Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la démocratisation de l'enseignement supérieur n'a toujours pas honoré sa promesse d'égalité des chances. Les stratégies de contournement, les orientations par défaut, la disparité des informations mais aussi une hiérarchisation non dite des formations renforcent les inégalités dès l'entrée dans l'enseignement supérieur. De plus en plus opaque, de moins en moins maîtrisé, la plate-forme APB n'a jamais pu inverser cette tendance. L'incroyable généralisation du tirage au sort auquel elle a abouti cette année a accéléré une réforme depuis longtemps nécessaire.
De manière opportune, ce texte porte surtout sur le premier cycle de l'enseignement supérieur, souvent présenté comme le parent pauvre du parcours licence-master-doctorat. Les trop nombreux échecs et les inquiétants décrochages que nous ne cessons de déplorer sont surtout ceux que subissent les étudiants inscrits dans le premier cycle universitaire. Loi après loi, plan après plan, année après année, les statistiques ne bougent pas : en 2014, à peine trois étudiants sur dix obtiennent leur licence en trois ans et guère plus de quatre sur dix en quatre ans. Par leur récurrence, ces chiffres suffisent à démontrer l'ampleur mais aussi l'urgence du défi à relever.
De même, il est temps que la divergence constante des résultats entre les filières générales, technologiques et professionnelles dépasse le stade des constats et des demi-mesures pour donner lieu à une politique universitaire assortie de moyens adaptés.
L'augmentation du nombre des étudiants est une chance pour un pays. Elle constitue aussi une exigence, qui demande à être anticipée pour ne plus subir la baisse tendancielle, depuis une décennie, du budget que la nation consacre à chacun de ses étudiants. Si la bonne marche de l'université ne se résume pas au niveau des moyens budgétaires et humains, cette question ne peut pas non plus être écartée d'un revers de la main.
Faute de capacités d'accueil suffisantes et de moyens supplémentaires pour les nouveaux dispositifs, les parcours à la carte, l'accompagnement personnalisé, l'orientation renforcée risqueront de se heurter, eux aussi, à une offre de formation déficitaire ou inadaptée aux profils des étudiants, au risque de voir se multiplier les filières sous tension, les « oui si » et, in fine, une généralisation de la sélection.
La situation de l'université de La Réunion est à cet égard éloquente. À moins de 20 %, le taux de réussite en trois ans se situe dix points en dessous de la moyenne nationale. Deux chiffres, qui se répètent d'année en année, suffisent à convaincre que ces échecs sont dus avant tout à un manque de places et, par suite, à une mauvaise orientation : quand ils doivent s'inscrire à l'université, seulement 1 % des bacheliers professionnels passent en deuxième année ; au contraire, quand ils peuvent s'inscrire en BTS, près de 70 % d'entre eux réussissent.
La création de places en BTS et en IUT n'a pas suivi l'augmentation du nombre de bacheliers technologiques et professionnels. Avec moins de dix filières, l'IUT de La Réunion est sous-dimensionné. De même, les quelque soixante formations de BTS sont totalement saturées. Depuis 2012, une centaine de places supplémentaires sont créées chaque année mais à peine la moitié des voeux numéro un sont satisfaits. L'université de La Réunion est devenue l'établissement qui, en France, accueille chaque année le plus de bacheliers professionnels.
La loi de 2013 prévoit certes un accès prioritaire des bacheliers professionnels et technologiques à ces formations créées à l'origine, faut-il le rappeler, à leur intention. Mais cette disposition a eu un effet très limité du fait des capacités d'accueil trop faibles dans ces filières. Pour les jeunes Réunionnais, la réussite dans l'enseignement supérieur passera nécessairement par la multiplication des places en BTS et en IUT. Du maritime à la biodiversité, de la transition énergétique à la révolution numérique, les domaines de spécialisation ne manquent pas ; les perspectives d'emploi non plus, y compris dans notre environnement régional.
Le texte se préoccupe aussi des conditions de vie des étudiants, d'abord en matière de santé à travers le rattachement au régime général de Sécurité sociale. Cette première mesure, qui doit améliorer l'accès aux soins des étudiants, en appelle d'autres, tant leur situation sanitaire s'est dégradée. Il y a ensuite la question du logement : elle se pose de manière d'autant plus aiguë à La Réunion que la moitié des étudiants sont boursiers et qu'avec moins de 1 500 chambres, le CROUS ne peut loger qu'une infime minorité d'entre eux.
Les conditions de recouvrement de la nouvelle contribution destinée à rénover la vie étudiante et à harmoniser l'accès aux activités culturelles et sportives amènent à s'interroger sur l'existence d'un mécanisme de compensation ou de péréquation pour tenir compte de l'exonération dont bénéficieront les étudiants boursiers.
Notre défi, chers collègues, est de créer les conditions pour démocratiser la réussite dans l'enseignement supérieur et atteindre enfin l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômée du supérieur. C'est dans ce mouvement de générosité que sera rétablie la confiance des étudiants, et plus généralement de la société, dans l'université.