Intervention de Christelle Ratignier-Carbonneil

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 9h00
Commission des affaires sociales

Christelle Ratignier-Carbonneil :

Au sujet de la Dépakine, l'ANSM travaille depuis des années à limiter l'exposition au valproate des femmes en âge d'avoir des enfants et des femmes enceintes. Depuis 2010 et plus encore depuis 2012, les prescriptions sont particulièrement encadrées. Des protocoles de soin stricts ont été définis : la première prescription ne peut être faite que par un spécialiste pour que l'information des femmes en âge de procréer sur cette molécule soit complète, et un pictogramme explicite a été ajouté sur les boîtes de médicaments. Je comprends évidemment la souffrance des patients et de leurs familles. Lorsqu'il a été autorisé, il y a de nombreuses années, le valproate a révolutionné la prise en charge des patients épileptiques ; mais, comme pour tout médicament, il y a des bénéfices et des risques. Les risques induits par cette molécule sont connus ; l'important est la transmission de l'information sur ses effets possibles et dans le cadre du colloque singulier entre médecin et patiente, et directement après des patients. À cet égard, les choses ont beaucoup évolué depuis plusieurs années. L'information directe des patients, qui n'était pas nécessairement la perspective envisagée l'est désormais. C'est tout le sens de l'ouverture que je souhaite poursuivre en assurant l'implication et la présence des usagers dans les enceintes de réflexion de l'Agence pour aboutir à une co-construction des messages visant à informer et alerter les patients. De quelque 1 500 femmes enceintes traitées au valproate en 2010, on est passé à un peu plus de 200 par an maintenant. C'est dire que le travail d'information et d'implication des professionnels de santé et des patients permet d'agir. Les relations que nous entretenons avec l'Association des parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant font aussi comprendre l'importance du dialogue entre médecin et patiente.

Les déclarations de tensions et de ruptures d'approvisionnement en médicaments sont d'autant plus préoccupantes qu'elles augmentent très fortement. Leur nombre est passé de quelques centaines il y a quelques années à 1 500 en 2019 et pourrait aller jusqu'à doubler en 2020. Heureusement, une déclaration n'équivaut pas à une rupture d'approvisionnement : les industriels nous signalent le risque de tension ou de rupture. Nous souhaitons qu'ils le fassent le plus précocement possible pour nous permettre de réagir avec toutes les parties prenantes, ce qui est pratiquement impossible si la déclaration n'intervient que deux ou trois jours avant la rupture : il est alors extrêmement compliqué de trouver des alternatives, d'importer ou de faire évoluer les protocoles thérapeutiques.

Pour limiter les ruptures d'approvisionnement, nous disposons de deux outils, la prévention et la sanction. La prévention a fait l'objet du rapport relatif à la réduction de la pénurie de médicaments essentiels remis par Jacques Biot au Premier ministre, dans lequel il évoque la relocalisation possiblement en Europe de certaines chaînes de production. Il restera à gérer les tensions et les ruptures d'approvisionnement, inévitables quoi qu'il en soit car un incident de fabrication peut se produire. Des moyens sont mobilisés, notamment au niveau de l'Agence, pour tenter de réduire ce risque et de diminuer l'impact de ces tensions sur les patients et sur l'organisation des soins, comme le prévoient la LFSS 2020 et les décrets en cours de rédaction. D'autre part, l'Agence peut prononcer des sanctions financières à l'encontre des laboratoires pharmaceutiques qui ne respectent pas la loi et la réglementation ; elle l'a fait deux fois en 2019. La LFSS 2020 a élargi le périmètre des sanctions possibles, que nous utiliserons évidemment en tant que de besoin.

