Intervention de Roman Krakovsky

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Roman Krakovsky, président de l'association Les Séropotes :

L'association Les Séropotes accompagne depuis une quinzaine d'années les personnes vivant avec le VIH. Elle agit à la fois pour les sortir de l'isolement, sur l'accompagnement thérapeutique et, depuis quelques années, sur le plaidoyer notamment pour l'accès à l'assurance emprunteur et l'accès aux soins non-VIH.

Cette question de l'accès à l'assurance emprunteur a un long historique. Les premières tentatives pour élargir l'accès au crédit des personnes vivant avec le VIH puis avec d'autres pathologies datent du début des années 1990. La première convention date de 1991, la convention Belorgey date de 2001 et la convention AERAS arrive en 2006. Elle porte sur les assurances invalidité et décès. Depuis 2015, le droit à l'oubli s'applique de plus pour certaines pathologies, en particulier certains cancers : il est permis de ne pas déclarer la pathologie au moment de la souscription du contrat d'assurance.

La convention AERAS prévoit trois niveaux d'examen des assurances. Le premier est celui commun à tout un chacun, constitué d'un premier questionnaire demandant si la personne suit un traitement, si elle fume... En cas de réponse affirmative à l'une de ces questions, un deuxième questionnaire lui est soumis. Il essaie de mieux définir le risque que pourrait représenter le fait d'assurer cette personne. Ce questionnaire contient des questions sur la pathologie – depuis combien de temps, hospitalisation éventuelle... – et si, au terme de ce deuxième questionnaire, la compagnie d'assurances accepte d'assurer la personne avec le taux normal, l'affaire s'arrête là. En cas de surprime ou d'exclusion, nous arrivons au troisième niveau, où la convention AERAS joue un rôle assez actif.

La situation du VIH a beaucoup évolué ces dernières années : nous sommes passés d'une maladie mortelle à une maladie chronique de longue durée. Pourtant, le VIH fait toujours partie de ces maladies qui impliquent des surprimes importantes. Les conditions d'accès sont très restrictives. Pour le VIH, la liste de ces conditions remplit une page A4. Il ne faut pas avoir fumé, il ne faut pas avoir eu d'hépatite B ou C, ne pas avoir une maladie du cœur... Lorsque la personne remplit ces conditions très restrictives, il lui est proposé une assurance plafonnée à 320 000 euros d'emprunt, ce qui est extrêmement difficile pour les personnes qui vivent à Paris ou en Île-de-France, région qui concentre pourtant la moitié des personnes vivant avec le VIH en France. Il faut de plus toute une série de garanties, dont notamment une durée de vingt‑sept ans entre le début du traitement et la fin de la garantie emprunteur. De ce fait, si la personne n'emprunte pas dans les premières années après le diagnostic, elle a très peu de chance d'avoir la possibilité d'emprunter par la suite.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous nous sommes saisis de cette question, déjà portée par plusieurs associations dans le passé. Notre première demande porte sur l'aménagement de la charge de la preuve car tout en découle. La vraie question est : le VIH, comme certaines autres pathologies, est-il inassurable aujourd'hui ? Les personnes qui vivent avec le VIH représentent-elles un risque tel qu'elles auront besoin, au cours de leur vie, de faire jouer pour des raisons médicales l'assurance emprunteur ?

Aujourd'hui, comme pour un certain nombre d'autres pathologies, une personne qui vit avec le VIH entre dans un parcours de longue durée avec un suivi extrêmement rapproché qui lui donne une espérance de vie égale, voire supérieure, à la population générale. Le taux d'invalidité est quasi nul. Même les autorités reconnaissent qu'une personne qui vit avec le VIH a très peu de chances d'obtenir une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé car les conditions sont extrêmement restrictives. Il faut une absence d'emploi pendant douze mois, une incapacité de travail durable... Même une personne passée par le stade sida a aujourd'hui très peu de chances d'obtenir un taux de handicap qui lui permettrait de percevoir une allocation d'adulte handicapé.

