Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • VIH
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  • pathologie
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 20 janvier 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

Dans le cadre des auditions sur l'accès aux prêts immobiliers et aux crédits à la consommation pour les personnes vivant avec le VIH et d'autres pathologies (Mme Laurence Vanceunebrock, rapporteure), la commission réunit, en visioconférence, une table ronde des représentants du monde associatif et deux personnalités qualifiées.

– Association Les Séropotes : M. Roman Krakovsky, président, et M. Bruno Lamothe, juriste et ancien responsable « conformité » d'une banque en ligne

– Association AIDES : Mme Caroline Izambert, directrice du plaidoyer, et Mme Chloé Le Gouëz, chargée de plaidoyer « accès aux droits »

‑ France Assos Santé : Mme Marianick Lambert, membre du bureau

‑ Mme Dominique Costagliola, directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

‑ M. Gilles Bignolas, animateur du groupe de travail « Grille de référence - Droit à l'oubli », rattaché à la commission de suivi et de propositions de la convention AERAS

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre commission des affaires sociales a souhaité se saisir de la question de l'accès aux prêts immobiliers et au crédit à la consommation pour les personnes vivant avec le VIH et d'autres pathologies. Nous procédons sous forme d'auditions qui se déroulent en deux temps : nous commençons avec des représentants du monde associatif et des personnalités qualifiées ; nous nous intéresserons ensuite au secteur des banques et des assurances.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis très heureuse d'avoir pu organiser cette série d'auditions sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Après avoir été interpellés par l'association Les Séropotes, nous avons organisé, conjointement avec mes collègues Raphaël Gérard et Jean-François Mbaye, président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur le sida, une réunion portant sur la situation des personnes vivant avec le VIH durant laquelle ont été évoquées les très grandes difficultés rencontrées par ces personnes pour obtenir une assurance et donc la possibilité de bénéficier d'un prêt immobilier ou d'un crédit à la consommation.

Il m'a paru essentiel de nous intéresser à la question de l'accès au crédit des personnes étant ou ayant été atteintes d'un grave problème de santé et, plus particulièrement, à la convention AERAS, dont les initiales signifient « s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé ». Cette convention a été signée le 6 juillet 2006 par les professionnels de la banque et de l'assurance, les associations et les pouvoirs publics. Elle a été consacrée par la loi du 31 janvier 2007 relative à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé, dont la dernière version date de 2019. Elle vise à améliorer l'accès à l'assurance et au crédit des personnes malades ou ayant été malades et entend repousser les limites de leur assurabilité.

Parmi ses principales dispositions figurent notamment un droit à l'oubli et une grille de référence listant un certain nombre de pathologies permettant un accès à l'assurance emprunteur dans des conditions standard ou s'en approchant. Alors que la loi du 31 janvier 2007 prévoit que le législateur puisse réévaluer régulièrement cette convention, nous avons souhaité rencontrer aujourd'hui les principaux acteurs concernés par la convention pour recueillir leur ressenti sur son application et les principales pistes d'évolution qu'ils appellent de leurs vœux.

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Roman Krakovsky, président de l'association Les Séropotes

L'association Les Séropotes accompagne depuis une quinzaine d'années les personnes vivant avec le VIH. Elle agit à la fois pour les sortir de l'isolement, sur l'accompagnement thérapeutique et, depuis quelques années, sur le plaidoyer notamment pour l'accès à l'assurance emprunteur et l'accès aux soins non-VIH.

Cette question de l'accès à l'assurance emprunteur a un long historique. Les premières tentatives pour élargir l'accès au crédit des personnes vivant avec le VIH puis avec d'autres pathologies datent du début des années 1990. La première convention date de 1991, la convention Belorgey date de 2001 et la convention AERAS arrive en 2006. Elle porte sur les assurances invalidité et décès. Depuis 2015, le droit à l'oubli s'applique de plus pour certaines pathologies, en particulier certains cancers : il est permis de ne pas déclarer la pathologie au moment de la souscription du contrat d'assurance.

La convention AERAS prévoit trois niveaux d'examen des assurances. Le premier est celui commun à tout un chacun, constitué d'un premier questionnaire demandant si la personne suit un traitement, si elle fume... En cas de réponse affirmative à l'une de ces questions, un deuxième questionnaire lui est soumis. Il essaie de mieux définir le risque que pourrait représenter le fait d'assurer cette personne. Ce questionnaire contient des questions sur la pathologie – depuis combien de temps, hospitalisation éventuelle... – et si, au terme de ce deuxième questionnaire, la compagnie d'assurances accepte d'assurer la personne avec le taux normal, l'affaire s'arrête là. En cas de surprime ou d'exclusion, nous arrivons au troisième niveau, où la convention AERAS joue un rôle assez actif.

La situation du VIH a beaucoup évolué ces dernières années : nous sommes passés d'une maladie mortelle à une maladie chronique de longue durée. Pourtant, le VIH fait toujours partie de ces maladies qui impliquent des surprimes importantes. Les conditions d'accès sont très restrictives. Pour le VIH, la liste de ces conditions remplit une page A4. Il ne faut pas avoir fumé, il ne faut pas avoir eu d'hépatite B ou C, ne pas avoir une maladie du cœur... Lorsque la personne remplit ces conditions très restrictives, il lui est proposé une assurance plafonnée à 320 000 euros d'emprunt, ce qui est extrêmement difficile pour les personnes qui vivent à Paris ou en Île-de-France, région qui concentre pourtant la moitié des personnes vivant avec le VIH en France. Il faut de plus toute une série de garanties, dont notamment une durée de vingt‑sept ans entre le début du traitement et la fin de la garantie emprunteur. De ce fait, si la personne n'emprunte pas dans les premières années après le diagnostic, elle a très peu de chance d'avoir la possibilité d'emprunter par la suite.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous nous sommes saisis de cette question, déjà portée par plusieurs associations dans le passé. Notre première demande porte sur l'aménagement de la charge de la preuve car tout en découle. La vraie question est : le VIH, comme certaines autres pathologies, est-il inassurable aujourd'hui ? Les personnes qui vivent avec le VIH représentent-elles un risque tel qu'elles auront besoin, au cours de leur vie, de faire jouer pour des raisons médicales l'assurance emprunteur ?

Aujourd'hui, comme pour un certain nombre d'autres pathologies, une personne qui vit avec le VIH entre dans un parcours de longue durée avec un suivi extrêmement rapproché qui lui donne une espérance de vie égale, voire supérieure, à la population générale. Le taux d'invalidité est quasi nul. Même les autorités reconnaissent qu'une personne qui vit avec le VIH a très peu de chances d'obtenir une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé car les conditions sont extrêmement restrictives. Il faut une absence d'emploi pendant douze mois, une incapacité de travail durable... Même une personne passée par le stade sida a aujourd'hui très peu de chances d'obtenir un taux de handicap qui lui permettrait de percevoir une allocation d'adulte handicapé.

En ce qui concerne le décès, nous savons que, aujourd'hui en France, on ne meurt quasiment plus du sida. Même des personnes qui découvrent leur statut sérologique au stade sida arrivent à recouvrer une situation de santé. Mon partenaire a été hospitalisé voici à peu près vingt ans au stade sida avec une pneumocystose et il est aujourd'hui en excellente santé. Le surrisque n'est donc pas avéré et, pourtant, c'est toujours aux associations de patients de démontrer que la pathologie dont souffrent les personnes qu'elles représentent ne constitue pas un risque de défaillance médicale – décès ou invalidité – et que ces personnes sont donc assurables à un coût supportable.

La difficulté est que les preuves qui doivent être apportées nécessitent des études très coûteuses que les associations ne peuvent pas supporter, sauf pour les pathologies comme le cancer, où elles bénéficient de l'aide d'institutions publiques qui peuvent se permettre de financer des études, ou pour certaines pathologies comme la mucoviscidose. Dans ce dernier cas, une étude de plusieurs millions d'euros sur plusieurs années a pu être financée mais c'est le cas pour très peu de pathologies. Par ailleurs, même lorsque ces études existent dans d'autres pays, elles n'ont pas amené les assureurs à avancer sur le dossier.

Notre première demande est donc d'inverser la charge de la preuve : plutôt que de demander aux associations de patients de démontrer que la pathologie ne présente pas de risque, nous demandons que la compagnie d'assurances prouve qu'une pathologie représente un risque, d'autant plus que les compagnies d'assurances disposent en interne des chiffres de réalisation de risque de leurs propres produits.

Notre deuxième demande est la réévaluation plus régulière de la grille de référence qui fixe la liste des pathologies et les conditions auxquelles les personnes peuvent accéder à la convention. Il n'existe actuellement pas de mécanisme prévoyant une évolution régulière de la convention ni de contrôle. Dans les textes, il est prévu qu'un rapport doit être remis tous les trois ans sur les travaux de la convention. En 2020, nous avons eu un premier rapport qui fait un bilan préliminaire des dix dernières années. Pour faire simple, si les choses n'avancent pas, il ne se passe pas grand-chose !

Nous demandons donc la définition d'un mécanisme de revoyure régulière, peut-être à un rythme annuel, qui permettrait de fixer les pathologies bénéficiant de la convention et qui mettrait à jour annuellement les critères en fonction de la situation réelle de la pathologie.

Notre dernière demande est de réfléchir au modèle de gouvernance de la convention. Actuellement, le pilotage des travaux de la convention est assuré par deux instances : d'une part, la commission des études et des recherches, animée par le ministère chargé de la santé, qui a un groupe de travail sur la grille de référence pour fixer la liste des pathologies et des surprimes mais ne dispose d'aucun moyen matériel ni humain pour travailler, qui se réunit une fois par mois avec un fort taux d'absentéisme, et d'autre part la commission de suivi et de propositions, animée par le ministère chargé de l'économie, qui est un groupe plus politique qui prend des décisions. Au sein de ces instances, les décisions sont prises selon le principe du consensus : il faut un accord de tous les acteurs pour avancer. Ce principe de consensus devient en réalité un principe d'unanimité. Il suffit qu'un acteur ne donne pas son accord pour que nous n'avancions pas d'où les possibilités de blocage d'un tel système.

Les pouvoirs publics jouent actuellement un rôle très réduit dans l'animation des travaux de cette convention au titre de la liberté contractuelle. Or, même si l'assurance complémentaire n'est pas obligatoire dans les textes, elle l'est dans les faits et l'impossibilité d'obtenir un prêt devient de facto discriminatoire pour certains publics.

Nous nous interrogeons également sur le rôle des associations de patients qui représentent dans ces instances ceux pour qui la convention a été créée. Elles sont largement minoritaires et, pour certaines, ne signent plus de convention depuis plusieurs années. Nous demandons donc que ces différentes pistes concernant le mode de gouvernance soient explorées : le principe d'unanimité, le rôle des associations de patients et le rôle des pouvoirs publics.

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Caroline Izambert, directrice du plaidoyer de l'association AIDES

Nous nous réjouissons de cette audition : au-delà des aspects techniques et épidémiologiques qui seront beaucoup mieux développés par Mme Costagliola, il existe une injustice profonde en matière d'accès à l'emprunt dans le traitement réservé aux personnes vivant avec le VIH.

