteur douanier suisse de l'aéroport n'était pas facile, voire impossible pour les services français. Tout cela a conduit à une situation assez générale de non fiscalisation en France concernant non seulement les entreprises du secteur douanier suisse, mais même l'établissement public binational gestionnaire de l'aéroport, lequel ne s'acquitte de l'impôt sur les sociétés que depuis 2015 ! De même, la fiscalité aéronautique française, les différentes taxes qui apparaissent sur nos billets d'avion, n'a pas été appliquée aux compagnies aériennes opérant à Bâle-Mulhouse sous droits de trafic suisses.
Compte tenu de ces facilités côté suisse, le développement de l'activité s'est fait au détriment du secteur français : 90 % des vols à Bâle-Mulhouse sont opérés sous droits de trafic suisses ; sur 6 400 emplois sur le site, 4 900 relèvent des entreprises du secteur douanier suisse.
Les autorités françaises ont essayé à plusieurs reprises de remettre en cause l'état de fait qui s'était développé, il y a eu des contrôles et des décisions de justice, et finalement les incertitudes juridiques qui avaient longtemps permis d'échapper plus ou moins à l'impôt sont apparues comme un facteur de risque et une menace pour le développement de l'aéroport. EasyJet, qui est la principale compagnie à Bâle-Mulhouse, avait ainsi suspendu ses investissements dans l'attente d'une clarification des règles fiscales. Or, il y a dans la balance de grands projets de développement, notamment un futur raccordement ferroviaire direct entre l'aéroport et la gare de Saint-Louis.
C'est dans ce contexte que l'accord que nous examinons a été négocié et finalement signé le 23 mars 2017. Les négociations ont été complexes, car la France et la Suisse partageaient la conviction qu'il fallait parvenir à une solution négociée, mais défendaient des positions éloignées. Des considérations contradictoires devaient être prises en compte : d'un côté, il n'est pas légitime que des entreprises profitent des lacunes du droit pour échapper largement, voire totalement, à l'impôt ; il était en particulier anormal que les compagnies aériennes opérant à Bâle-Mulhouse sous droits de trafic suisses bénéficient de fait des prestations assurées par la direction générale de l'aviation civile sans contribuer à son financement ; mais dans l'autre sens, l'application brutale de toute la fiscalité française de droit commun aurait pu remettre en cause la compétitivité de l'aéroport.
L'accord s'inscrit donc dans une logique de clarification du droit mais veut aussi éviter une remise en cause trop brutale de certaines situations, car elle aurait des conséquences économiques dommageables. Il établit une sorte de mix entre les fiscalités française et suisse, la seconde étant en général plus légère. Il s'inscrit aussi dans une logique d'évitement des doubles impositions : si un impôt d'un certain type est dû dans l'un des deux pays selon les règles de ce pays, l'impôt analogue de l'autre pays ne s'applique pas.
S'agissant de l'établissement public gestionnaire de l'aéroport, l'article 1er de l'accord prévoit que l'impôt sur les sociétés est déterminé selon la loi française. Son produit, soit plus de 6 millions d'euros en 2015 puis en 2016, doit être partagé entre les deux pays sous réserve d'un prélèvement au bénéfice des collectivités locales, j'y reviendrai.
S'agissant de la fiscalité aéronautique, l'article 2 exonère de taxe de l'aviation civile les vols commerciaux sous droits de trafic suisses, mais les soumet en contrepartie à une contribution spécifique moins lourde. Son tarif, révisable, a été fixé cette année à 1,73 euro par passager et elle est donc nettement moins lourde que la taxe de l'aviation civile de droit commun.
L'article 3 assujettit les entreprises du secteur suisse de l'aéroport à l'impôt français sur les sociétés. La coopération entre les administrations des deux pays a permis en 2016 la création d'un guichet fiscal unique et l'élaboration d'un vade-mecum à destination des entreprises afin de les accompagner dans leurs démarches auprès de l'administration fiscale française. En revanche, l'article 4 soumet les mêmes entreprises au régime suisse de TVA, dont les taux sont plus faibles qu'en France.
L'article 5 exonère de contribution économique territoriale les entreprises du secteur douanier suisse en contrepartie de leur assujettissement à l'impôt sur le capital du canton de Bâle-Ville, qui est un impôt assis sur les capitaux propres des sociétés.
Cette exonération de contribution économique territoriale entraîne une perte de recettes significative pour les collectivités concernées, car, malgré les contestations sur le droit applicable, il y avait ces dernières années une collecte assez importante : 3,15 millions d'euros en 2015 et 3,34 millions en 2016 tous niveaux de collectivités confondus. C'est pourquoi l'article 1er de l'accord, dont je rappelle qu'il assujettit l'établissement public gestionnaire de l'aéroport à l'impôt français sur les sociétés, prévoit aussi un prélèvement annuel de 3,2 millions d'euros sur le montant de cet impôt au bénéfice des collectivités en cause, à titre de compensation. On voit que c'est approximativement le dernier rendement connu de la contribution économique territoriale dans le secteur douanier suisse. Ce point est le seul de l'accord à faire débat, car on plafonne de fait cette ressource sans tenir compte des futurs développements de l'activité.
Les collectivités locales approuvent cependant l'accord, car elles mettent au premier plan la réussite économique de l'aéroport et les retombées indirectes qui en découlent pour elles. Les perspectives sont bonnes : le trafic pourrait doubler en quinze ans.
On a donc, au final, un compromis entre les fiscalités française et suisse qui devrait préserver l'attractivité de Bâle-Mulhouse et même la renforcer grâce à la sécurité juridique apportée, avec la perspective de nouveaux investissements très importants.
Un dernier point sur le calendrier. L'accord a été signé en mars de cette année, est déjà ratifié en Suisse et a été approuvé en novembre au Sénat. Seul manque donc le vote de l'Assemblée nationale afin de parfaire la procédure avant la fin de l'année 2017. Cette procédure rapide est justifiée par les enjeux économiques et par l'annualité fiscale. Il est souhaitable que les procédures puissent être achevées à temps pour que l'accord entre en vigueur au 1er janvier prochain. Je vous invite à adopter le présent projet de loi.