Intervention de Thibault Bazin

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThibault Bazin, rapporteur :

Notre commission est donc appelée à se prononcer sur votre nomination, madame, à la tête de l'ANSM. C'est un moment important, étant donné le rôle essentiel que joue cette Agence. Je ne doute pas que vous pourrez répondre précisément aux questions que nous souhaitons vous poser.

Se substituant à l'AFSSAPS, l'Agence a été créée par la loi du 29 décembre 2011 à la suite de l'affaire dite du Mediator, l'un des plus grands scandales sanitaires que la France ait connus. L'objet principal de cette création était, comme l'Agence l'a elle-même rappelé dans un communiqué du 19 novembre 2019, « de renforcer la sécurité sanitaire afin qu'une telle affaire ne puisse se reproduire ». Alors que l'ANSM a annoncé le 9 novembre être mise en examen pour homicides involontaires dans l'affaire liée au médicament Dépakine, quelques mois seulement après sa comparution devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre de l'affaire du Mediator, je me dois de vous interroger à ce sujet.

Le valproate de sodium, molécule commercialisée depuis 1967 sous l'appellation Dépakine par le laboratoire Sanofi et sous d'autres appellations génériques, est prescrite aux personnes souffrant de troubles bipolaires. Mais cette molécule présente néanmoins un risque élevé de malformations du fœtus si elle est ingérée par une femme enceinte, et le nombre d'enfants nés handicapés parce que leur mère a été traitée par ce médicament est estimé entre 15 000 et 30 000 selon les études. Cette affaire m'amène à vous demander si la prévention des risques sanitaires a réellement progressé depuis le scandale du Mediator et la création de l'ANSM par la loi de 2011, texte à la rédaction duquel vous avez été pleinement associée ? Comment expliquer qu'en dépit des nombreuses prérogatives de l'Agence en termes d'évaluation, de surveillance et de contrôle des produits de santé, des patientes aient pu être largement exposées à ce traitement, bien que les risques soient largement documentés par des investigations conduites entre 1990 et 2015 ? Surtout, quelles mesures ont été prises pour garantir la sécurité des usagers du système de santé et éviter la répétition de ces scandales à l'avenir ?

J'en viens à la rupture de stocks de médicaments, objet de préoccupation croissante pour nos concitoyens. Selon le dernier rapport d'activité de l'ANSM, la hausse des signalements de risques et ruptures de stocks de médicaments a atteint un nouveau record en 2019, avec 1 509 signalements, un bond de 72 % par rapport à 2018. Le nombre de ruptures de stock de médicaments devrait par ailleurs connaître une évolution exponentielle en 2020, dans le contexte particulier de l'épidémie de covid-19. L'UFC-Que Choisir, reprenant vos chiffres, indique ainsi que 2 400 ruptures de médicaments devraient être constatées en 2020. La situation est d'autant plus alarmante que les pénuries concernent des médicaments dits « d'intérêt thérapeutique majeur » : une interruption de traitement peut mettre en danger le pronostic vital des patients. Dans ce contexte, quelles mesures préconisez-vous pour limiter autant que possible les ruptures de stocks ? En 2019, deux sanctions seulement ont été prononcées par l'ANSM pour rupture de stocks contre des laboratoires ; ne faut-il pas renforcer bien davantage les contraintes et les sanctions qui s'appliquent à eux ? La pandémie de covid-19 a par ailleurs créé de très fortes tensions pour les médicaments de la catégorie des curares et des hypnotiques, utilisés pour les soins de réanimation, dont la demande mondiale a très fortement augmenté, dans certains cas de 2 000 %. Comment éviter à l'avenir les pénuries de médicaments essentiels ? Ne faut-il pas développer nos capacités de production nationales ?

L'ANSM étant compétente pour délivrer les autorisations d'essais cliniques, pourriez-vous dresser l'état des lieux des médicaments faisant aujourd'hui l'objet d'essais dans le cadre de la recherche d'un traitement contre la covid-19 ? Certains peuvent-ils susciter un espoir légitime ? L'Agence a indiqué le 23 octobre avoir rejeté une demande de recommandation temporaire d'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le traitement de la covid-19, déposée en août par Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Cette décision a été largement contestée ; peut-on considérer que la liberté de prescription des médecins est véritablement respectée ?

Le Président de la République a annoncé la semaine dernière que de premiers vaccins contre la covid-19 seront disponibles dès la fin de l'année et pourraient être administrés fin décembre-début janvier. Ce calendrier vous paraît-il réaliste ? Quel sera précisément votre rôle, au regard de celui de l'Agence européenne des médicaments, dans la procédure de validation et de déploiement du vaccin ? Est-il possible de s'assurer de la sûreté de ce vaccin dans des délais si restreints ? Un sondage Ipsos conduit dans quinze pays au début du mois d'octobre place les Français au premier rang des populations réticentes à la vaccination contre la covid et indique qu'environ un Français sur deux envisage de ne pas se faire vacciner. Comment convaincre nos concitoyens du bien–fondé de la vaccination et surtout, renforcer leur confiance en ce nouveau produit ? Ils se posent en effet des questions légitimes sur les conditions d'évaluation de ce vaccin dans un délai si court.

Enfin, la démission de M. Dominique Martin est-elle liée aux enquêtes en cours ou à des conflits internes ? Envisagez-vous d'assurer la direction de l'Agence dans la continuité ou avec des changements ? On fait souvent le reproche à l'ANSM de son manque de transparence et d'autonomie. Vous avez dit souhaiter plus de transparence, mais considérez‑vous cet organisme suffisamment autonome quand il faut prendre des coups et sous tutelle ministérielle via la direction générale de la santé quand il faut en fixer le cap ? Peut-être en raison des événements ayant conduit à sa création, l'Agence est considérée comme focalisée sur le risque, ce qui entraîne des délais d'autorisation trop longs, entravant les essais cliniques ainsi que l'innovation ; pensez-vous améliorer cette situation ?

Au niveau européen, la France a moins de rapporteurs que les autres pays ; d'autres agences de sécurité sanitaire – l'agence allemande, et l'agence britannique avant le Brexit notamment – donnent le tempo. Comptez-vous redresser la barre pour permettre que l'ANSM devienne une agence leader ? Finalement, l'ANSM aura-t-elle une stratégie européenne ?

L'Agence étant aussi responsable des produits de santé, quelles relations envisagez‑vous avec l'Établissement français du sang ? Quels seront vos points de vigilance au sujet des dispositifs médicaux ? Enfin, j'ai été interpellé par des patients atteints de la maladie de Lyme qui considéraient qu'ils seraient mieux soignés en Allemagne ; c'est aussi l'opinion de femmes jeunes atteintes de certaines formes de cancer du sein pour lesquels la chimiothérapie a échoué et qui m'ont parlé de thérapie ciblées en Allemagne. Qu'en est-il ?

Je vous saurais gré, madame, de bien vouloir répondre à l'ensemble de ces interrogations. La précision de vos réponses sera évidemment déterminante pour le vote de notre commission.

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