Ces personnes ont une maladie chronique, comme des millions de personnes en France. Leurs projets de vie, que ce soit dans la sphère privée – avoir un appartement – ou dans la sphère professionnelle – monter une entreprise –, sont entravés. C'est pour nous un peu un héritage funeste des années 1980 et 1990, qui ont été les plus difficiles du VIH. Il nous semble parfois, alors que les assureurs revendiquent légitimement une rationalité et un calcul du risque selon des critères objectifs, que les obstacles proviennent en fait aujourd'hui de la représentation et de la méconnaissance de la maladie. Cela empêche les personnes que nous représentons d'avoir la vie qu'elles méritent, la vie que nous avons collectivement gagnée dans la lutte contre le sida et grâce à l'accès aux traitements.

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Chloé Le Gouëz, chargée de plaidoyer « accès aux droits » à l'association AIDES

Nous pensons important de replacer dans son contexte ce que signifie la surévaluation par les assurances du risque que feraient courir les personnes vivant avec le VIH au système sur lequel reposent les assurances. Cette surévaluation n'est pas anodine, même pour le système, en termes de sélection du risque.

La sélection du risque est consubstantielle à l'activité des assureurs. Leur modèle économique et leur survie en dépendent. C'est de cette sélection du risque que découle le principe de libre tarification de ce risque et la possibilité qu'ils ont de proposer des contrats avec des surprimes pouvant être très importantes.

Il est assez intéressant de faire un petit retour historique et de voir combien les assureurs et les banques ont été attachés à la possibilité de discriminer sur l'état de santé. Je pense en particulier aux débats lors de la loi du 12 juillet 1990 qui instituait le principe de non-discrimination en raison de l'état de santé et du handicap. Les assureurs et les banques sont à cette époque montés au front pour pouvoir maintenir une sélection fondée sur l'état de santé. Elle a, de fait, été codifiée dans le code pénal à travers l'article 225-3, qui institue des exceptions au principe de non-discrimination : ne sont donc pas sanctionnées les discriminations fondées sur l'état de santé lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité.

Il me semble important de garder en tête que les assureurs bénéficient d'une dérogation au droit commun en ayant la possibilité de sélectionner sur des données relatives à l'état de santé, à l'exception des tests génétiques ou des conséquences sur l'état de santé d'un prélèvement d'organe. C'est une dérogation au droit commun et, de ce fait, les assureurs et les banques doivent faire preuve d'une très grande responsabilité dans la manière dont ils sélectionnent et dans les critères sur lesquels ils fondent cette sélection pour qu'elle ne soit pas disproportionnée.

Cette sélection des assureurs s'opère dans un contexte très concurrentiel, de plus en plus concurrentiel, mais aussi dans un contexte d'avancées scientifiques et de progrès médicaux. Les enjeux autour des big data permettent de comprendre et prévoir le risque de façon plus fine, poussant les assureurs dans une logique de segmentation des classes de risque et à une individualisation effrénée du risque au détriment d'une logique collective et solidaire. Nous trouvons que les grilles de référence – qui ont été une avancée majeure pour l'assurabilité des personnes faisant face à un risque aggravé de santé – entrent parfaitement dans cette logique de segmentation des classes. Nous voyons même des segmentations au sein d'une pathologie puisque la grille de référence AERAS permet à certaines personnes vivant avec le VIH d'en bénéficier et pas à autres.

Je rappelle également que le Conseil national du sida et des hépatites virales, dans son avis de 1999, pointait déjà ce fait et s'inquiétait des dérives de cette individualisation du risque. Je cite le rapport, page 38 : « L'évolution en cours, avec l'interaction entre progrès médicaux et segmentation du marché par les assureurs, semble bien aboutir à une impasse logique. À mesure que les risques de santé sont plus prévisibles sur le long terme, plus il existe une segmentation entre groupes d'individus au point, qu' in fine , elle devient socialement insoutenable car illégitime. » Cette question de l'acceptabilité sociale ou du seuil de ce qui est socialement soutenable en termes de sélection des risques, de qui accède ou non à l'emprunt, est éminemment importante, encore plus dans un système conventionnel qui repose sur une acceptation a minima de ses termes qui est donc une acceptabilité sociale.

La première question qui revient lorsque nous sommes sollicités par des personnes faisant face à des refus des banques ou des assureurs est : « Dois-je mentir sur mon état de santé ? » Je pense que le fait que nous en arrivions à devoir répondre à cette question de manière récurrente montre une forme d'effritement de la confiance dans ce système assurantiel. Il me semble intéressant de repositionner la question de la surévaluation du risque dans ce système plus global puisque, de manière assez paradoxale, cette très forte segmentation à l'œuvre dans le champ assurantiel pourrait finalement entretenir le phénomène d'antisélection qui fait fuir les assureurs et aboutir à un résultat très bancal.

Les personnes vivant avec le VIH font face à une forme d'injustice puisque le surrisque est surévalué, comme le montrera avec force Dominique Costagliola en s'appuyant sur des données scientifiques et probantes. Nous rejoignons ici les demandes de l'association Les Séropotes : il faut que les grilles de référence par pathologie soient régulièrement actualisées et, en tout cas, soient actualisées à court terme et non à long terme comme actuellement. Une disproportion crée une discrimination même si le principe de discrimination en raison de l'état de santé est autorisé. La grille est tellement restrictive qu'une personne vivant avec le VIH qui remplit l'ensemble de ces critères ne fait courir aucun risque à l'assureur. Elle paie pourtant des surprimes et se voit appliquer des exclusions de garantie alors qu'elle ne les fera pas jouer.

Nous sommes une association communautaire qui se fonde sur l'expérience des personnes vivant avec le VIH. Je trouve donc intéressant de me faire le porte-voix d'une personne très emblématique et significative qui a rencontré des difficultés pour emprunter : « Je suis porteur du VIH depuis 2010 avec une charge virale indétectable. J'ai 41 ans. Je souhaite faire un crédit immobilier. J'ai préféré être franc et ne pas cacher mon problème de santé, ce qui m'a inquiété car je ne savais pas si j'étais assurable. J'ai eu un retour d'une étude où je me retrouve assurable mais uniquement sur le décès. Ils ne prennent pas en compte l'incapacité temporaire ou totale de travail, ni les pertes irréversibles d'autonomie. En fait, si je comprends bien, sous prétexte que j'ai le VIH, je n'ai pas le droit d'avoir un accident de travail ou de circulation ou tout autre pépin de la vie qui n'a aucun rapport avec ma pathologie. Conclusion : je suis couvert pour rien et je paie un max. Alors, quitte à ne pas être couvert, autant ne pas payer autant ! » Ce témoignage est très emblématique de ce que nous entendons régulièrement.

Que les grilles de référence par pathologie ne suivent pas de manière beaucoup plus rapide et fine les données actualisées en termes médicaux, scientifiques et biologiques est un des problèmes de la convention AERAS. Encore une fois, la dérogation au droit commun concédée aux assureurs leur donne l'obligation d'être à jour sur les données scientifiques et médicales. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Un autre problème sur lequel nous rejoignons Les Séropotes est la difficulté à évaluer et contrôler les pratiques des assureurs, notamment l'effectivité et l'applicabilité de cette convention AERAS. Nous rejoignons aussi les conclusions de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales de 2015 ainsi que différentes études de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui pointe cette difficulté à évaluer, d'une part parce que nous manquons d'indicateurs de suivi partagés et d'autre part parce que des différences de traitement dans l'instruction des dossiers existent et ont des effets sur les niveaux d'assurabilité des personnes. Par exemple, si un assureur examine un dossier au premier niveau et ne propose qu'une assurance décès, il peut considérer cela comme suffisant et ne pas passer au deuxième niveau tandis qu'un autre assureur essaiera de passer au deuxième niveau pour voir si l'assurabilité de la personne est meilleure notamment en ce qui concerne l'incapacité ou l'invalidité. Ces différences de traitement peuvent paraître arbitraires et avoir des effets très concrets sur l'assurabilité des personnes. Nous devons être vigilants sur ce sujet. Des indicateurs de suivi partagés permettraient d'objectiver les faits et de savoir où sont les leviers d'action. Enfin, nous constatons un manque de confidentialité et de respect du secret médical.

Parmi les pistes d'amélioration, il faut d'abord réussir à faire appliquer l'existant donc avoir des moyens de contrôle. Puisque nous sommes devant la commission des affaires sociales, peut-être serait-il utile d'ajouter un onzième alinéa à l'article L. 1141-2-1 du code de la santé publique, qui établit la convention AERAS, afin d'étendre le champ de la convention à ces modalités de contrôle. Cela donnerait une assise législative qui serait importante en termes d'application et de signification du contrôle.

En ce qui concerne l'élargissement de l'assurabilité des personnes, il faut faire évoluer la grille de référence. Nous y travaillons avec Mme Costagliola, qui nous représente au sein du groupe de travail. Il faudrait revoir les conditions d'âge, peut-être découpler l'assurance et l'emprunt avec une durée d'assurance réduite par rapport à celle du prêt. Nous devons mener une réflexion sur la nécessité de sortir de la logique d'individualisation du risque et peut-être mettre en place un fonds de solidarité qui pourrait être abondé sur les bénéfices techniques et financiers des assureurs. Les assureurs font un chiffre d'affaires énorme avec l'assurance emprunteur.

Ce point est important en termes de santé publique pour les personnes vivant avec le VIH, qui peuvent ressentir cette impossibilité d'accéder à un emprunt comme une double ou triple peine. Les logiques de santé publique amènent à ce que les personnes se fassent dépister le plus rapidement possible pour être mises sous traitement le plus rapidement possible et atteindre une charge virale indétectable. Elles le font, elles sont suivies et le couperet tombe : elles ne peuvent pas s'assurer. C'est pour nous une forme de prime à la séro-ignorance qui est problématique pour la santé publique.

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Marianick Lambert, membre du bureau de France Assos Santé

France Assos Santé regroupe toutes les associations de toutes les pathologies, de tous les handicaps. Je n'ai pas du tout un point de vue particulier comme AIDES ou Les Séropotes ou les associations de patients cancéreux.

J'ai l'impression de remonter trente ans en arrière. Dans une vie idéale, certes, il ne faudrait pas prévoir dans le code pénal de discrimination à l'assurance pour des raisons de santé. Nous pourrions aussi prévoir une assurance obligatoire pour l'emprunt et, dans ce cas, nous aurions un fonds de garantie. Or, l'assurance n'est pas obligatoire pour emprunter et les assureurs ont le droit de discriminer et de tabuler le risque sur les problèmes de santé. C'est la situation juridique dans laquelle nous sommes depuis trente ans.

J'ai l'impression, d'après ce que j'ai entendu, que nous n'avons pas fait de progrès depuis trente ans. Je connais la convention AERAS pour en être signataire depuis qu'elle s'appelait Belorgey et je vous rappelle que, historiquement, je dois remercier l'association AIDES, car la première convention passée sur ce sujet l'a été en 1991 entre les assurances et AIDES. Cette association est à l'origine de la première idée de cette convention destinée à faire avancer ce problème, insoluble en 1991 puisque les séropositifs se voyaient opposer un refus systématique. La convention a ensuite été étendue à l'ensemble des associations de consommateurs et de personnes handicapées, conduisant à la convention Belorgey, qui est maintenant devenue la convention AERAS.