Comme vous l'avez indiqué, la pandémie a entraîné l'explosion des besoins en médicaments de réanimation. Même si nous avions eu une production nationale nous n'aurions pu faire face à la demande, en raison de la durée des hospitalisations et des fortes posologies nécessaires, beaucoup des malades infectés par le SARS-CoV-2 ayant un indice de masse corporelle élevé. L'agilité de tous nous a permis de réguler l'approvisionnement des cinq médicaments de réanimation au niveau national, après que tous les stocks disponibles en France ont été achetés par l'État et que nous avons aussi acheté de ces médicaments en très grande quantité à l'étranger. Avec Santé publique France et le ministère des solidarités et de la santé, l'ANSM a été très mobilisée pour approvisionner chaque établissement de santé en produits nécessaires en fonction des besoins ; les stocks des hôpitaux des régions où les patients hospitalisés en réanimation étaient moins nombreux ont été dirigés vers les établissements demandeurs. Nos équipes continuent de suivre l'état des stocks, les approvisionnements et la consommation de ces produits à un rythme hebdomadaire, en relation étroite avec les industriels, pour s'assurer de l'indispensable couverture des besoins et du maintien du stock stratégique – qui permet de garantir le traitement de 29 000 patients en réanimation selon la consommation actuelle.

Au sujet de la covid-19 toujours, une centaine de demandes d'autorisations d'essais cliniques nous ont été soumises en un temps très court ; il s'agissait pour 85 % de demandes d'autorisations d'essais cliniques universitaires, et non industrielles, ce qui témoigne de la très forte mobilisation des cliniciens sur le territoire national. Presque un quart de ces demandes concernaient l'hydroxychloroquine ; d'autres portaient sur différents antiviraux, puis sur des immuno-modulateurs à mesure que dans cette situation réellement extra-ordinaire la communauté scientifique acquérait des connaissances supplémentaires sur le SARS-CoV-2.

On en sait aujourd'hui un petit peu plus sur cette affection, mais malheureusement pas tout. Le Haut Conseil de la santé publique actualise régulièrement les recommandations relatives à la prise en charge thérapeutique des patients. La dexaméthasone et plus généralement les corticoïdes réduisent la durée de la phase inflammatoire chez les patients hospitalisés avec une forme sévère de la maladie. On privilégie désormais l'oxygénation à haut débit plutôt que l'invasive ventilation mécanique. Des essais cliniques sont toujours en cours sur des immuno-modulateurs, seuls ou en cocktail, et sur des plasmas thérapeutiques.

L'Agence, parce qu'elle a pour double mission de garantir la sécurité des patients exposés aux produits de santé et de permettre leur accès à l'innovation thérapeutique, est sur une ligne de crête. Nous souhaitons favoriser l'accès précoce aux nouvelles molécules, mais de la manière la plus sécurisée possible en fonction des connaissances de l'heure ; chacun comprendra que plus l'accès est précoce, moins étoffées sont les connaissances scientifiques et plus élevée la part d'incertitude. Le délai réglementaire général d'autorisation d'un essai clinique est fixé au niveau européen à soixante jours ; l'ANSM, qui a beaucoup progressé en ce domaine et continuera de le faire, en est aujourd'hui à quarante-deux ou quarante-trois jours hors temps covid, ce qui est très compétitif. Pour la covid-19, notamment au début de la première vague, nous délivrions les autorisations d'essais cliniques en quelques jours, sans, évidemment, que cela se fasse au détriment de la sécurité mais grâce à une organisation visant à rassembler l'ensemble des compétences pour permettre l'évaluation de ces demandes en priorité. Les comités de protection des personnes, chargés d'émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine, ont fait preuve de la même diligence. Je souhaite renforcer cette adaptabilité permanente à l'environnement tant pour nos procédures réglementaires que pour nos procédures d'évaluation, avec le même dogme : garantir la sécurité et l'accès précoce à l'innovation.

La demande de recommandation temporaire d'utilisation de l'hydroxychloroquine faite par l'IHU Méditerranée Infection était légitime. Pour dire les choses clairement, l'hydroxychloroquine n'est pas un sujet tabou à l'ANSM. L'Agence évalue et les demandes d'autorisation d'essais cliniques et les demandes de recommandation temporaire d'utilisation selon les critères scientifiques classiques de l'évaluation. Pour toute demande de recommandation temporaire d'utilisation, l'Agence se livre à l'analyse approfondie de toute la littérature nationale et internationale disponible. L'ayant fait pour la demande de l'IHU, nous n'avons pas pu mettre en évidence de présomption d'efficacité, ni donc un rapport bénéfice-risque positif, quels que soient les stades de la maladie. Bien entendu, cette évaluation est à date : nous poursuivons une veille prospective sur l'ensemble des données, quelles que soient les molécules et, en fonction de la littérature, l'évaluation peut être révisée.

