Intervention de Pr Alain Fischer

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Pr Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale :

Concernant la cinétique de décroissance de circulation du virus et des mesures barrières en fonction de la vaccination, Jean-Louis Touraine a rappelé que 78 millions de doses pourraient être disponibles avant le 30 juin, ce qui permettrait de vacciner 60 % de la population. Il s'agit de la meilleure hypothèse, bien que des questions de modulation subsistent sur les livraisons. Au-delà des deux vaccins ARN qui ont obtenu l'autorisation de mise sur le marché, à savoir Pfizer et Moderna, d'autres vaccins sont en attente, mais ne peuvent être utilisés faute d'autorisation de mise sur le marché.

Le vaccin AstraZeneca présente au moins deux avantages, à savoir sa conservabilité à 4 °C et les très grandes quantités commandées par l'Europe, ce qui le rendrait disponible dès février dans la mesure où il sera évalué fin janvier par l'Agence européenne des médicaments. Cinq millions de doses devraient être disponibles dès février-mars. Ce vaccin est fabriqué selon une stratégie différente des vaccins ARN – ce sont des vecteurs adénoviraux. Il a été utilisé avec succès pour contrôler l'épidémie du virus Ebola en Afrique. Il s'agit d'un grand succès de la vaccination qui a été peu évoqué en Occident.

Les doutes sont liés au fait que les résultats publiés pour le vaccin AstraZeneca montrent une efficacité de l'ordre de 60 %, mais moindre que les 95 % des vaccins ARN, même si un intervalle de confiance se croise. Une partie des personnes vaccinées dans le cadre de l'essai clinique ont reçu une dose un peu différente. Tant que nous n'aurons pas obtenu la validation de l'Agence européenne des médicaments, nous ne pourrons avoir de certitude sur les quantités livrées.

Le deuxième écueil réside dans les accidents de production, qui diminueraient le nombre de 78 millions tel qu'affiché à l'état optimal au regard des connaissances actuelles, en sachant qu'il n'est pas exclu que la production de vaccins augmente. L'ouverture d'une usine Pfizer en Allemagne permet d'espérer une augmentation de la production. Si ces conditions sont réunies, on peut espérer voir diminuer la circulation du virus cet été.

Un vaccin peut prévenir une infection, mais pas la présence de particules virales dans la gorge et le nez susceptibles d'être excrétées. Nous ne disposons de ces informations pour aucun vaccin. Les recueillir avec certitude implique des enquêtes épidémiologiques lourdes sur un très grand nombre de sujets de par le monde. S'il s'avère qu'un ou plusieurs vaccins disponibles agissent sur la transmission, ce qui est probable mais pas certain, l'efficacité de la vaccination s'en trouverait accélérée en générant une unité de groupe. Étant donné que 12 % de la population serait immunisée, 50 % de sujets vaccinés pourraient suffire à réduire considérablement la circulation du virus.

La troisième inconnue réside dans le fait que les informations disponibles sur l'efficacité vaccinale absolument inattendue et remarquable des vaccins ARN ont été démontrées avec un recul de deux mois. Le degré de persistance de la protection aura une influence majeure sur la cinétique de décroissance de la circulation du virus, de la pandémie et des mesures de précaution à prendre.

L'objectif de vacciner l'essentiel des 15 à 20 millions de personnes qui présentent le plus grand risque de mortalité ou d'hospitalisation en réanimation avec un impact direct et indirect sur le système de santé entre aujourd'hui et le deuxième trimestre paraît assez réaliste. Cette mesure aura un impact sur la mortalité, la morbidité, l'occupation des lits d'hôpitaux, la charge de travail des soignants et la capacité de prise en charge convenable des patients non atteints du covid. Une personne âgée de 80 ans ou plus a 8 % de risque de mourir du covid si elle le contracte. Même avec les nouveaux variants, le taux est de 0,0001 % pour les enfants. Le caractère fondé de la politique visant à protéger en premier lieu les personnes qui risquent de mourir ou d'être très malades est justifié compte tenu de la connaissance que nous avons des vaccins.

Jusqu'à récemment, les enfants étaient très peu contaminés. Une surveillance renforcée est mise en place autour des écoles, notamment au travers du système Obépine de recherche du virus dans l'eau qui est un bon indicateur. Si les données actuelles se confirment, il faudra envisager la vaccination des enfants dans un délai à définir.

La fermeture des écoles n'est pas de mon ressort, mais en tant que pédiatre, je me suis exprimé en mai et juin sur la nécessité absolue de rouvrir les écoles car le virus y circulait peu et en raison des multiples effets délétères de la fermeture des écoles sur les enfants à risque. Nous sommes contraints d'évaluer deux risques dont les conséquences en termes de précautions sont contradictoires en limitant la circulation du virus dans les écoles et les conséquences sur la population, et en réduisant autant que se peut l'impact pour les enfants fragiles en particulier. Au minimum, les maternelles devraient y échapper car le niveau de transmission y est extrêmement faible. Il s'agit d'un point de vigilance auquel nous ne pouvons répondre complètement à ce stade.

