S'agissant des vaccins, il faut garder à l'esprit le rôle, les compétences et les missions de l'ANSM et son articulation aux niveaux européen et national avec les autres institutions. Je vous l'ai dit, nous sommes partie prenante à l'évaluation au niveau européen, puisque lorsque l'AEM donne un avis sur la demande d'AMM, c'est après que l'évaluation de la substance pour laquelle la demande est faite a été conduite avec les experts de chaque agence sanitaire, notamment l'ANSM. Une fois rendu l'avis de l'AEM, une notification est faite par la Commission européenne. L'AMM est européenne : l'ANSM n'en délivre pas, c'est la Commission européenne qui le fait. Pour autant, nous sommes évidemment impliqués au niveau national dans la rédaction de la blue box, l'encadré spécifique à chaque pays membres figurant sur le conditionnement des spécialités, et dans la surveillance.
Je fais miennes les interventions soulignant la nécessité d'une transparence absolue, permanente, pour donner confiance en la vaccination à l'ensemble de nos citoyens. Je vous l'ai indiqué, nous publierons chaque semaine les informations relatives aux effets indésirables signalés, et nous avons pour objectif de faciliter ces déclarations en rappelant l'existence du portail unique aux professionnels de santé et aux patients et en incitant les personnes qui vont être vaccinées à déclarer les effets indésirables s'il y en a. Ces signalements, qui seront analysés par les trente et un centres régionaux de pharmacovigilance formant notre maillage territorial, fourniront la matière de nos publications hebdomadaires, avec des points de situation sur le nombre et la nature des effets indésirables. La communication sera donc permanente, tout comme l'implication des associations d'usagers et des professionnels de santé, de manière à adapter le dispositif autant que de besoin. Je le redis, mon objectif est l'agilité : nous prévoyons un dispositif de surveillance renforcée et nous l'adapterons si nécessaire puisque dans cette situation exceptionnelle nous apprenons, tous, en marchant. Pour convaincre nos citoyens, il faut être transparent sur ce que l'on sait et adapter les mesures en fonction des données.
Le SNDS nous permet de suivre la consommation de soins de tous les affiliés à l'assurance maladie. Ce système très puissant nous permet de publier beaucoup d'articles en pharmaco-épidémiologie. Suivre la consommation des produits de santé pendant la crise sanitaire nous permet d'appréhender les comportements ; ainsi avons-nous constaté une très sérieuse diminution de la vaccination, vaccination obligatoire comprise. Quant aux actes et à la consommation de médicaments qui demandent des actes – tels les médicaments prescrits en cas de dégénérescence maculaire liée à l'âge, qui supposent des injections intra-vitréennes –, ils ont diminué drastiquement pendant les périodes de confinement, tout comme l'imagerie. Les remontées du SNDS nous permettront d'adapter nos dispositifs de façon très réactive en fonction du suivi de la consommation des produits de santé. C'est à mon avis l'un des moyens les plus importants pour donner confiance à nos concitoyens en l'indispensable vaccination. Bien entendu, si l'opportunité m'est donnée de diriger l'Agence, je serai à votre disposition pour rendre compte régulièrement des remontées de pharmacovigilance sur les vaccins et de l'adaptation, avec toutes les parties prenantes, du dispositif adopté.
La rupture d'approvisionnement en médicaments est un enjeu majeur. Le décret d'application de la mesure adoptée en 2020 n'ayant pas été pris, les stocks prévus dans la loi ne sont pas encore constitués. En disposer nous permettra d'avoir du temps pour mettre en œuvre des mesures visant à réduire au maximum l'impact des ruptures pour les patients et l'organisation des soins.
Nous nous trouvons confrontés à l'arrêt de la commercialisation de certains médicaments dits « matures », autrement dit tombés dans le domaine public, et notre pays subit à ce sujet une double contrainte. D'abord, comme vous le savez, à la différence d'autres États, nous avons une appétence assez marquée pour la consommation de médicaments ; plus grande la consommation, plus grand est le besoin et plus forts les risques de tensions et de ruptures. De plus, nous avons dans certains domaines thérapeutiques un nombre de molécules beaucoup plus élevé que nos voisins européens, ce qui peut aussi favoriser tensions et ruptures d'approvisionnement : si la distribution d'une molécule donnée se fait sur une population importante avec des volumes de patients assez faibles, cela entraîne un risque de déséquilibre économique et d'arrêt de la commercialisation. Pour les antibiotiques d'anciennes générations, par exemple, la réflexion mérite d'être poursuivie au niveau européen ; nous devons parvenir à représenter collectivement une force suffisante pour obtenir que ces produits soient toujours mis à disposition.
