COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 2 décembre 2020
La séance est ouverte à neuf heures.
La commission procède à l'audition, en application de l'article 29-1 du Règlement, de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, dont la nomination à la direction générale de l'Agence nationale du médicament et des produits de santé est envisagée.
Par courrier en date du 9 novembre dernier, M. le Premier ministre a fait savoir à M. le président de l'Assemblée nationale que, conformément à l'article L. 5322‑1 du code de la santé publique, la nomination de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM, est envisagée.
Nous sommes réunis pour émettre un avis public sur cette proposition, conformément aux dispositions de l'article 13 de la Constitution, et c'est une double première pour notre commission. D'abord parce que c'est seulement depuis l'adoption de la loi organique du 30 mars 2020 que cette procédure s'applique à la direction générale de l'ANSM. Ensuite, parce que, pour la première fois, les nouvelles dispositions de l'article 29‑1 du Règlement régissent cette procédure, en vertu de laquelle la commission doit désigner un rapporteur appartenant à un groupe d'opposition ou minoritaire. Le 18 novembre, nous avons nommé M. Thibault Bazin, que je remercie d'avoir préparé cette audition.
Je vous demanderai, madame, de vous présenter et de nous donner quelques orientations sur la manière dont vous envisagez les fonctions auxquelles vous aspirez, sachant que les commissaires ont déjà eu communication de votre curriculum vitæ et de votre déclaration publique d'intérêts. Ensuite, je donnerai la parole à notre rapporteur, auquel vous répondrez, puis aux orateurs des groupes et aux autres commissaires qui souhaitent vous interroger, et nous conclurons par vos réponses à toutes ces questions. Mme Ratignier‑Carbonneil devant se présenter devant la commission des affaires sociales du Sénat en fin de matinée, j'appelle chacun à la concision.
Une fois l'audition terminée, nous passerons au vote par scrutin secret sur cette proposition de nomination, hors la présence de Mme Ratignier-Carbonneil ; je rappelle que l'article 13 de l'instruction générale du bureau dispose que « les délégations du droit de vote ne peuvent avoir effet pour un scrutin secret ». Nous ne procéderons au dépouillement des bulletins que lorsque la commission compétente du Sénat aura procédé à son propre vote, sans doute peu après midi. Comme vous le savez, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
C'est un honneur pour moi d'être reçue par votre commission dans le cadre de la procédure de recrutement du futur directeur général de l'ANSM. Cette audition par le Parlement a pour moi une valeur hautement symbolique puisqu'elle prend sa source dans la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dont les principes visent à garantir la pleine inscription de cet établissement d'expertise, qui prend quotidiennement de très nombreuses décisions indispensables au bon fonctionnement démocratique, dans son environnement politique et social. L'expertise doit pouvoir être contrôlée par les citoyens, et au premier chef par leurs représentants. J'aborde donc cette audition parfaitement consciente de la responsabilité qui pèsera sur les épaules de la future directrice générale de l'ANSM tant pour ce qui est de la gestion de l'Agence que pour sa capacité à rendre compte de son action régulièrement et en tant que de besoin.
Depuis près de vingt ans, mon parcours professionnel, uniquement consacré au service public et à la santé, témoigne de mon profond attachement aux questions de sécurité sanitaire et de santé publique. Docteur ès sciences en immuno-hématologie, je suis chercheur et grâce à ma première expérience au sein du laboratoire de recherches du professeur Kasatchkine dans le domaine des xénogreffes, je dispose d'une expertise clinique scientifique approfondie. En 2002, j'ai rejoint l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ultérieurement devenue l'ANSM, où j'ai exercé jusqu'en 2010 plusieurs fonctions liées à l'évaluation clinique des médicaments. Ces huit années m'ont permis d'acquérir une solide connaissance de l'organisation sanitaire des produits de santé française mais aussi européenne en raison de mes différents mandats au sein de l'Agence européenne des médicaments (AEM). Les questions de vigilance et de sécurité sanitaire ont été pendant toutes ces années au cœur de mes fonctions, qui alliaient expertise et management d'équipes pluriprofessionnelles.
À partir de novembre 2010, par mes fonctions auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, j'ai activement contribué à la création du fonds d'indemnisation des victimes du Mediator et à la réforme du système de sécurité sanitaire des produits de santé, avec la rédaction de la loi du 29 décembre 2011 qui a notamment donné naissance à l'ANSM en mai 2012. Ce texte est fondé sur les nombreux travaux réalisés par les commissions parlementaires et ceux qui ont eu pour cadre les Assises du médicament et des produits de santé. De ces deux années d'intense activité, je garde le souvenir d'un travail en concertation constante avec toutes les parties prenantes – professionnels de santé, usagers, parlementaires – tant lors de la gestion des crises sanitaires du Mediator et des implants mammaires PIP que pour l'élaboration et le pilotage de politique publique.
En mai 2012, j'intègre la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) pour prendre la direction du département des produits de santé, qui se consacre aussi aux relations conventionnelles avec les professionnels de la pharmacie, de la biologie et des dispositifs médicaux.
Depuis décembre 2016, j'ai le privilège d'assurer les fonctions de directrice générale adjointe de l'ANSM auprès de Dominique Martin. L'Agence est chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques des produits à finalité sanitaire et des produits à finalité cosmétique sur les plan national et européen. C'est dans cette logique assumée que je souhaite pouvoir mobiliser mes compétences et mon expérience au service de la dynamique engagée par l'ANSM et ses collaborateurs, en guidant et en accompagnement cet établissement public de référence pour assurer aux patients la mise à disposition, tout au long de leur vie, de produits de santé sûrs et efficaces, et un accès rapide et encadré aux innovations thérapeutiques.
J'en viens à ma perception des grands enjeux inscrits dans le contrat d'objectifs et de performance (COP). Il est primordial pour l'ANSM et ses partenaires d'évoluer dans l'environnement le plus assuré possible. La connaissance approfondie des enjeux tant en interne qu'en externe, et les capacités d'anticipation et de mobilisation des acteurs constituent des atouts indéniables pour développer les axes stratégiques de l'Agence, dont le premier est la stratégie d'ouverture qui, pour répondre aux attentes de la société, doit être accentuée dans chacune des activités assurées par les quelque 930 collaborateurs de l'ANSM. Cet engagement quotidien requiert l'implication et la mobilisation de chaque agent et, évidemment, de la direction générale. Il nous faut mieux faire comprendre les processus de décision afin de renforcer leur légitimité, en associant encore plus étroitement les parties prenantes à la conception de réponses efficaces et surtout compréhensibles, acceptables et pragmatiques. Aujourd'hui, dans tous nos comités scientifiques permanents, les usagers sont présents et nous menons des auditions publiques pour emmener l'ensemble des parties prenantes. Dans le même objectif de transparence, il est tout aussi important de publier, dans le respect des exigences légales, les données disponibles relatives aux produits de santé et aux processus suivis par l'Agence.
