Nous partageons tous ici, par-delà la diversité de nos parcours, la volonté de lutter contre la pauvreté, mais aussi l'inquiétude de devoir le faire alors que sévit une crise sanitaire d'une ampleur inégalée, et qui n'est pas terminée, tant s'en faut – des annonces nous attendent tout à l'heure. Chacun doit donc faire preuve d'une grande humilité en abordant de tels sujets et de tels budgets. Je tenais à vous remercier pour la mesure dont chacun a fait preuve dans ses propos en admettant que nous apportons des améliorations substantielles, quitte à relever qu'elles n'allaient pas toujours aussi loin que vous le souhaiteriez. J'ai en tout cas beaucoup apprécié la teneur de toutes vos interventions. Je commencerai par résumer notre action depuis le début de la crise sanitaire, avant de vous répondre sur des points plus précis.
Rappelons pour commencer que nous avons pris en faveur des plus précaires un ensemble de mesures sociales d'urgence d'une ampleur jusqu'alors inconnue dans ce pays et qui s'est élevé à 3 milliards d'euros de soutien direct, sous des formes différentes : une aide exceptionnelle de solidarité versée automatiquement, le 15 mai, à 4,1 millions de foyers en difficulté, une aide de 200 euros versée à 800 000 jeunes en difficulté, une revalorisation exceptionnelle de l'allocation de rentrée scolaire, pour un montant de 530 millions d'euros, auxquels est venue s'ajouter une nouvelle série d'aides, annoncées au début du mois d'octobre, pour un montant de 1 milliard d'euros – 150 euros pour les bénéficiaires du RSA, de l'ASS et aux jeunes percevant les APL, plus 100 euros supplémentaires par enfant.
Parallèlement, la politique nationale d'hébergement a été renforcée ; la fin de la trêve hivernale a été reportée. Les acteurs de l'aide alimentaire ont été aidés par la distribution massive de chèques alimentaires, notamment aux sans-abri. S'agissant de la lutte contre les inégalités en santé, 100 millions d'euros ont été prévus dans le Ségur de la santé. De son côté, le plan de relance prévoit des mesures de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté et en faveur de l'hébergement, pour un montant de 100 millions d'euros.
À travers toutes ces mesures, prises au fil de l'eau, le Gouvernement a montré sa réactivité. Outre ces mesures financières, le Gouvernement a matériellement protégé les plus démunis en fournissant 53 millions de masques aux plus précaires, plus 52 millions de masques jetables mis à disposition des préfectures et 2 millions des associations – et cette aide est évidemment, compte tenu du contexte, en cours de renouvellement.
Enfin, il ne faut pas oublier que lutter contre la pauvreté, c'est avant tout à permettre aux gens de garder leur emploi : rappelons que l'indemnisation de l'activité partielle de plusieurs millions de salariés a coûté 7,6 milliards d'euros. Sans oublier le soutien aux auto‑entrepreneurs.
J'aimerais féliciter les réseaux d'élus qui ont participé à cet effort national, et continueront à y participer, par la force des choses. Ils méritent qu'on leur rende hommage, et on ne le fait pas assez. Il en est de même des bénévoles des associations, qui ont été sur le terrain et le seront encore, et des centres communaux d'action sociale, qui ont fait preuve d'une capacité d'innovation extraordinaire. On devrait en parler plus souvent, car tout cela participe de cet effort de solidarité nationale dans ces temps de crise sanitaire.
S'agissant de l'aide alimentaire, je remercie Jeanine Dubié d'avoir précisé qu'il faut tenir compte des périmètres respectifs du FEAD et de l'aide alimentaire nationale. Les fonds dédiés à l'aide alimentaire seront sanctuarisés. Nous y tenions, c'était une promesse du Président de la République. La France défend une certaine vision de l'Europe sociale alors que le modèle de financement européen de l'aide alimentaire avait été quelque peu mis à mal. Je tiens à vous rassurer : le passage du FEAD au Fonds social européen (FSE+) se fera en douceur et nous permettra d'être à la hauteur de ces enjeux essentiels, particulièrement cruciaux dans cette période.
Vous avez été plusieurs à souhaiter des explications sur la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Au total, 252,6 millions d'euros dans le programme 304 seront consacrés à sa mise en œuvre. Nous avons adopté un mode de fonctionnement innovant, avec des collaborations étroites avec les départements, notamment sous forme de contractualisations avec les conseils départementaux – tous sauf deux, que je ne nommerai pas à nouveau, car cela ne serait pas gentil... – et des mesures pilotées par l'État, de manière tout à la fois centrale et déconcentrée, particulièrement pour ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance.
Cette contractualisation est en cours ; l'axe n° 2 a été présenté, qui vise plus particulièrement l'insertion sociale et professionnelle. Certains considèrent que ce secteur ne devrait pas être ciblé en priorité ; j'estime au contraire que, en période de précarité accrue, il faut accompagner les gens. Plusieurs viviers d'emplois, notamment dans le domaine sanitaire, ne sont pas pourvus, alors même qu'ils pourraient l'être. Nous utiliserons les leviers disponibles pour booster le parcours emploi compétences, notamment en augmentant le plafond de l'aide accordée aux employeurs à 80 % du SMIC, ce qui les rend bien plus attractifs pour les collectivités territoriales et les associations désireuses de recruter, d'autant plus qu'ils s'accompagnent d'une formation et donc parfois d'une possibilité de sortie positive.