Outre cela, un effort de rationalisation s'impose, c'est-à-dire de bon usage des médicaments. Mention a été faite du gaspillage des médicaments. Ce sont des biens précieux, qui ont des bénéfices et des risques et qu'il faut utiliser avec parcimonie, le moins longtemps possible et avec la posologie adaptée. Cette forme d'éducation à la santé devrait pratiquement commencer à l'école maternelle pour favoriser cette perception chez les patients, les professionnels de santé et les industriels.
Au sujet de l'innovation, mon propos n'a pas dû être assez clair. Je ne me voulais pas particulièrement optimiste et si c'est qu'il vous a semblé, je vous prie de m'en excuser. Je ne parlais pas d'AMM pour les médicaments innovants, puisqu'elles sont uniquement délivrées au niveau européen afin que l'entière population européenne puisse en bénéficier. Pour autant, avant que l'autorisation soit délivrée, il y a évidemment des essais cliniques, et parfois des accès précoces. À ce sujet, la France s'est dotée d'un régime d'autorisation temporaire d'utilisation, en cours de révision, qui est le système de ce type sans doute le plus élaboré d'Europe. Il permet de mettre à disposition de manière anticipée, hors essais cliniques des médicaments innovants.
Je souhaite m'appuyer sur le guichet innovation pour fédérer éventuellement d'autres institutions, puisque tout ne se fait pas à l'ANSM mais en aval avec la Haute Autorité de santé, le Comité économique des produits de santé et le ministère des solidarités et de la santé. L'objectif du guichet innovation est de permettre aux industriels de trouver réponses à toutes leurs questions en un seul lieu, et d'avoir un dialogue le plus en amont possible lorsqu'un promoteur, un industriel ou une start-up souhaite développer un médicament ou un dispositif médical. Dans ce dernier champ, où le rythme d'innovation est très soutenu, le besoin s'exprime de disposer de l'ensemble des éléments réglementaires, mais aussi de discussions de design sur les essais. Nous ne donnons pas d'avis ni de blanc-seing mais des orientations permettant à chacun d'appréhender le sujet au mieux. C'est par ce biais que nous avons gagné en agilité et performé sur les délais ; notre objectif est de faire plus rapidement encore pour les autorisation d'essais cliniques. C'est un point positif, lorsque des promoteurs cherchent à obtenir une autorisation, dans un cadre évidemment sécurisé, mais le plus rapidement possible, d'être capables de délivrer une autorisation en quarante ou quarante‑cinq jours quand un autre État la donnera en cinquante‑cinq ou soixante jours. C'est pourquoi nous souhaitons améliorer encore nos délais de réponse, et je remercie les équipes de l'Agence pour leur mobilisation. Notre objectif n'est pas d'aller vite pour aller vite mais d'offrir aux patients qui l'attendent la molécule innovante dans le cadre de l'accès précoce.
La surveillance à deux volets, je l'ai dit : la pharmacovigilance et la matériovigilance pour les dispositifs médicaux d'une part, l'épidémiologie des produits de santé grâce au SNDS d'autre part. Il est indispensable de marcher sur ces deux jambes. La vigilance s'exerce grâce aux déclarations spontanées et à l'analyse précieuse qu'en font les centres régionaux de pharmacovigilance, aux remontées et aux adaptations de l'usage. L'épidémiologie des produits de santé est réalisé par le groupement d'intérêt scientifique EPI‑Phare commun à l'ANSM et à la Caisse nationale de l'assurance maladie. Cette structure d'expertise en épidémiologie des produits de santé est extrêmement précieuse et quasiment unique en Europe car c'est un pôle public, de ce fait dénué de tout lien d'intérêt. EPI‑Phare permet d'avoir une vision des 68 millions d'utilisateurs du système de santé. Nous continuons de renforcer l'efficacité de tous ces systèmes d'information.
Enfin, l'expérimentation du cannabis à usage médical, initialement prévue pour être engagée à la fin de cette année mais décalée par la pandémie, commencera au tout début de l'année 2021. Nous sommes dans la phase des appels d'offres pour la mise à disposition gracieuse des produits et pour la formation des médecins et des pharmaciens.