Cette démarche d'ouverture s'articule étroitement avec la politique de communication et d'information de l'Agence et la diffusion de la culture de gestion du risque. Cette approche doit centrer toutes les actions et toutes les décisions de l'ANSM sur la sécurité des patients qui utilisent des produits de santé, et non pas seulement sur la sécurité des produits eux-mêmes. La prise en compte de la pluralité des expertises, en particulier le savoir expérientiel du patient, est d'une importance cruciale.
Il est essentiel de mobiliser les conditions nécessaires à l'adhésion pérenne des collaborateurs de l'Agence pour une imprégnation progressive et durable de la culture de la gestion du risque dans toutes les activités de l'Agence. Elles sont multiples : assurer une gestion prédictive du risque prenant en compte toutes les caractéristiques associées aux produits de santé et les composantes de l'environnement ; mieux anticiper des situations à risque élevé qui font l'objet d'une gestion renforcée ; renforcer la couverture des besoins sanitaires des patients sur les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ou des dispositifs médicaux sensibles ; assurer la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et renforcer la prévention du risque de mésusage.
Par ailleurs, l'ANSM est un maillon essentiel dans l'accompagnement, le développement et la mise à disposition facilitée de produits de santé innovants dans des conditions assurant la sécurité des patients. Les attentes de traitements nouveaux ou plus efficaces sont considérables. L'accompagnement de l'innovation se fait très largement dans le cadre de procédures européennes, qu'il s'agisse de l'élaboration des avis scientifiques préalables à la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM), des autorisations d'essais cliniques ou des AMM et de leur surveillance. Il est indispensable de renforcer et de pérenniser le positionnement européen de l'ANSM pour l'accès précoce et sûr à l'innovation. Il nous faut améliorer encore les délais d'autorisation d'essais cliniques et déployer le « guichet innovation », structure permettant de recevoir toutes les demandes des industriels et des parties prenantes.
L'ANSM, service public, s'organise bien sûr pour répondre à ses missions essentielles dans le contexte de la pandémie de SARS-CoV-2. L'Agence devra faire preuve d'agilité pour accélérer la mise au point, l'AMM et la disponibilité des vaccins dans le respect des normes de qualité, d'innocuité et d'efficacité. Développés à une vitesse sans précédent, les vaccins ne seront autorisés que s'ils sont sûrs, efficaces et de bonne qualité. Comme pour tous les médicaments, il est essentiel que l'innocuité et l'efficacité de tous les vaccins contre le covid soient étroitement surveillées après l'autorisation de mise sur le marché. La stratégie de mise à disposition en France d'un ou de plusieurs vaccins sera proposée par la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé selon des modalités qui seront définies par la tutelle. L'ANSM mettra en place un mécanisme de surveillance renforcée transparent, impliquant et informant les parties prenantes.
L'Agence s'attachera aussi à renforcer l'anticipation et la prévention des tensions ou des ruptures d'approvisionnement en médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, dans le cadre des nouvelles mesures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 et, plus largement, de la feuille de route ministérielle à ce sujet. C'est un enjeu majeur pour la prise en charge des patients et l'organisation des soins.
L'ANSM devra également mettre en œuvre l'expérimentation sur le cannabis à usage médical, qui marque la volonté d'ouverture de l'Agence dans une démarche de gestion de risques. L'expérimentation aura pour premier objectif d'évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients, c'est-à-dire la prescription par les médecins, la délivrance par les pharmaciens, l'approvisionnement en produits et le suivi des patients. Le deuxième objectif sera de recueillir les premières données françaises sur l'efficacité et la sécurité de l'utilisation du cannabis dans un cadre médical.
Enfin, pour s'adapter au mieux au contexte exceptionnel de la pandémie, l'Agence poursuivra le déploiement du télétravail pour toutes les équipes, conformément aux orientations voulues par l'État dans l'optique de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie au travail des agents publics.
Je conclurai en soulignant l'ampleur de l'évolution de l'ANSM au cours des deux mandats de Dominique Martin, auprès duquel j'ai eu la chance d'œuvrer en qualité de directrice générale adjointe pendant ces quatre dernières années. Si l'opportunité m'est donnée de guider et d'accompagner les collaborateurs de l'Agence, je m'emploierai à chaque instant à faire que l'ANSM soit à l'écoute des attentes de ses usagers, à ce qu'elle soit agile et résolument en prise avec son temps, comme doit l'être une Agence au service de la sécurité de tous les patients qui utilisent des produits de santé.
Notre commission est donc appelée à se prononcer sur votre nomination, madame, à la tête de l'ANSM. C'est un moment important, étant donné le rôle essentiel que joue cette Agence. Je ne doute pas que vous pourrez répondre précisément aux questions que nous souhaitons vous poser.
Se substituant à l'AFSSAPS, l'Agence a été créée par la loi du 29 décembre 2011 à la suite de l'affaire dite du Mediator, l'un des plus grands scandales sanitaires que la France ait connus. L'objet principal de cette création était, comme l'Agence l'a elle-même rappelé dans un communiqué du 19 novembre 2019, « de renforcer la sécurité sanitaire afin qu'une telle affaire ne puisse se reproduire ». Alors que l'ANSM a annoncé le 9 novembre être mise en examen pour homicides involontaires dans l'affaire liée au médicament Dépakine, quelques mois seulement après sa comparution devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre de l'affaire du Mediator, je me dois de vous interroger à ce sujet.
Le valproate de sodium, molécule commercialisée depuis 1967 sous l'appellation Dépakine par le laboratoire Sanofi et sous d'autres appellations génériques, est prescrite aux personnes souffrant de troubles bipolaires. Mais cette molécule présente néanmoins un risque élevé de malformations du fœtus si elle est ingérée par une femme enceinte, et le nombre d'enfants nés handicapés parce que leur mère a été traitée par ce médicament est estimé entre 15 000 et 30 000 selon les études. Cette affaire m'amène à vous demander si la prévention des risques sanitaires a réellement progressé depuis le scandale du Mediator et la création de l'ANSM par la loi de 2011, texte à la rédaction duquel vous avez été pleinement associée ? Comment expliquer qu'en dépit des nombreuses prérogatives de l'Agence en termes d'évaluation, de surveillance et de contrôle des produits de santé, des patientes aient pu être largement exposées à ce traitement, bien que les risques soient largement documentés par des investigations conduites entre 1990 et 2015 ? Surtout, quelles mesures ont été prises pour garantir la sécurité des usagers du système de santé et éviter la répétition de ces scandales à l'avenir ?
