Intervention de Bruno Lamothe

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Bruno Lamothe, juriste à l'association Les Séropotes :

Le dernier cas concret que nous avons vu d'une personne séropositive qui souhaite être assurée en déclarant sa pathologie concerne une personne de 44 ans. Le crédit est d'une valeur de 240 000 euros sur vingt ans. Le taux qui lui est proposé est de 0,84 % avec une surprime de 94 %, soit un coût total de 31 637 euros, dont la surprime représente 15 439 euros. Cette personne n'a pas d'autre pathologie associée ; elle ne souffre que du VIH et ce VIH est contrôlé depuis une quinzaine d'années. Il n'existe aucune difficulté particulière et cela lui coûte donc un peu plus de 15 000 euros pour être assurée pour le décès et l'invalidité.

Nous rencontrons de plus en plus ce type de cas. Ces personnes nous disent ne pas comprendre puisque tout le monde dit qu'elles ont une espérance de vie à peu près normale et aucun risque d'invalidité. Elles ne comprennent pas devoir payer le double du collègue qui fume, ne fait pas de vélo, pas de sport. C'est le constat qu'a fait la région d'Île-de-France en mettant en place la garantie solidaire : il n'existe pas de justification purement médicale à ce genre de surprime.

Je suis un peu en désaccord avec Marianick Lambert : toutes les compagnies d'assurances n'ont pas exactement la même politique avec la mise en place de la garantie AERAS. Nous avons un bureau d'assurance collective avec un pool de réassureurs au troisième niveau mais, aux premier et deuxième niveaux, chaque assurance fait ce qu'elle veut et propose le produit qu'elle veut. Il ne s'agit pas d'un produit standardisé avec un taux standardisé, loin s'en faut. La plupart des cas sont actuellement arbitrés aux premier et deuxième niveaux. Le troisième niveau, qui met en place une assurance centralisée avec une répartition des dossiers par les réassureurs, correspond à environ 10 000 dossiers par an, dont seuls 10 % aboutissent à la concrétisation d'un projet. 90 %, pour des raisons qui relèvent soit des assureurs soit des assurés eux-mêmes, n'aboutissent à aucun projet parce qu'aucune solution n'est trouvée. La majorité sont des dossiers ajournés par les assureurs et près de 2 000 dossiers ne donnent pas lieu à un projet parce que l'assuré trouve que c'est trop cher ou parce que le projet est expiré, les délais ayant été trop longs.

Une grande partie des personnes qui vivent avec le VIH cachent effectivement leur pathologie, voire l'ignorent. Beaucoup de personnes ignorent leur statut sérologique. Elles le cachent donc soit de bonne foi parce qu'elles ne le savent pas, soit parce que leur entourage leur dit être passé par là et conseille de le cacher pour ne pas payer beaucoup plus cher ou même ne pas avoir de réponse.

Les questionnaires ne sont pas standardisés, tant s'en faut, et sont parfois extrêmement intrusifs. Ils demandent parfois au médecin l'origine de la contamination, origine qui donne lieu à un arbitrage sur le taux. Je ne vois pas en quoi, médicalement, cela modifie les choses de savoir si la contamination provient d'un compagnon ayant le VIH ou d'un autre accident. C'est la pathologie qui doit selon moi être prise en compte et non son origine, d'autant plus que des assureurs demandent parfois une batterie de tests, comme une coloscopie, qui ne sont pas extraordinairement agréables. Nous avons vu un dossier dans lequel une cinquantaine de tests étaient demandés. Cela nécessite un nombre considérable de rendez-vous à l'hôpital pour le candidat à l'emprunt et ne donne lieu à aucun contrôle. Il devrait exister un contrôle de l'ACPR sur les questionnaires médicaux et le fait qu'ils sont plus ou moins invasifs mais l'ACPR est dotée d'assez peu de moyens.

Sur la question du financement des données, nous avons bien sûr besoin de données, d'équipes qui les analysent et les retraitent. Dominique Costagliola fait heureusement un travail extraordinaire sur le VIH mais les personnes impliquées comme elle dans ces traitements de données sont malheureusement très peu nombreuses. Nous avons des données et des équipes qui travaillent sur le VIH mais beaucoup moins sur les autres pathologies.

Il reste la question déjà posée de la charge de la preuve. Qui doit apporter la preuve de quoi ? Nous considérons que ce sont les assureurs qui veulent imposer une surprime qui doivent apporter la preuve que le surrisque est avéré par la mortalité ou le taux d'invalidité. C'est d'ailleurs le sens de la loi du 27 mai 2009, qui prévoit qu'une discrimination est, par nature, interdite sauf si la personne démontre un but légitime et des moyens appropriés. Aujourd'hui, nous considérons que nous sommes assez loin des moyens appropriés dans le cas du VIH : les surprimes facturées ne sont pas médicalement ou scientifiquement justifiées.

Je sais bien qu'il n'est pas raisonnable de vouloir renverser la table et de vouloir être révolutionnaire. L'objectif est simplement d'aboutir à une meilleure solution mais il faut encadrer ce dispositif. C'était le sens des travaux de vos prédécesseurs en 2006, lorsque la loi instituant le dispositif AERAS a été votée : il fallait fixer des objectifs beaucoup plus ambitieux à ces dispositifs et donner des moyens de contrôle.

C'est aussi le sens du rapport d'évaluation qui doit normalement être remis à l'Assemblée nationale tous les six mois avant l'échéance de la convention : fixer l'état de l'existant et l'état de ce qui peut être fait ensuite. Je pense que c'est aux pouvoirs publics et, en premier lieu, au pouvoir législatif de fixer des objectifs clairs et précis à cette convention.

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