Nous nous sommes battus parce qu'il existait une hétérogénéité dans l'appréciation du risque par les assureurs. Du fait de cette possibilité pour l'assureur d'évaluer le risque et donc de discriminer en fonction de l'état de santé, il y avait des différences d'une compagnie à l'autre. Une compagnie pouvait assurer sans surprime, une autre pouvait refuser d'assurer tandis qu'une troisième pouvait assurer avec une surprime hallucinante. C'est l'expérimentation que nous avons faite à l'époque de la convention Belorgey. Nous avons soumis des dossiers du même patient à plusieurs services médicaux d'assurances et nous sommes arrivés à des résultats hallucinants puisque, d'une compagnie à l'autre, ce risque était apprécié de 1 à 100.

Pendant quinze ans, toutes les associations signataires se sont battues pour pouvoir objectiver le risque vis-à-vis des assurances. Cette objectivation du risque a été la grande évolution de 2015 avec cette grille de référence sur laquelle nous nous sommes mis à travailler. Cela signifie que, pour un dossier donné de patient, le risque est objectivé. La compagnie a le droit, ensuite, de le traduire financièrement mais le risque est le même. Il n'arrive plus qu'une compagnie d'assurances l'accepte et qu'une autre le refuse. Il faut comprendre que c'est là le nœud de la convention.

Le seul point que je partage et que je réclame est que la convention AERAS n'a, comme l'ont dit Les Séropotes, aucun moyen. Elle a un secrétariat partagé entre les ministères de la santé et des finances, qui lui dédient des personnes ayant un autre métier. Nous n'avons aucun moyen pour financer les études.

La grille de référence est révisable à tout moment et un contrôle est exercé : tout ce qui est demandé par Les Séropotes existe donc déjà dans le mode de fonctionnement de la convention AERAS. Seul le manque de moyens empêche d'avancer car nous ne pouvons pas financer les études épidémiologiques pour évaluer le risque. Nous faisons donc au mieux et le groupe de travail travaille en permanence sur cette grille de référence qui n'est jamais fixée. Il faut simplement l'alimenter et, pour l'alimenter, nous avons besoin de données scientifiques ce qui nécessite de financer des études.

Ce n'est pas le mécanisme de la convention ou sa gouvernance qui sont en cause. Ce principe conventionnel ne peut pas figurer dans la loi puisque l'assurance n'est pas obligatoirement assortie à l'emprunt. Nous restons dans un mécanisme conventionnel qui n'a, hélas, pas de moyens. Finançons donc les études et la grille de référence évoluera. Des pathologies pourront rentrer.

Il ne faut pas oublier que je fais partie d'une association qui représente toutes les pathologies ainsi que les personnes âgées ou handicapées. Par définition, nous sommes pour la mutualisation du risque, qui est le fondement de ce que nous défendons. Toutefois, il faut comprendre aussi que chaque pathologie a bien une spécificité et que chacun se bat pour être dans la grille de référence aux meilleures conditions. C'est la logique du système mais l'évaluation du risque dans chaque pathologie demande des données différentes. Nous avons besoin d'études, nous ne pouvons pas travailler différemment.

Il est exact que, pour les séropositifs, l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales possède des données ce qui a permis de les faire entrer dans la grille et, je l'espère, de la faire avancer beaucoup plus vite. Certains types de cancer sont également entrés parce que nous avons des données grâce à l'Institut national du cancer mais des pathologies attendent toujours de rentrer dans cette grille de référence.

La loi ne peut pas les y inscrire. Il faut financer l'acquisition de données scientifiques afin qu'une évaluation du risque soit opposable aux assureurs. Sinon, il faut modifier la loi mais, à droit constant, c'est-à-dire avec un code des assurances qui autorise l'évaluation du risque en fonction de l'état de santé et la non-obligation d'une assurance assortie à l'emprunt, seul le mécanisme conventionnel est possible. Pour fluidifier ce mécanisme conventionnel, il faut lui donner les moyens financiers de travailler.

C'est la quadrature du cercle. Je suis ce mécanisme et j'y travaille depuis longtemps. J'ai l'impression, alors que je représente une association de patients, d'être obligée à chaque fois que je vais à une table ronde de défendre ce mécanisme dont les gens ont l'impression qu'il ne travaille pas, qu'il est figé. Il n'est pas figé, il avance mais, hélas, en fonction des moyens que nous avons. Je suis désolée d'être si pessimiste ou si lucide ; l'important est vraiment la question des moyens. Les blocages ne proviennent pas du mécanisme de l'AERAS mais du manque de financement.

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Dominique Costagliola, directrice de recherche à l'Inserm

Dans la grille VIH actuelle, les quatre points qui nous posent problème et que nous essayons de faire modifier sont le fait d'avoir un taux de lymphocytes de type CD4 supérieur à 350 par millimètre cube sur tout l'historique depuis le diagnostic – ce point semble faire relativement consensus ; l'absence de stade sida – ce point est en discussion ; l'absence d'usage de substances illicites au sens de la liste des stupéfiants fixée par l'arrêté du 22 février 1990 – nous avons fait quelques progrès ; le plafonnement à vingt-sept ans de la durée entre le début du traitement et la fin de l'emprunt.

Ce dernier point est le point majeur que je souhaite discuter avec vous aujourd'hui. Je ne trouve pas de justification particulière à ce choix d'avoir limité à vingt-sept ans la durée depuis le début du traitement antirétroviral. Cela signifie très concrètement qu'une personne ayant commencé son traitement antiviral voici dix ans, ayant maintenant une charge virale contrôlée et un niveau de CD4 restauré, ne pourra au mieux avoir le droit qu'à un emprunt de dix-sept ans et peut-être même seulement seize ans le temps de faire les démarches. Ce peut être compliqué pour faire un emprunt d'un montant important quel qu'en soit le motif. Pourtant, nous ne trouvons pas réellement de justification à cette limite dans les données que nous avons.

S'agissant de l'espérance de vie, nous disposons d'une étude de cohorte faite dans le cadre d'une collaboration de pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Il faut s'intéresser dans cette étude à la situation des patients européens car les personnes d'Amérique du Nord de cette étude sont des patients à très fort risque de décès dont il ne faut pas tenir compte. L'étude calcule l'espérance de vie des personnes en fonction de la période à laquelle elles ont commencé le traitement, au moins un an après le début du traitement pour attendre que le traitement joue son rôle en termes de gain contre la charge virale et de taux de CD4 qui remonte.

Nous voyons ainsi que les patients européens ayant commencé leur traitement entre 2004 et 2007 ont une espérance de vie de 74 ans pour les hommes et les femmes. Pour ceux qui ont démarré leur traitement entre 2008 et 2010, l'espérance de vie pour les hommes est de 79 ans et elle est de 78 ans pour les femmes. Les données françaises représentent 30 % des données utilisées au total dans ce travail et plus de 50 % des données européennes utilisées. Nous trouvons dans l'annexe les espérances de vie à 20 ans en France sur la même période : 79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes.

Vous voyez que l'espérance de vie a donc nettement progressé. Elle s'approche maintenant de l'espérance de vie observée en population générale. Cette étude a été publiée dans la revue The Lancet HIV en 2017 et, dans le cadre du groupe, nous travaillons actuellement à compléter les calculs puisque vous voyez que l'étude prend en compte des personnes qui ont commencé le traitement entre 1996 et 1999 et sont peut-être décédées aujourd'hui. La question qui se pose pour les assureurs est de connaître l'espérance de vie de quelqu'un qui est en vie actuellement. Nous souhaitons déterminer l'espérance de vie des gens qui ont survécu au moins jusqu'en 2010 ce qui correspond plus à la situation dans laquelle nous sommes lorsque nous voulons connaître l'espérance de vie d'une personne s'assurant aujourd'hui. Ces données devraient être disponibles très bientôt.

Je dispose par ailleurs de nombreuses données très détaillées pour tous les autres critères mais je voulais insister sur le fait scientifique que le gain en espérance de vie a été considérable avec les traitements. Quelqu'un chez lequel le traitement fonctionne, avec une charge virale contrôlée, avec des CD4 de bon niveau, présente actuellement un surrisque très limité sans qu'il soit utile de regarder toute l'histoire de la maladie comme c'est prévu dans la grille.

Il n'existe donc pas de raison d'imposer ces limites, la plus contraignante étant cette limite à vingt-sept ans pour laquelle je n'ai pas de trace d'explication. Pourquoi ne pourrions‑nous pas allonger cette période au fil du temps qui passe ? La grille a été établie voici plusieurs années et nous devrions au minimum allonger cette période de la durée écoulée depuis. Si, à l'époque, il était possible d'assurer pour vingt‑sept ans, pourquoi la limite est-elle toujours la même ?

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Gilles Bignolas, animateur du groupe de travail « Grille de référence - Droit à l'oubli », rattaché à la commission de suivi et de propositions de la convention AERAS

Je remercie les intervenants précédents ; ils ont fait montre d'une connaissance parfois un peu relative des travaux d'AERAS mais je ne leur en veux pas car c'est compliqué. Il faut vraiment pénétrer ce système pour le connaître bien, comme le fait Marianick Lambert ou comme l'a fait l'association AIDES, à laquelle je rends effectivement grâce d'avoir posé les prémices de la convention avec la commission Belorgey.

Le groupe de travail a commencé à travailler dans le format actuel au mois d'octobre 2015. Ce n'est pas si ancien et, avec en gros dix réunions par an, nous avons traité dix-neuf pathologies différentes dans le cadre de la grille AERAS. Mme Costagliola a été l'experte du groupe de travail avant de s'engager récemment aux côtés d'AIDES mais il n'existe pas de conflit d'intérêts ; elle peut agir dans un sens ou l'autre, nous sommes très ouverts. La particularité de ce groupe de travail, en plus d'être totalement bénévole, est son indépendance. Il faut souligner qu'il est ouvert aux associations et un certain nombre de présents à cette table ronde y participent depuis longtemps. Il est ouvert aux médecins d'assurances qui travaillent avec nous et aux agences d'expertise de l'État qui nous apportent des connaissances et parfois des moyens.

Il est exact que nous manquons de moyens et c'est ce qui limite notre capacité d'action. Nous pouvons plus facilement traiter le cas des cancers, d'autant plus que la loi renforce le rôle d'AERAS dans le droit à l'oubli pour cette pathologie. Dans la dernière itération de la grille, qui ne date pas de 2019 mais de novembre 2020, nous avons progressé sur les cancers en général et en particulier sur les cancers pédiatriques puisque l'âge des cancers pédiatriques a été revu jusqu'à 21 ans. Je ne sais pas d'où vient ce 21 ans – peut-être se rattache-t-il à l'inconscient collectif de l'ancienne majorité.

Nous traitons aussi des pathologies chroniques. Outre le VIH, nous avons traité les hépatites C et la mucoviscidose, qui n'est pas forcément une pathologie facile. Je ne pense pas que nous ayons dépensé des sommes considérables puisque j'ai participé à la réforme du financement des registres et nous travaillons avec le registre de mucoviscidose financé par l'État. Les retraitements statistiques ont été assumés par l'association, que je remercie ; ces personnes font un travail fantastique et prolongent un peu nos moyens. Nous travaillons aussi sur l'insuffisance rénale chronique terminale et sur les maladies rares de la coagulation que sont les hémophilies et la maladie de von Willebrand.