J'en viens à la rupture de stocks de médicaments, objet de préoccupation croissante pour nos concitoyens. Selon le dernier rapport d'activité de l'ANSM, la hausse des signalements de risques et ruptures de stocks de médicaments a atteint un nouveau record en 2019, avec 1 509 signalements, un bond de 72 % par rapport à 2018. Le nombre de ruptures de stock de médicaments devrait par ailleurs connaître une évolution exponentielle en 2020, dans le contexte particulier de l'épidémie de covid-19. L'UFC-Que Choisir, reprenant vos chiffres, indique ainsi que 2 400 ruptures de médicaments devraient être constatées en 2020. La situation est d'autant plus alarmante que les pénuries concernent des médicaments dits « d'intérêt thérapeutique majeur » : une interruption de traitement peut mettre en danger le pronostic vital des patients. Dans ce contexte, quelles mesures préconisez-vous pour limiter autant que possible les ruptures de stocks ? En 2019, deux sanctions seulement ont été prononcées par l'ANSM pour rupture de stocks contre des laboratoires ; ne faut-il pas renforcer bien davantage les contraintes et les sanctions qui s'appliquent à eux ? La pandémie de covid-19 a par ailleurs créé de très fortes tensions pour les médicaments de la catégorie des curares et des hypnotiques, utilisés pour les soins de réanimation, dont la demande mondiale a très fortement augmenté, dans certains cas de 2 000 %. Comment éviter à l'avenir les pénuries de médicaments essentiels ? Ne faut-il pas développer nos capacités de production nationales ?
L'ANSM étant compétente pour délivrer les autorisations d'essais cliniques, pourriez-vous dresser l'état des lieux des médicaments faisant aujourd'hui l'objet d'essais dans le cadre de la recherche d'un traitement contre la covid-19 ? Certains peuvent-ils susciter un espoir légitime ? L'Agence a indiqué le 23 octobre avoir rejeté une demande de recommandation temporaire d'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le traitement de la covid-19, déposée en août par Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Cette décision a été largement contestée ; peut-on considérer que la liberté de prescription des médecins est véritablement respectée ?
Le Président de la République a annoncé la semaine dernière que de premiers vaccins contre la covid-19 seront disponibles dès la fin de l'année et pourraient être administrés fin décembre-début janvier. Ce calendrier vous paraît-il réaliste ? Quel sera précisément votre rôle, au regard de celui de l'Agence européenne des médicaments, dans la procédure de validation et de déploiement du vaccin ? Est-il possible de s'assurer de la sûreté de ce vaccin dans des délais si restreints ? Un sondage Ipsos conduit dans quinze pays au début du mois d'octobre place les Français au premier rang des populations réticentes à la vaccination contre la covid et indique qu'environ un Français sur deux envisage de ne pas se faire vacciner. Comment convaincre nos concitoyens du bien–fondé de la vaccination et surtout, renforcer leur confiance en ce nouveau produit ? Ils se posent en effet des questions légitimes sur les conditions d'évaluation de ce vaccin dans un délai si court.
Enfin, la démission de M. Dominique Martin est-elle liée aux enquêtes en cours ou à des conflits internes ? Envisagez-vous d'assurer la direction de l'Agence dans la continuité ou avec des changements ? On fait souvent le reproche à l'ANSM de son manque de transparence et d'autonomie. Vous avez dit souhaiter plus de transparence, mais considérez‑vous cet organisme suffisamment autonome quand il faut prendre des coups et sous tutelle ministérielle via la direction générale de la santé quand il faut en fixer le cap ? Peut-être en raison des événements ayant conduit à sa création, l'Agence est considérée comme focalisée sur le risque, ce qui entraîne des délais d'autorisation trop longs, entravant les essais cliniques ainsi que l'innovation ; pensez-vous améliorer cette situation ?
Au niveau européen, la France a moins de rapporteurs que les autres pays ; d'autres agences de sécurité sanitaire – l'agence allemande, et l'agence britannique avant le Brexit notamment – donnent le tempo. Comptez-vous redresser la barre pour permettre que l'ANSM devienne une agence leader ? Finalement, l'ANSM aura-t-elle une stratégie européenne ?
L'Agence étant aussi responsable des produits de santé, quelles relations envisagez‑vous avec l'Établissement français du sang ? Quels seront vos points de vigilance au sujet des dispositifs médicaux ? Enfin, j'ai été interpellé par des patients atteints de la maladie de Lyme qui considéraient qu'ils seraient mieux soignés en Allemagne ; c'est aussi l'opinion de femmes jeunes atteintes de certaines formes de cancer du sein pour lesquels la chimiothérapie a échoué et qui m'ont parlé de thérapie ciblées en Allemagne. Qu'en est-il ?
Je vous saurais gré, madame, de bien vouloir répondre à l'ensemble de ces interrogations. La précision de vos réponses sera évidemment déterminante pour le vote de notre commission.
Au sujet de la Dépakine, l'ANSM travaille depuis des années à limiter l'exposition au valproate des femmes en âge d'avoir des enfants et des femmes enceintes. Depuis 2010 et plus encore depuis 2012, les prescriptions sont particulièrement encadrées. Des protocoles de soin stricts ont été définis : la première prescription ne peut être faite que par un spécialiste pour que l'information des femmes en âge de procréer sur cette molécule soit complète, et un pictogramme explicite a été ajouté sur les boîtes de médicaments. Je comprends évidemment la souffrance des patients et de leurs familles. Lorsqu'il a été autorisé, il y a de nombreuses années, le valproate a révolutionné la prise en charge des patients épileptiques ; mais, comme pour tout médicament, il y a des bénéfices et des risques. Les risques induits par cette molécule sont connus ; l'important est la transmission de l'information sur ses effets possibles et dans le cadre du colloque singulier entre médecin et patiente, et directement après des patients. À cet égard, les choses ont beaucoup évolué depuis plusieurs années. L'information directe des patients, qui n'était pas nécessairement la perspective envisagée l'est désormais. C'est tout le sens de l'ouverture que je souhaite poursuivre en assurant l'implication et la présence des usagers dans les enceintes de réflexion de l'Agence pour aboutir à une co-construction des messages visant à informer et alerter les patients. De quelque 1 500 femmes enceintes traitées au valproate en 2010, on est passé à un peu plus de 200 par an maintenant. C'est dire que le travail d'information et d'implication des professionnels de santé et des patients permet d'agir. Les relations que nous entretenons avec l'Association des parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant font aussi comprendre l'importance du dialogue entre médecin et patiente.