En ce qui concerne le décès, nous savons que, aujourd'hui en France, on ne meurt quasiment plus du sida. Même des personnes qui découvrent leur statut sérologique au stade sida arrivent à recouvrer une situation de santé. Mon partenaire a été hospitalisé voici à peu près vingt ans au stade sida avec une pneumocystose et il est aujourd'hui en excellente santé. Le surrisque n'est donc pas avéré et, pourtant, c'est toujours aux associations de patients de démontrer que la pathologie dont souffrent les personnes qu'elles représentent ne constitue pas un risque de défaillance médicale – décès ou invalidité – et que ces personnes sont donc assurables à un coût supportable.

La difficulté est que les preuves qui doivent être apportées nécessitent des études très coûteuses que les associations ne peuvent pas supporter, sauf pour les pathologies comme le cancer, où elles bénéficient de l'aide d'institutions publiques qui peuvent se permettre de financer des études, ou pour certaines pathologies comme la mucoviscidose. Dans ce dernier cas, une étude de plusieurs millions d'euros sur plusieurs années a pu être financée mais c'est le cas pour très peu de pathologies. Par ailleurs, même lorsque ces études existent dans d'autres pays, elles n'ont pas amené les assureurs à avancer sur le dossier.

Notre première demande est donc d'inverser la charge de la preuve : plutôt que de demander aux associations de patients de démontrer que la pathologie ne présente pas de risque, nous demandons que la compagnie d'assurances prouve qu'une pathologie représente un risque, d'autant plus que les compagnies d'assurances disposent en interne des chiffres de réalisation de risque de leurs propres produits.

Notre deuxième demande est la réévaluation plus régulière de la grille de référence qui fixe la liste des pathologies et les conditions auxquelles les personnes peuvent accéder à la convention. Il n'existe actuellement pas de mécanisme prévoyant une évolution régulière de la convention ni de contrôle. Dans les textes, il est prévu qu'un rapport doit être remis tous les trois ans sur les travaux de la convention. En 2020, nous avons eu un premier rapport qui fait un bilan préliminaire des dix dernières années. Pour faire simple, si les choses n'avancent pas, il ne se passe pas grand-chose !

Nous demandons donc la définition d'un mécanisme de revoyure régulière, peut-être à un rythme annuel, qui permettrait de fixer les pathologies bénéficiant de la convention et qui mettrait à jour annuellement les critères en fonction de la situation réelle de la pathologie.

Notre dernière demande est de réfléchir au modèle de gouvernance de la convention. Actuellement, le pilotage des travaux de la convention est assuré par deux instances : d'une part, la commission des études et des recherches, animée par le ministère chargé de la santé, qui a un groupe de travail sur la grille de référence pour fixer la liste des pathologies et des surprimes mais ne dispose d'aucun moyen matériel ni humain pour travailler, qui se réunit une fois par mois avec un fort taux d'absentéisme, et d'autre part la commission de suivi et de propositions, animée par le ministère chargé de l'économie, qui est un groupe plus politique qui prend des décisions. Au sein de ces instances, les décisions sont prises selon le principe du consensus : il faut un accord de tous les acteurs pour avancer. Ce principe de consensus devient en réalité un principe d'unanimité. Il suffit qu'un acteur ne donne pas son accord pour que nous n'avancions pas d'où les possibilités de blocage d'un tel système.

Les pouvoirs publics jouent actuellement un rôle très réduit dans l'animation des travaux de cette convention au titre de la liberté contractuelle. Or, même si l'assurance complémentaire n'est pas obligatoire dans les textes, elle l'est dans les faits et l'impossibilité d'obtenir un prêt devient de facto discriminatoire pour certains publics.

Nous nous interrogeons également sur le rôle des associations de patients qui représentent dans ces instances ceux pour qui la convention a été créée. Elles sont largement minoritaires et, pour certaines, ne signent plus de convention depuis plusieurs années. Nous demandons donc que ces différentes pistes concernant le mode de gouvernance soient explorées : le principe d'unanimité, le rôle des associations de patients et le rôle des pouvoirs publics.

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