Nous avons quantité de projets mais nous sommes limités par les moyens et le temps puisqu'une réunion par mois est le maximum que nous puissions faire, surtout dans cette période un peu difficile où il est compliqué de trouver des créneaux de disponibilité pour nos experts. Toutefois, il faut garder en mémoire que le groupe est ouvert, que son calendrier est ouvert et que la révision de la grille se fait sur simple demande écrite au président de la commission de suivi et de propositions. C'est très simple et je me prête avec bonheur à toutes les tentatives d'intrusion de nouvelles associations et de nouvelles pathologies. Je déborde de demandes, ce qui tend à montrer que, avec l'expérience, cette grille de référence joue tout de même un certain rôle.

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Je souhaite que vous reveniez sur le suivi médical imposé aux porteurs du VIH. Est-il régulier, annuel ?

Je voudrais aussi que vous expliquiez un cas concret de surprime, en indiquant la surprime par mois pour un crédit immobilier, de façon que mes collègues députés puissent se rendre compte des difficultés et du côté parfois malheureusement burlesque de ce qui est demandé aux porteurs du VIH pour les assurer sur un crédit immobilier.

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L'accès au crédit s'est certes amélioré mais nous constatons toujours l'existence d'un plafond de verre du fait du poids économique de l'assurance emprunteur. Ce plafond de verre commence à se fissurer, notamment avec l'expérience de Mme Pécresse, qui expérimente depuis juillet la garantie immobilière solidaire, une avancée qui me paraît majeure. Il s'agit d'un complément essentiel de la convention AERAS, ces deux dispositifs cumulés rétablissant un peu plus d'égalité dans l'accès au crédit immobilier. C'est actuellement une initiative régionale qu'il serait à mon avis bon de reprendre au niveau national. Avez-vous un retour d'expérience sur la mise en œuvre de cette initiative et des pistes d'amélioration opérationnelle ?

Je me demande aussi si ce plafond de verre n'est pas intériorisé par des malades qui s'autocensureraient. Dans l'inconscient collectif, le prêt n'est accessible qu'aux bien-portants. Je voudrais savoir si, dans votre expérience d'accompagnement, vous êtes témoins d'une forme de refus des malades de se projeter dans l'avenir, notamment via l'achat d'un bien immobilier ou le financement d'un projet. Avez-vous dans le cadre de vos associations, des stratégies d'anticipation de ces comportements ?

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Ma première question part d'un sentiment que vous avez très bien objectivé sur la gestion du risque prudentiel, le jeu du milieu assurantiel conduisant à une segmentation des publics et à une sélection de ce que nous pouvons appeler de manière vulgaire les bons risques et les mauvais risques. Ce phénomène est selon moi accentué par un certain nombre de dispositions, notamment la résiliation infra-annuelle des contrats de complémentaire santé, qui permet le nomadisme des assurés et aux acteurs économiques assureurs d'attirer la partie de la population qui représente le moins de risque.

Comme vous l'avez très bien dit, la loi n'oblige pas à souscrire une assurance pour emprunter. D'autre part, il est possible d'organiser des différenciations tarifaires donc de discriminer en fonction des risques que représentent les uns et les autres donc en fonction de l'état de santé. Dans les faits, quasiment aucun établissement de crédit n'accorde de crédit sans assurance. Pensez-vous que, d'un point de législatif, nous pourrions instaurer une obligation d'assurance emprunteur avec un mécanisme d'interdiction ou d'encadrement des discriminations en fonction de l'état de santé et donc du risque ?

Dans les faits, une part importante des personnes vivant avec le VIH cachent-elles délibérément leur état de santé, avec tous les risques encourus, pour pouvoir souscrire un contrat d'assurance emprunteur parce qu'elles ont bien compris ou anticipé que ce serait un parcours du combattant si elles faisaient état du fait qu'elles sont porteuses du VIH ?

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Peu de temps après 1995, avec l'avènement des trithérapies, nous nous rendons compte que l'espérance de vie des patients avec le VIH se rapproche de la normale. Vingt-cinq ans plus tard, il existe toujours une discrimination contre les patients porteurs de VIH. J'ai d'ailleurs posé en décembre dernier une question écrite au Gouvernement sur ce sujet.

Quel choix nos intervenants préfèrent-ils face à cette absurdité ? Faut-il avoir une approche révolutionnaire, supprimer l'exonération au droit commun et demander aux assureurs de mutualiser le risque comme ils le mutualisent entre les fumeurs et les non‑fumeurs, entre les sportifs et les non-sportifs ? Préfèrent-ils une approche plus raisonnable, réformiste, en modifiant le calcul du risque et de la surprime chaque année, non pas à l'initiative des assureurs mais des pouvoirs publics ? Les pouvoirs publics ont immédiatement connaissance des progrès médicaux, des chiffres de survie, des morbidités éventuelles.

Il faut effectuer ce choix mais nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle. Je fais d'ailleurs remarquer que médecins et pouvoirs publics ont permis la réhabilitation des séropositifs, en leur permettant l'accès au travail, à l'enfantement, à des conditions de vie normales. C'est un paradoxe insupportable qu'ils n'aient pas la possibilité d'accéder à l'emprunt avec des durées correctes et ne puissent pas avoir une assurance satisfaisante du fait des surprimes. Il faut corriger ces défauts qui sont totalement démodés. Ils correspondent à l'état d'esprit qui prévalait voici un quart de siècle et plus du tout à la situation actuelle.

Nous pourrions aussi imaginer l'extension du droit à l'oubli pour la pathologie VIH. Nous pourrions considérer les malades de la même façon que les cancéreux guéris par exemple. Enfin, nous pouvons éventuellement imaginer un fonds de garantie qui permettrait de supprimer les surprimes demandées à ces sujets.

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En quoi les porteurs du VIH sont-ils différents des autres malades chroniques ? Pourquoi ce droit à l'oubli n'est-il pas le même que pour une autre maladie chronique ? Je pense que ce serait une solution.

D'autre part, j'ai entendu le manque de moyens pour financer des études, même si Mme Costagliola nous donne déjà des éléments. Qui l'a missionnée pour ce travail et dans quel but ? Est-ce l'État qui doit prendre en charge ces études et par quel biais ? Quels sont les moyens de mandater l'État sur des études épidémiologiques précises et de disposer d'un état des lieux de la façon dont les personnes concernées peuvent contracter un prêt ?

Comment pouvons-nous revoir ces grilles d'évaluation de façon à ce que, en cas de gros risque, il existe une sorte de garantie d'État permettant tout de même à ceux ayant le plus gros risque d'accéder à la propriété, le risque étant pris en partie en charge par des fonds de solidarité dotés de fonds publics ?

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Gilles Bignolas, animateur du groupe de travail « Grille de référence - Droit à l'oubli », rattaché à la commission de suivi et de propositions de la convention AERAS

Un élément de réponse très net sur le VIH est que nous y travaillons. Nous avons été saisis par AIDES et nous travaillons avec Mme Costagliola, qui nous a déjà présenté les travaux dont elle vient de parler. Ils nous ont permis d'avancer au sein du groupe de travail sur la plupart des points.

J'avais bien noté lorsque nous avons discuté avec l'association Les Séropotes que le plus gros problème était le plafonnement à vingt‑sept ans de la durée. Comme l'a rappelé Mme Costagliola, il ne repose sur rien. C'était une donnée qu'avaient relevée les assureurs sur la durée maximale, voici cinq ans, des cohortes suivant les patients enrôlés dans les différentes cohortes américaines et européennes. Or, nous attendons rapidement d'autres données et je pense que d'ici la fin du mois, nous devrions disposer de ces données, les retravailler et prendre une décision sur ce point. J'en ai averti le groupe de travail, qui suit en général les directions d'étude que je lui donne.

Je ne suis qu'un animateur mais, du fait de l'habitude de travail que nous avons prise, nous connaissant bien les uns les autres et connaissant les différentes positions, je peux sans risque orienter un peu les travaux aussi bien des associations que des assureurs sur des points qui feront consensus. Lorsque le groupe de travail a pris une décision consensuelle, la commission de suivi et de propositions ne s'est jusqu'à présent jamais élevée contre ni n'a modifié la décision. J'ai donc très bon espoir de pouvoir aboutir sur ces différents points avant la fin du premier trimestre, comme je l'avais annoncé à l'association Les Séropotes.

Cela devrait débloquer pas mal de problèmes puisque nous avons déjà un consensus en faveur de la suppression du critère portant sur les CD4. Nous progressons sur l'absence de stade sida. En ce qui concerne l'absence de substances illicites, le terme en lui-même sera totalement effacé et nous progressons aussi sur l'évaluation du risque qui en est faite grâce à des chiffres non définitifs mais qui donnent une bonne idée du risque et de l'efficacité de la prise en charge des patients ayant abandonné une prise, notamment intraveineuse, de substances. Sur ces quatre points, nous avançons donc vraisemblablement vers un consensus qui devrait s'établir vers la fin du premier trimestre.

La vraie question qui se pose à mon avis est de progresser de façon équitable sur toutes les maladies chroniques, voire sur les handicaps qui sont dans le champ de la convention AERAS, alors que nous n'avons que très rarement des études de cohortes permettant d'évaluer et de faire consensus sur un risque, prévisible ou peu prévisible mais qui, de toute façon, se situe dans le futur. Les épidémiologistes n'ont que des études à long terme qui renseignent sur le passé.

Nous ne pouvons pas nous projeter mais nous pouvons quand même agir. La plupart de nos études sont limitées, même sur le cancer, à des durées de dix à quinze ans. Nous prenons pourtant des décisions qui engagent les emprunteurs pour vingt ans. Je ne crois pas que nous soyons vraiment limités par des questions de méthode. Nous le sommes beaucoup plus probablement par des questions de moyens. Si j'avais un souhait, il serait que la France se dirige vers davantage de financement de grandes cohortes. Nous en avons quelques-unes mais très limitées. La cohorte Constances animée par la sécurité sociale était ravie d'atteindre 200 000 personnes : c'est très faible par rapport à ce qui est fait dans d'autres pays et c'est beaucoup trop peu pour travailler raisonnablement sur les différentes maladies chroniques.

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Dominique Costagliola, directrice de recherche à l'Inserm

En ce qui concerne la prise en charge médicale, les primo-prescriptions d'antirétroviraux se font normalement toujours à l'hôpital ainsi que les modifications de traitement. Dans la pratique, certaines personnes sont suivies pour leur infection à VIH de façon conjointe en ville et à l'hôpital. À l'hôpital, lorsque les personnes vont bien, elles peuvent n'avoir qu'une visite par an, éventuellement deux. C'est ce vers quoi tendent la plupart des services hospitaliers à l'heure actuelle. En début de prise en charge, les visites sont plus fréquentes, notamment lors du lancement du traitement. La personne est revue à un mois de l'instauration du traitement puis tous les trois mois durant la première ou les deux premières années. Une surveillance biologique par des mesures de charge virale ou de CD4 peut être prescrite entre-temps pour être sûr que la situation est toujours bien contrôlée.