Les déclarations de tensions et de ruptures d'approvisionnement en médicaments sont d'autant plus préoccupantes qu'elles augmentent très fortement. Leur nombre est passé de quelques centaines il y a quelques années à 1 500 en 2019 et pourrait aller jusqu'à doubler en 2020. Heureusement, une déclaration n'équivaut pas à une rupture d'approvisionnement : les industriels nous signalent le risque de tension ou de rupture. Nous souhaitons qu'ils le fassent le plus précocement possible pour nous permettre de réagir avec toutes les parties prenantes, ce qui est pratiquement impossible si la déclaration n'intervient que deux ou trois jours avant la rupture : il est alors extrêmement compliqué de trouver des alternatives, d'importer ou de faire évoluer les protocoles thérapeutiques.
Pour limiter les ruptures d'approvisionnement, nous disposons de deux outils, la prévention et la sanction. La prévention a fait l'objet du rapport relatif à la réduction de la pénurie de médicaments essentiels remis par Jacques Biot au Premier ministre, dans lequel il évoque la relocalisation possiblement en Europe de certaines chaînes de production. Il restera à gérer les tensions et les ruptures d'approvisionnement, inévitables quoi qu'il en soit car un incident de fabrication peut se produire. Des moyens sont mobilisés, notamment au niveau de l'Agence, pour tenter de réduire ce risque et de diminuer l'impact de ces tensions sur les patients et sur l'organisation des soins, comme le prévoient la LFSS 2020 et les décrets en cours de rédaction. D'autre part, l'Agence peut prononcer des sanctions financières à l'encontre des laboratoires pharmaceutiques qui ne respectent pas la loi et la réglementation ; elle l'a fait deux fois en 2019. La LFSS 2020 a élargi le périmètre des sanctions possibles, que nous utiliserons évidemment en tant que de besoin.
Comme vous l'avez indiqué, la pandémie a entraîné l'explosion des besoins en médicaments de réanimation. Même si nous avions eu une production nationale nous n'aurions pu faire face à la demande, en raison de la durée des hospitalisations et des fortes posologies nécessaires, beaucoup des malades infectés par le SARS-CoV-2 ayant un indice de masse corporelle élevé. L'agilité de tous nous a permis de réguler l'approvisionnement des cinq médicaments de réanimation au niveau national, après que tous les stocks disponibles en France ont été achetés par l'État et que nous avons aussi acheté de ces médicaments en très grande quantité à l'étranger. Avec Santé publique France et le ministère des solidarités et de la santé, l'ANSM a été très mobilisée pour approvisionner chaque établissement de santé en produits nécessaires en fonction des besoins ; les stocks des hôpitaux des régions où les patients hospitalisés en réanimation étaient moins nombreux ont été dirigés vers les établissements demandeurs. Nos équipes continuent de suivre l'état des stocks, les approvisionnements et la consommation de ces produits à un rythme hebdomadaire, en relation étroite avec les industriels, pour s'assurer de l'indispensable couverture des besoins et du maintien du stock stratégique – qui permet de garantir le traitement de 29 000 patients en réanimation selon la consommation actuelle.
Au sujet de la covid-19 toujours, une centaine de demandes d'autorisations d'essais cliniques nous ont été soumises en un temps très court ; il s'agissait pour 85 % de demandes d'autorisations d'essais cliniques universitaires, et non industrielles, ce qui témoigne de la très forte mobilisation des cliniciens sur le territoire national. Presque un quart de ces demandes concernaient l'hydroxychloroquine ; d'autres portaient sur différents antiviraux, puis sur des immuno-modulateurs à mesure que dans cette situation réellement extra-ordinaire la communauté scientifique acquérait des connaissances supplémentaires sur le SARS-CoV-2.
On en sait aujourd'hui un petit peu plus sur cette affection, mais malheureusement pas tout. Le Haut Conseil de la santé publique actualise régulièrement les recommandations relatives à la prise en charge thérapeutique des patients. La dexaméthasone et plus généralement les corticoïdes réduisent la durée de la phase inflammatoire chez les patients hospitalisés avec une forme sévère de la maladie. On privilégie désormais l'oxygénation à haut débit plutôt que l'invasive ventilation mécanique. Des essais cliniques sont toujours en cours sur des immuno-modulateurs, seuls ou en cocktail, et sur des plasmas thérapeutiques.
L'Agence, parce qu'elle a pour double mission de garantir la sécurité des patients exposés aux produits de santé et de permettre leur accès à l'innovation thérapeutique, est sur une ligne de crête. Nous souhaitons favoriser l'accès précoce aux nouvelles molécules, mais de la manière la plus sécurisée possible en fonction des connaissances de l'heure ; chacun comprendra que plus l'accès est précoce, moins étoffées sont les connaissances scientifiques et plus élevée la part d'incertitude. Le délai réglementaire général d'autorisation d'un essai clinique est fixé au niveau européen à soixante jours ; l'ANSM, qui a beaucoup progressé en ce domaine et continuera de le faire, en est aujourd'hui à quarante-deux ou quarante-trois jours hors temps covid, ce qui est très compétitif. Pour la covid-19, notamment au début de la première vague, nous délivrions les autorisations d'essais cliniques en quelques jours, sans, évidemment, que cela se fasse au détriment de la sécurité mais grâce à une organisation visant à rassembler l'ensemble des compétences pour permettre l'évaluation de ces demandes en priorité. Les comités de protection des personnes, chargés d'émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine, ont fait preuve de la même diligence. Je souhaite renforcer cette adaptabilité permanente à l'environnement tant pour nos procédures réglementaires que pour nos procédures d'évaluation, avec le même dogme : garantir la sécurité et l'accès précoce à l'innovation.
