Intervention de Paul Christophe

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur :

Il y a près de deux ans, le 29 novembre 2018, notre assemblée adoptait la proposition de loi de notre collègue Nathalie Elimas visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques. Ce texte, qui fut adopté en des termes identiques par le Sénat dès la première lecture, reposait sur une approche globale. Il prévoyait notamment de renforcer le financement de la recherche, de soutenir les aidants familiaux, de développer la formation professionnelle de santé et de promouvoir le droit à l'oubli pour mieux protéger les personnes ayant été atteintes d'un cancer.

Afin de nous assurer de la bonne application de cette loi, nous avons réalisé, avec Nathalie Elimas, un travail d'évaluation à partir de l'été 2019, dont je vous ai présenté les résultats le 23 septembre dernier. L'audition des associations, notamment la fédération Grandir sans cancer, le collectif GRAVIR et l'Union nationale des associations de parents d'enfants atteints de cancer ou leucémie (UNAPECLE), nous a permis de constater que la loi n'avait pas atteint tous ses objectifs. Le nouveau dispositif, en effet, n'a pas permis l'allongement effectif de la durée du congé de présence parentale (CPP) et de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), qui est pourtant nécessaire pour soutenir les parents confrontés à des pathologies lourdes comme les cancers pédiatriques.

Pour mémoire, le CPP et l'AJPP permettent d'apporter un soutien aux actifs ayant un enfant à charge atteint d'une maladie, d'un handicap ou ayant été victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Il nous fallait donc remettre l'ouvrage sur le métier, et la proposition de loi que je défends aujourd'hui, qui vise à doubler la durée du congé et de l'allocation journalière de présence parentale lorsque les circonstances l'exigent, s'inscrit dans le prolongement de la loi du 8 mars 2019.

Permettez-moi de revenir brièvement sur les dispositions relatives au congé et à l'allocation journalière de présence parentale contenues dans cette loi. Les débats que nous avions eus il y a deux ans avaient permis plusieurs avancées.

Premièrement, nous avions porté de six mois à un an maximum la fréquence du renouvellement du certificat médical qui conditionne le bénéfice du congé et de l'allocation de présence parentale, afin de simplifier les démarches des familles.

Deuxièmement, nous avions étendu la possibilité de renouveler les droits au CPP et à l'AJPP, déjà ouverte aux cas de rechute ou de récidive, aux cas où la gravité de la pathologie nécessite une présence soutenue et des soins contraignants plus de trois ans après l'ouverture des droits. Je reviendrai dans quelques instants sur ce point, qui sera au cœur de notre discussion.

Par ailleurs, la durée du congé de présence parentale est désormais prise en compte en totalité, et non plus pour moitié, dans la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté dans l'entreprise.

Enfin, il existe désormais une obligation d'information à la charge des organismes débiteurs des prestations familiales quant aux critères et conditions d'attribution de l'AJPP et aux modalités de demande de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, dont la prestation de base est cumulable avec l'AJPP, et de la prestation de compensation du handicap.

Nos débats avaient rappelé l'importance de ces dispositifs, qui bénéficient à 10 000 personnes chaque année. Je souligne que ce chiffre est en constante progression – il a augmenté de 6 % en 2019 –, ce qui traduit sans doute une meilleure information de nos concitoyens, même s'il reste encore beaucoup à faire en la matière.

Le recours à l'AJPP et au congé de présence parentale, qui permet à l'un des parents de réduire, voire de suspendre son activité professionnelle, pourrait se développer dans les années à venir grâce à la possibilité, consacrée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, de fractionner le CPP et de le rendre compatible avec une activité professionnelle à temps partiel.

Trop souvent, la dégradation de l'état de santé d'un enfant, qu'elle soit liée à un accident ou à une maladie, conduit l'un des parents, souvent la mère, à arrêter son activité professionnelle au bout de quelques semaines. L'objectif de cette mesure est donc de favoriser, autant que possible, le maintien de l'activité professionnelle et de préserver ainsi le niveau de vie des foyers concernés.

Je rappelle que l'AJPP s'élève à 52 euros pour une personne seule et à 44 euros pour une personne en couple et qu'elle ne peut être versée que sur vingt-deux jours par mois, ce qui correspond au nombre de jours ouvrés. Un bénéficiaire de l'AJPP reçoit donc, en moyenne, 780 euros par mois à ce titre. L'arrêt de l'activité professionnelle peut donc représenter un sacrifice financier non négligeable, en particulier pour les familles monoparentales.