Dans le domaine de l'infection à VIH, comme dans le domaine du cancer, même si les missions sont différentes, il existe une agence de recherche et il existe donc des données de cohortes. Les travaux que je vous ai présentés, ainsi que d'autres travaux qui ont servi au groupe de travail, proviennent de deux grandes cohortes généralistes en France sur lesquelles nous travaillons tous ensemble pour avoir des données françaises. Nous pouvons dire comment les personnes sont pris en charge, combien de personnes ont une charge virale contrôlée... Les travaux que j'ai spécifiquement présentés sont effectués dans le cadre d'une collaboration de cohortes associant différentes cohortes françaises, des cohortes d'autres pays européens et de pays d'Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis. Cette collaboration existe de longue date et a longtemps été financée par le Medical Research Council, c'est‑à‑dire l'agence de financement publique britannique. À l'heure actuelle, le financement provient du National Institut of Health, c'est-à-dire de ressources américaines.

Pourquoi nous sommes-nous intéressés à l'espérance de vie ? Il s'agit d'une question pertinente dans le domaine à VIH. Nous sommes de plus intéressés depuis longtemps par l'assurabilité puisque nous avions vers 2010 travaillé avec Swiss Re, une compagnie de réassurance, justement pour montrer que des personnes vivant avec le VIH pouvaient obtenir un prêt, les risques calculés pour eux entrant dans le champ de ce qui était déjà fait pour d'autres personnes. Il n'existait donc pas de raison de continuer à les exclure. Nous avions eu la volonté de montrer, grâce aux données dont nous disposions, qu'il était possible de changer la donne autour de cette problématique.

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Marianick Lambert, membre du bureau de France Assos Santé

Nous avons ici l'illustration de ce que je disais précédemment : ce sont les données qui permettent d'avancer. Dominique Costagliola vient de le dire et a renforcé ce qu'affirmait Gilles Bignolas : avoir des cohortes et des données lui donne les moyens de travailler.

Il faut toutefois comprendre que, même si nous n'avons pas de données, la plupart des pathologies chroniques s'aggravent avec le temps. Selon les pathologies, les situations sont évidemment différentes. Dans le cas des cancers, le facteur temps est en général favorable puisque, plus on s'éloigne de la maladie, plus le risque de récidive est faible. Par contre, pour le diabète ou des pathologies cardiovasculaires, le facteur temps est un facteur aggravant.

La situation étant très hétérogène d'une pathologie à une autre, nous pourrions tout mutualiser par un véritable fonds de garantie comme le fonds de garantie automobile, mais celui-ci existe parce que l'assurance est obligatoire. C'est la raison pour laquelle je proposais de rendre l'assurance obligatoire, ce qui permettrait de créer un fonds de garantie alimenté par tous les assureurs. La tendance actuelle n'est pourtant pas du tout à la mutualisation.

Vous avez parlé de la résiliation à tout moment de la complémentaire santé. Vous aviez déjà voté auparavant la possibilité de résiliation de l'assurance emprunteur en droit commun. Cela favorise les niches, les assureurs qui assurent les bons risques, et nous constatons que cela augmente le coût des assurances pour les personnes les plus âgées. Plus nous autorisons la résiliation, ce qui favorise la concurrence, le consommateur jeune et dynamique, plus nous risquons la démutualisation. L'intérêt d'un malade avec des pathologies chroniques consiste en la mutualisation et la tendance est contraire puisque la concurrence est favorisée en prenant le risque d'une démutualisation accrue.

Dans une vie idéale, soit l'assurance est rendue obligatoire, soit, encore mieux, nous réécrivons le code pénal et n'autorisons plus les assureurs à discriminer pour des raisons de santé. Dans la vie réelle, il reste la possibilité de nous donner les moyens d'avoir des données mais il faut être conscient de la diversité des situations d'une pathologie à l'autre.

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Chloé Le Gouëz, chargée de plaidoyer « accès aux droits » à l'association AIDES

Notre souhait est que les personnes voient rapidement leur situation évoluer. Le fait qu'AIDES participe activement à la convention AERAS depuis un an et demi, grâce à Dominique Costagliola, montre que nous avons une position pragmatique. Nous avons conscience que le VIH est une pathologie peut-être privilégiée, notamment par rapport aux maladies rénales. Je pense à Renaloo ou à l'Association française des hémophiles, qui essaient d'avoir une grille de référence.

Nous avons la capacité de produire ces données et d'intervenir dans le cadre de la convention AERAS mais je pense qu'il est tout de même intéressant d'introduire des mécanismes plus collectifs et solidaires. Le fonds solidaire pourrait être d'autant plus une piste que le code des assurances prévoit que doivent être rendues à la fin des contrats les surprimes d'assurance qui n'ont pas servi à couvrir la réalisation d'un risque. Les bénéfices techniques et financiers pourraient permettre d'abonder un fonds de solidarité.

Nous restons donc dans un cadre très pragmatique comme ce qu'a mis en place la région d'Île-de-France. Nous aimerions que des moyens soient donnés pour réaliser des études pour les autres pathologies tout en étant très attachés à une approche plus solidaire, moins segmentée.

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Caroline Izambert, directrice du plaidoyer de l'association AIDES

La rapidité prime pour nous et il nous semble que la voie conventionnelle est à privilégier pour défendre les personnes que nous représentons, même si des réformes de fond et une réforme complète de l'assurance sociale au regard d'objectifs de justice sociale pourraient être préférables.

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Bruno Lamothe, juriste à l'association Les Séropotes

Le dernier cas concret que nous avons vu d'une personne séropositive qui souhaite être assurée en déclarant sa pathologie concerne une personne de 44 ans. Le crédit est d'une valeur de 240 000 euros sur vingt ans. Le taux qui lui est proposé est de 0,84 % avec une surprime de 94 %, soit un coût total de 31 637 euros, dont la surprime représente 15 439 euros. Cette personne n'a pas d'autre pathologie associée ; elle ne souffre que du VIH et ce VIH est contrôlé depuis une quinzaine d'années. Il n'existe aucune difficulté particulière et cela lui coûte donc un peu plus de 15 000 euros pour être assurée pour le décès et l'invalidité.

Nous rencontrons de plus en plus ce type de cas. Ces personnes nous disent ne pas comprendre puisque tout le monde dit qu'elles ont une espérance de vie à peu près normale et aucun risque d'invalidité. Elles ne comprennent pas devoir payer le double du collègue qui fume, ne fait pas de vélo, pas de sport. C'est le constat qu'a fait la région d'Île-de-France en mettant en place la garantie solidaire : il n'existe pas de justification purement médicale à ce genre de surprime.

Je suis un peu en désaccord avec Marianick Lambert : toutes les compagnies d'assurances n'ont pas exactement la même politique avec la mise en place de la garantie AERAS. Nous avons un bureau d'assurance collective avec un pool de réassureurs au troisième niveau mais, aux premier et deuxième niveaux, chaque assurance fait ce qu'elle veut et propose le produit qu'elle veut. Il ne s'agit pas d'un produit standardisé avec un taux standardisé, loin s'en faut. La plupart des cas sont actuellement arbitrés aux premier et deuxième niveaux. Le troisième niveau, qui met en place une assurance centralisée avec une répartition des dossiers par les réassureurs, correspond à environ 10 000 dossiers par an, dont seuls 10 % aboutissent à la concrétisation d'un projet. 90 %, pour des raisons qui relèvent soit des assureurs soit des assurés eux-mêmes, n'aboutissent à aucun projet parce qu'aucune solution n'est trouvée. La majorité sont des dossiers ajournés par les assureurs et près de 2 000 dossiers ne donnent pas lieu à un projet parce que l'assuré trouve que c'est trop cher ou parce que le projet est expiré, les délais ayant été trop longs.

Une grande partie des personnes qui vivent avec le VIH cachent effectivement leur pathologie, voire l'ignorent. Beaucoup de personnes ignorent leur statut sérologique. Elles le cachent donc soit de bonne foi parce qu'elles ne le savent pas, soit parce que leur entourage leur dit être passé par là et conseille de le cacher pour ne pas payer beaucoup plus cher ou même ne pas avoir de réponse.

Les questionnaires ne sont pas standardisés, tant s'en faut, et sont parfois extrêmement intrusifs. Ils demandent parfois au médecin l'origine de la contamination, origine qui donne lieu à un arbitrage sur le taux. Je ne vois pas en quoi, médicalement, cela modifie les choses de savoir si la contamination provient d'un compagnon ayant le VIH ou d'un autre accident. C'est la pathologie qui doit selon moi être prise en compte et non son origine, d'autant plus que des assureurs demandent parfois une batterie de tests, comme une coloscopie, qui ne sont pas extraordinairement agréables. Nous avons vu un dossier dans lequel une cinquantaine de tests étaient demandés. Cela nécessite un nombre considérable de rendez-vous à l'hôpital pour le candidat à l'emprunt et ne donne lieu à aucun contrôle. Il devrait exister un contrôle de l'ACPR sur les questionnaires médicaux et le fait qu'ils sont plus ou moins invasifs mais l'ACPR est dotée d'assez peu de moyens.

Sur la question du financement des données, nous avons bien sûr besoin de données, d'équipes qui les analysent et les retraitent. Dominique Costagliola fait heureusement un travail extraordinaire sur le VIH mais les personnes impliquées comme elle dans ces traitements de données sont malheureusement très peu nombreuses. Nous avons des données et des équipes qui travaillent sur le VIH mais beaucoup moins sur les autres pathologies.

Il reste la question déjà posée de la charge de la preuve. Qui doit apporter la preuve de quoi ? Nous considérons que ce sont les assureurs qui veulent imposer une surprime qui doivent apporter la preuve que le surrisque est avéré par la mortalité ou le taux d'invalidité. C'est d'ailleurs le sens de la loi du 27 mai 2009, qui prévoit qu'une discrimination est, par nature, interdite sauf si la personne démontre un but légitime et des moyens appropriés. Aujourd'hui, nous considérons que nous sommes assez loin des moyens appropriés dans le cas du VIH : les surprimes facturées ne sont pas médicalement ou scientifiquement justifiées.

Je sais bien qu'il n'est pas raisonnable de vouloir renverser la table et de vouloir être révolutionnaire. L'objectif est simplement d'aboutir à une meilleure solution mais il faut encadrer ce dispositif. C'était le sens des travaux de vos prédécesseurs en 2006, lorsque la loi instituant le dispositif AERAS a été votée : il fallait fixer des objectifs beaucoup plus ambitieux à ces dispositifs et donner des moyens de contrôle.

C'est aussi le sens du rapport d'évaluation qui doit normalement être remis à l'Assemblée nationale tous les six mois avant l'échéance de la convention : fixer l'état de l'existant et l'état de ce qui peut être fait ensuite. Je pense que c'est aux pouvoirs publics et, en premier lieu, au pouvoir législatif de fixer des objectifs clairs et précis à cette convention.

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Roman Krakovsky, président de l'association Les Séropotes

Je vous donne un exemple concret du suivi médical des personnes vivant avec le VIH. Je suis diagnostiqué depuis 2004. J'ai d'abord été suivi à l'hôpital tous les trois mois. Mon état de santé ne nécessitant pas un suivi aussi rapproché, les rendez-vous ont été progressivement espacés et je suis aujourd'hui suivi tous les deux ans, avec un renouvellement de l'ordonnance par le médecin traitant, en ville. C'est donc un parcours de maladie chronique classique, comme l'hypertension ou le diabète. Un suivi rapproché n'est pas nécessaire pour quelqu'un dont le bilan médical est normal.