La demande de recommandation temporaire d'utilisation de l'hydroxychloroquine faite par l'IHU Méditerranée Infection était légitime. Pour dire les choses clairement, l'hydroxychloroquine n'est pas un sujet tabou à l'ANSM. L'Agence évalue et les demandes d'autorisation d'essais cliniques et les demandes de recommandation temporaire d'utilisation selon les critères scientifiques classiques de l'évaluation. Pour toute demande de recommandation temporaire d'utilisation, l'Agence se livre à l'analyse approfondie de toute la littérature nationale et internationale disponible. L'ayant fait pour la demande de l'IHU, nous n'avons pas pu mettre en évidence de présomption d'efficacité, ni donc un rapport bénéfice-risque positif, quels que soient les stades de la maladie. Bien entendu, cette évaluation est à date : nous poursuivons une veille prospective sur l'ensemble des données, quelles que soient les molécules et, en fonction de la littérature, l'évaluation peut être révisée.
J'en viens, au sujet de la vaccination contre la covid-19, à l'articulation entre l'ANSM et l'Agence européenne des médicaments (AEM). Comme pour tout produit biologique et tout produit à effet thérapeutique innovant, la seule manière d'obtenir l'AMM d'un vaccin au sein de l'Union européenne est de passer par la procédure centralisée par l'AEM. Un avis de l'AEM, qu'il soit positif ou négatif, s'impose à l'ensemble des États membres de l'Union. Ne siégeant plus à l'AEM, le Royaume-Uni, qui a autorisé ce matin la mise sur le marché du vaccin Pfizer-BioNTech, n'est plus concerné par l'évaluation centralisée. Celle-ci rassemble tous les États membres ; des rapporteurs et des co‑rapporteurs sont désignés et l'ANSM est particulièrement impliquée dans l'évaluation de ces vaccins. Je l'ai indiqué, l'évaluation se fait de manière accélérée, mais évidemment pas au détriment de la sécurité. À cette fin, comme cela fut déjà le cas lors d'autres urgences sanitaires, a été instituée une évaluation continue – rolling review – : les industriels déposent les données relatives à la qualité, la pré-clinique ou la clinique auprès de l'AEM au fil de l'eau et non en bloc. Cette manière de faire contracte la durée d'évaluation au maximum pour répondre à l'urgence sanitaire.
L'ANSM est partie prenante de cette évaluation, des essais cliniques, des demandes d'autorisation d'essais cliniques sur le territoire national et, surtout, de la surveillance. L'évaluation ayant lieu en un temps contracté, un dispositif de surveillance renforcée est nécessaire. Il repose sur deux piliers. Le premier est la pharmacovigilance – le suivi des effets indésirables potentiels, avec des déclarations spontanées facilitées pour les personnes vaccinées – assortie de transparence et d'informations. Comme elle le fait au sujet des effets indésirables déclarés dans le cadre de l'utilisation des médicaments visant à soigner l'infection par la covid-19, l'Agence publiera un bulletin hebdomadaire relatifs aux effets secondaire potentiels des vaccins, dans une transparence totale, avec des évaluations régulières et l'implication de toutes les parties prenantes au sein de nos comités, pour co-construire ces dispositifs.
Le second pilier du dispositif de surveillance, c'est la pharmaco-épidémiologie, d'une puissance exceptionnelle puisque le système national des données de santé (SNDS) nous permettra de suivre de manière exhaustive toutes les personnes vaccinées et de mesurer ainsi leur consommation de soins, de médicaments et les hospitalisations éventuelles.
Nous avons une stratégie européenne tangible. D'une part, nous sommes au troisième ou au quatrième rang des dix pays qui, au sein de l'AEM, dépêchent des rapporteurs pour évaluer des produits ; nous sommes revenus dans la course et nous allons encore progresser sur ce plan ; c'est le deuxième axe stratégique de notre COP. D'autre part, l'innovation thérapeutique passant obligatoirement par l'Europe, nous devons, si nous voulons peser pour disposer de ces produits au niveau national et les encadrer de manière adéquate, être présents à ce sujet au niveau de l'AEM. De fait, nous sommes très présents, pour les avis scientifiques, dans le domaine de l'oncologie – grand pourvoyeur d'innovations thérapeutiques –, le domaine anti-infectieux et la neurologie. En résumé, nous sommes dans la course et nous allons évidemment continuer de gravir les marches. Pour les autorisations d'essais cliniques, qu'il s'agisse de médicaments, de dispositifs médicaux, de dispositifs de diagnostic in vitro ou de tests, nos délais sont désormais inférieurs à ce qu'impose la réglementation européenne.
Les thérapies ciblées, comme les autres médicaments, disposent obligatoirement d'une autorisation européenne de mise sur le marché uniforme : si elles existent en Allemagne, elles existent aussi en France. Ensuite, leur prise en charge est spécifique à chaque État. En France, ce volet ressortit du champ de compétence de la Haute Autorité de santé et du Comité économique des produits de santé.
Je vous remercie. Un volet du plan France Relance est consacré à la bioproduction et aux biotechnologies. Comment ferez-vous participer l'ANSM à ces actions déterminantes pour notre souveraineté sanitaire ?
Je vous remercie, madame, pour la qualité de votre présentation. Le groupe La République en Marche salue votre parcours et l'action de l'Agence, à l'écoute de ses personnels pour beaucoup en télétravail et qui poursuit sa révolution transversale dans l'esprit du plan Santé 2022. Étant donné les défis de l'époque, les missions de l'ANSM prennent une dimension singulière. Face à l'inquiétude de nos concitoyens, à la défiance à l'égard des scientifiques et à la montée du complotisme, l'Agence a toujours éclairé le débat public quand certains mettent en doute une politique de santé publique responsable et solidaire. Sa politique volontariste épousant la transition numérique vers l' open data renforce sa qualité d'acteur essentiel d'un système de santé qu'il faut centrer sur les patients et les professionnels de santé. « L'exigence de transparence est éthique et démocratique avant d'être stratégique sur le plan économique » a souligné le Comité consultatif national d'éthique dans l'avis qu'il a rendu sur l'accès aux innovations thérapeutiques. Cette exigence est l'un des axes principaux du COP de l'Agence.
Dans un contexte de mondialisation, de nécessaire souveraineté sanitaire et d'exigence éthique et démocratique, quelle vision avez-vous de l'évolution du rôle de l'ANSM, qu'il s'agisse de la coopération européenne, de la gestion des stocks de médicaments pour éviter les ruptures d'approvisionnement, de ses relations avec ses partenaires, de son poids dans le débat public ? Pour donner suite à l'article 43 de la LFSS 2020, quel sera le calendrier de mise en œuvre de l'usage médical du cannabis ? Enfin, quel rôle joue l'Agence dans la stratégie vaccinale face à la covid-19, qui suppose l'acceptabilité sociale ?
