Intervention de Jeanine Dubié

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié, rapporteure pour avis des crédits de la mission Santé :

Vous m'avez chargée d'examiner les crédits de la mission Santé du projet de loi de finances pour 2021 ; je commencerai par vous en préciser le périmètre car l'intitulé peut laisser planer le doute. En effet, on pourrait s'attendre à ce que les politiques de santé publique soient massivement financées par cette mission, étant donné qu'il s'agit de politiques régaliennes qui ne relèvent pas d'une logique assurantielle. Mais notre pays a choisi, depuis plusieurs années, de rapprocher la prévention et la promotion de la santé de l'offre de soins. Le Gouvernement invoque, à l'appui de ce choix, la nécessaire continuité entre ces missions et le fait que les acteurs soient souvent les mêmes. De ce fait, la santé publique est désormais largement financée par la sécurité sociale, à commencer par l'agence que nous connaissons tous et qui joue un rôle de premier plan dans la crise sanitaire que nous traversons : Santé publique France.

Pour vous en donner une idée, l'annexe 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) estime le montant global des dépenses annuelles de santé publique à 9 milliards d'euros alors que le budget de la mission que nous examinons ce soir s'élève à 1,3 milliard et seulement 260 millions d'euros si l'on retire l'AME.

Je ne reviendrai pas sur l'AME, qui représente une dépense indispensable dans une perspective humanitaire et sanitaire. En dehors de l'AME, les politiques financées par la mission Santé sont d'une ampleur réduite, parfois trop au regard des enjeux de santé publique.

Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit de reconduire le financement d'une étude sur la maladie de Lyme pour des montants dérisoires : pourriez-vous préciser le contenu et le budget pluriannuel de cette étude ? En février 2020, le comité de pilotage du plan national de lutte contre les maladies vectorielles à tiques recensait un effort de recherche pluriannuel global de 6 millions d'euros, saupoudré entre quarante-six projets différents. Dans ces conditions, il est légitime de douter de la vision d'ensemble et des effets de ces 6 millions d'euros, au demeurant très insuffisants. Comment comptez-vous, à l'avenir, madame la ministre, piloter, concentrer, renforcer l'effort en faveur des maladies vectorielles à tiques ? C'est, pour beaucoup d'entre nous, une priorité de santé publique. La commission des affaires sociales l'a constaté à l'occasion de tables rondes organisées le mois dernier : le moins que l'on puisse dire, c'est que le besoin de connaissances scientifiques dans ce domaine est criant. C'est le seul moyen de dépasser les politiques stériles dans lesquelles nous nous trouvons aujourd'hui. Je présenterai donc un amendement pour financer un programme de recherche digne de ce nom.

Signalons au passage que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le financement de crise sanitaire ne repose pas sur la mission Santé, mais sur la sécurité sociale. Néanmoins, en 2020, la direction générale de la santé est intervenue en soutien à Santé publique France pour financer l'achat de matériels médicaux. Ainsi, 700 millions d'euros ont été transférés à cette fin sur le programme 204 de la mission Santé. Madame la ministre, que reste-t-il aujourd'hui de ces 700 millions ? Quels seront les besoins de votre ministère pour financer les matériels médicaux, médicaments, vaccins, en 2021 ? Les budgets nécessaires ont-ils été sanctuarisés ?

Venons-en au cœur de mon rapport, un sujet que l'on ne découvre qu'en se penchant sur cette mission alors qu'il s'agit d'une dépense structurante pour un territoire de la République française certes bien éloignée : l'agence de santé de Wallis-et-Futuna.

J'aurai une pensée pour mon collègue Sylvain Brial à qui je souhaite beaucoup de courage pour mener son travail de rééducation.

Cette agence de santé intervient depuis 2001 comme acteur unique de la santé dans le territoire de cette collectivité d'outre-mer. Elle est intégralement financée par la solidarité nationale, pour des raisons historiques et pour d'autres, liées aux caractéristiques très particulières de ce territoire, à la fois petit, peu peuplé et perdu au milieu du Pacifique, dont la population a des ressources très modestes.