Je partage avec Gilles Bignolas la nécessité de traiter l'ensemble des pathologies. Nous avons essayé de mettre en valeur le danger d'entrer dans une forme de fractionnement, en avançant à petits pas sur certaines garanties de certaines pathologies. Cela empêche de réfléchir à l'ensemble et risque d'enfermer à terme les pathologies un peu compliquées dans une sorte d'impasse. Nous avons mentionné plusieurs fois le cancer et certains cancers guéris ont obtenu le droit à l'oubli. Il est tout de même paradoxal que la plus grande réussite que nous puissions obtenir est de sortir de la convention AERAS.

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Gilles Bignolas, animateur du groupe de travail « Grille de référence - Droit à l'oubli », rattaché à la commission de suivi et de propositions de la convention AERAS

Si je préside ce groupe depuis six ans, c'est parce que j'ai vraiment l'impression que nous pouvons avancer, avec des collaborations diverses et variées et surtout grâce à la pression extrêmement dynamisante des associations de patients.

Nous bénéficions aussi d'une certaine reconnaissance externe : la grille AERAS a été recopiée telle quelle par la législation belge, qui institue un système très proche d'AERAS. Nous avons démarré une collaboration scientifique pour leur permettre d'évoluer en dehors des travaux de la Haute Autorité de santé qui sont mentionnés dans la grille alors qu'ils ne s'appliquent évidemment pas en Belgique. Le même phénomène est en cours avec le droit luxembourgeois et le droit néerlandais. Cette forme d'entente conventionnelle qui peut agir très vite est donc parfois jugée satisfaisante lorsqu'elle est encadrée et assise par la loi.

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Je vous remercie pour la qualité de vos interventions et de vos réponses.

Puis la commission réunit, en visioconférence, une table ronde autour des secteurs des banques et des assurances.

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Notre commission des affaires sociales a souhaité se saisir de la question de l'accès aux prêts immobiliers et au crédit à la consommation pour les personnes vivant avec le VIH et d'autres pathologies. Nous procédons sous forme d'auditions qui se déroulent en deux temps : nous avons commencé avec des représentants du monde associatif et des personnalités qualifiées et nous nous intéressons maintenant aux secteurs des banques et des assurances.

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Le secteur bancaire et le secteur des assurances sont pleinement concernés par l'application de la convention AERAS, sigle qui signifie « s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé ». Les établissements de ces secteurs informent les clients de leurs droits lorsque ceux-ci présentent un risque aggravé de santé.

Nous recevons la Fédération française de l'assurance et la Fédération bancaire française, toutes deux signataires de la convention. Nous entendons également Mme Corinne Dromer, présidente du Comité consultatif du secteur financier, qui pourra apporter un éclairage sur les questions relatives aux relations entre les banques, les assurances et leurs clients présentant un risque aggravé de santé. M. Emmanuel Constans, président de la commission de médiation et de la commission de suivi et de proposition de la convention AERAS, pourra nous éclairer sur les modalités de travail au sein de la convention et les principales pistes de réforme présentées dans le dernier rapport de la commission de suivi et de proposition.

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Philippe Bernardi, directeur des assurances de personnes à la Fédération française de l'assurance (FFA)

Le sujet est assez vaste. Je veux simplement vous dire quelle est notre philosophie et quels sont les principes qui régissent notre action au sein de cette convention.

Le principe de la convention est, dans le cas de l'assurance emprunteur, de repousser les limites de l'assurabilité. Cela a commencé avec le droit à l'oubli stricto sensu, qui concerne les cancers guéris depuis plus de dix ans pour lesquels nous nous sommes engagés à ne demander aucune information spécifique et à accepter d'assurer les gens ayant subi cette pathologie guéris depuis dix ans.

Le champ s'est depuis considérablement élargi avec la grille de référence, qui comprend d'autres pathologies, souvent chroniques, considérées comme présentant un risque aggravé. L'idée de la convention est d'aboutir, à travers des études présentées par les associations, le ministère de la santé et le ministère de l'économie, qui pilotent également ces sujets, à de nouvelles solutions permettant de définir les conditions de prise en charge des personnes souffrant de ces pathologies. Ces personnes étaient jusqu'à présent dans l'inconnu, ne sachant pas si elles pouvaient être prises et à quelles conditions. La vertu de la convention AERAS a donc été de pouvoir prendre en compte toute une série de pathologies dont le champ est très ouvert et progresse sans cesse.

Notre philosophie est de repousser au maximum les limites de l'assurabilité tout en gardant l'équilibre général du contrat, garant du tarif le plus compétitif pour les assurés. Parmi les avancées les plus marquantes figure la mucoviscidose, une pathologie grave considérée jusqu'à récemment comme difficilement assurable. Je cite cette pathologie parce qu'elle est particulièrement connue mais nous avons aussi progressé sur certaines formes de cancers pour lesquelles nous n'attendons pas dix ans. Nous les acceptons bien plus tôt à des conditions préétablies.

Les principes fondateurs sont de partager au sein de cette commission toutes les données à notre disposition, qui reflètent les progrès très rapides de la médecine. Certains domaines évoluent très vite ; des pathologies qui étaient considérées comme inassurables le deviennent. Il faut que nous disposions d'une base de données assez importante pour établir nos positions et j'en profite pour remercier les ministères et les associations, qui sont toujours de grands « fournisseurs » de données très pertinentes permettant aux experts de statuer et de faire évoluer positivement les positions des assureurs.

Cette convention n'est pas fermée dans notre esprit. Le but n'est pas de clore le sujet et de ne plus en parler mais d'évoluer constamment. Nous avons un plan de travail très fréquemment renouvelé pour mettre à l'étude de nouvelles pathologies et progresser dans l'assurabilité.

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Pierre Bocquet, directeur du département Banque de détail et banque à distance de la Fédération bancaire française (FBF)

Je porte ici la casquette des prêteurs, pour qui l'assurance emprunteur est d'abord une garantie permettant de sécuriser un projet de nos concitoyens, le plus important projet sans doute étant l'accession à la propriété.

La FBF et la profession dans son ensemble sont engagées dans ce processus conventionnel unique au monde de la convention AERAS. Ce processus très positif concernait à l'origine, voici maintenant bien des années, le VIH. Tous les acteurs et les signataires ont bien compris l'intérêt de ce dispositif conventionnel.

Les avancées évoquées par la FFA montrent que ce processus est vivant, sans posture inutile, qu'il respecte les parties prenantes et chacun, là où il est, en tant qu'association, acteur professionnel, pouvoir public ou connaisseur de pathologies, dans l'intérêt bien compris de nos concitoyens et futurs clients emprunteurs.

Ce cadre a permis et permet une plus grande inclusion dans l'assurance emprunteur, de repousser les limites de l'assurabilité et donc aussi d'améliorer l'accès au crédit, de chercher des solutions d'assurance qui apportent cette garantie suffisante.

Cette convention AERAS rentre dans le cadre de notre politique générale de prêt responsable : il s'agit de permettre l'accès au crédit en fonction de la capacité de remboursement du client, aujourd'hui et demain, mais en assurant le prêteur comme le client d'une bonne maîtrise des risques. Lors d'un emprunt sur vingt ans, il faut pouvoir apprécier et maîtriser les risques qui peuvent survenir durant toute cette période et remettre en cause la capacité de remboursement du client. La situation de santé et le risque de décès notamment sont l'objet de l'assurance emprunteur qui, depuis des décennies, est en France un élément fondateur de l'accès au crédit pour nos concitoyens.

La convention AERAS est venue conforter cette capacité à offrir au plus grand nombre des solutions d'assurance adaptées pour le prêt. Il n'existe au niveau des banques pas d'obstacle spécifique à l'application de la convention AERAS, d'abord parce qu'elle s'applique de façon automatique, sans avoir besoin de le demander, et c'est une grande force de cette convention. C'est un dispositif bien intégré par toutes les parties prenantes : intermédiaires, assureurs, prêteurs.

Les progrès possibles sont à notre sens d'améliorer encore l'assurabilité grâce à la prise en compte des progrès thérapeutiques, à la connaissance qu'a la collectivité de ces problématiques. La force de la convention est son caractère collectif. Elle est connue et a été construite avec tous, pour tous. Le fait que ce soit un processus conventionnel a permis les grandes avancées enregistrées et le fait qu'elle soit pleinement appliquée.

En voyant la convention et surtout ses instances fonctionner – la commission de suivi et de propositions, la commission études et recherches, la commission médiation qui fonctionne avec un plein engagement de toutes les parties prenantes –, nous ne pouvons que souhaiter la pérennisation de ce dispositif ainsi que sa stabilité, sa pleine reconnaissance par les représentants que vous êtes, la pleine reconnaissance de ce processus conventionnel et de ses avantages. Lui seul a permis et permettra, nous le pensons, les avancées que tous souhaitent pour améliorer encore l'assurabilité.

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Corinne Dromer, présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF)

Je ne m'occupe en fait pas du tout d'AERAS puisque le CCSF est une instance de concertation qui réunit des banquiers, des assureurs, les consommateurs, les syndicats représentant le personnel de ces établissements. Je peux toutefois vous indiquer que le CCSF a été saisi de ce sujet mais sous un angle un peu particulier, celui du taux de l'usure.

Nous avons en France un taux de l'usure pour protéger les consommateurs. Il est publié tous les trimestres par la Banque de France et se décompose selon des tranches soit de crédit de consommation avec trois tranches selon le montant soit, au-delà de 75 000 euros, de crédit immobilier avec à nouveau trois tranches qui dépendent de la durée pour les taux fixes – moins de dix ans, entre dix et vingt ans, plus de vingt ans – et un taux de l'usure pour les prêts à taux variable.

Pour déterminer le taux de l'usure, il faut déterminer le taux effectif global – comprenant les intérêts, les frais de dossier et l'assurance – à partir duquel est calculé un taux effectif moyen auquel il faut rajouter un tiers. Par exemple, dans le cas d'un crédit à la consommation dont les taux sont relativement élevés, avec un taux effectif moyen qui correspond aux taux constatés actuellement de 7,5 %, le taux de l'usure est de 9,97 % donc assez élevé. En revanche, dans les crédits immobiliers, avec un prêt à taux fixe d'une durée de vingt ans ou plus et un taux effectif moyen de 2 %, le taux de l'usure est de 2,67 %.

Un certain nombre de courtiers membres du CCSF ont saisi le Comité en disant avoir un problème pour l'accès au crédit des personnes qui ont soit un problème de santé – pas forcément inclus dans AERAS – soit un problème d'âge car le taux de l'assurance emprunteur est plus élevé. Le taux de l'usure étant aujourd'hui extrêmement bas, puisqu'il y a 67 points de base entre le taux moyen et le taux de l'usure, il est difficile d'accorder un crédit à ces personnes, sachant qu'un banquier ne peut pas accorder un crédit lorsque le taux de l'usure est dépassé. C'est du pénal, passible de prison.

Comme nous le faisons toujours, nous avons mis la question sur la table en essayant d'être à la fois imaginatifs, créatifs et surtout concrets. Nous avons imaginé diverses propositions dont une visant à conserver le taux de l'usure tel qu'il est mais, en cas de dépassement uniquement lié au coût de l'assurance, à accepter un dépassement évidemment limité. Nous avons eu deux réunions sur ce sujet sans parvenir à un consensus entre toutes les parties pour deux raisons.