Le groupe Les Républicains considère que la campagne de vaccination doit être rapide et massive, mais l'urgence ne doit pas faire oublier la transparence des données. Des informations claires, accessibles à tous et fiables doivent être données afin qu'un maximum de nos concitoyens se fassent vacciner ; comment l'assurerez-vous ?
En 2017, à la demande de l'ANSM, la composition du Lévothyrox a été modifiée pour supprimer certains effets secondaires. La nouvelle formule est loin de convenir à tous les patients, mais l'ancienne version ne sera plus disponible en 2021, si bien que nombre d'entre eux devront se la procurer hors nos frontières. Comment répondrez-vous aux milliers de personnes qui demandent à continuer de se voir délivrer l'ancienne formule du médicament ? Le cas échéant, quelle alternative leur proposerez-vous ? Qu'en sera-t-il du remboursement par l'assurance maladie si les patients sont contraints de se fournir à l'étranger ?
Je prends la parole au nom du groupe du Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés.
Pour qu'une campagne vaccinale réussisse, la logistique doit suivre – c'est un député qui a fait partie de la commission d'enquête parlementaire sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) qui le dit. Comment assurera-t-on la logistique locale ? Comment garantira-t-on que les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ne doivent pas parcourir 50 kilomètres pour être vaccinés ? Associera-t-on bien toutes les forces vives à cet effort ?
En matière de pharmacovigilance, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ces dernières années ? On répond plus vite aux demandes d'essais cliniques, avez-vous dit, mais en ce cas, on doit être d'autant plus exigeant sur les contrôles et sur ce point, vous m'accorderez que la transparence fait parfois défaut et que, quoi que dise la littérature, tous les croisements utiles ne se font pas toujours – on a vu ce qui s'est passé pour l'hydroxychloroquine. Allez-vous, oui ou non, définir des procédures renforcées ?
Les AMM pour les vaccins passent par l'AEM et c'est bien. Mais comment comprendre que les stratégies vaccinales seront différentes, avec des produits différents et des vaccins en concurrence en dépit de la continuité géographique de nos pays ? Enfin, alors que moins d'un Français sur deux se dit convaincu qu'il faut se faire vacciner, une transparence absolue sur les conséquences éventuelles de la vaccination me paraît essentielle si l'on veut que la campagne vaccinale réussisse
Le groupe Agir ensemble s'inquiète que les ruptures d'approvisionnement en médicaments se multiplient sans que l'on ait trouvé de solutions à cela. Mme Agnès Buzyn avait lancé un groupe de travail à ce sujet ; à quelles conclusions est‑il parvenu ? Pour l'instant, la seule mesure prise est celle que nous avons votée : un stock tampon qui ne produit aucun effet puisque le nombre de médicaments en rupture de stock ne cesse d'augmenter et que les perspectives ne sont pas réjouissantes.
Ensuite, puisque la campagne de vaccination se fera en plusieurs phases, je plaide comme mon collègue Philippe Vigier en faveur d'une transparence en temps réel sur les effets du futur vaccin si l'on veut que convaincre nos concitoyens de se faire vacciner. Nous devrons accomplir collectivement un travail de fond pour convaincre la moitié de nos concitoyens qu'il est important de se faire vacciner.
Enfin, je juge très optimistes vos propos sur la rapidité à laquelle les AMM de molécules thérapeutiques innovantes seraient délivrées. Étant donné le nombre d'entreprises qui ne veulent plus s'installer en France parce que nous ne sommes pas en mesure de leur accorder assez vite les AMM pour les produits innovants, je ne partage pas du tout cet optimisme. C'est un grave sujet, car il est lié à notre souveraineté sanitaire. Nous avons déjà perdu, pour cette raison parmi d'autres, beaucoup d'entreprises qui souhaitaient s'installer en France chez nous et qui ne le font pas. Il serait bon de progresser sur ce plan.
Je m'exprime au nom du groupe UDI et Indépendants.
Le Président de la République a annoncé le 24 novembre que la campagne de vaccination pourrait débuter fin décembre ou début janvier pour les publics les plus fragiles et indiqué hier que la campagne vaccinale du grand public aura lieu d'avril à juin. Ce calendrier est très court. Alors même que les laboratoires doivent encore remettre leurs dossiers d'évaluation et obtenir la validation de l'AEM, cette rapidité est perçue par une partie de nos compatriotes comme une précipitation qui alimente la défiance envers les vaccins. Un sondage Ipsos paru au début du mois de novembre montre que les Français sont, des quinze populations sondées, les plus réticents à se faire vacciner. La plus grande crainte évoquée est la vitesse à laquelle les essais cliniques ont été faits ; on note d'ailleurs que l'Institut Pasteur assume le fait que son candidat vaccin ne verra pas le jour avant l'année prochaine. Pour combattre la covid-19, la campagne vaccinale qui s'annonce doit être un succès, et pour cela il faut susciter la confiance. L'ANSM a un rôle fondamental à jouer en cette matière ; comment comptez-vous agir pour inciter nos compatriotes à se faire vacciner ?
Les ruptures d'approvisionnement concernaient 405 médicaments en 2016 ; on s'attend à ce que la pénurie en concerne 2 400 cette année. Ces médicaments étant d'intérêt thérapeutique majeur, la situation est préoccupante et les alternatives proposées – des laboratoires suggèrent, en dernier recours, de diminuer la posologie... – ne répondent pas au problème. Vous-même, madame, avez expliqué en avril, dans le journal Le Figaro, que nous recourons à des médicaments destinés aux animaux quand les molécules sont les mêmes, et à des importations massives ; est-ce digne de la sixième puissance économique mondiale ? Avez-vous une idée de l'état de pénurie outre‑mer ? Nous savons tous que les laboratoires sécurisent les approvisionnements des médicaments rentables au détriment de l'intérêt général : voilà ce qu'il advient quand on confie un bien commun, la santé, au secteur privé. Vous parlez de sanctions financières, mais je n'y crois pas trop. Étant donné ces éléments accablants, soutiendrez-vous, dans vos nouvelles fonctions, la constitution d'un pôle public du médicament, comme le groupe La France insoumise le propose depuis des années ?