S'agissant de l'échéancier de vaccination, il est légitime qu'une fraction non négligeable de la population s'interroge puisque les vaccins sont disponibles depuis moins d'un mois et dans la mesure où les informations ont été obtenues en quelques mois sur les différents types de vaccins, dont certains sont relativement innovants. Il convient de développer tous les moyens possibles pour que la population dispose de cette information.

Pour ce faire, plusieurs créneaux peuvent être utilisés avec, en premier lieu, les professionnels de santé, en sachant que 20 % de médecins généralistes n'adhèrent pas à la vaccination, ce qui laisse penser que 20 % de la population correspondant à leur clientèle risquent d'être réticents ; le taux est inférieur s'agissant des infirmiers et des aides-soignants. Il faut d'abord informer de façon claire, transparente, intelligible, complète et honnête les professionnels de santé au travers de sites comme celui de Santé publique France, de chats et de conférences centralisées et décentralisées. Nous coopérons avec les associations de médecins généralistes et les syndicats, qui sont très motivés, pour démultiplier les créneaux d'information en indiquant que les vaccins disponibles protègent à 95 % et que les effets indésirables sont limités à un accident d'allergie pour 100 000, et en soulignant l'absence de maladies auto-immunes et de complications pour les 20 millions de personnes qui ont reçu le vaccin Pfizer dans le monde.

Il faut également informer que nous ne connaissons pas la durée de la protection et que nous ignorons si le vaccin bloque la transmission. La meilleure façon de convaincre est de dire ce que nous savons et ce que nous ignorons par le biais de toutes sortes de canaux médiatiques.

Environ 500 000 doses de vaccin Pfizer arriveront chaque semaine en janvier, février et mars. Les livraisons de vaccin Moderna sont de 100 000 doses en janvier et quelques centaines de milliers en février, mars et avril. Si le vaccin AstraZeneca est validé, nous disposerons de 5 millions de doses dès février et les livraisons se poursuivront au cours des mois suivants. S'il est validé, nous pourrions disposer de quelques millions de doses de vaccin Curvac à partir de mars. À partir d'avril, nous pourrions avoir quelques millions de doses vaccin Janssen. Il s'agit d'un autre vaccin adénovirus qui pourrait ne nécessiter qu'une injection unique. L'accélération dépend de la réelle mise à disposition de ces vaccins.

Les populations considérées comme prioritaires sont les 900 000 personnes en maison de retraite, en y incluant les professionnels de santé et médico-sociaux âgés de plus de 50 ans qui y travaillent, soit 1,2 million de personnes, les 5 millions de personnes âgées de plus de 75 ans qui ne sont pas en maison de retraite et le million de personnes gravement malades qui sont ultra-prioritaires pour la vaccination. Le total représente environ 8 millions de nos concitoyens, soit 16 millions de doses, voire davantage en raison de la perte potentielle, lesquelles ne seront pas disponibles en janvier ou février, même si une accélération liée à AstraZeneca est attendue. La vaccination des 6 à 7 millions de personnes âgées de 65 à 74 ans, des autres personnes à risque et de quelques professions exposées, soit une dizaine de millions de personnes, devrait pouvoir commencer en février.

À l'échelle locale, s'il reste des doses, le soir, dans un centre de vaccination et que plus aucune personne des catégories précitées n'est à vacciner, il est évident que les gens qui se présentent pourront être vaccinés. Accepter de façon plus importante que des personnes n'appartenant pas à ces groupes soient vaccinées à la marge ne pose pas de problème. En revanche, le faire de façon importante serait au détriment des personnes à risque et d'une moindre efficacité en termes de protection contre les décès et le bon fonctionnement de notre système de santé. Par conséquent, je n'y suis pas favorable. Des négociations sont en cours à l'échelle nationale pour obtenir davantage de vaccins, mais la compétition est mondiale et acharnée.

Le rôle des trente-cinq citoyens n'est pas contradictoire avec la recommandation de l'OPECST, avec lequel j'ai interagi à deux reprises au cours du dernier mois, qui fait part de la nécessité de s'appuyer sur les institutions de démocratie sanitaire. Les entités de démocratie sanitaire que sont la HAS, Santé publique France et l'ANSM sont saisies par le Gouvernement et apportent des recommandations qui sont mises en œuvre pour la vaccination. L'objectif du conseil citoyen est d'apporter des remarques et des questions de façon complètement indépendante. Voici quatre ans, j'ai présidé le comité qui a mis en place une concertation citoyenne sur la vaccination pour les jeunes enfants ayant conduit à proposer l'obligation vaccinale pour les bébés, ce qui a été un grand succès. Cette consultation citoyenne a été très riche. Il est remarquable d'observer comme les citoyens formés de manière intensive sur le sujet sont capables de faire remonter des observations utiles. Cette démarche n'est pas déterminante, mais je n'y vois pas de contradiction.