La première est que nous n'avons pas réussi à évaluer combien de personnes étaient concernées. En fait, nous ne savons pas combien de personnes ayant des soucis de santé ou d'âge ont des difficultés d'accès au crédit pour cette raison et les courtiers n'ont pas été capables de nous indiquer le pourcentage des demandes de crédits concernées. Une des raisons pour lesquelles nous ne le savons pas est que les personnes constatant sur des sites tels que Meilleur Taux qu'elles seraient au-delà du taux de l'usure peuvent très bien ne pas aller voir leur banquier et ne même pas engager un processus de demande de crédit.

La seconde raison qui nous a empêché de parvenir à un consensus est que les associations de consommateurs étaient très divisées sur le sujet. En particulier, deux associations importantes ont considéré qu'il ne fallait pas du tout toucher au taux de l'usure pour ne pas faire peser un risque sur ce taux de l'usure, très important pour protéger les consommateurs.

Tant que les taux nominaux resteront très bas, le taux de l'usure sera très bas et pourra donc être un blocage pour certaines personnes.

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Emmanuel Constans, président de la commission de médiation de la convention AERAS

Nous avons transmis l'année dernière le rapport concernant dix ans de travaux de la commission de suivi et de proposition. Je souhaite souligner cinq éléments importants pour bien comprendre le sens et l'évolution de nos travaux.

Le premier point est la concertation. Le principe, peut-être la force de la convention AERAS, est qu'elle est fondée sur une concertation étroite entre les différentes parties prenantes : les associations de malades, les associations de consommateurs, les professionnels de la banque, du crédit et de l'assurance et des experts médicaux et scientifiques. Tout se fait bien sûr sous l'égide des pouvoirs publics et des ministères de la santé et de l'économie, qui s'engagent toujours au plus haut niveau dans le domaine d'AERAS. L'engagement de ces parties prenantes est général dans la recherche du consensus, pas toujours évident à trouver car le dialogue est parfois difficile. Nous n'aboutissons pas toujours au résultat que nous souhaitons mais il existe bien une volonté commune, une action collective, très importante pour progresser.

Le deuxième point que je souhaite souligner est que les décisions de notre commission, lorsque nous arrivons à des décisions au bénéfice des personnes en risque aggravé de santé, sont toujours fondées sur des données médicales et scientifiques. C'est un élément extrêmement important. Dans ce domaine sensible qui touche à la santé des personnes souvent les plus vulnérables, nous avons bien sûr la volonté d'aller aussi loin que possible et toujours plus loin mais nous ne pouvons le faire dans ce domaine médical et assurantiel qu'à partir des données médicales et scientifiques les plus récentes et les plus solides. Cette base est nécessaire pour que nous trouvions un consensus et puissions repousser les limites de l'assurabilité. Nous voyons cet aspect médical et scientifique notamment à travers le rôle du groupe de travail sur le droit à l'oubli et la grille de référence AERAS, présidé par le docteur Gilles Bignolas. Ce groupe de travail réunit vraiment les meilleurs spécialistes français et internationaux, par pathologie, ce qui fait que cette convention est d'ailleurs reconnue au niveau international.

Le troisième point est connu et figure dans les textes de la convention. Il s'agit d'un dispositif assez complet au service des demandeurs d'emprunt et d'assurance, dispositif complété récemment d'ailleurs. En 2019, le secteur bancaire et assurantiel a ainsi traité 520 000 demandes dans le cadre d'AERAS, dans un délai moyen inférieur à trois jours ce qui est tout à fait remarquable. Ce dispositif consiste en l'examen automatique à trois niveaux successifs des demandes ce qui permet de faire une proposition d'assurance à plus de 96 % des demandes présentées dans le cadre d'AERAS.

Le dispositif AERAS couvre toutes les pathologies en risque aggravé de santé. Il n'existe aucune exclusion. C'est l'aspect adaptabilité de la convention. Un système d'écrêtement des surprimes pour les personnes ayant un revenu inférieur à un certain seuil a été mis en place et est pris en charge par les professionnels de la banque et de l'assurance. Ce dispositif concerne plus de 3 000 personnes chaque année. Nous avons également amélioré dans le cadre de la convention AERAS la couverture des dispositifs d'invalidité grâce à une garantie spécifique. Enfin, les progrès les plus récents ont porté sur le droit à l'oubli et la grille de référence pour une série de pathologies.

Un gros effort est fait dans le domaine de l'information sur la convention AERAS. Il est toujours nécessaire et nous essaierons de l'améliorer encore, d'informer le public, les médecins, les professionnels concernés en matière de crédit et d'assurance, notamment grâce au site officiel AERAS, géré par la direction générale du Trésor, rattachée au ministère de l'économie. Il existe aussi un dispositif d'information des associations, ainsi que de la part des établissements de crédit et des assurances vis-à-vis du public.

Je souligne que l'application de la convention AERAS par les établissements de crédit et les assurances fait l'objet d'un contrôle de l'ACPR. C'est très important puisque c'est une garantie pour le public et toutes les personnes du respect et de l'application de cette convention AERAS. L'ACPR a fait l'année dernière une enquête approfondie sur le fonctionnement de la convention et son respect par les établissements de crédit et d'assurance.

Le quatrième point concerne les résultats de la convention AERAS dans l'amélioration de l'assurabilité. Pathologie par pathologie, le dispositif s'étend et couvre de plus en plus de personnes. Nous voulons bien sûr aller encore plus loin, au niveau des délais et du champ d'application. Nous actualisons la grille de référence tous les six mois et toute nouvelle décision s'applique de façon quasiment immédiate ce qui est assez intéressant comparé à un dispositif législatif et réglementaire. L'application est immédiate dès lors qu'un accord est trouvé entre l'ensemble des parties prenantes, avec quelques délais techniques de mise en œuvre bien sûr.

Chaque année, des statistiques tenues notamment la FFA permettent suivre l'application de la convention. J'ai transmis les statistiques de l'année 2019, qui sont extrêmement intéressantes.

Pour finir, l'important dans la convention AERAS est de soutenir cette dynamique permanente pour aller plus loin. C'est là que l'appui du Parlement et du Gouvernement est utile. Notre programme de travail est chargé et nous espérons parvenir en 2021 à de nouveaux progrès notamment dans le domaine du VIH mais pas uniquement.

Pour que la convention AERAS puisse pleinement donner ses résultats, nous avons besoin d'études et de données. Il faut des études scientifiques approfondies qui permettent d'aboutir à des conclusions en matière d'assurabilité. Ces études et ces données représentent des coûts. Le financement de ces études est demandé par les associations mais également par de nombreuses parties prenantes. Le financement avait été assuré dans la phase précédente ce qui avait permis d'aboutir au droit à l'oubli et à la grille de référence.

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De manière générale, pouvez-vous rappeler les principales règles qui s'imposent au secteur des assurances et au secteur bancaire pour assurer l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé ? Quelles sont les principales modalités de la convention AERAS et les différents niveaux d'examen des demandes d'assurance ? Quels sont les principaux obstacles rencontrés par le secteur de l'assurance et le secteur bancaire dans l'application de la convention AERAS ?

Pour les trois niveaux d'examen des demandes d'assurance de personnes présentant un risque aggravé de santé, combien font l'objet d'une proposition d'assurance ? Combien de personnes présentant un risque aggravé obtiennent finalement un crédit ?

Quel est le taux de propositions d'assurance émises par le bureau commun des assurances collectives (BCAC), qui assure la gestion des risques très aggravés de santé et est chargé de la mise en œuvre du troisième niveau de la convention AERAS ?

Quelles solutions alternatives sont proposées aux personnes présentant un risque aggravé de santé pour lesquelles la demande d'assurance est refusée ? J'ai cru comprendre, monsieur Constans, que vous disiez que toutes les demandes trouvaient une solution mais il me semble au contraire que certaines personnes se voient refuser la demande d'assurance.

Sur l'ensemble des personnes présentant un risque aggravé de santé faisant une demande d'assurance, combien se voient appliquer une surprime, une limitation ou une exclusion de garantie ? Quelle est la tarification des propositions d'assurance en risque aggravé et quelles modalités d'écrêtement des surprimes existent pour les personnes en dessous de certains niveaux de revenus ?

Enfin, pourriez-vous nous éclairer sur les modalités de travail au sein des instances de la convention et les principales pistes d'évaluation que vous préconisiez, notamment dans le dernier rapport de la commission de suivi et de propositions ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite témoigner car nous sommes très souvent sollicités par exemple par des personnes séropositives, des personnes étant ou ayant été atteintes d'un cancer ou de maladies chroniques invalidantes qui ont du mal à accéder à la propriété. Malgré les éléments que vous nous avez apportés, nous constatons que l'accès à l'assurance emprunteur leur est difficile du fait de leur maladie car, même guéries, elles sont souvent considérées comme présentant toujours un risque aggravé de santé, selon la formule consacrée.

Certaines personnes sont confrontées à des refus d'assurance, d'autres à des surprimes. Même si la convention AERAS a été créée pour réduire ces inégalités, ce dispositif national est d'une part encore trop peu connu et d'autre part insatisfaisant car il écrête mais n'annule pas les surprimes d'assurance liées aux prêts immobiliers.

Certaines collectivités ont pris des initiatives ; la région d'Île-de-France entend « réparer » cette injustice grâce à un dispositif de garantie complémentaire à la convention AERAS. Seriez-vous favorables à une telle évolution, à ce que nous allions plus loin et que les collectivités puissent s'investir dans ce domaine ?

D'ailleurs, plutôt que les collectivités, puisque ce n'est a priori pas leur rôle, quelles solutions verriez-vous pour que nous arrivions à mieux soutenir et mieux accompagner les personnes qui sont atteintes à un moment de leur vie par une difficulté de santé ? Elles sont pénalisées et en quelque sorte discriminées alors qu'elles doivent pouvoir acheter un logement et s'épanouir, vivre en famille. Comment aller plus vite et plus loin pour que les personnes concernées puissent toutes emprunter ?

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Emmanuel Constans, président de la commission de médiation de la convention AERAS

Les règles qui s'appliquent aux secteurs de la banque et de l'assurance dans le domaine d'AERAS sont celles du texte de la convention. Cette convention a été actualisée l'année dernière dans le cadre de nouvelles mesures concernant les cancers pédiatriques. Tous les éléments de cette convention s'appliquent à tous les établissements de crédit et à toutes les entreprises d'assurance. Elle fait l'objet d'une concertation dans le cadre de la commission de suivi et de proposition et son application est contrôlée par l'ACPR. C'est donc tout à fait rigoureux.

Si une personne estime que la convention AERAS n'a pas été appliquée correctement à son égard, cette personne et toutes les personnes concernées peuvent saisir la commission de médiation de la convention AERAS, qui examine chaque mois une centaine de demandes individuelles de façon confidentielle. La commission de médiation est chargée, en liaison avec les établissements de banque et d'assurance, de se positionner par rapport à ces demandes. Lees résultats sont tout à fait positifs. Cela permet de voir quel est le niveau des réclamations, les secteurs en difficulté et les éléments à modifier ou à orienter. M. Perrut parlait d'éléments insuffisamment connus et il se peut que la commission de médiation en fasse partie. Nous comptons sur chacun pour la faire connaître davantage.

Le nombre de demandes d'assurance AERAS était pour 2019 de 520 000, soit 12 % des demandes d'assurance de prêt. Il s'agit donc d'un nombre important. Plus de 96 % des demandes d'assurance, au moins dans le domaine du décès, sont satisfaites à l'issue du troisième niveau. Ce taux est donc particulièrement élevé.