Le développement de vaccins contre le covid-19 et de traitements propres à enrayer l'épidémie doit aboutir le plus vite possible, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la sécurité ni de la confiance des citoyens. Or, l'AEM a déjà été pointée du doigt en raison de conflits d'intérêts significatifs, notamment en 2012 par la Cour des comptes européenne. Une évaluation française indépendante par l'ANSM ou la Haute Autorité de santé aura-t-elle lieu pour compléter les avis européens et renforcer la confiance ?
Chacun s'interroge sur les projets de vaccin contre le covid-19, leur efficacité respective et les risques qu'ils font courir. Nos concitoyens ont besoin d'informations. La transparence est indispensable à la confiance. Si les résultats préliminaires des essais de phase 3 se confirment, les vaccins autorisés seront considérés comme sûrs, mais des effets à incidence rare peuvent néanmoins affecter une partie de la population ; je pense aux personnes âgées, peu étudiées dans les essais actuels alors qu'elles sont ciblées en premier. Comment se prémunir de ce risque vaccinal ? Quand et comment organiser la campagne de vaccination alors que la Haute Autorité de santé a défini quatre phases progressives ? On peut aussi s'interroger sur l'acheminement et la sécurisation des vaccins par une conservation à – 70 degrés quand une telle chaîne de froid ne semblent pas exister dans notre pays. Quand le vaccin sera-t-il réellement autorisé en France ? Pour qu'il soit disponible, il faut obtenir les autorisations des autorités américaines puis européennes, a rappelé ce matin le Premier ministre, qui table sur un feu vert plutôt à la fin décembre. Que pensez-vous de cette information, et des mesures annoncées pour améliorer la connaissance des personnes touchées par le covid-19 ?
Comment rendre la coopération européenne en matière de gestion des crises sanitaires encore plus efficace ? Il a été question du niveau de confiance accordée aux autorités sanitaires dans les pays de l'Union et de la défiance à l'égard des vaccins qui prévaut en France ; que changer pour qu'il en aille autrement ?
Comment assurer et améliorer l'accès à l'innovation thérapeutique au plus grand nombre ? Mme Firmin Le Bodo s'inquiète des délais nécessaires en France. Il me semble que la transposition en droit interne des règles européennes prend plus de temps en France que dans d'autres pays, et que nous manquons peut-être de souplesse sur ce plan ; qu'en pensez-vous ? À ce sujet, quel est le processus de sortie de la liste en sus ? Il devrait permettre l'expérimentation des produits innovants qui y sont inscrits et leur accès à tous au plus vite.
Vous allez, madame, prendre la direction d'une institution qui traverse des turbulences aux causes multiples et vous devrez sensibiliser la population à la qualité du vaccin qui lui sera proposé. Alors que les Français semblent particulièrement rétifs à l'idée de se faire vacciner, quelle sera votre stratégie ? Des actions transversales avec d'autres acteurs sont-elles envisagées ?
Davantage que les nouveaux traitements de pointe, ce sont souvent les molécules anciennes et plutôt bon marché qui manquent le plus, celles qui sont les moins rentables pour l'industrie pharmaceutique. Comment sécuriser l'approvisionnement des médicaments les moins rentables, et donc leur production ?
La crise de santé publique que nous vivons suppose la vigilance et donc des remontées de données fiables. Or les systèmes d'information coincent. Avez-vous véritablement les moyens de connaître l'état de santé réel de la population ?
Pour remédier aux pénuries d'approvisionnement, ne pourrait-on constituer des réserves stratégiques européennes de certaines substances ou créer des établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif chargés de produire une cinquantaine de médicaments d'intérêt sanitaire stratégique ?
S'agissant des vaccins, il faut garder à l'esprit le rôle, les compétences et les missions de l'ANSM et son articulation aux niveaux européen et national avec les autres institutions. Je vous l'ai dit, nous sommes partie prenante à l'évaluation au niveau européen, puisque lorsque l'AEM donne un avis sur la demande d'AMM, c'est après que l'évaluation de la substance pour laquelle la demande est faite a été conduite avec les experts de chaque agence sanitaire, notamment l'ANSM. Une fois rendu l'avis de l'AEM, une notification est faite par la Commission européenne. L'AMM est européenne : l'ANSM n'en délivre pas, c'est la Commission européenne qui le fait. Pour autant, nous sommes évidemment impliqués au niveau national dans la rédaction de la blue box, l'encadré spécifique à chaque pays membres figurant sur le conditionnement des spécialités, et dans la surveillance.
Je fais miennes les interventions soulignant la nécessité d'une transparence absolue, permanente, pour donner confiance en la vaccination à l'ensemble de nos citoyens. Je vous l'ai indiqué, nous publierons chaque semaine les informations relatives aux effets indésirables signalés, et nous avons pour objectif de faciliter ces déclarations en rappelant l'existence du portail unique aux professionnels de santé et aux patients et en incitant les personnes qui vont être vaccinées à déclarer les effets indésirables s'il y en a. Ces signalements, qui seront analysés par les trente et un centres régionaux de pharmacovigilance formant notre maillage territorial, fourniront la matière de nos publications hebdomadaires, avec des points de situation sur le nombre et la nature des effets indésirables. La communication sera donc permanente, tout comme l'implication des associations d'usagers et des professionnels de santé, de manière à adapter le dispositif autant que de besoin. Je le redis, mon objectif est l'agilité : nous prévoyons un dispositif de surveillance renforcée et nous l'adapterons si nécessaire puisque dans cette situation exceptionnelle nous apprenons, tous, en marchant. Pour convaincre nos citoyens, il faut être transparent sur ce que l'on sait et adapter les mesures en fonction des données.
Le SNDS nous permet de suivre la consommation de soins de tous les affiliés à l'assurance maladie. Ce système très puissant nous permet de publier beaucoup d'articles en pharmaco-épidémiologie. Suivre la consommation des produits de santé pendant la crise sanitaire nous permet d'appréhender les comportements ; ainsi avons-nous constaté une très sérieuse diminution de la vaccination, vaccination obligatoire comprise. Quant aux actes et à la consommation de médicaments qui demandent des actes – tels les médicaments prescrits en cas de dégénérescence maculaire liée à l'âge, qui supposent des injections intra-vitréennes –, ils ont diminué drastiquement pendant les périodes de confinement, tout comme l'imagerie. Les remontées du SNDS nous permettront d'adapter nos dispositifs de façon très réactive en fonction du suivi de la consommation des produits de santé. C'est à mon avis l'un des moyens les plus importants pour donner confiance à nos concitoyens en l'indispensable vaccination. Bien entendu, si l'opportunité m'est donnée de diriger l'Agence, je serai à votre disposition pour rendre compte régulièrement des remontées de pharmacovigilance sur les vaccins et de l'adaptation, avec toutes les parties prenantes, du dispositif adopté.