J'en viens, au sujet de la vaccination contre la covid-19, à l'articulation entre l'ANSM et l'Agence européenne des médicaments (AEM). Comme pour tout produit biologique et tout produit à effet thérapeutique innovant, la seule manière d'obtenir l'AMM d'un vaccin au sein de l'Union européenne est de passer par la procédure centralisée par l'AEM. Un avis de l'AEM, qu'il soit positif ou négatif, s'impose à l'ensemble des États membres de l'Union. Ne siégeant plus à l'AEM, le Royaume-Uni, qui a autorisé ce matin la mise sur le marché du vaccin Pfizer-BioNTech, n'est plus concerné par l'évaluation centralisée. Celle-ci rassemble tous les États membres ; des rapporteurs et des co‑rapporteurs sont désignés et l'ANSM est particulièrement impliquée dans l'évaluation de ces vaccins. Je l'ai indiqué, l'évaluation se fait de manière accélérée, mais évidemment pas au détriment de la sécurité. À cette fin, comme cela fut déjà le cas lors d'autres urgences sanitaires, a été instituée une évaluation continue – rolling review – : les industriels déposent les données relatives à la qualité, la pré-clinique ou la clinique auprès de l'AEM au fil de l'eau et non en bloc. Cette manière de faire contracte la durée d'évaluation au maximum pour répondre à l'urgence sanitaire.

L'ANSM est partie prenante de cette évaluation, des essais cliniques, des demandes d'autorisation d'essais cliniques sur le territoire national et, surtout, de la surveillance. L'évaluation ayant lieu en un temps contracté, un dispositif de surveillance renforcée est nécessaire. Il repose sur deux piliers. Le premier est la pharmacovigilance – le suivi des effets indésirables potentiels, avec des déclarations spontanées facilitées pour les personnes vaccinées – assortie de transparence et d'informations. Comme elle le fait au sujet des effets indésirables déclarés dans le cadre de l'utilisation des médicaments visant à soigner l'infection par la covid-19, l'Agence publiera un bulletin hebdomadaire relatifs aux effets secondaire potentiels des vaccins, dans une transparence totale, avec des évaluations régulières et l'implication de toutes les parties prenantes au sein de nos comités, pour co-construire ces dispositifs.

Le second pilier du dispositif de surveillance, c'est la pharmaco-épidémiologie, d'une puissance exceptionnelle puisque le système national des données de santé (SNDS) nous permettra de suivre de manière exhaustive toutes les personnes vaccinées et de mesurer ainsi leur consommation de soins, de médicaments et les hospitalisations éventuelles.

Nous avons une stratégie européenne tangible. D'une part, nous sommes au troisième ou au quatrième rang des dix pays qui, au sein de l'AEM, dépêchent des rapporteurs pour évaluer des produits ; nous sommes revenus dans la course et nous allons encore progresser sur ce plan ; c'est le deuxième axe stratégique de notre COP. D'autre part, l'innovation thérapeutique passant obligatoirement par l'Europe, nous devons, si nous voulons peser pour disposer de ces produits au niveau national et les encadrer de manière adéquate, être présents à ce sujet au niveau de l'AEM. De fait, nous sommes très présents, pour les avis scientifiques, dans le domaine de l'oncologie – grand pourvoyeur d'innovations thérapeutiques –, le domaine anti-infectieux et la neurologie. En résumé, nous sommes dans la course et nous allons évidemment continuer de gravir les marches. Pour les autorisations d'essais cliniques, qu'il s'agisse de médicaments, de dispositifs médicaux, de dispositifs de diagnostic in vitro ou de tests, nos délais sont désormais inférieurs à ce qu'impose la réglementation européenne.

Les thérapies ciblées, comme les autres médicaments, disposent obligatoirement d'une autorisation européenne de mise sur le marché uniforme : si elles existent en Allemagne, elles existent aussi en France. Ensuite, leur prise en charge est spécifique à chaque État. En France, ce volet ressortit du champ de compétence de la Haute Autorité de santé et du Comité économique des produits de santé.

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