Le troisième niveau est très important ; il est tenu par un certain nombre de réassureurs qui examinent chaque dossier individuellement et donnent satisfaction, en tout ou partie, chaque fois que c'est possible. Certains dossiers ne sont pas assurables du tout par voie d'une assurance mais, nous y reviendrons, il existe d'autres moyens. Toutefois, le BCAC, en réexaminant les dossiers qui ont fait l'objet d'un refus aux premier et deuxième niveaux, parvient à trouver une solution pour 25 à 30 % des dossiers.

Les solutions alternatives proposées sont les garanties alternatives à l'assurance. Ce sont des garanties, notamment bancaires, qui peuvent intervenir lorsqu'il n'existe pas de solution d'assurance.

En ce qui concerne la garantie décès, environ 30 % des personnes font l'objet d'une surprime, d'une limitation ou d'une exclusion de garantie, ce qui signifie que 70 % des personnes sont assurées sans surprime ni exclusion de garantie. Dans le domaine de l'incapacité et de l'invalidité, cela concerne environ 50 % des personnes.

L'information est un point très important. Nous avons sans doute des efforts à faire. Nous avons déjà un site internet de qualité qui sera amélioré pour être accessible avec une tablette ou un smartphone. Ce travail est en cours et sera réalisé d'ici la fin de l'année 2021 par les services informatiques du ministère de l'économie, en liaison avec la commission de suivi et de propositions.

Nos modalités de travail consistent en des réunions. Les réunions de la commission de suivi et de propositions ont lieu tous les deux mois environ. La commission de médiation se réunit à peu près au même rythme. Le groupe de travail de la commission de recherche concernant le droit à l'oubli et la grille de référence se réunit très souvent. En tout, nous tenons une bonne quinzaine de réunions chaque année, en plus de tous les contacts et les réunions bilatérales qui ont lieu. Nous tenons aussi des réunions avec les ministères concernés. Il s'agit donc d'un travail considérable, mené par tous dans cet esprit collectif d'essayer d'améliorer sans cesse la convention au bénéfice des personnes présentant un risque aggravé de santé.

L'écrêtement des surprimes est effectivement important. Nous pouvons peut-être aller plus loin dans ce domaine. L'initiative a été prise par la région d'Île-de-France de compléter l'écrêtement prévu par la convention.

Nous sommes dans le domaine assurantiel, avec un aspect de concurrence et de marché qui impose une égalité de traitement ne pouvant être rompue, comme c'est le cas dans le cadre de la convention AERAS, qu'au profit de catégories bien définies et dans un objectif précis. Ce n'est pas un domaine administré mais un domaine de concurrence, au niveau bancaire et au niveau des assurances.

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Philippe Bernardi, directeur des assurances de personnes à la Fédération française de l'assurance (FFA)

Sur les 4,3 millions de demandes déposées chaque année, 85 % sont prises sans risque aggravé. 12 % présentent un risque aggravé et, en grande partie grâce aux travaux liés à AERAS, 96 % des personnes concernées sont admises. Seules 4 % des personnes en risque aggravé de santé ne sont pas prises. C'est toujours trop bien sûr mais cela représente 5 personnes sur 1 000 qui sollicitent une assurance. Il faut que nous continuions à travailler sur la piste de l'assurabilité comme nous le faisons au sein d'AERAS et sur les solutions alternatives qui existent.

En ce qui concerne la surprime, nous sommes dans un mécanisme d'assurance et nous essayons donc de mettre tout le monde sur un pied d'égalité en termes de part du risque qu'il représente. Il existe d'autres mécanismes, davantage de solidarité, qui se situent en dehors du mécanisme de l'assurance car il est soumis à des règles de compétition et de recherche des tarifs les plus bas. Nous cherchons évidemment à limiter ces surprimes mais 27 % des cas sont surprimés. Les taux des surprimes peuvent, en taux absolu, sembler assez élevés : 50 % de surprime signifie que, par rapport à la prime d'assurance, vous payez 50 % de plus mais ce sont des montants de l'ordre d'une vingtaine d'euros. Cela paraît très élevé ou très faible selon l'angle par lequel la question est abordée.

Je n'ai pas à me prononcer sur l'initiative de la région d'Île-de-France. Je rappelais la péréquation à laquelle est soumise l'assurance : nous essayons de mettre dans tout contrat d'assurance les gens sur un même pied d'égalité entre le risque qu'ils représentent et le coût de ce risque. En sortant de cette logique, il faut savoir qui paie le surcoût. S'agit-il, dans le cas d'une mutuelle, des sociétaires de la mutuelle, des actionnaires, de la sphère publique à travers l'impôt ? C'est un autre débat. Dans notre secteur, nous raisonnons avec les règles qui régissent les contrats d'assurance et la compétitivité de ces contrats, l'objectif étant que le tarif de base, y compris le tarif bancaire, soit le plus bas pour que le maximum de personnes aient accès à des crédits peu coûteux et puissent réaliser un projet majeur de leur existence.

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Pierre Bocquet, directeur du département Banque de détail et banque à distance de la Fédération bancaire française (FBF)

Le sujet de l'information est essentiel. Chacun des acteurs a développé des outils. L'outil phare est le site internet officiel aeras-infos.fr et tous les partenaires de la convention sont invités à y faire référence. Ce site est vraiment le lieu pour trouver toutes les bonnes informations.

Pour notre part, comme chacun des acteurs, nous développons un certain nombre de contenus sur le site lesclesdelabanque.com consulté par plusieurs millions de Français chaque année. Nous créons aussi des miniguides qui sont mis gratuitement à disposition des associations et sont en ligne. La FFA fait de même ainsi que les autres acteurs. Cet effort d'information nous occupe collectivement au sein des instances de la convention. Nous attendons avec grand intérêt la rénovation du site officiel, notamment pour le rendre facilement accessible aux outils largement employés aujourd'hui que sont les smartphones.

Il ne faut pas oublier que la convention s'applique automatiquement : même si vous ne connaissez rien du tout à la convention, lorsque vous faites une demande de crédit et d'assurance, le fait d'avoir rempli le questionnaire de santé fait que, si vous ne pouvez pas être admis tout de suite au regard de vos réponses, la convention AERAS s'enclenche automatiquement pour rechercher une solution d'assurance aux différents étages. Je pense que c'est fondamental. Combien de droits existants nécessitent que nos concitoyens les demandent pour en bénéficier ? Ici, le dispositif s'applique automatiquement, sans qu'il soit nécessaire de le demander. C'est une très bonne référence pour un certain nombre de droits et nous sommes collectivement très attachés à cette caractéristique. Il faut préserver cet acquis même si l'information continue à être importante.

Seules 5 personnes sur 1 000 ne trouvent pas de solution d'assurance. C'est dommageable et nous le regrettons puisque c'est peut-être un crédit que nous n'avons pas pu faire. Notre métier est de faire du crédit mais de faire du crédit responsable.

Compte tenu du fait que notre métier est de pouvoir financer les projets de nos clients, nous recherchons avec le client des garanties alternatives quand cela est possible. Le client nous les propose parfois de lui-même. Il existe une fiche d'information sur ces garanties alternatives ; elle se trouve notamment sur le site officiel AERAS ainsi que sur les autres sites. Ces garanties alternatives doivent offrir la même sécurité que l'assurance pour le prêteur et l'emprunteur. Une telle garantie doit permettre la prise en charge d'une partie des remboursements, de tout ou partie du capital restant dû si jamais un événement, notamment de santé, se produit. Il faut aussi qu'elle puisse facilement être mise en jeu, dès que les difficultés surviennent dans le remboursement du prêt. Il ne s'agit pas de laisser le client entrer dans une spirale négative pour tout le monde, aussi bien le prêteur que le client, voire ses ayants droit.

Plus concrètement, une garantie alternative peut être une caution d'une ou plusieurs personnes physiques, une hypothèque sur un autre bien immobilier appartenant à l'emprunteur – résidence secondaire, logement locatif – ou le nantissement d'un portefeuille de valeurs mobilières, d'un contrat d'assurance vie, ce qui demande une analyse spécifique de sa valeur, de sa pérennité et de sa mobilisation. Cela peut aussi être des délégations de contrats de prévoyance individuelle. L'intérêt bien compris du prêteur qui a déjà investi du temps et de l'énergie pour préparer un projet de financement est qu'il puisse aboutir. Une telle garantie est donc recherchée dans tous les cas, dans la mesure où le client veut bien nous dire s'il dispose de ce genre de solution dans son environnement.

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Philippe Bernardi, directeur des assurances de personnes à la Fédération française de l'assurance (FFA)

Je n'ai peut-être pas suffisamment insisté sur l'information, qui est un point crucial. L'information en amont est très importante : il faut faire connaître le dispositif AERAS pour éviter qu'une personne qui souffre d'une pathologie croie que ce n'est même pas la peine de faire la démarche de demander un emprunt immobilier, pensant être refusée.

Ensuite, une fois que la démarche de demande d'emprunt est faite, l'emprunteur est obligatoirement mis au courant. Nous y sommes obligés ; l'accès au droit à l'oubli et à tous ces dispositifs est écrit dans les conditions générales des assurances des emprunteurs. Une personne qui fait la démarche doit donc être parfaitement informée et, si elle a le moindre souci, sait à qui s'adresser : à la commission de médiation AERAS ou à l'ACPR.

Nous sommes présents à la commission, présidée par Emmanuel Constans, et nous sommes très attentifs à toutes les informations qui remontent et pourraient montrer que ce dispositif est insuffisamment appliqué par les organismes d'assurance.

Pour résumer, une personne qui fait la démarche est parfaitement protégée par un dispositif d'information et de contrôle très serré. En revanche, il est exact que l'information en amont pour faire connaître ce dispositif est très importante car je pense qu'une frange non négligeable de nos concitoyens s'autocensure en pensant que ce n'est même pas la peine d'essayer.

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Les réponses ont été relativement fouillées.

Je rebondis sur le propos de M. Bernardi : je trouve que payer 20 euros de plus pour être moins bien assuré que les personnes ne présentant pas de risque est tout de même un peu cher. Ce n'est pas une pique mais il me semble que, dans la mesure où les garanties ne sont pas les mêmes que pour les personnes bien portantes, c'est cher et je pense que les associations seront du même avis.

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Philippe Bernardi, directeur des assurances de personnes à la Fédération française de l'assurance (FFA)

Je disais simplement qu'il faut convertir les surprimes en euros pour se rendre compte et qu'un majorant est 20 euros. Je ne fais pas de jugement de valeur pour savoir c'est beaucoup ou non. En revanche, la personne qui paie cette surprime est totalement assurée, comme une autre personne. Elle bénéficie, à plein, des garanties du contrat. Moins c'est cher, mieux c'est pour tout le monde mais il s'agissait simplement d'illustrer le coût d'une surprime, l'évocation des taux de 100 % pouvant donner l'impression de montants vraiment très importants. 20 euros est effectivement un montant important.

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Je vous remercie d'avoir répondu honnêtement aux questions peut-être un peu taquines que nous vous avons posées.

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Je vous remercie pour votre présence et vos réponses et, comme le veut la tradition, je vous souhaite aussi à tous une excellente année.

L'audition s'achève à dix-sept heures cinquante.