La prime d'activité a été augmentée massivement – on se souvent dans quelles conditions – en fin d'année, dans le cadre de mesures d'urgence. Son champ d'application a été notablement élargi ; les crédits inscrits pour son financement s'élèvent à plus de 11,2 milliards d'euros, en hausse de 0,7 milliard. Des mesures exceptionnelles ont été prises pour aider les travailleurs pauvres : les droits des allocataires n'ayant pas renseigné leur déclaration de ressources trimestrielle ont été maintenus et les actions de contrôle ont été suspendues. Par ailleurs, la prime d'activité a été cumulable avec le chômage partiel. Nous réfléchissons à la possibilité de maintenir ces dispositions tant que durera la crise sanitaire.
Perrine Goulet, Jeanine Dubié et d'autres ont évoqué l'aide sociale à l'enfance, sujet qui nous est cher. L'ASE est un axe important de notre politique, et nous sommes nombreux ici à y avoir travaillé d'une façon ou d'une autre. L'objectif, qui constitue une mesure socle des conventions signées par les conseils départementaux, est d'aider 100 % des jeunes devenus majeurs, sur la base de quatre-vingt-douze départements. En 2019, près de 20 000 jeunes relevant de l'ASE sont devenus majeurs. Plus de 50 % d'entre eux – 10 567 exactement – ont fait l'objet d'une prise en charge dans le cadre du référentiel de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Nous avions, vous vous en souvenez, élaboré une charte des droits des enfants protégés ; aujourd'hui, les résultats sont là, même s'ils sont très hétérogènes et on ne peut que le déplorer. Beaucoup trop de disparités demeurent entre départements et ce constat vaut pour de nombreuses autres politiques sociales. Les contractualisations devront être revues au vu des résultats obtenus. En tout état de cause, des messages ont été adressés aux départements afin qu'ils ne procèdent à aucune sortie « sèche » de l'ASE tant que durera l'état d'urgence sanitaire. Pour les jeunes qui seraient malheureusement sans abri, des mesures d'hébergement d'urgence ont été prises. Les maraudes ont été reprises. Nous essaierons de circonscrire au maximum les effets de cette crise.
La question des mineurs non accompagnés (MNA) est assez compliquée à aborder dans le cadre d'un projet de loi de finances, car elle dépasse largement le seul aspect des crédits. La stratégie retenue consiste à préserver leur répartition au sein des compétences départementales, en travaillant avec un soutien financier et technique accru de la part de l'État, car il restait jusqu'alors insuffisant. L'indemnisation des départements durant la phase d'évaluation des MNA est améliorée, notamment grâce à la mise en place d'un forfait de 500 euros par évaluation, incluant un bilan de santé, un allongement de la durée d'indemnisation plus longue et une mise à l'abri – la seconde composante de l'aide de l'État étant attribuée au titre de la mise à l'abri des personnes qui se présentent comme MNA.
Le fichier d'aide à l'évaluation de la minorité, créé pour éviter des réévaluations de jeunes dans les différents départements, comporte une base nationale de recensement. Il a d'abord été expérimenté dans trois départements – l'Isère, l'Essonne et le Bas-Rhin – à partir du mois de février 2019 et ouvert aux autres le 1er avril de la même année : près de quatre-vingts départements utilisent désormais cet outil. Mentionnons également la refonte de l'arrêté relatif aux modalités de l'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, ainsi que le maintien du financement exceptionnel de la prise en charge des MNA dans le cadre du dispositif dit « Cazeneuve ».
Madame Corneloup, vous avez évoqué le futur projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie ; même si cela n'entre pas dans le cadre de ce budget, je tiens néanmoins à vous rassurer sur deux points.
Tout d'abord, nous ne partons pas de rien, je suis bien placée pour le savoir. Nous avons travaillé à ce sujet, et nous mènerons des évaluations et des concertations, qui serviront de base, aux côtés du travail parlementaire, pour anticiper et prévoir l'examen de ce projet de loi, qui est toujours prévu pour le premier trimestre 2021.
Pour ce qui est du « Laroque de l'autonomie », il ne s'agit pas, contrairement à l'interprétation qui en a été largement diffusée par certains réseaux, d'une énième concertation, mais bien d'une coconstruction, un peu dans le même esprit que le Ségur de la santé. C'est exactement ce que nous voulons faire : organiser quelques semaines de concertation pour coconstruire la loi, rien d'autre. La crise sanitaire reprenant de plus belle, son organisation déconcentrée et territorialisée est quelque peu mise en difficulté ; nous allons devoir procéder sous forme de visioconférences. Nous allons repenser le modèle, mais le fond demeurera inchangé. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'une énième concertation, je le redirai partout où j'irai.
S'agissant du RUA, le chantier, annoncé par le Premier ministre, a lui aussi été mis en pause. De nombreux problèmes restent à régler : force est de constater que de nombreux organismes ne souhaitent pas que les prestations qu'ils versent soient intégrées dans le RUA.