Lorsque j'ai choisi de m'intéresser à cette agence, j'ai buté sur le manque d'informations. J'ai donc demandé au ministre de la santé que l'on me communique un rapport de mission réalisé en 2019 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Contrôle général économique et financier (CGEF). L'obtenir ne fut pas chose facile et ce fut finalement par l'intermédiaire de la rapporteure spéciale de la commission des finances, Mme Louwagie, que j'ai pu y accéder. Je l'en remercie.

Ce document dresse un constat pour le moins sévère de l'état de santé de la population de Wallis-et-Futuna et les moyens mis en œuvre par l'État. En résumé, les habitants sont massivement affectés par les maladies non transmissibles – diabète, hypertension, pathologies cardiaques associées, cancers – qui résultent principalement d'un mode de vie inadapté et d'une alimentation bien trop riche, grasse et sucrée. Ce fléau, qui frappe toutes les populations du Pacifique, atteint Wallis-et-Futuna dans des proportions inquiétantes : 70 % des habitants sont obèses et 90 % en surpoids. Surtout, de plus en plus d'enfants sont obèses. D'autres problèmes s'ajoutent à cette situation : addictions, problèmes de santé mentale, problèmes d'assainissement et d'accès à l'eau potable.

Pour faire face, l'agence de Wallis-et-Futuna a longtemps eu des moyens inadaptés. Il faut dire qu'il existe dans ce territoire isolé un problème structurel de développement de l'offre de soins. Il n'y a toujours pas de cardiologue alors que la prévalence des maladies cardiaques y est très élevée. Il n'y a pas non plus de pédiatre, ni de psychiatre, ni d'ophtalmologue.

Pour cette raison, l'agence doit très souvent recourir aux évacuations sanitaires, qui représentent plus du tiers des dépenses de santé dans les îles – environ 15 millions d'euros. Les patients sont évacués en priorité à Nouméa, qui se trouve tout de même à 2 000 kilomètres de distance. Et lorsque le plateau technique de la Nouvelle-Calédonie ne suffit pas, ils sont évacués vers la métropole ou vers Sydney, en cas d'urgence vitale.

Le budget de l'agence de santé a été progressivement rehaussé depuis plusieurs années pour prendre en compte les besoins en santé du territoire. En 2020, pour la première fois, ce budget a fait l'objet d'une estimation sincère mais il faut à présent compenser les conséquences négatives de toutes ces années de sous-financement.

Pour ce qui est des investissements, la situation est aujourd'hui difficilement concevable pour un territoire de la République. Les bâtiments de l'agence sont vétustes et amiantés, aucune norme de sécurité n'est appliquée. Il n'y a dans les chambres ni système d'appel malade ni fluides médicaux. Le bloc opératoire ne répond à aucune norme ISO.

Par ailleurs, l'agence n'a jamais exercé sa mission en matière de santé publique, faute de moyens. Quand on voit l'état de santé de la population, on mesure à quel point cette abstention a été dommageable et même coupable.

Le constat est sévère et l'État est directement en cause puisque la santé relève de sa compétence, en application de la loi de 1961 qui fonde la collectivité d'outre-mer.

La bonne nouvelle, c'est que l'État se décide enfin à réagir. Il faut signaler le réel effort de votre ministère, madame la ministre, depuis 2013, pour rebaser la dotation de l'agence. Pour 2021, cette dotation doit être portée à 46,5 millions d'euros, en hausse de 4 millions par rapport à 2020. Qui plus est, et c'est une bonne surprise, vous avez réservé à l'agence une dotation d'investissement de 45 millions d'euros au titre du Ségur de la santé.

Ces nouveaux moyens étaient indispensables et attendus. Ils permettront de développer l'offre médicale dans le territoire, de mener un projet de télémédecine, de conduire de véritables programmes de santé publique, de reconstruire, humaniser, rénover, étendre les bâtiments de l'agence – signalons que l'hôpital dépend de l'agence.

En somme, ils permettront de faire face à une urgence de santé publique dans ce territoire. Fort heureusement, les Wallisiens et Futuniens ont été, jusqu'ici, préservés de la covid-19, au prix de mesures sanitaires drastiques aux frontières. Vous imaginez sans peine les dégâts que pourrait y causer une telle pandémie, étant donné l'état de santé de la population et les capacités limitées du système de soins.

Je salue le réengagement de l'État en faveur des Wallisiens et Futuniens, qui constitue le fait marquant du budget de la mission Santé pour 2021. Pour cette raison, je vous encourage à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

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