J'en viens maintenant à l'objet de la présente proposition de loi, qui est d'allonger effectivement la durée du CPP et de l'AJPP.

Comme vous vous le rappelez sans doute, la proposition de loi de Nathalie Elimas visait à supprimer le plafond de 310 jours sur trois ans, afin que la durée du CPP et de l'AJPP corresponde à la durée du traitement de l'enfant. Cette rédaction n'a pas été retenue et le plafond de 310 jours sur trois ans a été maintenu. Un amendement du Gouvernement adopté en séance a toutefois permis d'élargir la possibilité de renouveler les droits au CPP et à l'AJPP, déjà prévue pour les cas de rechute ou de récidive de la maladie, aux cas où la gravité de la pathologie nécessite une présence parentale soutenue et des soins contraignants à l'issue de la période de trois ans suivant l'ouverture des droits.

Même si cette disposition représente un progrès sur le papier, elle n'est pas tout à fait en phase avec les réalités que connaissent les parents qui sont confrontés à une pathologie nécessitant un accompagnement soutenu de leur enfant. Pour le dire de manière claire, dans le cas des cancers pédiatriques – on en compte 2 500 chaque année en France –, au bout de deux ou trois ans de traitement, soit l'enfant est guéri, soit, hélas, il est décédé – dans 20 % des cas. Il n'est donc pas très utile d'accorder de nouveaux droits trois ans après le début de la maladie.

Aujourd'hui, le CPP et l'AJPP répondent à la majorité des besoins, puisque le taux de consommation moyen de l'AJPP est de 173 jours, soit un niveau nettement inférieur au plafond en vigueur. Néanmoins, 6 % de ses bénéficiaires, soit 600 personnes environ, utilisent entièrement leurs droits, ce qui laisse à penser que le dispositif n'est pas suffisant pour eux. Je vous propose donc d'apporter une réponse appropriée aux familles qui ont besoin de plus de 310 jours sur les trois premières années.

L'article unique de la proposition de loi introduit la possibilité de renouveler avant son terme la première période de trois ans lorsque le nombre maximal de jours de CPP et de versement de l'AJPP est atteint. Par conséquent, un parent ayant utilisé les 310 jours pourrait bénéficier de manière continue de deux fois plus de jours de CPP et d'AJPP pour poursuivre l'accompagnement de son enfant, soit un total de 620 jours.

Ce renouvellement se ferait bien entendu au titre de la même maladie, du même handicap ou du même accident, étant précisé qu'en cas de nouvelle pathologie, le droit actuel permet d'ores et déjà l'ouverture de nouveaux droits. Il serait subordonné, comme aujourd'hui, à la production d'un nouveau certificat médical établi par le médecin qui suit l'enfant, qui devra attester « le caractère indispensable, au regard du traitement de la pathologie ou du besoin d'accompagnement de l'enfant, de la poursuite des soins contraignants et d'une présence soutenue », et par un accord explicite du service du contrôle médical ou du régime spécial de sécurité sociale.

Dans la mesure où le CPP et l'AJPP peuvent être utilisés dans la limite de vingt-deux jours par mois, ce dispositif permettrait de faire passer de quatorze à vingt-huit mois la durée continue maximale du CPP et de l'AJPP à temps plein.

En tout état de cause, le coût de la proposition de loi ne devrait pas dépasser 5 millions d'euros par an, compte tenu du nombre potentiel de bénéficiaires, évalué à 600 personnes, et du montant moyen versé chaque mois au titre de l'AJPP – 780 euros. Cette dépense demeure relativement limitée au regard du coût annuel de l'AJPP, qui était de 94 millions en 2019.

En résumé, cette proposition de loi vise à compléter le dispositif existant, sans remettre en cause l'édifice législatif, pour répondre effectivement aux besoins des familles confrontées à des pathologies lourdes impliquant un accompagnement continu de leur enfant.

J'ai bien conscience que tout n'est pas encore parfait : les associations que j'ai auditionnées m'ont fait part d'autres difficultés rencontrées par les familles qui, par exemple, ne sont pas toujours bien informées de leurs droits ou ne reçoivent l'AJPP que tardivement, alors qu'elles en ont un besoin urgent. Ces questions, qui ne relèvent pas directement du domaine législatif, mais plutôt du domaine réglementaire, doivent néanmoins retenir toute notre attention, comme celle du Gouvernement. Je me réjouis d'ailleurs de la présence parmi nous du secrétaire d'État Adrien Taquet : c'est la preuve de l'attention qu'il porte à cette question.

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