La rupture d'approvisionnement en médicaments est un enjeu majeur. Le décret d'application de la mesure adoptée en 2020 n'ayant pas été pris, les stocks prévus dans la loi ne sont pas encore constitués. En disposer nous permettra d'avoir du temps pour mettre en œuvre des mesures visant à réduire au maximum l'impact des ruptures pour les patients et l'organisation des soins.
Nous nous trouvons confrontés à l'arrêt de la commercialisation de certains médicaments dits « matures », autrement dit tombés dans le domaine public, et notre pays subit à ce sujet une double contrainte. D'abord, comme vous le savez, à la différence d'autres États, nous avons une appétence assez marquée pour la consommation de médicaments ; plus grande la consommation, plus grand est le besoin et plus forts les risques de tensions et de ruptures. De plus, nous avons dans certains domaines thérapeutiques un nombre de molécules beaucoup plus élevé que nos voisins européens, ce qui peut aussi favoriser tensions et ruptures d'approvisionnement : si la distribution d'une molécule donnée se fait sur une population importante avec des volumes de patients assez faibles, cela entraîne un risque de déséquilibre économique et d'arrêt de la commercialisation. Pour les antibiotiques d'anciennes générations, par exemple, la réflexion mérite d'être poursuivie au niveau européen ; nous devons parvenir à représenter collectivement une force suffisante pour obtenir que ces produits soient toujours mis à disposition.
Outre cela, un effort de rationalisation s'impose, c'est-à-dire de bon usage des médicaments. Mention a été faite du gaspillage des médicaments. Ce sont des biens précieux, qui ont des bénéfices et des risques et qu'il faut utiliser avec parcimonie, le moins longtemps possible et avec la posologie adaptée. Cette forme d'éducation à la santé devrait pratiquement commencer à l'école maternelle pour favoriser cette perception chez les patients, les professionnels de santé et les industriels.
Au sujet de l'innovation, mon propos n'a pas dû être assez clair. Je ne me voulais pas particulièrement optimiste et si c'est qu'il vous a semblé, je vous prie de m'en excuser. Je ne parlais pas d'AMM pour les médicaments innovants, puisqu'elles sont uniquement délivrées au niveau européen afin que l'entière population européenne puisse en bénéficier. Pour autant, avant que l'autorisation soit délivrée, il y a évidemment des essais cliniques, et parfois des accès précoces. À ce sujet, la France s'est dotée d'un régime d'autorisation temporaire d'utilisation, en cours de révision, qui est le système de ce type sans doute le plus élaboré d'Europe. Il permet de mettre à disposition de manière anticipée, hors essais cliniques des médicaments innovants.
Je souhaite m'appuyer sur le guichet innovation pour fédérer éventuellement d'autres institutions, puisque tout ne se fait pas à l'ANSM mais en aval avec la Haute Autorité de santé, le Comité économique des produits de santé et le ministère des solidarités et de la santé. L'objectif du guichet innovation est de permettre aux industriels de trouver réponses à toutes leurs questions en un seul lieu, et d'avoir un dialogue le plus en amont possible lorsqu'un promoteur, un industriel ou une start-up souhaite développer un médicament ou un dispositif médical. Dans ce dernier champ, où le rythme d'innovation est très soutenu, le besoin s'exprime de disposer de l'ensemble des éléments réglementaires, mais aussi de discussions de design sur les essais. Nous ne donnons pas d'avis ni de blanc-seing mais des orientations permettant à chacun d'appréhender le sujet au mieux. C'est par ce biais que nous avons gagné en agilité et performé sur les délais ; notre objectif est de faire plus rapidement encore pour les autorisation d'essais cliniques. C'est un point positif, lorsque des promoteurs cherchent à obtenir une autorisation, dans un cadre évidemment sécurisé, mais le plus rapidement possible, d'être capables de délivrer une autorisation en quarante ou quarante‑cinq jours quand un autre État la donnera en cinquante‑cinq ou soixante jours. C'est pourquoi nous souhaitons améliorer encore nos délais de réponse, et je remercie les équipes de l'Agence pour leur mobilisation. Notre objectif n'est pas d'aller vite pour aller vite mais d'offrir aux patients qui l'attendent la molécule innovante dans le cadre de l'accès précoce.
La surveillance à deux volets, je l'ai dit : la pharmacovigilance et la matériovigilance pour les dispositifs médicaux d'une part, l'épidémiologie des produits de santé grâce au SNDS d'autre part. Il est indispensable de marcher sur ces deux jambes. La vigilance s'exerce grâce aux déclarations spontanées et à l'analyse précieuse qu'en font les centres régionaux de pharmacovigilance, aux remontées et aux adaptations de l'usage. L'épidémiologie des produits de santé est réalisé par le groupement d'intérêt scientifique EPI‑Phare commun à l'ANSM et à la Caisse nationale de l'assurance maladie. Cette structure d'expertise en épidémiologie des produits de santé est extrêmement précieuse et quasiment unique en Europe car c'est un pôle public, de ce fait dénué de tout lien d'intérêt. EPI‑Phare permet d'avoir une vision des 68 millions d'utilisateurs du système de santé. Nous continuons de renforcer l'efficacité de tous ces systèmes d'information.
Enfin, l'expérimentation du cannabis à usage médical, initialement prévue pour être engagée à la fin de cette année mais décalée par la pandémie, commencera au tout début de l'année 2021. Nous sommes dans la phase des appels d'offres pour la mise à disposition gracieuse des produits et pour la formation des médecins et des pharmaciens.
Je vous remercie, madame, pour vos réponses précises et détaillées. Les huissiers vont vous raccompagner et nous allons procéder au vote.
Délibérant à huis clos, la commission désigne comme scrutateurs M. Thibault Bazin, Mme Annie Vidal et Mme Hélène Zanner, puis elle se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil à la direction générale de l'Agence nationale du médicament et des produits de santé.
La séance est levée à dix heures quarante‑cinq.
Il est procédé au dépouillement du scrutin, simultanément au dépouillement du scrutin sur cette nomination opérée par la commission des affaires sociales du Sénat.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 29
Bulletins blancs ou nuls : 0
Abstentions : 2
Suffrages exprimés : 27
Avis favorables : 26
Avis défavorable : 1
La commission a émis un avis favorable à la nomination de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil à la direction générale de l'Agence nationale du médicament et des produits de santé.