L'objectif de 6 à 10 millions de vaccins au 15 mars est très dépendant de la mise à disposition ou non du vaccin AstraZeneca dès février. Le cas échéant, il s'agira de 5 millions de doses en février.

Le nombre de centres de vaccination mis en place, qui s'établit actuellement à 300, est croissant, avec un objectif de 600 fin janvier, soit en moyenne six par département. Par une volonté de bien faire, certains départements comptent trop de centres, ce qui posera des problèmes d'approvisionnement et d'efficacité de la vaccination. 600 centres fonctionnant en France, y compris dans les DOM-TOM, représentent environ un centre pour 100 000 habitants, ce qui permet de vacciner au mieux les personnes prioritaires. Ces sites se situent dans des centres hospitaliers, des maisons pluriprofessionnelles de santé et des centres de vaccination classiques, et relèvent d'initiatives locales de maires. La difficulté réside dans la disponibilité de personnes pour vacciner, à savoir un médecin superviseur et des infirmiers. Nous pourrons recourir au personnel en retraite afin d'amplifier ce mouvement.

La chaîne du froid constitue un obstacle à la vaccination. À partir de la deuxième génération de vaccins, lesquels sont conventionnels en termes de conservation, les médecins traitants, les pharmaciens et les médecins du travail pourront vacciner, ce qui permettra de multiplier les lieux de vaccination avec une organisation beaucoup plus aisée qu'actuellement.

S'agissant du suivi épidémiologique concernant la prévention de la transmission par le vaccin, quelques données directes peuvent être obtenues par des études d'anticorps dirigés contre des éléments du virus qui ne sont pas dans le vaccin. Ils donnent une information sur la prévention des formes asymptomatiques, mais il ne s'agit pas exactement de prévention de la transmission. L'information solide de prévention de la contamination porte sur des données épidémiologiques nationales et internationales, ce qui demande du temps. À ce stade, je ne suis pas en capacité d'annoncer une échéance sur ce plan.

La stratégie de Pasteur consiste à modifier le vaccin contre la rougeole, qui est bien connu et utilisé en toute sécurité de longue date – quoi qu'en aient dit certains en trichant – en y ajoutant l'élément génétique qui code pour la protéine Spike. Cette stratégie intéressante est en cours de test avec la société Merck qui développe ce vaccin. La phase III est en cours. Les résultats devraient être disponibles au second semestre. La stratégie est potentiellement astucieuse car le vaccin se réplique et pourrait amplifier la réponse immunitaire. Au regard du besoin, ce vaccin ou les approches similaires développées par d'autres auront sûrement leur place.

À titre personnel, je suis réticent vis-à-vis du passeport vaccinal car nous ne disposons pas d'informations sur la durée de la protection et la transmission. En outre, sur le plan éthique, il est délicat de différencier la population en fonction des sujets vaccinés ou non. La question risque de se poser dans quelques mois pour les transports aériens.

Je pense avoir répondu aux questions sur l'ajustement du calendrier, l'ouverture des tranches d'âge, l'approvisionnement et les évolutions à prévoir. AstraZeneca est déterminant pour le mois de février car il doublerait les doses de vaccin disponibles. L'augmentation du volume d'achat des vaccins fait l'objet d'âpres négociations à tous niveaux. L'idée est de ne pas attendre d'avoir vacciné toutes les personnes de plus de 75 ans pour commencer à vacciner quelqu'un qui a 70 ans. Il convient de les emboîter. J'espère que le délai entre les deux sera le plus court possible, mais apporter une réponse précise aujourd'hui ne serait pas très sérieux. Cela dépendra de la façon dont la vaccination se développe dans les prochaines semaines. À hier soir, nous comptabilisons 190 000 personnes vaccinées, ce qui est très peu, mais nous avons eu plus de 50 000 personnes hier.

Pour ce qui est de l'efficacité du vaccin ARN sur les variants, les premières données des Britanniques sont plutôt rassurantes. Les personnes vaccinées avec le vaccin Pfizer produisent des anticorps neutralisants contre le variant britannique. Il s'agit de constructions en laboratoire et non du virus tel qu'extrait des patients, mais il n'y a pas de raison que les données soient différentes. Les données sont moins complètes pour le virus d'Afrique du Sud, mais sont encourageantes. Il s'agit d'un sujet majeur à suivre. Au pire, si un variant plus résistant au vaccin émergeait, il serait possible de fabriquer un vaccin ARN adapté en six semaines car modifier la séquence de l'ARN est très facile. Il s'agit d'une parade qui retarderait le schéma de la campagne vaccinale, mais qui offrirait une porte de sortie en cas de difficulté.

Je n'ai pas bien compris la question sur les vaccins plus classiques autorisés. Nous n'en disposons pas au sein de l'Union européenne. Le Royaume-Uni a le vaccin AstraZeneca, mais il n'est pas autorisé en France aujourd'hui. Par conséquent, il n'existe pas de vaccin plus « classique » disponible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.